O12 – Il n’y a d’art que figuratif

Quand le langage parle pour ne rien dire d’autre que lui-même, c’est de la poésie, ou pour être plus précis de la prosodie. Et qu’en est-il lorsque la technique ne vise plus l’efficacité dans son action sur le réel mais qu’elle devient sa propre fin? Baudelaire parlait de l’art pour l’art. Hé bien… nous y voilà.

le plan de l’outil O12

De serve, la main se fait libre ou plutôt esclave d’elle-même. » Une fois de plus, Gagnepain dans DVD montre qu’il a le sens du paradoxe. Passons sur la formule et revenons-en à la troisième manière d’être efficace. 

Par l’ustensilité (efficacité de l’empirie), le technicien bricole pour mieux agir sur la situation. Par le fétichisme, il joue de la baguette magique pour adapter le réel à ce qu’il peut en faire. Par la plastique, il fait des figures: il n’y a donc d’art que figuratif. 

Le danseur, la plongeuse, le gymnaste ou la patineuse artistique ne font que ça: des figures. C’est pas le moyen le plus rapide d’aller d’un endroit à l’autre mais ce n’est pas non plus le but. Les machines à ne rien faire de Tinguely (notre illustration) ne montrent que leur propre mouvement comme un danseur.

Et donc je disais qu’il n’y d’art que de la figure si on entend par là, l’ensemble de points constituant un objet géométrique. Que cette figure représente le réel perçu, c’est une autre affaire.

Pour la théorie de l’Outil, l’art n’est que figure et concret, matière sans autre fin qu’elle même. Le fondateur du mouvement De Stijl et ami de Mondrian, Theo van Doesbourg définissait la peinture concrète comme non-abstraite parce que «rien n’est plus concret, plus réel qu’une ligne, qu’une couleur, qu’une surface». L’art abstrait est mal nommé: il est terriblement concret parce qu’il s’agit justement de ne pas faire oublier la matière au profit de l’objet représenté. Le « dripping » de Jackson Pollock ne dit pas autre chose: ça parle de peinture et rien que de peinture.

L’Outil est, en art, sa propre fin. Que ce soit moche ou beau, on s’en tape en matière d’ergologie. La valeur, je le répète une fois de plus, est d’un autre plan (le quatrième, celui de la Norme). Les beaux-arts sont également une affaire d’institution (plan 3). On n’en parlera donc plus ici. 

L’art dont on parle ici ne se cantonne pas aux disciplines comme la sculpture ou le dessin. Cette visée interfère avec les deux autres et il n’est pas évident de faire le tri dans le design ou l’art brut. La visée plastique se manifeste un peu partout. Elle donne à voir le geste technique. On la débusquera souvent dans le « trop », l’excédent, ce qui dépasse ou n’a pas d’utilité, les «franges » justement.

Observez votre logement et vos fringues! Vous y découvrirez une multitude de détails qui n’ont pas d’ustensilité. Je doute que vous y découvriez des vertus magiques à moins que vous n’attribuiez au pompon de votre bonnet des propriétés de réception cosmique. Sans rire, le pompon n’est ni une antenne ni une prise pratique mais un élément plastique qui n’a d’autre utilité que de prolonger le bonnet. Tout ce qui est ornement ne sert à rien et on n’est pas obligé d’apprécier la déco. Qu’il soit superflu ne change rien à l’affaire, l’ornement trouve sa justification dans l’Outil lui-même.

Le bruit utile chez nous, c’est la sirène, l’alarme et la sonnerie. Le bruit magique, c’est les Tingshas tibétaines pour attirer les esprits affamés, le haka maori ou les coups de matraques contre les boucliers des CRS pour effrayer les adversaires tout en se donnant le courage. Le bruit plastique, c’est la musique sous toutes ses formes. Du son de cloche à la musique d’ascenseur, du jingle au sifflement, du slogan modulé aux ondes Martenot, la musique se nécessite elle-même: tout est permis et elle n’est esclave que d’elle-même.

https://www.jokat.net/fr/blog/les-cymbales-tibetaines-ou-tingshas-n23

La virtuosité de l’interprète est alors à double effet: elle tend à faire oublier la difficulté de la performance alors même qu’elle ne cesse de montrer ce qu’elle est. Le pistolero qui jongle avec son colt, la majorette au bâton tournoyant, le funambule qui danse ou l’interprète de Paganini ne font que nous rappeler ce qu’est leur ustensile et leur habileté ne cache la difficulté de son utilisation que pour le gogo.

On l’aura compris, la visée plastique telle que la théorie de la médiation l’entend est à cent lieues du musée et du joli. Elle a plus à voir avec le coup du foulard au football, la calligraphie, les yodels tyroliens, les empattements en typographie et le moon walk.

Tout le reste est littérature! A la revoyure!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *