Qu’est-ce que la médiation? M9
Je l’ai déjà signalé, Gagnepain est fortement redevable à Freud et à la psychanalyse. On a beaucoup critiqué le docteur viennois, l’objectivité douteuse de ses cas d’école ou sa vision étriquée et très sexuée de la famille, viennoise, bourgeoise, XIXème, névrosée.
La théorie de la médiation retient avant tout de la psychanalyse la notion d’inconscient ou de refoulé, l’idée que des mécanismes complexes et contradictoires sont à l’oeuvre dans l’être humain sans que celui-ci en soit le moins du monde conscient : il aurait même tendance à nier l’existence de tous ces mécanismes qui lui échappent. L’implicite voile la majeure partie de son fonctionnement qui ne laisse voir que la partie performantielle et donc le résultat. Le mécanisme à l’oeuvre ne se révèle pas de lui même : faut aller le chercher. La grande nouveauté de la théorie de la médiation, c’est de faire confiance au dysfonctionnement pour mettre en lumière le processus.
Pour utiliser une allégorie mécanique, disons qu’on ne sait rien du fonctionnement d’une voiture tant que la panne n’a pas eu lieu. C’est elle qui oblige à soulever le capot et à dissocier les différents circuits (bloc moteur, électricité, alimentation, refroidissement, transmission, échappement…). Chez l’être humain, on ne peut pas soulever le capot : il faut attendre la panne et ses répercussions. Freud s’est d’abord penché sur des cas cliniques avant de proposer un modèle général. Gagnepain s’est quant à lui intéressé aux aphasies avec Olivier Sabouraud, un ami neurologue qui lui a donné accès aux patients que la psychiatrie se réserve jalousement.
Gagnepain plaisantait en disant qu’on n’est jamais malade que de sa viande. Il entendait par là que les facultés ont une implantation corticale, peut-être pas toujours aussi localisée que pour les aphasies mais qu’il faut forcément que ça se passe quelque part dans les neurones et les synapses. Friedrich Engels ne disait pas autre chose: « Notre conscience, si transcendante qu’elle nous paraisse n’est que le produit d’un organe matériel, corporel, le cerveau. » Exit l’âme, les esprits et la réincarnation.
Toujours est-il que la théorie de la médiation postule que la défaillance partielle a des répercussions sur l’ensemble des performances sans pour autant altérer les capacités qui ne sont pas en cause. Bien que diagnostiqué comme tel par un IRM cortical, un aphasique paraitra idiot ou antisocial à un observateur lambda. Or, comme la goutte qui ne se soigne pas par un bain de pied, le symptôme ne s’explique pas là où il se manifeste.
Pour reprendre la métaphore de la voiture, celle-ci peut ne pas démarrer pour une simple batterie à plat. Résultat : rien ne tourne… alors que tout marche potentiellement. Chez l’humain, il faudra donc établir ce qui touche le biologique et l’éthologie, et ensuite distinguer ce qui relève de telle ou telle faculté, elle-même en interaction avec les autres. Ce n’est pas simple et cela a régulièrement donné lieu à de somptueux délires.
Seul le test permet de déterminer le trouble. On le construit à partir du modèle et le résultat valide ou infirme le pronostic. C’est à cette seule condition qu’on fait de la science, pas forcément en laboratoire aseptisé mais avec du papier, un crayon, un tournevis et de la jugeote.
J’illustrerai souvent les propositions théoriques avec des exemples plus triviaux car les compte-rendus d’expérience sont pour le moins arides et la théorie de la médiation n’a pas à ce jour pu soumettre au test la totalité de son modèle. Les exemples sont par conséquent à prendre comme des illustrations révélatrices (on l’espère !), pas comme de véritables mises à l’épreuve.
Tout le reste est littérature. A la revoyure !
NB: on trouvera en P24 un article plus détaillé sur la question de la clinique.