M4 – Un projet nommé désir

Lordon a remis Spinoza à la mode. Gagnepain ne se réfère pas spécialement à lui : une fois dans les leçons. Spinoza aurait pourtant été ravi de découvrir la théorie de la médiation et nul doute qu’il serait venu polir ses lentilles et affiner ses concepts à Rennes si l’occasion s’en était présentée. Trêve de conneries et cap sur les affects.

Qu’est-ce que la médiation? M4

J’entends par affects ces affections de corps qui augmentent ou diminuent, favorisent ou empêchent sa puissance d’agir, et j’entends aussi en même temps les idées de ces affections.                                                               Spinoza

Le désir, c’est l’essence même de l’homme, en tant qu’elle est conçue comme déterminée à quelque action par une de ses affections quelconque. Spinoza

L’affect qu’on appelle passion de l’âme, c’est une idée confuse par laquelle l’âme affirme que le corps ou quelqu’une de ses parties a une puissance d’exister plus grande ou plus petite que celle qu’il avait auparavant, laquelle puissance étant donnée, l’âme est déterminée à penser à telle chose plutôt qu’à telle autre.                                                          Spinoza

On ne vous recommande pas particulièrement le prénom de Spinoza pour votre nouveau né !
Baruch, ça détonne !)

Dans l’Ethique, Spinoza distingue trois affects primitifs : la joie, la tristesse et le désir. Il en tire un certain nombre d’affects secondaires qui sont plus des sentiments humains que des affects à proprement parler. Gagnepain préfère parler de «  tonalités affectives  ». Il distingue comme je le fais les affects joyeux des affects tristes, tout en évitant de leur donner un contenu détaillé comme le faisait Spinoza.

Nous partageons ces émotions avec l’animal, ce qui incite à réduire leur nombre : je doute que mon chat soit capable de repentir ou de dédain à mon égard. Soit il n’est pas affecté et c’est de l’indifférence. Je ne suis pas loin de penser que l’indifférence du chat lui confère à nos yeux les attributs légendaire du sphinx. Soit il est affecté par le plaisir (positivement) et il exprime de l’attraction pour la source de ce plaisir.

Soit il est affecté négativement et c’est du rejet (répulsion) : il cherche alors à fuir ou à éteindre la source du désagrément. La pulsion est la configuration gestaltique des affects qui vont dans le même sens. Et ce sens, c’est en réalité toujours le mieux. Le projet tend obligatoirement vers le bien ou du moins vers le moins pire. L’animal cherche toujours à améliorer sa situation s’il sent qu’elle n’est pas ou plus à son avantage. La pulsion est le carburant de l’action.

En une saison, l’écureuil peut planquer jusqu’à 3000 noisettes quand la Caisse d’Épargne propose d’investir dans le CAC 40.

L’animal peut donc sacrifier un projet 1 pour atteindre un projet 2 : c’est le prix à payer pour obtenir le bien. L’écureuil est célèbre pour les provisions qu’il fait en vue de l’hiver. Il ne ménage pas ses efforts pour multiplier les cachettes même s’il en oublie. Au lieu de s’adonner exclusivement à la consommation de ce qu’il aime, il fait des réserves à l’extérieur : cette dépense d’énergie est le prix à payer pour accumuler du bien pour les jours difficiles. Il est prévoyant contrairement à la jument de Michaux et son petit poulain qui ne passent pas par la case d’épargne et ne toucheront pas les 20 000. La différence entre P2 et P1, c’est ce qu’on appelle l’intérêt, la valeur ajoutée par l’effort, ce que Marx appelait la sur-valeur ou la plus-value, même s’il se référait exclusivement au travail humain.

On s’est peu penché sur le désir chez les bovins et pourtant…

Or le principe de la valorisation, la fabrication de valeur, en dehors de tout contenu, est animal. Mais si le processus relève des fonctions supérieures et donc naturelles, le matériau à traiter est généralement humain pour l’anthropien, ce qui brouille les pistes.

La faim ne produit pas d’affects joyeux et parce qu’elle va en s’accroissant, les affects tristes lié aux signaux du corps, augmentent eux aussi en intensité, jusqu’à pousser le prédateur à la chasse ou l’herbivore au broutage. La pulsion est la mise en branle de l’activité et non l’activité elle-même qui relève de la motricité que nous avons évoquée au chapitre précédent. 

Ici, l’idée, c’est visiblement de ne pas s’attarder.

Le manque est en fait ici l’absence d’affects positifs et l’animal connaît spontanément le moyen de mettre un terme à cet état où dominent les affects négatifs : c’est l’instinct dont nous parlions précédemment. Mais pour que cet instinct se mette en branle, encore faut-il une pulsion, une énergie mentale, une envie de persévérer dans l’être comme disait Spinoza qui, s’il avait entrevu le processus, n’a pas fait le rapprochement avec l’animal, pour en rester à des corps plus abstraits : on n’est quand même qu’au XVIIème. Chaque chose en son temps.

Tout le reste est littérature. A la revoyure  !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *