H2 – A nos corps défendus… ou pas

La propriété nous colle à la peau, c’est le cas de le dire, et le corps est le premier espace physique sur lequel la Personne va exercer sa faculté d’appropriation sans pour autant s’y cantonner.

La propriété mise à nue (2ème partie) H2

A l’échelle du sujet, autrement dit la personne sans majuscule, la Personne construit donc son propre domaine dans l’enveloppe physique: a minima, son corps lui appartient pour peu que le sujet ne soit ni mineur ni esclave ni aliéné ni possédé par le démon (ce qui est plutôt rare ces temps-ci) et l’on voit qu’à ce niveau déjà l’opposition être/avoir ne fonctionne pas, comme nous l’avons déjà montré. Platon n’a plus qu’à aller se rhabiller et Socrate peut terminer sa tisane.

Le corps, terre de conquête

Le corps du bébé n’est pas à lui de la même manière qu’il appartient à l’adolescent (masculin générique) qui le découvre, l’explore et le fait sien. Aucune pudeur chez le premier qu’on déshabille, que l’on torche et que l’on talque à loisirs alors que le second rechigne parfois à se mettre en maillot sur la plage et se drape généralement de pudeur devant l’autre sexe, même s’il se le tripote plus que de raison calfeutré dans sa chambre où sa mère n’ose plus passer l’aspirateur sans sa permission.

L’adolescence, c’est justement la période d’accession à la maturité sexuelle et conséquemment à la Personne (pour faire simple). L’ado accède à la propriété, c’est à dire à la capacité de poser de la frontière entre soi et l’autre. 

On se pose d’ailleurs en ce moment la question de la majorité sexuelle, l’âge à partir duquel le mineur peut jouir d’un titre de propriété sur son enveloppe charnelle. 

Quant au tatouage et au piercing, ils ne peuvent être pratiqués en France sur des mineurs (-18 ans) sans la présence d’un des parents avec une législation très précise.

La propriété du corps est donc variable suivant les âges. Elle l’est aussi suivant les milieux sociaux et les civilisations. On excise et on circoncit sans consentement dans certaines communautés. On impose 11 vaccins ou on se contente d’envoyer le jeune chez le coiffeur sous d’autres enseignes. De la même façon que le châtelain confie son parc aux bons soins du jardinier, le patient abandonne son corps au chirurgien. Idem pour la star avec sa carrière et son image via son impresario. La souveraineté de la Personne échoie alors à un tiers.

Le corps des grandes personnes

Suivant mon degré d’intimité avec quelqu’un, je lui offrirai plus ou moins mon corps: regard furtif pour l’étranger, poignée de main pour le collègue ou l’ami, bisou et câlin pour les proches, voire la langue ou le sexe pour l’intime. 

Même pour une photo, il existe un droit de propriété. Le fameux droit à l’image dont se gaussent tous les gamins.

En tant qu’adulte, si je ne demande pas de permis de construire pour me faire tatouer une fermeture éclair dans le dos, l’automutilation peut me valoir la chambre de contention. L’institution protège le corps du sujet des actes dangereux de la personne défaillante. Les libertariens pourraient y trouver à redire mais l’aliéné en se rendant étranger à lui-même ne s’appartient plus et se déchoit du droit de disposer de son propre corps en cas d’auto-agressivité notamment. L’institution psychiatrique doit alors le prendre en charge. 

Sexuellement, je donne la jouissance de mon corps à qui je veux et je me prostitue si je le décide. Mais en France, je ne peux cependant vendre ni mon sang ni un de mes organes. En outre, je ne m’euthanasie pas si facilement que ça et le droit de mourir dans la dignité par le suicide assisté n’est pas encore inscrit dans la constitution. 

Mon propre corps répond donc à un code de la propriété. Je n’en dispose pas toujours comme je le souhaite, tout cela variant suivant la société à laquelle j’appartiens.

Si l’esclavage est officiellement aboli et la torture interdite, l’emprisonnement est en revanche toujours d’actualité et risque de le rester encore longtemps quoique la « castration chimique » soit déjà à l’oeuvre dans certains pays. 

Si l’Etat ne peut pas me priver de mon corps à moins de me supprimer et de détruire ma Personne, il peut néanmoins réduire considérablement mon #autonomie: l’incarcération m’empêche d’aller où je veux à mon propre rythme. Elle ne m’empêche toutefois pas totalement d’être qui je suis. En revanche, je suis immatriculé (numéro d’écrou et matricule), ce qui est un autre baptême, et susceptible d’être fouillé, régulièrement. Ça peut même remonter assez loin dans mon intimité.

Par la grève de la faim, je peux tout de même affirmer ma liberté derrière les barreaux en privant mon propre corps de nourriture, et même de vie. Mais l’État se réserve le droit de m’alimenter de force alors que personne ne m’oblige à arroser mes plantes. 

En France, la contraception et l’avortement ont posé des problèmes du même ordre, dans une société où les femmes ne disposaient pas encore des pleins droits sur leur corps. Si les lois sur l’avortement varient selon les pays, c’est qu’on n’y accorde pas le même statut au foetus à quatre ou vingt-quatre semaines. Dans un cas, il appartient à la mère dont il n’est qu’une partie dont elle a le droit de « se débarrasser ». Dans l’autre, l’enfant à venir appartient déjà à la société et on ne peut donc le faire disparaitre comme le faisait les Romains par exemple.

Le corps est donc le premier espace d’exercice de la propriété et comme on l’a vu, c’est déjà plutôt compliqué au niveau de l’institution. Arbitraire et contingence multiplient les occurrences. 

La Personne humaine ne se limite pas non plus à son enveloppe charnelle. Elle ne lui correspond qu’occasionnellement et pour le prouver, dans le prochain volet de cette série, nous nous pencherons sur la propriété telle qu’on la rencontre dans le Code civil ou la Déclaration des droits de l’homme.

Tout le reste est littérature! A la revoyure!

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