P59 – La libido du fétichiste

En distinguant le plan sociologique du plan axiologique, nous nous sommes obligés à penser le fétichisme comme un trouble de la sexualité en occultant le plus possible son aspect libidinal pour en dégager la spécificité. Or le fétichiste est comme nous tous un être de désir mais il se tape le parapluie plutôt que Mary Poppins.

Les troubles de la Personne : le fétichisme P59

Sexy comme un pébroc

En reprenant les notes d’Hubert Guyard, je suis récemment retombé sur une citation de Gagnepain qui me permet de faire le point sur la distinction, essentielle dans notre modèle, entre sexualité et libido. J’emploie la première dans son sens de reproduction et maintien de l’espèce et la seconde dans son acception de pulsion en quête de la jouissance par le sexe. 

Dans un de ses séminaires inédits, Gagnepain définit le fétichisme avec l’une de ces formules expéditives dont il avait le secret et qui faisait la joie de l’amphi : « Il s’agit d’une hypersocialité de l’appartenance, du statut, c’est-à-dire une hypersocialité des emblèmes, à tel point que tout ce qui est en rapport avec l’être aimé se trouve tenir lieu de lui ; autrement dit, c’est une négation telle de la sexualité que le parapluie de la belle finit par rendre les mêmes services ». C’est ce dernier trait d’humour qui a retenu mon attention.

La botte de foin est beaucoup
moins prisée.

Je vous rappelle qu’#Instituant et #Institué se répondent et que ce qui se joue d’un côté de la Personne a des répercutions sur l’autre face. La fétichisme n’échappe pas à ce principe et le fétiche rend service à sa manière, ou plus exactement le pervers lui fait rendre service d’une façon très particulière.

Beaucoup n’aimeront sans doute pas en entendre parler en ces termes mais le partenaire sexuel assure un service en permettant l’orgasme. Son corps s’instrumentalise pour permettre la jouissance de l’Autre. Les prostitué(e)s savent cela mais par chance, nous n’y pensons pas (trop) en faisant l’amour.

Par chance pour Cendrillon, le prince n’était pas rétifiste.

Notez que pour ce qui est du plaisir génital le partenaire n’est pas indispensable alors que pour la sexualité en vue de la procréation sans assistance médicale, on ne peut pas faire sans. Mais pour le fétichiste, l’Autre se réduit comme peau de chagrin à l’emblème. Gagnepain plaisante avec cette histoire de parapluie mais l’idée est bien là. L’un des services qu’assure le partenaire (réel ou virtuel d’ailleurs), c’est d’exciter le désir de l’Autre et de mener à sa satisfaction. Si l’être aimé comme le dit Gagnepain, et je pense qu’il faut entendre par là le sujet du désir sexuel, se trouve écarté par le fétichiste au profit de son parapluie ou de tout autre emblème que nous avons jusque-là rencontré, le fétiche rend alors le service que l’Autre évincé n’est pas en mesure d’assurer, c’est à dire l’adjuvant à la jouissance sexuelle. Le fétiche mène ainsi à l’orgasme tout aussi sûrement que le partenaire entier procure du plaisir à la plupart d’entre nous, je dis la plupart car je préfère ne pas trop m’avancée à votre sujet, amis lecteurs. L’une des #fonctions de la personne en couple (appelons la fonction érotique) se traduit par une #charge dans la relation sexuelle qui varie suivant les circonstances. En opérant un glissement du corps de l’Autre vers le fétiche, le pervers peut se permettre de ritualiser l’acte sans risquer de frustrer son partenaire à qui il n’a pas à rendre le service, j’allais dire à renvoyer l’ascenseur mais ce n’est pas très délicat. Enfin… voilà… c’est fait.

Besoin d’une remise à niveau?

Certains fétichistes veulent malgré tout avoir une vie sexuelle avec leur conjoint et ont recours à un appareillage de leur rapport pour stimuler leur désir. Untel ne pourra avoir une érection que si sa femme reste vêtue et tel autre, sur les conseils de son médecin, suspendra une paire de bottines à son chevet. Le fétichiste, s’il veut remplir son rôle dans le couple, doit avoir recours à un objet tiers. Il lui reste alors à trouver la partenaire suffisamment naïve, résignée ou compréhensive pour accepter des conditions conjugales si « spéciales ». Je me suis permis d’employer le féminin car pour des raisons physiologiques, les femmes fétichistes identifiées se passaient de partenaire masculin pour atteindre l’orgasme. Les patientes, frigides en couple, de Clérambault n’ont pas, à ma connaissance, tenté de faire entrer leurs amants (sexologiquement sans doute pas prêts) dans une combinaison où chacun aurait pu trouver son compte. Mais on comprendra facilement les réticences d’amour propre qui se dressent dans la relation charnelle avec un(e) amant(e) dont on n’est pas l’objectif principal mais l’assistant peut-être pas indispensable.

On a vu qu’assez souvent, les patients fétichistes (disons ceux que les psychiatres identifient comme tels) souffrent d’hypersexualité, ce qui en l’occurence explique les éjaculations quasi instantanées sur des tresses coupées ou les violents orgasmes de l’héroïne du Cri de la Soie. La stimulation des parties génitales ne nécessitent pas l’intervention d’un partenaire pour que le pervers accède au plaisir. Ces fétichistes-là ne sont pas des peine-à-jouir et leur hypersensibilité génitale les conduit à des comportements obsessionnels perturbants. Là où la nymphomanie et le satyriasis traduisent une libido permanente et compulsive dans le cadre d’une interaction des corps classique, le fétichiste hypersexuel se satisfait dans un rapport avec son fétiche. Ce dernier remplit les fonctions de stimulus et d’adjuvant qu’on attend généralement du partenaire auquel il est substitué.

Irrésistible soie… mettez m’en trois mètres!

Il n’est pas anodin que certains entretiennent leurs fétiches, les protègent et les valorisent quand d’autres les stockent sans les ranger, ou même s’en débarrassent après usage et satisfaction. Ainsi en va-t-il parfois également dans l’acte sexuel en présentiel.

Dans tous les troubles de l’Instituant, la pulsion libidinale et sa gestion ne sont pas en cause mais le désir y est orienté en fonction de la perversion, un peu comme s’il était aveugle et qu’il était amené à confondre l’accessoire avec l’être, le parapluie avec la belle. Le fétichiste focalise son désir sur un des statuts de l’être en particulier et se satisfait avec l’accessoire qui lui appartient ou le représente et grâce auquel il repousse la bestialité latente de l’être humain. 

C’est sans doute ainsi qu’on peut comprendre l’invraisemblable comportement de ce quinquagénaire berrichon, à mon avis, faussement accusé par le journal, d’exhibitionniste.

Je tente une autre interprétation que ce raccourci aussi absurde que de qualifier d’exhibition le fait de baisser son pantalon dans un lieu privé en l’absence de public. Le statut de prédilection que ce malade retient chez les femmes qu’ils convoitent à son insu, c’est l’opposition conductrice/passager, dominante/soumis, pénétrante/pénétré. Le déplacement fétichiste s’opère spontanément vers la voiture, instrument de l’indépendance, puis instrument de l’émancipation de la femme en Occident, jusqu’au levier de vitesse. C’est l’emblème de la puissance du moteur, de sa maitrise et, il faut tout de même le reconnaitre, par son aspect phallique la partie de la voiture la plus pratique pour la sodomie. Je note aussi qu’ici, le pervers s’introduit dans la voiture laissée ouverte. Pas d’effraction. Y perçoit-il un consentement? Une invitation? Le fétichiste est un délicat mais il ne se contente pas de lécher le pommeau du levier de vitesse, sans doute mû par une forte poussée érotique qui ne s’en satisferait pas. 

Ce Berruyer connait le risque et donc la Loi. Il ne fracture pas la serrure et ne cherche à commettre aucune indélicatesse vis à vis de la propriétaire du véhicule. S’il donne l’apparence d’une conduite de goujat, c’est parce que son envie de jouir est si forte qu’il ne peut résister à l’occasion. Mais il ne se soulage pas avec le corps de sa « victime ». L’intrusion ne s’accompagne d’aucune violence et le fait qu’il n’en était pas à son coup d’essai montre sa volonté de rester discret et de ne pas se faire prendre.

L’hypersocialité du fétiche, c’est à dire sa négation du rapport charnel, lorsqu’elle rencontre une libido difficilement contrôlable, conduit à des débordements qui peuvent être punis par la loi, surtout dans des sociétés où la propriété et la Personne sont sacralisées, sanctuarisées et par conséquent inviolables sans rétorsion. A partir de la deuxième moitié du XIXème siècle, les médecins psychiatres légistes vont avoir à statuer sur le cas de délinquants et de criminels aux agissements les plus incongrus. Ils approvisionneront également ainsi la littérature psycho-clinique que j’exploite. La qualification d’un acte illégal en crime ou délit, l’internement ou l’emprisonnement, le soin ou la réclusion motivaient leur diagnostic. Aussi distinguer l’agression sexuelle du délit à caractère sexuel peut être essentiel. Qu’est-il advenu à notre amateur du levier de vitesse? Si des lecteurs berrichons nous lisent…

Tout le reste est littérature ! A la revoyure !

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