H4 – Comment on passe et déplace les bornes…

Si l’on passe notre temps à étiqueter nos propriétés, et donc à poser des bornes, c’est pour pouvoir les garder ou les céder dans de bonnes conditions, franchir la barrière ou au contraire stopper le flux. Nous avons vu, dans l’épisode précédent, que les parents le vivent avec leurs ados et ce n’est là que le microcosme d’une géopolitique à l’échelle planétaire que nous allons tenté d’illustrer par un autre bout de la lorgnette.

La propriété mise à nu  (4ème partie) H4

Les transports en commun et de manière plus générale tous les lieux où on s’approprie momentanément un espace public comme le cinéma, la plage ou un banc, offrent en modèle réduit les différentes situations qu’on peut rencontrer à une autre échelle dans les médias.

Exercice de style

Si je monte dans un bus vide, je m’installe où je veux et je pose mon sac sur le siège à côté de moi. Il serait intéressant de savoir si vous décidez d’aller vous planter dans le fond ou si préférerez une place pas trop loin du chauffeur avec lequel je vous le rappelle vous n’avez pas le droit de tailler une bavette durant le service.

Au fur et à mesure que le bus se remplit, est-ce que je prends mes affaires sur mes genoux ou au contraire, est-ce que je les laisse sur le siège pour bien signifier que je n’ai pas envie d’avoir de voisin? Vais-je céder ma place? L’accoudoir revient-il au plus gros? Est-ce que je vais rester à côté de ma voisina alors qu’une place isolée vient de se libérer? Est-ce que je lis ostensiblement ses SMS? Est-ce que je lui demande de baisser le son de son casque? Est-ce que j’entame une conversation téléphonique alors que tout le monde a le nez plongé dans son téléphone? Où est-ce que je regarde?

Si je présente ces éléments sous formes de questions, c’est que les réponses ne sont pas tranchées. Si la jeune fille qui a posé son sac à côté d’elle refuse de le prendre sur ses genoux sous prétexte qu’il y encore des places ailleurs, est-ce que je vais entrer en conflit avec elle? Demander au conducteur d’intervenir? 

Dans un autobus et dans le TGV (avec réservation donc), les comportements sont assez différents. Si un skinhead est assis à ma place réservée, est-ce que je lui enjoins poliment d’aller appuyer son crâne d’oeuf sur un autre repose-tête? Est-ce que je vais chercher les contrôleurs pour virer l’importun alors que le compartiment est à moitié vide?

Est-ce que je pousse de côté le livre que quelqu’un à déposer sur un transat pour m’asseoir dedans? Jusqu’à quel moment avant le spectacle je réserve une place pour ma copine qui n’arrive pas? Et est-ce que je dis merde à la veille dame qui a réservé une rangée entière au gala de danse?

Les cas de figures sont nombreux et les manières de négocier tout autant. Mais c’est bien parce que cet espace m’appartient dans une certaine mesure que je peux le céder, le garder ou m’en emparer.

Y en a qui manquent pas d’air…

Le citoyen s’approprie donc tous les jours son environnement aussi naturellement qu’il pompe l’oxygène. Celui-ci appartient pourtant à l’humanité entière. On le disait aussi de l’eau et de pas mal d’éléments du bien commun qui ont pourtant fini dans l’escarcelle de marchands sans scrupules. J’en ai pourtant un besoin crucial, tout comme le Lebensraum était l’espace vital que revendiquait Hitler et sa fanfare.

Il n’est donc pas toujours facile de faire la différence entre le locataire et l’accapareur, entre entre l’indigène et l’envahisseur. 

L’île déserte n’est-elle pas à celui qui la découvre, la terre à celui qui la cultive, la place de devant au premier arrivé?

Le zadiste est-il un occupant comme le colon juif? Les Chinois ont-ils le droit d’acheter l’Afrique? Le SDF peut-il squatter ma place de parking parce que je n’ai pas de voiture?

Est-ce que j’ai le droit d’emporter un peu de sable de la plage pour mon jardin miniature ou même une pleine cargaison pour faire du béton? Qu’est-ce qui est public? Qu’est-ce qui peut être colonisé, c’est à dire accaparé par l’occupation du sol? Qu’est-ce qui m’empêche de mettre dans ma poche tout ce que je trouve sur mon passage, de prétendre que j’ai écrit les quatre évangiles ou de déposer un brevet pour le fil à couper l’eau chaude?

Même s’il s’exerce quotidiennement, le sens de la propriété ne va pas de soi parce que celle-ci est contingente et arbitraire. Et la Loi doit souvent intervenir. Elle tranche justement entre les parties qui se disputent le domaine. 

Et on se moque des notaires jusqu’à ce qu’on ait besoin d’eux.

Des cas comme s’il en pleuvait

S’il n’y a pas de propriété sans limites, il y a des limites à la propriété et ces frontières sont justement l’objet de conflit. 

Le sioniste se sert de la Bible comme d’un cadastre et les Palestiniens publient des photos d’avant 1945 pour montrer qu’ils occupaient bien la contrée et qu’ils s’occupaient bien de la terre. 

Qu’est-ce qui pourrait bien empêcher Areva de piller l’uranium du Niger pour nous chauffer sinon les Touaregs qui sont partout chez eux et propriétaires nulle part?

Si les indiens d’Amérique avaient pensé à clôturer leur territoire, ils ne seraient peut-être pas sur la réserve. 

Si mon voisin avait une bagnole, je comprendrais que ça l’embête que je gare ma voiture de fonction devant chez lui. Mais puisqu’il a même pas les moyens de s’acheter un vélo, qu’est-ce qu’il vient m’emmerder avec ses histoires d’espace vital? 

L’espace privé est à géométrie variable: en Angleterre, au XVIIe siècle, les propriétaires fonciers ne se sont pas gênés pour redessiner la campagne anglaise. Pas plus que Picot et Sykes n’ont fait dans la dentelle au Proche-Orient.

Les frontières entre pays ne sont jamais là non plus de manière définitive. Les Balkans nous l’ont rappelé et rien n’est réglé en mer Noire ou en mer de Chine, en Palestine ou en Catalogne, sans oublier le Timor oriental que tout le monde a oublié.

On pourrait multiplier les exemples. Mais on l’aura compris si on est arrivé jusqu’à ce point, c’est que la propriété est au coeur de tous les conflits et de toutes les négociations: on se dispute sur la frontière. Et si on l’a repousse, elle existera toujours. L’Histoire du monde n’est qu’une vaste affaire de murs et de portes. Et il y en a encore pas mal à ouvrir mais aussi à pouvoir fermer.

Tout le reste est littérature! A la revoyure!

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