P20 – Le pouvoir se renverse mais se redresse toujours

 « Le pouvoir ne doit pas être conquis, il doit être détruit », écrivait Bakounine dans une formule parfaite pour effrayer le bourgeois mais pas très bien renseignée sur le plan sociologique. Regardons ça de plus près!

le plan de la personne P20

Les super-pouvoirs d’Harry Potter et des héros de Marvel ne sont que l’hyperbole (exagération) de ces possibilités.

Le pouvoir est tout d’abord la possibilité physique d’accomplir un acte (can ou to be able to en anglais). Pour la théorie de la médiation, ce type de pouvoir relève des fonctions supérieures (pouvoir marcher et être autonome dans ses déplacements par exemple) et de toutes les conditions biologiques nécessaires pour exercer des facultés ( comme pouvoir émettre des sons avec sa bouche ou se reproduire). Cela concerne l’ensemble du socle anthropien des capacités humaines: nous partageons donc ce pouvoir-là avec l’animal. 

Le pouvoir qui nous intéresse ici est affaire d’autorité: il relève uniquement du plan 3, de la Personne et plus particulièrement de l’Institué. Dans ce cas-là, pouvoir, c’est 

être autorisé à, 

avoir l’autorité pour, 

avoir l’autorisation de. 

Si je peux parler, je ne peux pas toujours m’exprimer pour autant, au cinéma par exemple. Si je peux voir, je ne suis pas toujours autorisé à regarder dans un sac qui ne m’appartient pas. Vous remarquerez bien que nous ne parlons pas ici de liberté.

C’est la différence que les anglophones font entre can et may, entre to be able to et to be allowed to, être en capacité de et être autorisé à. Le pouvoir, dans ce cas, implique une compétence #déontologique (désolé pour le pléonasme) que nous distinguerons de la simple possibilité matérielle. 

Un tel pouvoir se prend sur l’espace public et s’exerce sur les autres. La prise de parole par l’un en prive l’autre: tu parles, je me tais et je t’écoute. Tant que tu m’intéresses ou que tu parles dans mon intérêt, je te laisse la parole. Si tu es mon porte-parole, je te laisse parler parce que tu dis ce que je dirais moi-même si je ne t’avais pas confié la charge de formuler mon message. Tu ne peux donc pas dire n’importe quoi.

Quand quelqu’un annonce qu’il est de la partie, c’est qu’il connait son affaire et qu’il se prétend compétent. 

De même, le chauffeur de bus est au volant et donc au pouvoir. Par délégation, je lui laisse le soin de m’amener à bon port, sain et sauf. Je lui confie ma vie, mon confort et mon temps. Il ne peut donc pas conduire n’importe comment. Les chauffeurs de bus appliquent un code de conduite au même titre que n’importe quel dirigeant mandaté pour une mission, ce que le modèle de la Personne appelle une partie.

Le pouvoir est par conséquent une compétence qui, si elle est exercée, induit une responsabilité: le fondé de pouvoir répond de ses décisions. Il les prend au nom d’un groupe qui lui délègue la somme de ses pouvoirs, c’est à dire plus qu’une simple addition: le groupe lui donne l’autorisation et consent donc à son autorité par mandat. Celui-ci peut lui être retiré dans un cadre démocratique. Pouvoir, autorité, autorisation et responsabilité sont alors synonymes. 

Contrairement à ce que propose Bakounine, ce pouvoir-là ne peut être détruit puisqu’il est inhérent à l’humain. Pour ne pas être de mauvaise foi, je dois reconnaitre que Bakounine entendait sans doute le pouvoir sous la forme qu’il combattait, c’est à dire l’État en tant qu’institution et moyen d’oppression.

Je lui colle une majuscule pour le distinguer de l’état que propose le modèle de la Personne et qui est l’identité politique. De même, l’Institution dont nous parlons habituellement ici est le principe au fondement de réalisations historiques, les institutions. Le pouvoir institué, et donc organisé et établi, c’est l’État tel que nous le connaissons.

Autrement dit, on peut détruire des organisations coercitives mais pas extirper de l’humain ce qui est au fondement même de sa vie sociale. Vous renversez un régime mais vous n’éliminez pas ce qui a permis de l’instituer.

En cas de prise du pouvoir par la force, celui-ci est confisqué par le putschiste. La décision devient contrainte et le pouvoir s’exerce par la violence ou l’intimidation qui est une violence psychologique et souvent une promesse de brutalité. 

Si c’est la force physique qui domine, on revient à la première définition du pouvoir: une capacité matérielle à agir, faire et transformer de l’humain considéré comme non-autonome. Mais ce rapport de forces-là est la négation de la dialectique de la prise et du don qui régit la #convention par le consentement, c’est à dire le mode #hégétique préconisé par les philosophies libérales.

« Quand le cochon parle, on l’écoute! » Babe in the city de George Miller

Si je prends la parole en baillonnant l’autre pour le réduire au silence et le rendre impuissant à me couper la parole, est-ce qu’il m’écoute pour autant? Si on me passe le micro pour que je m’exprime, il y a de plus fortes chances que les oreilles soient attentives. Si une assemblée me nomme représentant, je prends la parole en son nom et en son absence (éventuelle) et je promets de lui rapporter ce qui se sera dit.

Quant aux tyrans, ils s’imposent par la force et font des autres des mineurs sans leur laisser le choix. A la première occasion, ces derniers destitueront le potentat avec les mêmes moyens et personne ne pourra y trouver à redire.

Le mineur adolescent n’est pas souverain: on ne lui laisse pas le choix puisqu’il nait hétéronome, dépendant. A moins de 18 ans, en France, il ne décide pas encore légalement de son destin. Il est inscrit dans le pouvoir de son représentant légal, son fondé de pouvoir, son parent la plupart du temps ou l’État s’il est pupille de la nation. Sous la responsabilité du majeur, le mineur doit se plier à ses décisions. C’est la Loi. Celle-ci définit les responsabilités et le rayon d’action de chacune des parties. Celle du mineur est réduite mais pas à néant tout de même: certaines décisions mineures justement lui incombent qui relèvent de son domaine privé: tenir un journal secret, lire des BD au supermarché ou créer un compte sur Snapchat. Mais pour les grandes questions, l’accord parental est indispensable: tatouage, bail, travail, banque, inscriptions diverses.

Les minorités sociales ne sont pas mieux loties que l’adolescent sous tutelle: leur avis est négligé dans la décision démocratique lorsqu’elle se prend à la majorité. Leurs voix ne comptent plus sitôt le vote terminé. On les appelle gentiment opposition ou mouvements de contestation si elles se rebiffent mais la majorité n’est pas obligée de tenir compte de leur avis. La loi du plus nombreux est cruelle mais il semblerait que ça soit ce qu’on a trouvé de moins pire, à en croire Churchill et consort. 

La voix de la majorité (celle du plus grand nombre) n’est pourtant pas obligatoirement  la meilleure. Il n’y a même aucune relation entre le bien fondé d’une décision et le nombre de personnes à la soutenir. En 1981, 62% des Français sont favorables à la peine de mort qui est néanmoins abolie. L’année suivante, 59% sont encore favorables à son rétablissement. Bon, après, vous pouvez toujours regretter la guillotine et la gégène.

La décision à la majorité est néanmoins celle qui fait mathématiquement le moins de mécontents sur le coup et au cas où ça tournerait mal, le nombre ferait force de loi. La majorité écrasante peut parfois être prise au premier degré. En démocratie, c’est donc l’axe quantitatif qui prime. Dans les régimes élitistes (royauté, dictature, Vème république française), c’est la majesté et la qualité qui l’emportent: la masse numérique doit se plier à l’expertise de l’État. « L’État, c’est moi! », proclamait sa majesté Louis Capet-Bourbon le XIVème. Il n’avait pas tort sous l’ancien régime. Il incarnait le pouvoir, revendiquait l’autorité et endossait la responsabilité à moins de se défosser sur un fusible bouc-émissaire.

La responsabilité implique la compétence. Sans compétence, la responsabilité est nulle et non-avenue. Louis XIV ne reconnaissait aucune compétence à la majorité de ses sujets et ne leur confiait aucune responsabilité politique. Ou plus exactement, il se méfiait de la roture (l’ensemble des non-nobles) de manière générale. A partir de la fin du moyen-âge, la bourgeoisie française s’empare du pouvoir économique, accepte de payer l’impôt pour qu’on lui fiche une paix royale dans les affaires et va prospérer d’une manière de plus en plus ostentatoire.

L’autocrate absolutiste administre son peuple mineur comme un père ou un mère décide pour son enfant. La démocratie représentative où les candidats ne suivent pas leur programme électoral ne fonctionne pas différemment mais les oligarques s’y mettent à plusieurs: c’est à peine plus discret. 

Macron ne respecte ni ses promesses ni la masse (la masse ne devient le peuple que lorsqu’elle prend conscience de sa condition et de sa force). Il ne calcule que ceux qui l’ont placé au pouvoir pour sa compétence à mener à leur terme des réformes en leur faveur. La supériorité numérique n’est rien pour lui: dans son esprit, son hégémonie est qualitative. Il sait parce qu’il appartient à la classe des dirigeants qui mettent en oeuvre la philosophie de l’économie ultralibérale dominante. C’est un raisonnement primaire mais on l’en a persuadé assez facilement. 

Mais comme, selon lui et les Gilles Legendre qui l’entourent, les gens, dans leur majorité (numérique mais pas qualitative) ont du mal à comprendre sa pensée complexe, il occupe le terrain. Comme ses amis milliardaires qui l’avaient aidé à occuper l’espace médiatique et électoral du coup. Le président Macron est parfaitement conscient qu’il a instauré une démocrature: certains pensent qu’il est certain que c’est pour le bien commun. D’autres dont moi penchent plutôt pour une partialité aveugle, servile et dévastatrice.

Ses opposants, même s’ils sont plus nombreux que ses partisans, sont néanmoins minoritaires. Certes ils protestent mais les décisions sont prises contre leur gré et appliquées malgré tout. Les lois scélérates actuelles sont mises en place par des fonctionnaires résignés, soumis par le régime, sans être tout à fait consentants. D’ici peu, la macronie leur demandera du zèle s’ils veulent rester en poste comme c’est déjà le cas pour les préfets et les grands serviteurs de l’État.

Et là on ne peut que rejoindre Bakounine. Ce n’est pas le pouvoir dans le cadre d’une Vème république qu’il faut prendre. Celui-là, il faut le détruire. C’était ce qui poussait bon nombre d’insoumis à porter Mélenchon à l’Élysée: mettre fin au régime présidentiel en vigueur pour lancer la constituante et inventer de nouvelles institutions politiques. Qui mieux qu’un capitaine peut saborder un navire qui prend déjà l’eau de toutes parts?

Etienne Chouard dénonce avec constance l’absurdité qu’il y aurait à confier aux dirigeants le soin d’écrire les textes qui définissent leur pouvoir mais il ne  lui vient pas à l’idée de nier la délégation dans son principe. L’utopie anarchiste est, sur ce point, nuisible à la cause. Elle effraie les adultes mineurs à qui le pouvoir échappe dans le domaine politique sans qu’ils s’en portent plus mal. En fait, ils n’en veulent pas de ce pouvoir. Ils veulent encore moins le détruire. Ils désirent simplement qu’on leur foute la paix. Tant que leur pouvoir d’achat n’est pas un pouvoir de nuisance écologique, on peut bien leur offrir cette tranquillité. Mais bordel de merde, qu’ils arrêtent de se réveiller tous les cinq ans pour tomber dans le piège que l’incurie politicarde leur tend.

Tout le reste est littérature! A la revoyure!

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