P5 – Instituant et Institué sont dans un cerveau

Maintenant que sont posés les principes de la Personne, nous allons rentrer dans les arcanes de son fonctionnement. La théorie de la médiation postule qu’analogiquement au Signifiant et Signifié, Instituant et Institué se justifient réciproquement. Autrement dit, une frontière d’un côté s’atteste par une frontière de l’autre. La partie ethnique de la Personne est ainsi immanente et n’a de compte à rendre à… aucune autorité naturelle.

le plan de la personne P5 

Avant de commencer rappelons que Gagnepain désigne notamment par ego la partie ethnique de la Personne, ce moment dialectique où l’humain s’absente de sa condition de #Sujet parmi tant d’autres. Ce pôle de singularisation en quelque sorte est le moment d’institution, compris comme processus et pas uniquement comme résultat. Gagnepain parle aussi d’essence à propos de l’instance ethnique qu’il oppose à l’existence qui forme le contenu de l’analyse. Il souligne d’ailleurs dans Du Vouloir Dire qu’Heidegger, la phénoménologie et l’existentialisme ont des liens de parenté avec la théorie de la médiation. Mais pour celle-ci, l’existence ne précède pas l’essence si on veut bien entendre par là le moment ethnique de la dialectique. Les deux phases s’impliquent mutuellement, encore que l’adolescence se fasse attendre quelques années.

Et pour la jouer comme François Lenglet, je vous propose un petit schéma qui vous donnera l’impression de tout comprendre en un clin d’oeil.



Et maintenant, un petit tableau avec tous les termes clefs de l’instance et un parallèle avec les concepts glossologiques de l’analyse grammaticale. Les termes que j’ai retenus sont en gras mais je ne m’interdis pas d’utiliser les autres. Je reviendrai plus tard sur la terminologie choisie.

Selon le principe de justification réciproque, tout statut s’atteste par un office quand chaque notable joue un rôle. Ainsi dit, cela parait presque simple, encore faut-il bien garder à l’esprit, qu’il ne s’agit que de principes corticalement conditionnés et qui ne se réalisent que dans l’Histoire. En d’autres termes, statut, office, notable et rôle sont des ensembles de potentiels et leur réalisation n’est jamais définitive. Attention donc à ne pas les positiver en les confondant avec un contenu fini !

Le bourgeois de Daumier est la réalisation historique, et donc marquée dans le temps, du notable structural.

Nous sommes toujours dans un cadre structural où les éléments de définissent les uns par rapport aux autres. Je vous avertis d’autant plus que moi-même je suis régulièrement tenté de mettre quelque chose de très palpable derrière le statut ou le notable, alors que ce dernier, par exemple, n’a que peu à voir avec le maire, le curé ou le préfet : le notable est ici ce qu’on considère, le considérable, le suffisamment important pour être noté, ce qui est donc autre. Ce sont des possibles qui ne prennent corps que dans un contexte donné : à l’ONU par exemple, ce sont les nations qui comptent quel que soit le nombre de ressortissants qui la composent. Au Conseil de Sécurité, la voix de la France a autant de poids que celle de la Russie ou des États-Unis. Pour le véritable rôle de l’ONU dans l’histoire, c’est une autre affaire. Le notable doit donc se concevoir comme une unité #ontologique qu’on ne peut confondre avec sa réalisation conjoncturelle que nous verrons par la suite.

Les médiationistes préfèrent souvent parler de position à ce sujet. Ce qu’il est essentiel de bien noter, c’est que cette capacité de segmenter l’humanité permet à l’homme de définir avec qui il fait groupe et qui est en dehors du cercle.

Ce qui m’importe par ailleurs dans ce chapitre, c’est de bien faire comprendre l’interdépendance des deux faces de la Personne : le statut et le notable résultent de capacités de distinction et de discrimination. Sur la face déontologique, la théorie de la médiation parle également d’office et de rôle, toujours à comprendre comme des éléments structuraux (comme le sème ou le Mot) interdépendants, à ne pas confondre avec leur effet constatable à un moment donné de l’Histoire. Nous aurons toujours à lutter contre la réification ou la naturalisation du processus qui nous pousse à voir l’aboutissement au lieu d’envisager le processus dans son ensemble. Cette métonymisation gène considérablement notre manière de voir les choses mais nous simplifie aussi grandement la vie.

Ça n’a pas toujours une importance cruciale mais politiquement, ce n’est pas négligeable : par exemple, le notable (au sens courant) n’est établi que dans un contexte historique particulier. Son incarnation qui reste arbitraire et contingente, peut, le cas échéant, être destituée et remplacée. Mais le principe du notable demeure : la Révolution française a remplacé le noble, le clerc et le Tiers-État par le citoyen, mais le système censitaire (le droit de vote par la somme d’impôt versée) instaure rapidement le « citoyen actif » face au « citoyen passif » (pauvres et femmes). La notabilité par discrimination a toujours cours.

Pour être élu ou électeur, on a besoin de la majorité. Le mineur ne compte pas lors des élections et après les élections, en vertu du peuple souverain, la minorité est réduite à l’impuissance pour le bien du plus grand nombre. C’est donc le notable qui joue un rôle, et sa position sociale s’atteste justement par son établissement, que ce soit une auberge, une usine, une église, une mairie ou un siège au Palais Bourbon. Quant à la qualification de l’office et à l’indépendance du rôle, elles se certifient par des statuts clairs et des positions bien contrastées. Nous aurons l’occasion d’y revenir car les exemples sont légions, à des échelles très différentes : à l’échelon national, on définira la nationalité et l’étrangeté. Dans l’intime, on parlera de vie publique et de sphère privée.

Pour conclure temporairement sur l’ego, notons qu’il correspond à cette faculté de retrait qu’exerce l’humain par rapport à l’Histoire. Celle-ci est un flux sans fin et l’ego permet de se sortir du flot ininterrompu par l’esprit, de se libérer de l’instant pour récapituler ou anticiper, voire infléchir, son déroulement. L’ego découpe le temps et le répartit comme il divise l’humanité et l’émancipe.

Pour finir sur deux images, imaginez-vous pris dans le troupeau bêlant qui vous entraine dieu sait où. L’ego, c’est justement cette faculté de sortir de la masse pour s’affirmer comme Personne ou comme quelqu’un de singulier, de profondément différent et unique. Par l’ego, nous échappons à l’attroupement et à la grégarité, au magma organique et temporel. Mais cette distinction impose de l’étrangeté, c’est à dire le fait d’être différent et cette indépendance implique la responsabilité, c’est à dire le fait d’assumer et d’avoir à répondre. Hubert Guyard écrivait : « Chacun peut ainsi mesurer jusqu’où il est son propre patron, et à partir de quand il cesse de l’être. »

Tout le reste est littérature. A la revoyure !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *