H3 – La propriété, c’est le don, mon cher Proudhon!

« Si j’avais à répondre à la question suivante : Qu’est-ce que l’esclavage ? et que d’un seul mot je répondisse : c’est l’assassinat, ma pensée serait d’abord comprise. Je n’aurais pas besoin d’un long discours pour montrer que le pouvoir d’ôter à l’homme la pensée, la volonté, la personnalité, est un pouvoir de vie et de mort, et que faire un homme esclave, c’est l’assassiner. Pourquoi donc à cette autre demande : Qu’est-ce que la propriété ? ne puis-je répondre de même : c’est le vol, sans avoir la certitude de n’être pas entendu, bien que cette seconde proposition ne soit que la première transformée? » P-J Proudhon

La propriété mise à nu (3ème partie) H3

La propriété, c’est le vol, » écrivait bien imprudemment Proudhon. La formule a fait son chemin mais le raccourci ne tient pas la route. A la décharge de Proudhon, nous dirons qu’il visait ce que Bernard Friot appelle la propriété lucrative, c’est à dire la possession des biens de production. D’ailleurs, Proudhon faisait la différence entre possession et propriété.

Cette distinction est fondamentale car la notion même de propriété est inhérente à la #Personne humaine, entendue comme rationalité qui régit l’agent social que nous sommes. Autrement dit, pas de sociologie sans propriété. Mieux: la propriété fonde le don et l’échange car on ne peut donner que ce qui nous appartient. Abolir la propriété sans plus de discernement, c’est aller à l’encontre de la condition humaine. Mais ne nous emballons pas!

Propriétaires de tous les pays…

Même après la Révolution, la propriété reste au coeur de nos institutions et jouit même d’un statut transcendant dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » 

On peut laisser de côté le caractère sacré et on obtient l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

1. Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété.

2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété.

Entre les deux déclarations, la propriété a été un petit peu rétrogradée certes mais elle reste bien présente, sinon centrale.

On remarque aussi qu’il est question de personne individuelle (avec une correspondance physique) ou morale (c’est à dire collective). Autrement dit, la Personne quelle que soit son étendue sociale est susceptible de posséder et cela est garanti par la Loi.

Nous avons déjà vu que la liberté de disposer de son corps sous-entendait que nous en fussions propriétaires. On a constaté aussi que le statut de ce corps variait suivant l’âge et le milieu. La propriété du corps, mais nous pouvons le dire dès maintenant la propriété tout court, est donc éminemment arbitraire et contingente parce que sociale.

Je relisais récemment L’Or de Blaise Cendrars. Il s’agit d’une biographie romancée du général Sutter, un aventurier d’origine suisse (hé oui ça arrive!), qui fait fortune en Californie dans la première moitié du XIXe siècle. Il rachète la région au Mexique et installe une véritable industrie de l’agriculture. Sur le point de devenir l’homme le plus riche du monde, il est ruiné par la découverte de pépites d’or sur ses terres en 1848 et par la grande ruée qui s’ensuit. Des milliers de chercheurs se précipitent sur les territoires du général Suter, dévastant tout ce qu’il a mis tant d’énergie à construire. Ces nouveaux arrivants viennent avec des notaires et se procurent de faux titres de propriété flambant neufs. Le général fatigué et abattu par tant d’injustice sombre dans la mélancolie jusqu’à ce que sa famille réapparaisse. Il décide de se reprendre et poursuit en justice les milliers de prospecteurs qui exploitent son territoire rempli d’or. Mais cela ne servira à rien. L’État américain insuffisamment puissant à cette époque sur cette immense territoire, et pas trop regardant non plus, ne lui rendra pas justice et le vieux Suter mourra dans la misère à Washington.

Bref, le roman montre que sans un État fort, une puissance publique solide ou éventuellement d’une communauté traditionnelle stable, la propriété, c’est tripette, à moins d’avoir un flingue pour la défendre. 

On n’éprouve pas non plus une folle compassion pour Sutter vu que l’acquisition des terres s’est faite au détriment des indiens du coin. L’accaparement illégal laisse la porte-ouverte aux hors-la-loi. On ne peut tout de même pas se plaindre de se faire barboter un vélo qu’on a soi-même chouravé. 

Gardez votre ticket de caisse ! 

Personne n’aurait l’idée d’accepter le cadeau d’un inconnu dans un supermarché sans aussi exiger le ticket de caisse. Pourquoi? Tout simplement parce que rien ne prouve que le « cadeau » n’a pas été pris dans les rayons sans passer par la case paiement.

Et là, ce n’est pas qu’on a droit à la propriété mais qu’on y est contraint. Dans nos sociétés urbaines, on ne peut en effet manger, parfois même boire, sans acquérir légalement préalablement ces denrées. A fortiori, on ne peut donner quoi que ce soit sans en être propriétaire. 

Bien sûr, on peut voler aux riches pour donner aux pauvres, ou bien comme le fait président Macron voler aux pauvres pour ne rien prendre aux riches, ça ne change rien à l’affaire. La propriété existe bel et bien, et rend possible une vie en société.

Même en camping ou même pour le SDF, le cambriolage est vécu comme une intrusion, c’est-à-dire le franchissement d’une frontière chez soi/dehors clairement tracée et s’apparente pour certains à un viol. Si on accepte d’être traité comme une sardine pendant un concert ou dans le métro, c’est parce que cette proximité est temporaire. En temps ordinaire, j’ai autour de moi un espace symbolique où on n’entre pas comme dans un hall de gare.

Je définis implicitement un espace intime et même à l’intérieur de celui-ci, je mets des degrés d’intimité. Mon jardin est moins privé que ma cuisine qui est moins privée que ma messagerie qui est moins privée que mon lit.

On trace de la frontière à tour de bras: on inclut autant qu’on exclut. Tant que je n’ai pas partagé la tarte que je viens de faire, je ne peux pas en offrir. Comment invité quelqu’un chez moi si je dors à la belle étoile? Il suffit de partager le foyer, c’est à dire la zone de chaleur que je m’approprie le temps d’une flambée.

On le voit, la propriété n’exclut pas le partage. Au contraire, elle en est le fondement. C’est à l’adolescence qu’en émergeant à l’ego, l’humain nait aussi à la propriété. L’ado affiche volontiers son domaine dès la porte. 

Parents, il faudra vous faire une raison! Et prendre rendez-vous… 

Tout le reste est littérature! A la revoyure!

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