le plan du signe S21
On pourrait croire qu’avec le mythe et la science, l’intégralité du réaménagement du Signe était couvert. Or quelques anomalies vont nous obliger à faire l’hypothèse d’un troisième mode de raisonnement.
1) Max Jacob écrit Pour les enfants et les raffinés un poème dont voici un extrait.
Il est clair que le poète n’a pas toute sa tête ce jour-là de 1912 ! On ne lui a découvert aucune descendance et la jument verte d’Aymé fera long feu 20 ans plus tard. Bref, c’est du grand n’importe quoi dans ce qui se dit là-dedans ! Jean Gagnepain le cite pourtant dans son traité d’épistémologie et Jacob fait école dans l’Éducation nationale qui ne brille pas d’habitude par sa fantaisie.
Bref, on s’interroge ! Quelle nécessité pousse Jacob à repeindre des chevaux et dézinguer des femmes d’officier en province ?
2) Jean de la Fontaine l’avait précédé deux siècles plus tôt et là, je fais confiance à votre mémoire pour vous souvenir des premiers vers :
Qu’est-ce qui travaille au corps notre courtisan pour enchâsser les mots de la sorte ? Cela dit en passant, par l’anacoluthe redoublée, il syncope la syntaxe habituelle mais, au sens où nous l’entendons ici, au Texte se plie. Plus simplement dit, La Fontaine intervertit GN et GV. On s’attendrait plutôt à Perché sur un arbre, Maître Corbeau tenait un fromage en son bec. Alléché par l’odeur, Maitre Renard lui tint à peu près ce langage. Mais voilà, ça le fait moins ! Reste la question du fromage…
3) Les rappeurs et slameurs contemporains se cassent la tête pour produire de la rime riche.
C’est un rien tiré par les cheveux mais le public apprécie la performance. Je soumets donc à votre appréciation des vers holorimes où l’intégralité du vers est en écho.
ou encore
Le rappeur Marc Nammour me le disait récemment : c’est le rap qui est l’écriture la plus exigeante. Les Grands Rhétoriqueurs et les grands farceurs l’ont précédé car la contrainte est de taille et le labeur lexical en proportion.
4) Dans l’exemple suivant, le poète renonce à la rime. Enfin pas tout à fait.
« Ah ! Vois au pont du Loing, de là, vogue en mer, Dante !
Hâve oiseau, pondu loin de la vogue ennuyeuse. »
Cette facétie d’Alphonse Allais n’est pas sans rappeler le P’tit Gibus dans la Guerre des Boutons
Mon pantalon est décousu, si ça continue, on verra l’trou d’mon… Pantalon est décousu…
On sourit grâce à notre capacité à anticiper. Et qui dit anticipation dit prévisibilité et si un phénomène (humain) est prévisible, c’est qu’il est déterminé (par un raisonnement). Ce qui nous permet d’anticiper, ce n’est pas tant la conjoncture que ce qui a déjà été dit.
La grivoiserie s’en est donné à coeur-joie de ces sous-entendus attendus et évités de justesse : l’auditeur entend la cochonnerie sans qu’elle soit prononcée et ne vous privez pas de l’extrait que voici: il est bon.
5) Et que dire de cette citation de Raymond Queneau, sinon qu’elle nous en rappelle une autre.
Tant va l’autruche à l’eau qu’à la fin, elle se palme.
Proverbe auquel on peut préférer le titre d’un film pornographique
Ça glisse au pays des merguez
Même si ça n’en a pas l’air, y a un raisonnement à l’oeuvre. La théorie de la médiation postule qu’à côté des modes scientifique et mythique, il existe une troisième manière pour le Signe de se réaménager. Mais au lieu de le faire en fonction de l’expérience, la désignation (à bien comprendre ici comme sortie du Signe) se fait par un effet boomerang. Et à ce propos, ce n’est pas Etienne Daho mais Gainsbourg qui a écrit cette petite merveille forte à (notre) propos.
Sans résister au plaisir de cet autre chef d’oeuvre
où Gainsbourg fait primer la rime sur le sens.
Tout le rex est littérature. A la revoyure !
Même Hollande fait de la prosodie : c’est dire que c’est à la portée de tout le monde.
