P13 – Où on reparle de la gauche et de la droite

Vous aurez sans doute été pour le moins surpris en m’entendant parler politique sans y retrouver vos repères habituels. On y vient, on y vient… mais une fois de plus, il est essentiel de ne pas réduire le principe à son avatar pour redorer un peu le blason de la politique.

le plan de la Personne P13

Je vais d’abord répondre à ceux qui prétendent qu’il est possible de ne pas faire de politique. Je leur dirai oui à condition d’être profondément narcissique ou schizophrène, autrement dit atteint d’un trouble de la convention et coincé dans l’institution, incapable de s’investir dans la vie en société.

– Vous n’avez pas des têtes de gauchistes mais je ne vous en veux pas. Moi même, j’ai longtemps eu l’air d’un parfait salaud !

Et par conséquent, la grande majorité d’entre vous (rassurez-moi !) faites de la politique, sans même le savoir ou à votre corps défendant, même si vous n’avez jamais voté ou peut-être simplement compris la différence entre la droite et la gauche.

Comme pour le signe et l’outil, la théorie de la médiation distingue trois modes de réinvestissement de l’instance institutionnelle : anallactique, synallactique et choral. Ce dernier adjectif renvoie à choeur alors que les deux premiers que vous ne trouverez pas dans le dictionnaire sont des néologismes autour du grec « allos » (l’autre), le préfixe an-  étant privatif et syn- signifiant avec. 

Même le Pape s’en est aperçu : nous ne sommes pas seuls. Nous n’allons donc pas réfléchir au niveau de l’individu mais réfléchir un cran au-dessus, à hauteur de groupes sociaux, car je le rappelle, si la Personne n’existe que conditionnée dans notre matière cérébrale, elle n’en dépasse pas moins le sujet physique. L’individu participe de déterminismes qui le dépassent et dont bien souvent il n’a pas conscience : il est conditionné à son insu et depuis toujours.

Lorsque le réaménagement de l’institution tend à la figer ou même à la replier sur elle-même, Gagnepain utilise le terme anallactique pour le qualifier : on peut le comprendre comme le rejet de l’altérité et par conséquent du nouveau, du lointain ou du paria. C’est ce qu’on appelle le conservatisme qui se traduit aussi par le centralisme et l’élitisme suivant qu’on considère le temps, le lieu ou la strate sociale. Toujours avec son sens de la formule, Gagnepain parle d’allégeance comme d’une « manière de légalité fondée sur le respect d’un ordre tenu pour accompli avant, au loin ou au-dessus ». L’ordre immuable du monde est inscrit là où seule, une minorité initiée a accès. Comme pour le mythe, les choses sont à prendre comme elles sont, sans explication.

Le conservateur freine donc le changement et cherche à momifier l’existant. Il se fait héritier de la tradition et de l’ordre établi (en général, par sa propre classe cependant). C’est le snob qui prend son thé dans de la vaisselle chinoise en levant le petit doigt, le patron qui verse un treizième mois comme on offrait des étrennes, le fils de bonne famille qui entretient le patrimoine foncier et l’arbre généalogique, l’amateur de moutarde à l’ancienne et de nappe à carreaux, le bourgeois qui entretient l’esprit de caste, le nationaliste qui scande « on est chez nous! », le pinailleur en orthographe, la dame patronnesse et l’électeur de droite qui croit encore aux urnes qui portent toujours au pouvoir un membre de sa classe. Pourquoi donc changer ce qui est ?

 – Messeigneurs, une petite pièce pour le téléthon !

Eh bien justement, c’est l’option que propose la synallactique, la politique de la fuite en avant, la course au réajustement perpétuel de l’institution pour intégrer l’imprévu, la révolution permanente en somme.

Trotsky et Mao ont été remplacés par la disruption de la Silicon Valley et le blitzkrieg macroniste, l’avalanche de néologismes anglo-saxons, la chevauchée des technologies, le transhumanisme, le galop numérique, la libération des moeurs, le néo-capitalisme économique, bref ce qu’on nous présente comme le progrès. Pas de jugement de valeur mais le constat d’une perpétuelle modification de la Loi qui fragilise les repères.

Un peuple qui se souvient de ses ancêtres en sort grandi.

Pour établir une comparaison avec le fleuve, la synallactique s’efforce de suivre la vitesse du courant quand l’anallactique cherche sinon à le remonter, du moins à se maintenir au même point. Car une révolution nationale et réactionnaire comme le fascisme bouleverse autant le pouvoir en place que l’avènement du communisme. Mais le fascisme est un repli ethnique (les Français, d’abord!) quand le communisme tend à l’international au profit de l’humanité (prolétaires de tous les pays…).

Ces deux tendances sont continuellement à l’oeuvre en nous. Leurs effets s’enchevêtrent et le mouvement continu de l’histoire brouille la perception qu’on peut en avoir. Il est à l’heure actuelle devenu conservateur de préserver les acquis sociaux issus du Comité National de la Résistance et d’Ambroise Croizat. Ce n’est pas par hasard que la réaction ultralibérale  s’appelle « en marche » : elle cherche à ringardiser des « privilèges » et à les présenter comme obsolètes.

Le hockey sur gazon est-il un sport de droite ?

L’idéologie est anallactique en ce qu’elle tend à consolider ce qui existe quitte parfois à rejeter ce qui dérange. Le traitement synallactique de l’information se nomme quant à lui épistémologie. Certains préfèrent parler d’esprit critique auquel on pourrait alors opposer l’esprit de famille. Et là, non seulement on n’écarte pas la gêne, mais on favorise le dérangement.

Sur la question migratoire, la problématique est la même, la nouveauté prenant la forme, dans ce cas, de l’allochtone, celui qui vient d’ailleurs. S’il ne lui refuse pas systématiquement l’accès au pays, l’autochtone anallactique, qu’on pourrait appeler nationaliste, cherchera à l’assimiler à l’unité nationale et à l’habitus commun. Quant au citoyen du monde, il accueille l’allochtone dans ses festivals de la solidarité internationale, vote la loi de 1905 sur la laïcité, rajoute des lettres aux LGBT, parle globish et écoute de la world music et du jazz fusion.

On pourrait aussi présenter cela ainsi : si être de droite, c’est privilégier ses intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général, la théorie du ruissellement, le TPMG (tout pour ma gueule), la conscience de classe, le privilège et le protectionnisme sont de droite. Si être de gauche, c’est faire passer le bien commun avant ses intérêts particuliers alors la recherche d’équité, l’écologie, la solidarité, le métissage et la libre circulation des hommes et des biens sont de gauche.

L’anallactique ramène donc l’espèce humaine aux règles et coutumes de l’ethnie alors que le synallactique ajuste la loi en vigueur et ses habitudes aux étrangers qui se présentent. 

Tout le reste est littérature ! A la revoyure !

Pour aller plus loin :

Alexis Corbière réclamait il y a peu qu’on renouvelle le vocabulaire pour ne plus parler de la gauche, mot symbolique à son avis d’échecs répétés et par conséquent repoussoir à électeurs. J’ai alors réaffirmé sans détour qu’on est de droite et donc conservateur quand on veut que rien ne change. On est d’extrême-droite quand on est réactionnaire et qu’on veut que les choses redeviennent comme avant. On est de gauche et donc progressiste quand on veut changer le système pour essayer quelque chose qui n’a pas encore été tenté ou mené à terme. Ce n’est tout de même pas compliqué. Vouloir faire croire que ces clivages n’existent pas, c’est chercher à noyer le poisson comme le fait Macron qui cache le fait qu’il est profondément réactionnaire puisqu’il veut revenir à un état du capitalisme proche de celui du XIXème siècle avec un monde de rentiers tout puissants. Ça s’appelle la ploutocratie.

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