S3 – Et je recoupe le son…

Quand je vous dis Signe, pensez dorénavant structure grammaticale (ou Grammaire). Souvenez-vous que dans la structure, l’élément se définit par opposition à tous les autres. Sa valeur est purement négative. C’est abstrait, virtuel, paradoxal, contre-intuitif et dérangeant.

le plan du Signe S3    

Faisons un exercice. Munissez-vous d’un ami désoeuvré mais francophone, possiblement alsacien, ivoirien ou narbonnais. Prononcez la phrase « rira bien qui rira le dernier ». D’abord avec des /R/ à la française. Votre langue ne vibre pas. Votre ami peut-être. Amusez-vous maintenant à rouler les /r/ ou à prononcer la phrase à l’anglaise /*/. Puis à gutturaliser les /x/ comme dans Bach ou Juan-Carlos. Demandez à votre ami de vous répéter ce que vous avez dit. Vous pourrez constater qu’il a compris à chaque fois la même chose malgré les énormes différences de prononciation. Qu’est-ce que cela signifie ?

Que, dans le registre sonore, la compréhension ne se situe pas au niveau de la bouche ou de l’oreille et qu’elle fait abstraction de différences, notables certes, mais pas déterminantes. Sur un plan purement physique, personne ne prononce le /R/ de la même façon. Ça donne même de jolis accents étrangers chez certains. Mais sous un aspect phonologique, toutes ces réalisations sonores ne font qu’une parce que le sens à l’arrivée n’aura pas varié d’un iota. Essayez avec un /L/ et rira devient lilas. Pourtant /L/ n’est pas plus éloigné de /R/ que /x/ ou /r/. Mais la frontière phonologique n’a pas d’ancrage naturel et n’est pas une affaire de proximité dans la bouche. Ce n’est pas une marque matérielle mais le résultat d’une opposition structurale.

Les exemples de contextes ne manquent pas dans le cas de l’opposition qui nous occupe : rampe/lampe, roue/loup, rame/lame, carme/calme, cramer/clamer, mère/mail, inter/untel. Ils peuvent être plus rares dans d’autres cas mais ce n’est pas la quantité qui compte.

Votre ami est toujours à portée de voix ? Dites-lui ce qui vous passe par la tête en allongeant les voyelles ou mettez un accent tonique sur la première syllabe de chaque mot. Il va probablement vous prendre pour un ouf mais il comprendra aussi bien que si vous aviez prononcé comme d’habitude.

En français, la longueur des voyelles n’est pas pertinente. Le débit sera plus ou moins rapide mais le sens sera inchangé. Ce qui n’est pas le cas dans de nombreuses autres langues. Il en va de même pour l’accent tonique qui n’est pas glossologiquement significatif en français. Dans un autre registre, si le zozotement est un boulet social, il ne gène pas ou peu la compréhension du francophone.

Tant que le sens ne varie pas, la valeur phonologique est identique à elle-même. Si le sens change, c’est qu’on a franchi la frontière d’un trait pertinent dans le Signifiant. Vous aurez nasalisé un /b/ ou un /p/ en /m/, ou siffler une chuintante, à moins que vous n’ayez palatalisé une apicale.

Bon, c’est de la cuisine interne à la glossologie et ce n’est pas le versant le plus passionnant. Mais la linguistique avait depuis longtemps observé ces phénomènes.

Henriette Walter, par elle, mes oreilles ont souffert...

Quand j’étais étudiant, une brave dame du nom d’Henriette Walter qu’on entend régulièrement sur France Inter dès qu’on a besoin d’un expert de service pour jouer au linguiste, assurait les cours de ce qu’elle prétendait appeler la phonologie. On s’emmerdait ferme et elle nous terrorisait avec ses dictées qui ne voulaient absolument rien dire mais qui nécessitaient qu’on maitrisât parfaitement l’alphabet phonétique international et ses invraisemblables zigouigouis autour de palanquées de caractères. Elle éternuait, glougloutait, rotait, pouffait, bredouillait des logorrhées improbables qu’il nous fallait transcrire au plus vite, simplement pour obtenir notre UV. Henriette Walter positivait allègrement le trait pertinent : elle lui donnait un contenu variable certes mais positif tout de même. Alors que l’identité structurale ne doit être pensé que comme une série d’oppositions. /R/, c’est ni /voyelle/, ni /nasale/, ni /occlusive/, ni toutes les autres sons consonnes du système. C’est la différence qui est significative, pas l’élément lui-même.

Le système phonologique est un peu comme le terrain de volley sur lequel évolue nos joueurs. Impossible d’établir des frontières entre eux sans avoir recours à l’équipe de l’autre côté du filet : c’est l’équipe adverse en fonction de laquelle les joueurs se placent qui atteste des positions. En glossologie, on appelle cela la pertinence, c’est à dire le fait qu’un trait (au sens de séparation) phonologique soit attesté par une variation sémiologique, autrement dit par une frontière de Signifié. 

Je peux affirmer que /R/ n’est pas /L/  parce que rat n’est pas là, rôt n’est pas lot, rampe n’est pas lampe, mammaire n’est pas mamelle et mare n’est pas mal. 

Et ça marche aussi à l’inverse.

Mais n’allons pas trop vite en besogne. Retenons pour cette fois-ci que grâce au Signe qui est la modalité que Gagnepain a théorisée en premier, l’humain est capable d’identification, c’est à dire de produire à la fois de la différence et de l’identité qui résiste à la diversité sonore physique. Une identité phonologique correspond à une grande variété de sons : c’est en ce sens que le trait pertinent nie l’expérience sonore et répond à ses propres règles. S’établit ainsi un premier point de contradiction entre le Signe et le réel perçu.

Tout le reste est littérature. A la revoyure !

Le système phonologique français :

http://sivanataraja.free.fr/temp/francais2.htm

Nous avons pour notre part choisi d’écrire avec des majuscules pour la lisibilité du /l/ notamment.

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