N17 – Péchés capitaux moins graves que prévu

A chaque péché capital, correspond une vertu tout aussi fondamentale. Pulsion d’un côté et barrage de l’autre, c’est dans la gestion du trop que git l’équilibre du Bien. Le mal est dans l’excès où qu’il réside et la faute n’existe pourtant que dans l’esprit du Malin à qui on attribue finalement ce qu’on ne peut pas s’empêcher de faire et qu’on peut assimiler à un manquement normatif, autrement dit un vice de forme.

Le plan de la Norme N17

Pour illustrer la vertu et vous en donner une vision plus diversifiée que celle d’un Bien par trop désincarné, je me suis jusqu’ici appuyé sur Caton le Censeur. Au chapitre précédent, j’hésitais à faire référence aux sept péchés capitaux, trop chrétiens à mon goût, entaché d’un péché qui me colle aux basques depuis que je suis gamin, élevé que je fus dans une tradition de culpabilité instituée que je m’efforce tous les jours de sublimer héroïquement. Ecce homo.

La liste des péchés capitaux est fondée sur les travaux de Thomas d’Aquin au XIIIème siècle mais le moine Evagre le Pontique (ça ne s’invente pas!) identifiait dès 400 après JC huit mauvaises pensées qu’il appelle des logismoï qu’on pourrait éventuellement traduire par penchants selon Wikipédia, ce qui va dans notre sens de pulsions non régulés et donc d’inclinaisons naturelles.Le pape Grégoire le Grand les réduisit à sept vers l’an 600. Les péchés sont la version négative des vertus. La religion chrétienne a transformé en faute ce qui n’est qu’une relâche au niveau de la régulation. Gagnepain fait une référence rapide aux péchés capitaux sans dresser comme nous allons le faire une liste des vertus. C’est en effet un peu caricatural de notre part mais après la version latine (joli!!!), il me semblait plutôt pédagogique de voir de quoi il retourne dans une culture qui bon an mal an est tout de même plus la mienne. C’est sans doute un peu foutraque mais je me fais plaisir.

C’est le traitement axiologique des désirs naturels qui engendre la vertu. Le Bien que l’on peut définir comme l’ensemble des vertus dont on est capable nait de notre capacité à juguler nos pulsions: les Latins l’avaient compris et ne faisaient pas porté le chapeau à Satan ni même à Pan. De même, ce n’est pas l’oisiveté qui est la mère de tous les vices mais bien plutôt une défection du traitement éthique des pulsions. Le péché n’a rien d’originel: il est le renvoi au mal d’un manque de contrôle. On se décharge sur lui de notre responsabilité à gérer notre libido. S’il y a vice, c’est bien d’un vice de forme dont il s’agit, un dérèglement de la Norme qui nous guide vers la tempérance, nous garde de l’excès et nous permet de rétablir l’équilibre en cas de débordement.

L’orgueil, superbia en latin, consiste à s’attribuer des mérites qui sont des dons de Dieu. C’est à peu près l’équivalent de l’hybris (prononcer hubris) pour les Grecs qui ne connaissaient pas la notion de péché comme nous l’entendons mais pour qui l’hybris était un crime. Elle recouvrait des violations comme les voies de fait, les agressions sexuelles et le vol de propriété publique ou sacrée. En dépassant les limites de leur dû, Icare, Prométhée ou Tantale se sont attiré les foudres  d’hélios ou de l’Olympe par exemple. Si l’orgueil est un débordement, l’humilité est faite de retenue: elle fait barrage à cette tendance que nous avons tous à nous la péter quand l’occasion s’en présente. Difficile de refuser l’heure de gloire mais un peu de modestie n’a jamais fait de mal à personne. Le western du même nom illustre à merveille ce jeu subtil entre l’orgueil et l’humilité, l’insolence et la sagesse. Je tiens d’ailleurs Mon Nom est Personne pour un traité de morale.

L’avarice, avaritia en latin réside dans l’accumulation de richesses recherchées pour elles-mêmes. Cupidité, avidité, rapacité, prédation, pingrerie, crevardise, radinerie, lucre, elle ne manque pas de synonymes ni d’exemples en cette période de capitalisme débridé. En tant que valorisation du capital, celui-ci repose d’ailleurs l’âpreté au gain que la Chrétienté a longtemps condamné avec une hypocrisie bien à elle, laissant l’usure aux Juifs à qui on interdisait par ailleurs la fonction publique, le travail de la terre, l’artisanat entre autres activités. « Ainsi « le juif » deviendra progressivement « l’usurier », et toute personne vivant dans la misère ou la précarité pourra, sa vie durant, l’associer à son malheur, et y voir la cause de sa ruine en même temps que l’incarnation du péché. » Deux petits articles résument parfaitement l’ambiguïté de la religion chrétienne vis à vis de l’argent et le rôle de bouc-émissaire que les Juifs durent endosser au moyen-âge. 

https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/moyen-age-juifs-etaient-ils-persecutes-moyen-age-5539/

La vertu qui s’oppose à la cupidité est la générosité, la prodigalité gardant une notion d’excès. Sa version moralisante et surannée est la charité que la solidarité et l’entraide financières ont avantageusement remplacé. Mais on pourrait raffiner l’analyse avec une notion qui s’opposerait strictement à la recherche du gain pour lui-même. On en revient à la frugalité, c’est à dire au fait de se contenter du nécessaire, ce qui nous ramène la Gourmandise de gula en latin. Un mot plus juste encore serait la gloutonnerie qui traduit bien l’idée de démesure, d’hybris et de manquement à la règle.

Je vous renvoie à ce propos à La propriété mise à nu (7ème partie) qui traite de La pathologie du gulo gulo. (à paraitre)

L’absence de recherche de l’intérêt corrélé à la valorisation n’est finalement autre que le désintéressement qu’on peut alors envisager comme un engagement sans recherche de satisfaction égoïste ou de gain personnel. Cela me semble être une bonne définition du militantisme.

L’envie, invidia en latin, est le fait de ressentir de la tristesse face à la possession par un autre d’un bien avec la volonté de se l’approprier à tout prix. C’est un autre mot pour la jalousie que nous définirons comme un désir non contenu (maladif, voire pathologique) du bien d’autrui. La jalousie n’est selon moi que la dimension sociale de la convoitise, une cupidité à caractère compétitif. Régulée, c’est l’ambition, la niaque, la volonté de remporter la médaille et d’or, il n’y en a qu’une. 

Cela dit, si on rapproche la jalousie canalisée de la notion de dépassement de soi, nous voilà rendu à la paresse. Acedia en latin, on la dénomme très rarement aujourd’hui acédie.

La paresse du français actuelle est assez éloignée du sens précisé par Thomas d’Aquin. La paresse est dans ce cas morale, voire intellectuelle. L’âme, et notamment celle des moines, n’est plus nourrie par la lecture spirituelle, la prière et la pénitence. On l’associe régulièrement à la mélancolie, le spleen rendant souvent apathique, terme qui nous renvoie à la pathologie de l’absence d’affects et nous sort de la #nosographie culturelle. Le contraire de la paresse est ce que j’ai appelé le courage au chapitre précédent. En tant qu’hyperactif, je pourrais en être à l’abri si la facilité n’était pas la version créative de la témérité: ils osent tout et c’est même à ça qu’on les reconnait. Je ne m’attarde pas parce que j’ai un peu hâte d’en finir.

Et donc la colère fait également partie des péchés capitaux. Ira en latin. Comportement (paroles et actes) excessif se traduisant par des violences et des insultes. Je ne vous apprends rien. Son contraire est le calme, la placidité, la tempérance. En positif mais tout aussi excité, ce sont la passion, l’enthousiasme, l’exaltation, l’euphorie que pour Caton, il s’agissait tout autant de dominer. La maitrise des passions, pierre angulaire du stoïcisme, reste d’ailleurs pour de nombreuses philosophies la clef de la félicité.

Même constat avec la luxure, mot savant pour le « plaisir sexuel lorsqu’il est recherché pour lui-même ». En même temps, on se demande s’il peut en être autrement. A l’opposé, la chasteté consiste à se la mettre sur l’oreille. Et le tour est complet car nous revoilà dans l’ascèse la plus sévère car comme la faim, la soif et le besoin de se dépenser physiquement, l’énergie sexuelle nécessite un exutoire pour la plupart d’entre nous. La visée ascétique qui, rappelons-le, tend à plier le désir à la réglementation éthique, n’est fort heureusement pas l’unique mode d’habilitation. A cette licence restrictive quoiqu’effective, s’ajoute une autre négation performantielle nettement plus laxiste qui permet d’établir un équilibre et qui fera donc  l’objet de notre  prochain chapitre.

Tout le reste est bla bla blah. A la revoyure!

Pour vous enfoncer dans le vice:

Vous l’aurez compris, le mal n’est pas l’opposé du Bien puisqu’il n’existe pas  si ce n’est dans l’institution religieuse ou morale et qui dit institué dit arbitraire et contingent. Le mal est donc une affaire de Loi et non de droit, et ce qui hier était un vice pourrait bien devenir une vertu. Et vice Versailles! A près la Réforme, la cupidité a été réhabilité par le Calvinisme puisque le théologien de Genève donne un statut acceptable à l’enrichissement via la reconnaissance du prêt à intérêt et de la banque. La cupidité, pourvu qu’elle s’exerce dans le cadre des lois, n’est donc plus un vice et est même devenue au XXIème siècle une vertu de la philosophie libérale, ou du moins une conséquence du mérite. de même, l’orgueil bien placé, n’est-il point la fierté ou l’amour-propre? Qui pourrait aujourd’hui prétendre que la sensualité est répréhensible? N’existe-t-il pas une saine colère face à l’injustice sociale? Les temps changent et les moeurs avec. Je vous livre le tableau suivant qui tente un peu maladroitement de dresser une échelle dans les excès.

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