M11 – Au-delà de la Gestalt

La structure est le Godot des sciences humaines : on ne le verra pas mais sans lui, y a pas de pièce. Comme pour un trou noir, on ne peut que constater les effets de la structure sans jamais pouvoir mettre la main dessus.

Qu’est-ce que la médiation? M11

Nous en étions restés à la présentation de la dialectique, un processus à trois phases (substance-#structure-réaménagement) et deux moments contradictoires (#abstraction-réinvestissement) pour aller vite. Rappelons que ces notions de phase et de mouvement sont des commodités : la dialectique ne se fige jamais et doit toujours être comprise comme un mouvement perpétuel.

Sans pouvoir à l’heure actuelle le prouver, la théorie de la médiation postule que l’aptitude dialectique nait très tôt dans le foetus mais ne s’active qu’au cours de l’histoire de chaque être humain, lorsque le contenu naturel nécessaire pour que le processus se mette à l’œuvre est arrivé à maturité : à partir de 18 mois pour l’#Objet, à peine plus tard pour le #Trajet et le #Projet et au cours de la puberté pour le #Sujet.

Mais revenons à la deuxième phase de la dialectique rationnelle: l’analyse structurale. J’entends par là la dé-composition intellectuelle en entités interdépendantes et indépendantes d’un contenu qui a déjà subi une configuration de type gestaltique. La structure est un système de relations qu’entretiennent des éléments qui ne se définissent que les uns par rapport aux autres. Elle entre de ce fait en contradiction avec une organisation naturelle qui résulte des fonctions supérieures. Le découpage naturel en objets, trajets, sujets et projets est ainsi contesté par une grille à géométrie variable qui répond à ses propres lois qui n’ont rien de naturel.

Un système d’oppositions

Imaginez en apesanteur, une multitude de billes multicolores et aimantées dans lequel circulerait continuellement un filet à mailles extensibles et rétractables : à chaque passage, les billes seraient regroupées selon des règles qui n’appartiendraient qu’au filet et qui pourraient être plus ou moins modifiées.

Ferdinand de Saussure, celui par qui la structure arriva…

Même s’il n’utilise jamais le mot structure mais plutôt le terme système, on doit à Ferdinand de Saussure cette découverte fondamentale mais uniquement dans le domaine de la linguistique. Il est essentiel de garder en mémoire la notion de structure sous une forme virtuelle et relative comme un processus et non un résultat tangible ou même stable. On réifie couramment le terme parce que ça sonne bien en réunion et que ça épate le péquin. J’utiliserai ici le terme de structure uniquement dans ce sens d’analyse différentielle. Je n’emploierai jamais les items d’infrastructure et de superstructure chers aux marxistes parce que nous ne privilégions pas les rapports économiques vis à vis des autres modalités de relations. On laissera par ailleurs à Bourdieu la structure structurante et la structure structurée lorsqu’il parle d’#habitus et tente de distinguer le processus et son effet.

Mais pour entrer en détails dans les différents types de rapports, revenons à la Gestalt. Elle peut se définir par le regroupement naturel d’éléments divers, un traitement globalisant des informations sensorielles, des mouvements, des émotions et des éléments de la proprioception, le détachement d’une forme sur un fond, la saillance comme écrit Urien. Le tout y est alors différent de la somme des parties comme l’eau est plus que la simple addition d’oxygène et d’hydrogène.

L’objet ballon est un ensemble de perceptions visuelles, olfactives, auditives, tactiles (mais probablement pas gustatives). Il est un sorte de synthèse naturelle de toutes ces informations. Si j’apprends à un dauphin à jouer avec un certain ballon, je pourrais lui changer la couleur, la texture ou la taille du ballon (autrement dit, changer de ballon) et le lui lancer : il saisira qu’il s’agit d’un autre ballon que le précédent mais il sera aussi capable d’associer ce nouveau ballon au jeu que l’on pratiquait avec l’autre ballon et donc de se réjouir comme le chien de Pavlov salivait aussi bien pour la cloche que pour la lumière.

Un autre ? ou un autre ?

L’animal gère donc à sa manière le OU et le ET. Un ballon ou un autre, le ballon et le jeu. La théorie de la médiation appelle cela les axes de la taxinomie et de la générativité. Ce sont des termes qui vont très loin dans l’abstraction mais indispensables pour affiner ce qu’on entend par analyse.

En suivant les cours de Gagnepain, j’ai eu la révélation de la chose avec une histoire de costume que nous racontait le vieux professeur qui n’en portait pourtant pas, même s’il faisait cours en veston avec pull ou gilet suivant la saison.

«  Si j’essaie un costume et que j’en demande un autre, la réaction de la vendeuse va dépendre de ma propre attitude. Soit celui-ci ne me plaît pas, et elle m’apporte un modèle différent. Soit j’en suis satisfait et elle m’apporte un deuxième exemplaire du même modèle. »

J’ai ainsi brusquement saisi la nuance capitale entre la différence et la pluralité, entre l’un OU l’autre et entre l’un ET l’autre. Ce sont deux rapports différents entre des éléments et en matière de structure, tout n’est que rapports. Il n’y a pas vraiment de substance à saisir. Seul le principe est saisissable, pas l’objet lui-même. Sur un axe qu’on dira vertical par convention, l’identique s’oppose au différent alors qu’à l’horizontal, l’unique contraste avec le pluriel. Mais dans le différent, le même est encore présent sans l’être : ça n’est que de ne pas être ça, son identité est purement différentielle. Quant au deuxième, il comprend encore l’unité du premier, ce qui fait que quand je compte, je n’accumule pas des items mais j’intègre des unités. Dans le trois, il y a le deux mais aussi le un, l’unité. C’est ce qui fait la différence fondamentale avec l’animal : nous partageons les axes mais sur chacun d’eux, l’analyse structurale fait accéder l’humain à une autre dimension.

On est en pleine structure. C’est aride, ça mérite un schéma mais une fois de plus, il ne s’agit pas de figer les choses, alors que toutes ces relations ne sont que virtuelles, applicables sur du réel mais toujours convertibles.

Une pause s’impose.

Tout le reste est littérature. A la revoyure !

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