P52 – Des millions de malades imaginaires

En cette période de pandémie délirante, un petit point sur l’hypocondrie s’impose. Depuis Molière, on croit avoir cerné le problème mais s’arrêter au symptôme, c’est comme invoquer le poumon à toutes les sauces. Déconstruction.

Les troubles de la Personne : la paranoïa P52

L’hypocondrie est généralement définie comme « la peur déraisonnable d’être atteint d’une maladie grave ». Par déraisonnable, il faut entendre non fondée sur l’observation. Or l’écoute obsessionnelle de son corps peut assez subrepticement fournir le pet de travers qui va nourrir l’inquiétude : on a toujours une petite douleur quelque part ou un petit truc qui dépasse ici ou là. Pas de quoi en faire un drame sauf si, comme le paranoïaque, on s’estime victime d’une attaque qui, par conséquent, n’a aucune raison d’en rester à un stade embryonnaire. Ces indices ne sont que les prémices d’un phénomène beaucoup plus grave. Et vous voilà embarqué dans une dérive hypocondriaque qui peut vous faire craindre le pire, c’est à dire la souffrance et la mort.

Dans « Supercondriaque », Danny Boon s’inquiète
pour sa santé et on le comprend.

De plus, l’hypocondrie doit-elle être considérée comme une maladie à part entière ou comme la manifestation d’un trouble plus vaste, par exemple celui qui nous intéresse ces temps-ci, la paranoïa, car l’hypocondrie figure dans la plupart des listes des symptômes de cette pathologie? Freud en tête ne considérait-il pas celle-ci comme une manifestation de celle-là? 

Ou alors l’hypocondrie pourrait-elle être la manifestation d’une névrose qu’il faudrait alors prendre comme une auto-punition, une angoisse somatisée que s’imposerait le névrosé, un prix à payer physique dont il aurait à s’acquitter sans fin, une anxiété reconduite à chaque disparition de l’anomalie ressentie dans son corps ? Dans le jargon médiationniste, nous dirions : l’hypocondrie relève-t-elle du plan 3 ou du plan 4 ? N’y a-t-il donc pas moyen de déconstruire le concept comme cela se fait avec la persécution? L’idée serait alors de rattacher l’hypocondrie à d’autres symptômes chez des patients que nous aurions sous la main. Ce n’est pas le cas. On va donc bricoler autrement.

Danny est persuadé que sa tumeur au cerveau
est d’origine virale.

On peut considérer la maladie physique de deux manières : une dégradation spontanée du fonctionnement d’un organe (origine génétique) ou une agression par un corps étranger (origine virale, bactérienne, externe en tous cas ou empoisonnement, criminel ou non). On peut donc faire l’hypothèse que le paranoïaque sera plus enclin à être victime de la deuxième version, l’agression, quand le névrosé sera tenté de faire porter le chapeau à son propre corps, la défaillance intrinsèque.

En d’autres termes, nous faisons l’hypothèse que l’hypocondriaque parano ne gère pas correctement sa #somesthésie et impute à un « élément extérieur infiltré » ce qui vient en fait de lui. Ce serait dans ce cas une psychose somatique qui empêcherait le sujet de délimiter correctement l’intérieur de l’extérieur, le propre et l’étranger. Persuadé qu’il est victime d’un élément tiers, le paranoïaque va développer des mécanismes de défense et possiblement de l’agressivité, notamment envers les thérapeutes (médecins, sorciers, exorcistes) qu’il juge complices d’un mal venu d’ailleurs qu’ils n’arrivent pas à extirper puisqu’ils en sont les adjuvants et peut-être même les inséminateurs. La sombre affaire de Marie M. nous semble une illustration intéressante de cette hypothèse : la souffrante reporte l’origine de son martyre sur l’abbé de N. (maux de tête, varices, maladie vénérienne…) Je lui consacrerai un prochain chapitre car son histoire permet des développements qui dépassent notre ordre du jour.

Danny verra-t-il le bout du tunnel?

Si, en revanche, l’hypocondriaque est un névrosé, c’est contre lui-même qu’il va retourner la culpabilité puisque, ne souffrant pas de troubles de la personne, il endosse une certaine responsabilité dans la maladie : si elle l’angoisse, la maladie vient tout de même de lui et il en est conscient. On peut s’attendre à ce qu’il sollicite les médecins sans jamais penser à leur reprocher quoi que ce soit si ce n’est leur impuissance. L’angoisse peut elle-même être apaisée par un traitement approprié. 

Si je me résume, l’hypocondrie réside dans l’invention de la maladie. Cette invention peut avoir une origine phobique (plan 4) ou participer d’un délire paranoïaque (plan 3).

L’hypocondrie paranoïaque peut prendre la forme d’une attaque invisible car microscopique et anonyme pour la même raison. Mais le malade sera alors tenté de projeter la malveillance sur un tiers, un comportement qui nous permettrait donc de recadrer l’hypocondrie dans l’ensemble des persécutions contre un moi vulnérable, une hallucination corporelle sous la forme d’une intrusion maléfique imputable au sort d’un être étranger. On serait alors dans le cadre d’un envoûtement avec une prise de contrôle par le biais de la douleur infligée par télépathie comme chez Marie M.

« Alien, le huitième passager » ou l’accouchement
masculin sans péridurale

Le délire zoopathique, selon la terminologie du psychiatre Henri Ey, se manifeste par la sensation d’avoir un animal dans le corps. En 1809, à Chaillon dans la Meuse, un cas avéré mentionne qu’une femme croit dur comme fer avoir avalé un lézard qui la dévore de l’intérieur. Elle le sent bouger. La douleur est réelle, insupportable, et l’empêche de dormir. Son mari la croit, ils vont consulter des médecins qui ne trouvent rien. Elle prend néanmoins des remèdes qui coûtent se économies au mari qui se résoudra à écrire au maire de sa commune qui écrira au ministre de l’intérieur pour obtenir une assistance médicale. 

Ça vous gratouille ou ça vous chatouille?

Le syndrome d’Ekbom est un délire de parasitose cutanée. Le sujet se plaint d’un prurit persistant : la peau le démange continuellement. Au lieu de mettre cela sur le compte de l’épiderme lui-même, il a la conviction inébranlable d’être infesté de parasites et peut à l’occasion chercher à les extraire, ce qui peut provoquer des plaies et des infections.

Dans toutes ces hypocondries, ce que je retiens, c’est le rejet vers l’extérieur de l’origine d’un phénomène interne au corps. L’hypocondriaque attribue à une intrusion ce qui vient de lui : il ne s’estime pas responsable de la cause du problème mais peut décider de prendre le problème en main et d’appliquer un traitement « maison » à un inconfort que le dermatologue ne peut soulager. Refusant de croire le spécialiste qui finit par lui dire que le problème n’est pas cutané mais psychique, le malade a tendance à multiplier les consultations avec d’autres spécialistes pour finalement ne plus leur faire confiance du tout et trouver son propre traitement. Le patient peut également apporter des preuves matérielles (échantillons de grattage ou photos numériques prises au microscope) comme preuve de la réalité de ses affirmations et à son insu, de son délire.

Le comportement « anormal » du paranoïaque hypocondriaque sera par conséquent une réplique appropriée à une agression. On est dans le cas de figure habituel de la pathologie (agression-réaction) sauf que l’agressivité ne va pas pouvoir se porter sur autrui (sauf sur le médecin incompréhensif) vu que l’ennemi est dans la place à moins d’entrer dans un délire de contrôle comme le font les victimes du vaudou.

Molière traita l’hypocondrie à la légère.

Le plus souvent comme Argan, le malade imaginaire a recours à des spécialistes qui profitent de sa crédulité. L’aubaine pour les charlatans en cheville avec les labo d’analyses ne date donc pas d’hier. Tant qu’il abonde dans son sens, l’hypocondriaque délègue sa souveraineté sanitaire aux spécialistes. Argan fait ainsi aveuglément confiance aux Diafoirus, Fleurant et autre Purgon, et Toinette se joue facilement de lui lorsqu’elle se fait passer pour un médecin. Argan confie son destin à ceux qui, selon lui, ont la compétence et ils sont, pour lui, d’autant plus compétents qu’ils accordent du crédit à sa foi en sa maladie. On retrouve là une caractéristique du paranoïaque qui ne se porte jamais mieux que quand on le caresse dans le sens du poil. Cependant l’hypocondriaque rencontre aussi une opposition du côté du corps médical qui s’il ne trouve aucune issue physiologique reporte le problème sur le psychosomatique qui sort alors de leur domaine d’expertise. Sans soutien des médecins et peut-être également de ses proches, l’hypocondriaque se retrouve livré à lui-même, seul, avec son délire. Argan étant un personnage de comédie, il présente des incohérences psychiques dues à la caricature et je ne me perdrai pas en conjectures à son propos. Il me semble cependant qu’il relève plutôt d’un dérangement sur le plan axiologique et j’y reviendrai plus loin.

Le psychiatre Michel Caire envisage le cas d’un « inventeur médical auto-thérapeute hypocondriaque » qui invente un traitement qu’il tente de s’appliquer à lui-même avec le but ultime de l’appliquer à d’autres. Souffrant d’un mal imaginaire, il ne peut qu’inventer le remède ad hoc. C’est une tendance qu’on peut rapprocher de l’inventeur méconnu, un profil que le DSM 5 inclut dans le groupe des paranoïaques. L’hypocondriaque sort alors de sa partie (le malade) pour être à la fois le patient et le praticien. Son narcissisme conquérant est ainsi à l’oeuvre : il est à la fois au coeur du problème et la source du remède, la victime et la solution, la cible et le scalpel. Les rôles ne sont plus définis. 

On n’ose pas imaginer ce que Molière aurait écrit
en ces temps de pandémie de covid-19.

La peur du virus peut donc relever de la paranoïa puisqu’il se présente comme un agresseur invisible (mais bien réel pour le patient) alors que dans le cas d’une phobie, l’anxiété que suscite le virus repose sur la peur de tomber malade à cause d’une immunité insuffisante par exemple et le déficit de confiance dans les défenses de son corps. L’anxieux prendra donc de la gelée royale sur le conseil de son naturopathe pour renforcer ses capacités défensives quand le paranoïaque qui ne doute pas de la qualité de son système immunitaire passera à l’offensive en faisant exploser le laboratoire qui crée des microbes inconnus pour l’exterminer.

On pourrait pour conclure considérer la situation sanitaire actuelle en France (nous sommes le 9 septembre 2020) sous ce prisme. D’un côté, les hypocondriaques névrosés soumis à la propagande gouvernementale et prêts à toutes les potions (confinement, distanciation, masques, vaccination). De l’autre, les complotistes paranoïdes qui nient la virulence du virus et accusent le gouvernement d’instrumentaliser la maladie pour terroriser la population, mieux faire taire la contestation sociale et asseoir son pouvoir un temps menacé. Les plus remontés mettent en doute l’existence même du virus et sont persuadés que le nouvel ordre mondial cherche à injecter dans nos veines des agents étrangers pour mieux nous pister et nous dominer. Personnellement, je ne fais jamais confiance aux bourgeois et je fabrique mon antidote tous les jours. 

Tout le reste est littérature. A la revoyure !

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