P65 – Pornographie et exhibition : un lien?

Au pénal, l’exhibitionnisme déclinerait alors que l’industrie pornographique est en pleine expansion. Y-a-t-il un lien de cause à effet? Existe-t-il d’ailleurs un lien tout court entre les deux?

Les troubles de la Personne : l’exhibitionnisme P65

Rare vue d’un mont de Vénus en grande surface.

Il semblerait sans que j’aie pu jusqu’à présent en trouver la preuve formelle chiffrée que le nombre des exhibitions soit en régression depuis trente ans alors que paradoxalement, la PQR française regorge de récits de ce type de délits. Et alors que dans ces rubriques de faits divers, le délit est assez bien renseigné, les statistiques officielles sont un peu plus floues, voyeurisme et exhibitionnisme étant parfois confondus. Je n’ai pas pu jusqu’à présent mettre la main sur des statistiques vraiment pertinentes. Je m’appuie en fait sur des remarques de sexologues qui évoquent cette tendance sans pour autant fournir de sources précises. Nous poserons cependant comme une hypothèse de travail qu’avec la popularisation de l’Internet et du numérique, l’exhibitionnisme traditionnel tel que nous l’avons rencontré au chapitre précédent décroit. Trente ans, cela correspond en effet grosso modo à l’arrivée massive en France de ce nouveau média dont la pornographie va s’emparer comme elle l’a fait avec la photographie, le cinéma, les cassettes VHS et les DVD.

Le crû sans filtre

La pornographie est la représentation de l’obscène, l’obscénité étant ce qui porte atteinte à la pudeur, c’est à dire à la dignité de celle ou celui qui est exposé(e), sans y avoir consenti, à ce qui est ordinairement caché. Le porno montre le cru sans filtre. C’est ce voile qui crée l’érotisme qui, lui, fait deviner sans montrer. La pornographie tourne autour du coït et de l’orgasme alors que le trash recouvre un champ plus vaste de productions hors-norme par l’invisible qu’il donne à voir : vomi, ondinisme, nécrophilie, pédophilie, inceste, scatologie, gore… j’en passe et des bien pires. Cependant c’est finalement toujours de corps intime qu’il s’agit et par là même d’outrepassement de pudeur, du passage d’une ligne de démarcation sociale.

Egon Schiele a souvent peint une nudité crue et sans concession aussi bien féminine que masculine.

Ce qui différencie l’exhibitionnisme de la pornographie, c’est ce qui distingue la présentation de la représentation de l’obscène. L’exhibitionniste présente tout ce qu’il veut montrer sans prévenir. Dans la représentation, un média vient faire sas et par conséquent empêcher l’effraction… du moins en théorie. Il faut pousser une porte pour entrer en contact avec la pornographie alors que l’exhibition vous tombe dessus sans crier gare ni ture. Oups!

La pornographie ne devient outrage que lorsque sa diffusion dépasse l’encadrement législatif dont elle fait l’objet. La prostitution (pórnêsignifie prostituée en grec ancien) était admise pourvu qu’elle ne dépasse pas le seuil de la tolérance, c’est à dire celui de l’espace privé, de la maison dont elle portait le nom et où toutes les fantaisies étaient permises. C’est là qu’intervient la représentation car l’acte lui-même ne regarde que ceux qui y participent à condition qu’ils soient conscients de ce qu’ils font (sexuellement majeurs) et qu’ils ne soient pas contraints (sexuellement souverains). Tant que l’affaire restent entre adultes consentants, il ne peut y avoir d’outrage. Celui-ci commence lorsque la re-présentation s’opère sans l’assentiment de toutes les parties en cause et qu’on passe outre le cercle intime quelque soit sa taille. 

La pornographie n’a ainsi pas sa place dans l’espace public, tout en n’ayant pas d’existence dans l’espace privé. 

En ce qui concerne la photo, le cinéma ou la vidéo, la pornographie nait dans l’espace semi-privé du plateau de tournage où l’intime est capté par un tiers (réel ou symbolique) dans le but d’être sorti de ce cadre. Les scènes ne deviennent pornographiques que capturées sur un support et éventuellement exportées hors de leur sphère d’origine. C’est la captation et la diffusion, autrement dit le déplacement de la scène initiale, qui sont pornographiques, pas l’acte originel qui, lui, est simplement plus ou moins acrobatique et vigoureux, tendre ou violent.

« The Full Monty » chez les Papous : la question de l’exhibitionnisme chez de tels peuples nécessiterait bien évidemment un peu plus qu’une boutade à la con.

L’exhibition est un acte pornographique dans la mesure où le pervers exhibe des parties génitales d’une manière déplacée hors de la sphère privée et de surcroit s’il se masturbe. Par ailleurs le code pénal précise également que « l’exhibition sexuelle est constituée si est imposée à la vue d’autrui, dans un lieu accessible aux regards du public, la commission explicite d’un acte sexuel, réel ou simulé ».

Avec le smartphone, un nouveau phénomène a fait son apparition: le « dick pic » (photo de pénis) ou cyberflashing. Ce cyber-exhibitionnisme consiste à envoyer une photo de son sexe (aucune photo provenant de femme n’est mentionnée dans les articles que j’ai pu consulter) de téléphone à téléphone, notamment par bluetooth, de manière à surprendre sa réceptrice et parfois à assister à son émoi en direct. Le pervers peut ainsi arriver à ses fins dans des endroits très fréquentés sans trop prendre de risque. Les signalements commencent à arriver et des enquêtes officielles se font sur le sujet mais pas dans notre optique : peu nous importe que des adultes consentants s’échangent des photos sexuelles personnelles puisque c’est l’effraction de la pudeur de l’Autre qui est en jeu.

Pensez à mettre le flash !

Les ruses pour arriver à s’exhiber par surprise sur les réseaux sociaux sont nombreux et le cyberflashing a sans doute de beaux jours devant lui. Peut-être explique-t-il en partie le fléchissement du chiffre des exhibitions traditionnelles ? La perversion a toujours su s’instrumenter. Imaginez qu’au bout de ce lien vous ayez une photo de mon pénis qui apparaitrait sans crier gare : nous aurions alors un mode d’exhibitionnisme 4.0. J’ai rencontré ce phénomène sur des sites de téléchargement de films piratés (« Le Seigneur des Anneaux : les deux tours » masquait un porno gay) mais pas sous la forme que j’évoque. Mais on peut imaginer qu’elle existe, sans doute sous la forme de subornation pédophile, ce qui est une autre histoire.

Les médias modernes ne peuvent échapper à ces phénomènes d’intrusion. Nous verrons peut-être même en quoi ils y participent. Cependant, il parait peu probable que le « dick pic » puisse se substituer, d’une manière avantageuse pour le pervers, à l’exhibition classique : l’écran opère une distanciation qui nuit à la « brutalité » directe de l’exposition. Le smartphone protège autant qu’il expose. Les indésirables peuvent s’y afficher mais ce ne sont jamais que des photos ou des vidéos, pas la réalité crue en trois dimensions.  

Stupeurs de gazelles

Rien ne laisse supposer que les femmes soient plus pudiques que les hommes. Je rappelle qu’on ne parle pas ici de désir sexuel mais bien de frontière entre l’intime et le public. Son franchissement est par conséquent affaire de limite entre l’obscène et le décent, entre ce qui est réservé au partenaire et ce qui est montrable à l’étranger.

On hésite à identifier le Petit Prince;

Dans le chapitre précédent, nous avons vu que l’exhibitionniste inflige à la vue de sa victime la vision de son propre sexe. Cela se fait donc en direct et par surprise. Il dévoile sans ménagement son intimité devant un étranger ou une étrangère dont il n’attend rien que de la stupeur. Une réponse non conforme à son attente comme un retour libidineux par exemple provoque la débandade. L’exhibitionniste ne cherche pas à séduire mais à choquer ou à stupéfier. La rencontre ne peut se faire qu’à sens unique sur un mode figé, voire rituel. L’improvisation, c’est à dire un retour non prévu, n’est pas envisageable pour l’exhibitionniste qui ne peut se satisfaire que de la même réponse de ses victimes. D’où le choix de jeunes victimes ou d’adultes que le pervers considérera comme des cibles plus faciles comme des femmes recueillies à l’église, prises au dépourvu ou surprises dans un endroit isolé. Certains se risquent pourtant à s’exhiber devant des prostituées mais cela reste l’exception.

Bien qu’il n’y ait aucune raison pour que l’exhibitionnisme au féminin n’existe pas, nous avons constaté que le nombre déclaré d’exhibitionnistes féminines est quasiment nul devant les tribunaux et a fortiori dans la presse. Des spécialistes en mentionnent l’existence mais les cas précis manquent. On peut faire plusieurs hypothèses à ce sujet : a) les femmes exhibitionnistes remballent plus vite leur petit matériel et s’éclipsent plus rapidement que leurs homologues masculins, b) elles s’exhibent devant des personnes qui ne portent pas plainte, c) elles s’exhibent de telles manières qu’elles échappent à des sanctions pénales.

Aucune plainte n’a été déposée. Aucune pêche non plus.

Dans le cas b, on peut supputer que ce sont des femmes qui ne veulent pas porter préjudice à une autre femme ou que ce sont des hommes qui n’osent pas aller porter plainte ou encore des spectateurs à qui l’exhibition n’a au final pas déplu. Dans ce dernier cas, peut-on encore parler d’exhibition, la stratégie du choc ne fonctionnant plus? Ne rejoint-on pas alors une certaine forme de pornographie la victime spectatrice devenant non seulement consentante mais demandeuse?

Imaginons donc à présent que l’exhibition féminine n’emprunte pas les mêmes voies que sa version masculine et qu’elle échappe à la sanction de la loi d’une manière ou d’une autre.

Rappelons que nous avons défini l’exhibitionnisme comme une incapacité à se singulariser et à s’identifier autrement que par la monstration de l’emblème le moins culturel, et par conséquent le plus bestial, que nous ayons à disposition : les organes génitaux. Le caractère saillant et érectile de la zigounette est certes plus propice au show que la foufoune mais cet aspect technique est insuffisant pour expliquer une telle disproportion numérique entre les cas répertoriés. 

Faudra-t-il en rester aux seins?

S’il y a blasphème, d’ailleurs autorisé en France, il n’y a pas pour autant exhibitionnisme dans ce cas de happening militant.

Dans un article intitulé, « Exhibitionnisme féminin : identification, rivalité et camaraderie », Deanna Holtzman et Nancy Kulish s’appuient sur des cas cliniques avérés. Le phénomène existerait donc dans une version féminine. Je ne m’attarderai pas sur ses multiples interprétations par la psychanalyse. Le phallus manquant ne me parait pas être une piste plausible et d’une manière générale, l’invasion libidinale dans l’explication des comportements sociaux me semble plus susceptible de provoquer la confusion que d’apporter un quelconque éclaircissement. La psychanalyse enfume notre questionnement plus qu’elle ne permet d’en avoir une vision globale heuristique. Elle s’intéresse en outre à la genèse du trouble, ce qui n’est pas notre propos actuel. La non-scientificité de la démarche de certains psychanalystes qui s’enivrent de formules mythiques rend souvent la réfutation des thèses franchement laborieuses alors même que les points de convergence sont assez nombreux quand tout le monde reste calme.

Etrangement ces photos circulent librement sur Facebook par ailleurs très prompt à suspendre les comptes au moindre téton apparent.

Toujours est-il que les auteures mentionnent un cas d’exhibitionnisme par sexto, c’est à dire l’auto-captation et l’envoi d’une vidéo de soi à caractère pornographique à un Autre dans un but relativement incertain. Peggy, une adolescente de 15 ans, expédie ainsi une vidéo où elle se masturbe à un garçon qui a déménagé dans un autre état (nous sommes aux USA), ce qui laisse peu de chance à Peggy de le revoir de sitôt. Pourquoi se montrer ainsi à un garçon qui va (re)devenir un parfait étranger? Avec tout le risque que comporte l’usage de la vidéo pour sa dignité personnelle? 

D’ailleurs, ce qui devait arriver est arrivé: le père du récepteur supposé a intercepté le message. Peggy s’est retrouvée dans la position de l’exhibitionniste pris en flagrant délit. Mais si elle n’avait pas consulté, l’affaire serait restée de l’ordre du privé. Si Peggy avait été un garçon majeur, sans doute pas. La tolérance n’est pas la même suivant les sexes et les âges. Remarquons au passage que les cas d’exhibitionnisme se repèrent aussi bien chez des jeunes sujets que chez des pervers plus âgés, ce qui corrobore la thèse d’une quête d’identité, l’adolescence étant la période de maturation de la Personne.

Le même article fait également mention du film Babel au cours duquel « une jeune fille japonaise tente désespérément d’attirer l’attention d’un homme – d’avoir un petit ami comme les autres filles. Ne portant pas de sous-vêtement, elle retrousse sa jupe et expose son sexe pour tenter de séduire un jeune garçon dans un restaurant. À nouveau l’exhibitionnisme tend vers une relation érotique. Aussi maladroit et triste qu’il puisse être, il représente une « invite » par le biais de l’utilisation du corps en général, et des organes génitaux en particulier. »

Souvenir personnel assez douloureux au Musée des Confluences à Lyon en novembre 2017.

Dans les deux cas, il s’agit d’une invitation brute sans le filtre de la séduction graduée et l’approche progressive d’usage. Droit au but, dirait-on à Marseille. Cependant l’objectif demeure l’émoustillement, l’émergence du désir de l’Autre et une certaine reconnaissance par son regard de son propre statut d’objet sexuel désirable. La femme qui s’exhibe physiquement ne chercherait pas à sidérer mais à fasciner (il y a une petite nuance) alors que les intentions des hommes sont plus partagées entre la volonté de provoquer du dégoût, de la peur ou de la fascination.

Subjuguer, dit-elle

Doit-on interdire le crop top dans les salles de bain? Voilà un vrai débat de société.

Je ferais donc l’hypothèse que l’exhibitionnisme féminin trouve sa source dans le besoin irrépressible de s’annoncer comme objet sexuel, non pas pour un consommation immédiate sans préliminaires, mais afin de repousser très loin la barrière de la pudeur que l’exhibitionniste cherche désespérément à définir. La femme exhibitionniste n’est pas une nymphomane qui suscite le désir pour le satisfaire, pas plus que l’homme exhibitionniste n’est un violeur. Elle chercherait à allumer un feu dans le regard de l’Autre pour y sentir sa propre identité, réduite certes à l’état d’objet sexuel, mais bien réelle dans les yeux de celui qu’elle instrumentalise en retour comme voyeur. En le forçant à assister à ce qu’il ne devrait pas voir, l’exhibitionniste cherche à réduire l’Autre à sa dimension animale, à cet oeil chargé de désir qu’elle sidère. Il n’y a pas d’échange mais une captation unilatérale et narcissique de l’attention. La négociation d’usage cède le pas à une capture sans condition de l’état de l’Autre. L’idée, c’est d’attirer son regard là d’où il ne peut l’en détacher et sans qu’il puisse reprendre le dessus dans la « rencontre ».

Pour quelles raisons ces photos intimes se retrouvent-elles dans la sphère publique?

Autant l’exhibitionniste masculin court peu de risque de représailles directes de la part de sa victime (même si on l’a vu, le flagrant délit n’est pas toujours fui par le pervers), autant l’exhibitionniste féminine pourrait se mettre en danger physique en se montrant à un inconnu dans un endroit désert ou s’exposer à des attouchements (ou à une contre-agression) qui ne répondraient pas au script figé par l’exhibitionniste. Peut-on envisager l’idée que les scénarios qui conviennent aux pervers ne peuvent fonctionner pour les perverses et qu’elles ont recours à d’autres stratagèmes pour afficher leurs attributs sexuels sans pour autant être prises comme proies ? Elles joueraient alors de ce que leur offrent les pratiques sociales en vigueur pour focaliser l’attention de l’Autre sur les parties sexuées de leur corps. L’adresse serait quasi-animale et ne répondrait pas aux codes de la séduction en vigueur mais adviendrait dans un cadre où l’exhibition respecte la loi tout en enfreignant la pudeur, la première relevant de l’Institué, la seconde de l’Instituant.

Avec l’exhibition, il s’agit bien plus d’affichage que d’effeuillage, le strip-tease participant encore de la négociation en ce qu’il joue sur la ligne pudique-impudique et requiert un minimum d’improvisation. L’érotisme excite mais frustre le désir du spectateur qui en veut plus sans vouloir tout, du moins pas tout de suite. La pornographie est une invasion de l’espace mental du spectateur à qui on déballe tout sans retenue, cette retenue dont habituellement nait le manque qui attise le désir. L’exhibitionniste manque crûment de retenue, il livre à la vue ses attributs sexuels avec une provocation rageuse et un aplomb brutal. Les patients ont souvent décrit cette irrépressible montée de la nécessité de se montrer qui réclame tout de même une certaine organisation comme le choix du lieu par exemple qui n’est jamais le fruit du hasard ou de l’opportunité. Le pervers improvise peu. Au contraire, il se raccroche au rituel pour éviter tout ce qu’il ne contrôle pas. 

Surprise, surprise ! 

– Vous me reconnaissez?

Et quel meilleur moyen de contrôler une personne qu’on ne connait pas que de lui infliger la vue de ce qu’il ne s’attend pas à voir? Alors que le sadique a recours à la violence pour réduire sa victime à sa merci, l’exhibitionniste en est réduit à provoquer un choc sans contact chez l’Autre: peu lui importe finalement la nature de ce choc pourvu que la rencontre unilatérale ait lieu et qu’ainsi le pervers puisse éprouver son être quelle que soit la forme la plus basique qu’il lui reste à exhiber. Cet être-à-poil est la seule solution qui s’offre encore à lui pour se sentir exister et lors de l’acte, le relâchement est tel que la jouissance s’y engouffre. C’est une explication extravagante mais le symptôme ne l’est-il pas lui aussi?

Malgré la crudité de l’exposition de leur verge, un bon nombre d’exhibitionnistes masculins espèrent tout de même faire éprouver de l’admiration à leur victime. Qu’en serait-il des femmes exhibant leur vulve ou leurs seins? Pensent-elles qu’il puisse y avoir un effet tétanisant à cette révélation abrupte? Comment peuvent-elles être certaines que l’Autre ne va pas y voir une invitation car, si l’on en croit la ligne heuristique que nous essayons de suivre, il ne s’agit pas d’émoustiller le chaland mais de lui imposer une nudité sans limite. Pas question non plus de faire subodorer une issue orgasmique car il est au contraire question de prendre l’Autre à témoin d’un irrépressible besoin de repousser la limite d’une intimité justement impossible parce que non négociable. Le témoin doit être pris au piège du voyeurisme, hameçonné comme un poisson qui ne pourrait détourner le regard sans pourtant caresser l’espoir d’aller plus loin dans la relation. Il y aurait comme une réification mutuelle par l’impossibilité d’un véritable échange. La femme exhibitionniste se montre à l’état de nature brute à un témoin dont elle n’attend rien en retour sinon une certaine hébétude. On parle de choc et non d’interaction. Mais comment s’y prendre?

Voilà de quoi faire péter une durite à mes amis d’OLF que je salue au passage.

Une fois encore, je le répète, tout cela est hypothétique puisque je n’ai pu trouver aucun cas avéré dans la presse ou dans les annales judiciaires. Là où le terme est habituellement employé, je ne peux pas me résoudre à voir des cas d’exhibitionnisme proprement dit. Les Femen ont été relaxées par la justice car la monstration de leurs seins sert une cause politique. Les pin up et les play-girls posent dans un cadre où le spectateur n’est pas pris par surprise et encore moins stupéfait puisqu’il est demandeur. Cependant le shooting lui-même, en tant que séance photo, nécessiterait une enquête plus approfondie mais là encore je manque de matériau pour investiguer.

Étant donné la crudité inhérente à son classement en X, le cinéma porno offre-t-il des pistes plus intéressantes? Notons toutefois au passage qu’un film classé X perd par ce label toute chance de tomber sous des yeux innocents. 

Les motivations des actrices du porno vont du besoin d’argent assumé pour les plus déterminées à un certain besoin de reconnaissance très confus pour les plus paumées. Les enquêtes montrent que la plupart des femmes qui tournent dans les films pornos ne savent pas trop où elles en sont quand elles débarquent dans un « univers où les actrices ont subi dans leur enfance des violence familiales et/ou sexuelles, où elles cumulent des troubles du comportement voire de graves maladies psy avec une grande précarité économique », des profils assez proches de ceux que dresse Hubert Guyard dans ses portraits-robots cliniques. 

Le rayon du X

La découverte chez les adolescentes du pouvoir que peut exercer leur corps sexué les conduit aussi bien au dégoût des garçons jugés libidineux qu’à la vanité narcissique d’un excès d’estime de soi. Ça oscille entre « je ne suis tout de même pas qu’un bout de viande » et « ils me regardent, donc je suis ». Cette émergence au statut d’adulte peut aussi provoquer des angoisses. C’était le cas de Peggy, inquiète de ne pas être en couple ou même regardée comme ses congénères, Peggy qui se filme et envoie un sexto pour être comme tout le monde et chercher des repères, un peu comme un radar qui émet des ondes au hasard afin d’avoir des retours et saisir ce qui l’entoure. 

Doit-on interpréter de la même manière les millions de selfies suggestifs d’adolescentes aguicheuses qui envahissent les réseaux sociaux et alimentent les sites racoleurs? Au-delà, le « porno webcam » ne serait-il pas un appel aussi maladroit qu’appuyé pour se définir et s’affirmer? Les jeunes femmes qui se laissent tenter par l’expérience ne jouent-elles pas d’emblée la carte physique et brute, faute d’arriver à se structurer avec des statuts qui tardent à se mettre en place? Tentent-elles de mettre désespérément en avant leur féminité faute de pouvoir être reconnues d’une autre manière? L’industrie porno-machiste ne fait-elle pas justement qu’exploiter sans vergogne cette propension exhibitionniste qui ne relève pas du vice, le plaisir par le mal, mais d’un besoin d’exister et de s’afficher d’une manière ou d’une autre?

L’affaire Basic Instinct n’a jamais été élucidée, la version de Sharon Stone restant peu crédible mais l’actrice refuse de répondre au téléphone quand je l’appelle.

Les pornographes savent qu’ils ont souvent affaire à de jeunes femmes fragiles qui peinent à stabiliser leur identité, à s’affirmer comme une entité sociale solide mais adaptable et dont le corps en tant qu’objet sexuellement performant constitue la seule « valeur sûre », une référence à laquelle se raccrocher quand l’environnement est instable : elles se vivent presqu’exclusivement à travers leur physique et le porno leur est présenté comme une manière ludique, cool et rémunérée d’être plus qu’elles ne sont d’habitude. Manipulateurs, les professionnels du porno amateur (le porno pro est plus contractuel et réglementé) abusent de la situation de faiblesse de ces amatrices facilement influençables et leur imposent leurs conditions. Elles remplissent des formulaires pour préciser ce qu’elles acceptent ou refusent de faire, signent des contrats mais au final, elles doivent souvent céder aux exigences de la production et tourner un film porno est loin d’être de tout repos et à mille lieux d’une partie de plaisir.

Rares sont les confessions exhibitionnistes des actrices pornos. Les témoignages sont généralement à charge contre l’industrie et les pratiques des réalisateurs et des acteurs.

Les aveux des actrices et les témoignages de ceux qui les approchent ne vont guère dans le sens de l’exhibitionnisme : le besoin de se montrer nue n’apparait quasiment jamais dans les motivations premières. Satine Phoenix est l’une des rares à le reconnaitre : «J’aimais vraiment avoir des relations sexuelles devant des gens.» C’est le seul témoignage qui abonde dans le sens de mon hypothèse car d’une manière générale, l’abus sadique et la résignation soumise, sur fond d’ultra-libéralisme et de marchandisation des corps, semblent sous-tendre les rapports dans l’industrie du porno. L’exhibitionnisme n’y pousserait pas les femmes. Qu’en est-il du cinéma érotique? Le modèle de l’Origine du Monde a-t-il agi pour l’amour de l’art? Ou après l’art de l’amour? Blague à part, on peut tout de même se poser la question de savoir ce qui peut motiver les modèles et comme dans le cadre des shootings « poussés » où le photographe incite le modèle à aller plus loin, ce qui pousse les femmes à se livrer devant l’objectif jusqu’à en oublier leur réserve initiale? S’agit d’une forme d’emprise et de manipulation qui relèverait alors d’un trouble fusionnel de l’Institué?

Narcissisme piégé

Sans totalement tomber dans ce piège, Valérie Kaprisky s’est, comme un certain nombre d’actrices de cinéma débutantes, elle-même surexposée. On l’a vue nue à ses débuts dans les années 80, dans une nudité pas forcément glamour, mais plutôt provocatrice, agressive et « rentre-dedans ». « Elle ne s’était jamais sentie particulièrement exhibitionniste jusqu’à ce qu’on la désigne comme telle, » écrit Luc Le Vaillant dans Libération. Et si elle montre son corps, c’est pour exister. Elle se sentait « vide et creuse », à l’instar des autres adolescentes que j’ai mentionnées plus haut. Alors pour affirmer son identité, elle utilise ses atouts physiques avec une certaine violence, acceptant des rôles sulfureux d’allumeuse explosive, certains diront pour percer dans le métier, je me laisserai aller à penser que c’est moins calculé que cela. D’ailleurs quand elle reparle de son rôle dans la Femme publique, Valérie Kaprisky dit: « C’était une fille prise au piège du seul atout qu’elle avait: son corps. Il n’était pas question qu’elle séduise par sa sensibilité ou sa culture. Tout ça était absent ou immature. Alors, elle se mettait nue et elle dansait comme si elle avait voulu se défaire de ses chaînes, au risque de se mutiler physiquement. Mais plus elle essayait d’en sortir, plus elle s’embourbait. » On a l’impression qu’elle parle finalement d’elle dans cette période où elle n’arrive pas à stabiliser son Instituant et où ses #statuts tardent à apparaitre, la laissant désarmée dans un monde où elle cherche à exister. Pour ne pas imploser sous la pression sociale, elle va alors s’exhiber lors de scènes impudiques qui feront parler d’elles et d’elle. Incapable encore de réaliser ses statuts instables et ne se sentant réduite qu’à un corps, c’est par lui qu’elle va s’affirmer quitte à être ensuite prisonnière de cet état et de cette image de « femme publique » qui va longtemps lui coller aux basques. Il lui faudra de longues années loin des caméras pour sortir de ce piège identitaire que peut devenir le cinéma. Mais pendant ces années de tournage intenses, l’écran et le regard du public vont lui donner l’illusion de la consistance qu’elle cherche mais qu’il finira par trouver dans des rôles très éloignés de cette façade d’allumeuse impudique que l’industrie du cinéma s’est longtemps ingéniée à lui proposer.

Marilyn Monroe aura moins de chance. Gérard Bonnet lui consacre le 14ème chapitre de son ouvrage sur La Perversion avec un titre sans équivoque : « Marilyn dernières séances ou L’exhibitionnisme féminin au zénith ». L’actrice qui n’hésitait pas à se promener nue sur les plateaux de tournage, après des débuts dans la photo frivole, déclarait : « Le corps est fait pour être vu, pas pour être couvert ». Loin d’éluder les questions indiscrètes des journalistes sur les séances de tournage dénudé, elle blaguait en retour. Elle va ainsi se construire à travers l’écran et les mass médias une image, sans doute unique au monde, faite à la fois de sensualité sans détour et d’une aura presque mariale, une ambiguïté qui lui a permis d’accéder au comble de la notoriété, un paradoxe vertigineux quand on sait que l’ancienne pin-up n’a jamais réussi à stabiliser sa propre identité et qu’elle a comblé cette vacuité par tous les artifices que lui permettait Hollywood. 

Finalement la scène sera retournée en studio.

Le tournage de la scène du film Sept ans de réflexion où la robe de Marilyn vole au-dessus d’une bouche de métro à New-York montre bien comment la star se retrouve prise au piège : ce qui ne devait être que le tournage public d’une scène légèrement sexy devient le cadre d’une exhibition incontrôlée qui débouchera sur une scène de ménage à l’issue de laquelle le couple se séparera. Bien sûr, autre époque, autres moeurs, et la scène peut paraitre pudibonde de nos jours. Mais dans sa vie plus privée, Marilyn Monroe met autrement plus à mal la pudeur. Bonnet qui s’appuie lui-même sur un livre de Michel Schneider parle de « nudité compulsive », de « besoin de se déshabiller en public », pas obligatoirement devant une foule ou une caméra, mais devant « un homme rencontré dans la rue qui lui plaisait, un ancien ami venu lui rendre visite ». En analyse, l’actrice elle-même racontait et décortiquait volontiers ses rêves de nudité. On a donc affaire là dans un véritable symptôme. Ce qui fait dire à Bonnet : « Marilyn Monroe était une exhibitionniste, tout simplement. Une exhibitionniste géniale sans doute, mais qui cherchait par ce geste tant et tant de fois répété à dire ce qu’elle désirait au plus haut point, et qui ne se résumait pas à susciter l’envie ou les regards autour d’elle, mais à se servir de ces regards pour faire surgir ce qui la possédait et lui donnait une raison d’être… En jouant l’actrice et les identités multiples qu’on lui faisait endosser au fil des tournages, elle oscillait entre son côté psychotique et sa personnalité tourmentée. L’exhibitionnisme lui assurait l’assise nécessaire pour se situer au centre où elle gérait tant bien que mal une structure trop fragile.» 

Alors que l’exhibitionnisme masculin se manifeste en séquences paroxystiques, l’exhibitionnisme féminin ne serait-il pas moins impulsif, plus subtil et plus constant dans ses manifestations? Et de ce fait moins enclin à se faire pincer et condamner par la justice? J’ajouterais même qu’au contraire, le culte de l’apparence de nos sociétés conforte la personne perverse dans son trouble. « On s’exhibe dans l’espoir de pouvoir s’exprimer, et quand c’est impossible, c’est le sexe qui prime, sinon c’est la déprime à mort qui menace et qui gagne. » Quand elle est seule, Marilyn Monroe perd contenance et se drogue alors même qu’elle s’envisage autrement, en artiste par exemple. Mais la machine hollywoodienne ne lui laisse guère de choix d’autant que la psychanalyse américaine de l’époque ne lui sera que de peu de secours. L’instabilité sentimentale de Marilyn Monroe s’explique par son incapacité à donner sa position congrue à l’Autre, toujours impliquée qu’elle était dans un tourbillon fusionnel où finalement celui-ci n’est qu’un faire-être, comme il y a des faire-valoir : pour s’identifier, c’est à dire vivre l’état d’une identité, elle était contrainte à avoir recours à un raccourci dramatique, qui lui sera fatal, entre son corps et l’Autre. Elle s’est réduite elle-même à l’état de « bombe sensuelle », en médusant certains, scandalisant les autres, mais ne passant jamais inaperçue et jouant sur les bordures de la loi sans pour autant la remettre en cause. Mieux, Marilyn Monroe profitait de l’aspect officiel des évènements pour s’exhiber sans légalement enfreindre les convenances : qu’on se souvienne de l’ « happy birthday, Mr President! », qui, sous une apparence show bizness, n’en constitue pas moins un outrage à la pudeur à sa manière. Cette célèbre robe vendue pour plus de quatre millions de dollars parait cependant bien prude à côté de tenue nettement plus osée des stars actuelle qui rivalisent dans le chic-choc.

« A la différence de l’exhibitionnisme masculin qui s’articule autour du sexe, et donc d’une partie du corps, fût-elle privilégiée, l’exhibitionnisme féminin met en jeu le corps tout entier, il se situe dans une problématique de l’être (ou n’être pas), et non dans une problématique de l’avoir, » écrit Gérard Bonnet trop tributaire de la grammaire française à mon avis sur cette dernière question. Être ou avoir, c’est toujours une question d’appartenance ou de propriété dont il s’agit et les auxiliaires ne changent rien à l’affaire. En outre, réduire la version masculine du trouble à l’exposition de l’organe sexuel alors même que le corps entier de la femme serait en cause, c’est peut-être aller un peu vite en besogne. 

Ce sont les emblèmes de la sexualité qui sont en jeu. L’exhibitionniste peut les restreindre à son seul appareil génital ou les étendre à tous les muscles de son anatomie comme dans le culturisme par exemple. Le culturiste expose à la vue, non plus ses parties intimes que la loi lui interdit de faire voir en public mais la musculature hypertrophiée qu’il entretient et oint pour mieux hypnotiser les regards. La construction physique (littéralement body building) existe également en version féminine mais c’est le concours de beauté avec les miss qui est le véritable pendant vénusien de l’herculatitude. Convenez-en, il faut être un poil exhibitionniste pour se présenter sous toutes les coutures en maillot de bain, devant des dizaines, voire des millions d’yeux scrutateurs, parfois des objectifs et des caméras. La société qui réprouve l’exhibition sauvage exploite cette fragilité narcissique chez certains humains pour abreuver la soif de sensation et un certain voyeurisme dans le grand public. 

La limite entre le désir de plaire et l’impérieuse nécessité de s’exhiber est donc ténue et si on ne peut bien évidemment pas parler de pathologie dès qu’on évoque l’exhibitionnisme, il n’en reste pas moins que le trouble (qui, rappelons-le, signifie le pas-net) fusionnel n’est pas loin. Il n’est pas question de classifier en malade ou pas mais plutôt de questionner les tendances que des individus sains pourraient développer dans un environnement propice.

Dans cette optique, l’exhibition par webcam ou smartphone interposés offre une piste de recherche intéressante en ce que cette technologie permet l’anonymat et la distance, et par voie de conséquence la désinhibition. On a vu plus haut comment les hommes pouvaient s’en servir et il serait probablement riche d’enseignement de connaitre le mode d’utilisation de ces médias par les exhibitionnistes. 

Un tweet sinon rien…

Mais en l’absence de données précises, on ne peut que supposer que la médiation technique encourage l’exhibition, certes pas toujours à son point le plus ultime, mais à plus grande échelle. Les réseaux sociaux regorgent de faux profils où des jeunes filles aux noms exotiques ne rêvent que d’assouvir leur « brûlante envie de sexe » dans vos bras. Qu’est-ce qui motive ces jeunes filles à s’offrir ainsi à l’objectif? Un gain financier minime? Possible. Une promesse qui ne sera que très rarement tenue? Probable. Toujours est-il que via l’Internet, circule un nombre astronomique de ces vues plus ou moins érotiques ou pornos? Ce que sont les réelles motivations des modèles aiderait à cerner le phénomène? Sont-ce des selfies un peu extrêmes? Des Marilyn Monroe en herbe à qui l’objectif et la diffusion donnent un certain vertige identitaire, offrent une illusion d’exister? D’un autre côté, l’abondance du porno et son accès facile a-t-il désanctuarisé les organes génitaux au point que la plupart des personnes ne s’offusquent plus devant un exhibitionniste contraint face à leur indifférence ou leur moquerie à remballer ses bijoux de famille? 

Retour sur le porno

Il existe un porno dit « éthique » (je n’ai pas dit diététique) qui prétend respecter la Personne. C’est sans doute dans les coulisses de ce cinéma qui cherche à s’écarter du modèle économique dominant et prédateur qu’il faudrait chercher les motivations des acteurs.

La question de l’exhibitionnisme dans le cinéma porno amateur est assez complexe pour qu’il nous faille y revenir. Les acteurs mâles y tourne pour le plaisir qu’ils peuvent en tirer et éventuellement par exhibitionnisme puisque leur salaire n’est guère motivant (50 à 100 euros par film). Les actrices sont mieux payées payées (250 à 350 euros) et pour beaucoup d’entre elles, c’est la nécessité financière qui fait loi. Elles se présentent à la fois comme marchandise et négociantes. Cependant certaines, notamment celles qui souffrent de profonds problèmes d’identité, ne semblent pas subir leur sort marchand de la même manière et trouvent dans le film porno un moyen, sinon de se construire, au moins d’accéder à un certain #état, au sens où l’entend la théorie de la médiation, c’est à dire une situation dans l’identité. Certaines espèrent également se faire un nom. C’est bien sûr une illusion car la durée de vie d’une actrice dans ce milieu est courte et de ce qu’elle accepte dépend la longévité de sa carrière. Le rapport de force n’est jamais en leur faveur et pour une Clara Morgane, on compte des centaines de jeunes filles abusées à tous les niveaux. Cependant quels que soient les espoirs qu’elles mettent dans le rôle qu’elles endossent, qu’est-ce qui peut bien leur faire franchir le pas? Y a-t-il ce même impératif intérieur qui poussent les hommes à forcer une rencontre impossible? Certaines actrices ont des followers sur leur compte Twitter, des fans qui leur envoient des cadeaux. Elles obtiennent ainsi une reconnaissance surprenante.

Les acteurs pornos pensent-ils se montrer à leur avantage dans des postures pourtant embarrassantes pour la plupart d’entre nous pour peu qu’on nous observe?

Dans la prostitution, on vend son corps pour un usage privé. Dans le porno, on vend l’image de son corps sexualisé, mis en scène, et la simulation de la jouissance (quand il n’y a pas de plaisir chez la femme). Atteindre l’orgasme dans ces conditions nécessite sinon une familiarité avec la prise de vue ou une complicité avec l’objectif, du moins une certaine indifférence pas ordinaire au regard d’un tiers. Ou alors ce je-ne-sais-quoi que nous essayons de débusquer ici. Une envie irrépressible de se montrer quelque dégradante que puisse paraitre la situation, l’obscénité étant justement ce qui captera l’attention et la tiendra captive. 

Il n’est pas question de séduction, les préliminaires étant réduits la plupart du temps au strict minimum par les producteurs. Peut-on par conséquent envisager l’acte pornographique (dans sa dimension consentie) comme une exhibition assimilable à un attentat à la pudeur alors même que le public sera consentant? L’actrice entendrait alors capturer l’attention du spectateur fasciné comme un lapin dans les phares d’une voiture et lui imposer (en différé) une relation dont elle s’imagine maitriser la donne, une maitrise illusoire puisqu’elle ne peut ignorer que bon nombre d’internautes consomment à présent du porno pour se masturber et sont loin d’être pétrifiés.

Qu’est-ce qui peut bien pousser les actrices à flirter avec l’indécence dans des soirées dites « habillées » où elles savent pertinemment que plus elle se dévoileront plus les magazines people mettront leur image en avant? N’y a-t-il pas là une surenchère qui se rapprocherait de notre problématique?

Par ailleurs, y a-t-il, comme on peut le supposer en lisant les faits divers, des couples exhibitionnistes qui cherchent à se faire voir et pas seulement à pimenter leurs ébats par le risque d’être surpris? Les couples qui s’exhibent dans les peep shows ou les foires au sexe ne le font-ils que pour l’argent ou y a-t-il une dimension narcissique dans la publicité de leurs ébats? Y a-t-il chez tous les acteurs cette impérieuse nécessité de se faire voir à travers un prisme sous contrôle pour exister? Le personnage ne permet-il pas parfois au comédien de se montrer à nu tout en se voilant? Le besoin incompressible des « people » de faire parler d’eux à travers leur vie privé relève-t-il d’une problématique similaire? Y a-t-il un usage de la sidération dans la séduction érotique, une part d’exhibition au service d’une négociation plus ample et plus subtile?

Dans quelle mesure, la romancière Catherine Millet est-elle exhibitionniste lorsqu’elle narre ses propres relations sexuelles par le menu? Que penser de cette vague d’auto-fictions à caractère sexuel? Y a-t-il une littérature exhibitionniste (JJ Rousseau, Marcel Proust, Henry Miller, Klaus Kinski, Christine Angot, Gabriel Matzneff, Charles Bukowski)? Enfin peut-on parler d’exhibitionnisme pour des personnes qui exposent leur intimité sur les réseaux sociaux en dehors même de toute activité à caractère sexuel, ce « partage » étant motivé par l’unique besoin de montrer qu’elles existent? 

Beaucoup de questions mériteraient un traitement plus long et des enquêtes plus approfondies mais elles révèlent l’ampleur des explications que réclame le modèle médiationniste et l’immensité des aspects sociaux qu’il regroupe et permet d’appréhender sous le seul angle de l’axe taxinomique de l’Instituant, gage d’une heuristique foisonnante. Mon objectif n’est pas de pudiquement refermer le dossier mais que d’autres s’en emparent pour creuser dans ce sens. Peut-être certains l’ont-ils déjà fait comme le suggère la note de Jean-Michel Le Bot à la fin de l’article précédent.

Tout le reste est littérature. A la revoyure! Et c’est pas rien de le dire puisque je traiterai du voyeurisme.