P68 – L’homosexualité porte-t-elle bien son nom?

Nous abordons dans ce chapitre l’un des sujets les plus chauds auxquels la théorie de la médiation se trouve confrontée. Comme les questions du genre et de la transsexualité, l’homosexualité est en effet un sujet propice aux malentendus et qui par conséquent mérite une déconstruction plus rigoureuse pour passer du sexus au nexus, du coït à l’hymen, ou à sa répulsion.

Les troubles de la Personne : l’homosexualité P68

Tout d’abord, arrêtons-nous sur le terme de trouble. Je laisse la parole à Hubert Guyard qui lui-même prend des pincettes avant d’aborder le sujet dans un article que j’ai déjà maintes fois cité. « Le concept de pathologie, ou de trouble, à propos de l’homosexualité, mérite ici une précision. Ce concept désigne ici une particularité au regard du général – certains diraient, actuellement, une variante au sein de l’espèce –, au même titre que toute autre particularité, mais ne désigne en aucun cas une « anormalité », un « défaut à corriger », que ce soit sous l’aspect d’une déviation à conformer ou d’une souffrance à soulager. Brièvement, sous le concept de pathologie ou de trouble, repris à la tradition médicale, s’amalgament au moins trois réalités distinctes. La première, celle qui est concernée ici, désigne donc une spécificité par rapport au générique de l’espèce, une simple variation, de surcroît instructive pour la compréhension du général (la variation dissociant et exagérant ce qui est constitutif aussi du général). Cette spécificité est socialement et axiologiquement neutre. Par ailleurs, cette spécificité peut ou non constituer une singularité ou déviation, socialement instituée et négociée, par rapport à un usage. L’homosexualité peut ainsi, comme d’autres spécificités, selon les territoires, époques ou milieux, être plus ou moins socialement assumée et stigmatisée. Enfin, cette spécificité peut ou non faire préjudice, donner matière à souffrance, et donc à « thérapeutique », par rapport à un « bien-être ». L’homosexualité peut ainsi, comme d’autres spécificités là encore, selon les contextes, être « heureuse » ou « malheureuse ». Le concept précis défini ici ne recouvre, par ailleurs, que de façon partielle ce qui est usuellement désigné par le terme « homosexualité ». »

– Non, pas les urgences. Emmène-moi directement chez Didier Raoult!

La première remarque de Guyard est statistique: il y a moins d’homosexuels que d’hétéros, ce qui en fait une particularité comparée à un cas général, une minorité au sein d’une majorité, au même titre que les roux et les daltoniens. On ne s’arrêtera sur aucun chiffre, les critères des questionnaires n’étant à mon avis pas très fiables. En revanche, la notion de « variante au sein de l’espèce » me parait tout à fait remarquable. 

Je rappelle que l’espèce telle que l’entend la théorie de la médiation est la fonction supérieure qui associe un spécimen à un type, autrement dit la capacité d’engendrer naturellement, ce qui chez le mammifère résulte d’une union sexuelle, et donc d’une promiscuité indispensable à la fécondation. Cette spécificité de l’homosexualité ne contient aucun jugement de valeur, contrairement à la notion d’anormalité qui est une déviation de la norme, cette dernière étant arbitraire et en vigueur uniquement dans certaines civilisations ou dans certains milieux, sans beaucoup d’imagination, qui réduisent la sexualité, sinon à la fécondation à tous les coups, du moins à un simulacre de reproduction. Autrement dit, l’ordre naturel de l’espèce tend à la procréation : les pigeons ne se mettent pas en couple pour ne payer qu’un seul abonnement à Netflix. Leur union vise à la pérennité de la race des pigeons. S’il reste nécessaire à la fécondation (hors intervention médicale), l’accouplement humain est bien autre chose et offre de multiples variations qu’on qualifiera de culturelles. La sexualité humaine s’extrait de la simple pratique utilitaire de pérennité de l’espèce, le mariage peut d’ailleurs ne pas être consommé selon la formule consacrée. Je parlerai donc souvent d’orientation conjugale, plutôt que d’orientation sexuelle trop connotée libido, ou amoureuse trop marquée par le sentiment. 

– Toi, tu es allée faire un test PCR en cachette…

Nous laisserons également de côté les notions de jouissance et de désir qui relèvent d’un autre plan, le quatrième, qui n’est pas ici directement impliqué, même s’il peut jouer une part qu’il nous convient justement de définir afin de mieux l’écarter.

Je me permets de reproduire en annexe un long extrait d’un mail que Jean-Michel Le Bot avait eu la gentillesse de m’adresser il y a quelques mois et qui livre de nombreuses pistes de réflexion. Il pose la nécessité de la déconstruction du concept qui amalgame trop de phénomènes pour ne pas générer du brouillage dans l’heuristique. De par sa dénomination, l’homosexualité est souvent ramenée une simple pratique sexuelle alors que nous avons justement écarté la libido de nos investigations et que nous allons tenter de ne pas réduire la question homosexuelle à une trop réductrice histoire de coucherie, même si elle n’y échappe pas systématiquement.

Glissement progressif vers le nexus

Si elle résout radicalement le problème de la contraception, l’homosexualité n’est finalement qu’un cas particulier d’une sexualité acculturée qui se détache d’une finalité naturelle de procréation, exception faite de l’exemple très connu des singes bonobos (mais aussi des chimpanzés) qui font baisser les tensions internes par des rapports sexuels à finalité déplacée. 

Quand les luttes convergent… « Pride » un film chaudement recommandé par Jean-Claude Michéa et moi-même…

Dans une telle conception culturelle, Guyard constate que l’homosexualité peut parfaitement être heureuse au même titre qu’une hétérosexualité, ou tout autre forme de partenariat sexuel. Si elle est mal vécue, peut-être faudra-t-il avoir recours à la thérapie, non pour rectifier le tir et remettre le déviant dans le droit chemin, mais pour recadrer le concept et expliquer au patient en souffrance ce que signifie vraiment qu’être homosexuel. L’idée d’une sexualité contre-nature dont l’homosexualité est parfois taxée par ses opposants les plus véhéments n’est pas non plus dénuée de fondement dans le sens où aucun humain ne pratique une sexualité naturelle et quand bien même il y parviendrait, l’homme serait alors ravalé au rang de la bête. Or la monstruosité n’est jamais la bestialité brute et originelle mais une projection normative sur l’anomalie.

Dans un contexte mondial délicat où l’homosexualité est encore souvent stigmatisée et où le mouvement LGBTI+ se bat pour que le droit à une sexualité libre soit reconnue pour tout le monde, on mesure les susceptibilités que nous pouvons rencontrer, au niveau du vocabulaire notamment où les malentendus font rage. La théorie de la médiation range en effet l’homosexualité dans les perversions et donc dans les pathologies au même titre que le fétichisme, ce qui ne manquera pas de paraitre choquant et moralisateur à des lecteurs trop pressés. Il va donc falloir, comme le souligne Guyard, bien définir ce terme et peut-être même lui préférer celui d’homophilie pour bien signifier qu’il ne recouvre pas exactement ce que traditionnellement et parfois de manière caricaturale, on entend par homosexualité.

Les familles politiques et l’inceste: parlons-en…

Pour l’heure, dans le cadre du modèle médiationniste, revenons-en à la dualité naturelle des sexes : chez tout être humain pubère, la relation génésique mâle/femelle est ontologiquement niée au profit d’une discrimination entre positions, ce que Gagnepain appelait le notable, celui qui compte et peut donc être dénombré. L’Instituant opère une discrimination entre ceux avec lesquels je partage au moins un statut essentiel (et l’attribut correspondant en commun) et l’Autre qui, par contraste, n’appartient pas à mon clan (et avec lequel je ne partage pas l’attribut précédent). On aura reconnu ce que les anthropologues nomment l’inceste (pas en tant que passage à l’acte interdit mais d’abord comme faculté discriminatoire entre les pairs et les autres). La prohibition de l’inceste est donc la capacité spontanée d’écarter de nos partenaires éventuels les membres de notre famille. 

Et sur ce point, les critères divergent selon les sociétés. Les Chinois par exemple sont très réticents au mariage entre personnes portant le même nom de famille, quelle que soit l’éloignement dans la parenté : ils fétichisent en quelque sorte l’attribut patronymique, jusqu’à en tirer la preuve mythique d’une relation impossible. Le nom est alors l’attribut d’un statut unique qui rend l’union impossible.

Dans la plupart des civilisations (peut-être même toutes), c’est le degré dans les liens du sang ou de la parenté qui définit l’inceste : on ne couche pas avec ses ascendants ou ses descendants, ni avec ses frères et soeurs (sauf chez les pharaons), ni avec certains parents, beaux-parents ni avec les affins (parents par alliance), bref il se crée un réseau incestueux au fil de l’Histoire à l’intérieur duquel je ne peux pas adopter de partenaire. Il me faut sortir de ce cercle pour que mon union soit envisageable, aussi furtive soit-elle. La loi ne punira pas systématiquement la contravention incestueuse mais la réprobation sociale pèsera sur elle, parfois sous la forme d’un hypothétique châtiment divin. C’est par exemple parce qu’ils sont le fruit d’amours incestueuses que les enfants d’Oedipe et Jocaste sont voués à un destin tragique.

Dans Game of Thrones , l’inceste tend à être banalisé. La production invoque un problème de népotisme dans le casting mais le public en redemande.

L’inceste définit donc un groupe à l’intérieur duquel va peser une coercition conjugale et sexuelle, la répression d’une promiscuité trop intime : on vit sous le même toit mais pas dans le même lit. Ça pourrait techniquement se faire mais ça ne se fait pas: l’usage prohibe la relation entre parents (sauf époux) selon des degrés qui varient suivant les sociétés, les lieux et les époques. 

L’élection du partenaire ne repose plus exclusivement sur la discrimination génétique femme/homme, même si bien évidemment cet aspect technique n’est pas à négliger si on entend avoir des enfants. L’âge, l’ethnie, l’origine sociale et la religion peuvent y jouer un rôle déterminant mais variable selon les types de sociétés.

Aucune loi française ne réglemente à ma connaissance l’écart d’âge entre partenaires pourvu que les deux soient sexuellement majeurs et consentants. Cependant les cougars (dont le masculin serait « sugar daddy » non encore traduit) ont mauvaise réputation et font l’objet de moqueries graveleuses. Molière raillait déjà les barbons dragueurs, lui qui enfreignit avec les Béjart, mère et fille, l’usage de son époque. 

A la fin du XXème siècle, Woody Allen et Soon-Yi Previn ont défrayé la chronique: le cinéaste a en effet épousé sa fille adoptive par alliance à ses 21 ans. Rien d’illégal, aucun lien de sang, Allen a adopté sa belle-fille de fait en épousant la mère adoptive de celle-ci, mais 35 ans les séparent et la tradition fait le reste.

On observe donc que l’habitude favorise plutôt les épousailles au sein d’une même génération, une tendance « intragénérationnelle » et centripète qu’on retrouvera à l’intérieur de certaines couches de la société. Chez les aristocrates et les bourgeois, le mariage est une affaire familiale, l’union de deux familles bien nées (c’est à dire de la même caste) avant d’être l’institutionnalisation d’une histoire d’amour. Ce qui n’empêchait nullement les incartades ancillaires des maitres avec les femmes de chambre (les fameuses soubrettes) ou plus rarement des femmes du monde avec leurs jardiniers (l’Amant de Lady Chatterley fit scandale). Le corps naturel exulte par delà les barrières sociales que posent l’institution : on peut même dire qu’il s’en fout. Tant qu’il s’agit de galipette, on se mélange. Quand le patrimoine est en jeu, l’inceste de classe reprend ses droits.

Si les contrastes sociaux sont plus fluctuants et poreux que pour l’inceste proprement dit, la coercition sociale s’exerce malgré tout sur une discrimination préalable bien nette : on en est ou pas. Le notable fait aussi bien classe que famille et dans les sociétés ouvertement racistes, la barrière ethnique était sinon infranchissable, du moins très dissuasive. Si les esclavagistes américains ont fait naitre des générations de métis, le mariage interracial aux États-Unis n’a été que très progressivement et parfois très tardivement (1967) légalisé. Ces unions inter-ethniques n’atteignent cependant pas 20% des mariages: ce n’est pas en effet parce qu’un acte est permis que la pratique en devient courante, voire dominante. Les mariages mixtes restent minoritaires, partout dans le monde.

Enfin la religion joue un rôle discriminant important. Le judaïsme par exemple n’encourage pas les mariages entre juifs et goyim mais ne fait rien d’institutionnel pour les empêcher. Cependant l’exogamie va à l’encontre de la judéité qui ne facilite pas non plus les conversions qui restent peu nombreuses et compliquées. Le principe de filiation matrilinéaire demeure déterminant dans l’identité juive : est juive toute personne née d’une mère juive. Dans la Halakha (la loi juive), les enfants dont le père est juif mais dont la mère ne l’est pas ne sont pas dans ce cadre considérés comme juifs. Cependant le statut de juif peut s’acquérir par conversion. Ainsi, la transmission du judaïsme passe-t-elle par la filiation ou par l’adhésion, mais celle-ci fait l’objet d’un examen pointilleux qui n’aboutit pas toujours, loin s’en faut, ce qui est assez logique : on ne peut pas faire son entrée chez le peuple élu comme dans un club échangiste. La chrétienté et l’islam sont beaucoup plus permissifs et prosélytes sur le plan des conversions mais tout aussi regardants sur la question des mariages inter-religieux.

Bon, là, la réunion a un peu dérapé…

Pour les nazis, épouser une juive ou un juif était interdit au nom de la pureté de la race par la loi de protection du sang et de l’honneur allemands dans les lois dites de Nuremberg de 1935. Mais en dehors du cercle aryen, les nazis, s’ils n’encourageaient pas la prolifération des Untermenschen (sous-hommes), ne se préoccupaient pas autant des unions entre non-aryens. En revanche, ils pratiquaient une politique nataliste en faveur de la germanité qui n’excluait pas la bigamie mais réprimaient très durement l’homosexualité entre aryens, ou même entre non-aryens. Le narrateur de Les Bienveillantes, un SS en plein cœur du Reich, doit ainsi dissimuler son orientation sexuelle sous peine de sanction sévère de ses propres pairs. Les homosexuels furent déportés par le régime nazi en tant que dégénérés, ce qui équivalait à faire une tare naturelle de cette particularité culturelle, une conception peu surprenante de la part d’une idéologie qui prônait le retour à un mode vie carrément rustaud et à une sexualité au service d’une politique nataliste. 

Dans 80 pays au moins, l’homosexualité reste interdite sous des motifs équivalents. La fonction procréatrice de l’acte sexuel et du couple en général y est la norme naturelle et donc inviolable, souvent confortée par la religion d’État. L’inverti (celui qui commet l’inversion) retourne donc une loi de la nature (et donc divine) qui voudrait que la reproduction sexuée soit au coeur de la relation homme-femme comme elle l’est pour les animaux de la (pro)création entre mâle et femelle, exception faite de comportements homoérotiques chez certains animaux qui restent malgré tout marginaux. Il serait d’ailleurs vain d’aller chercher dans la nature une justification qui tendrait à réduire ce que nous appellerons bientôt l’homophilie à son caractère libidinal et purement sexuel.

Oh ben, non !

L’humain échappe en effet au simple duo naturel mâle/femelle et définit structuralement des possibles avec lesquels une relation charnelle, amoureuse ou maritale est envisageable. Ces unités ontologiques concentrent un certain nombre de statuts où l’opposition sexuée n’occupe pas obligatoirement une place dominante. Elle joue toutefois un rôle important dans les relations sexuelles alors que l’ethnie, l’âge ou la classe sociale peuvent passer au second plan au cours de l’acte lui-même.

La loi de l’inceste instaure donc de la répulsion avec le trop semblable, celui dont la proximité génétique ou parfois adoptive est trop importante. C’est parce qu’il m’est trop proche que le parent ne peut devenir mon conjoint. Alors qu’on vit parfois dans une proximité familiale propice au coït, spontanément, je repousse le membre de ma famille avec lequel l’affinité est pourtant forte. C’est justement parce que je suis trop proche de lui que je ne peux pas épouser mon parent, c’est parce qu’il est trop moi que je ne peux pas me conjuguer avec mon semblable. Le sens de l’inceste me permet ainsi de gérer le câlin (ou l’accolade plus virile) et l’étreinte.

Alors qu’il est irrésistiblement attiré par l’amie de sa fille, le héros d’American Beauty, pourtant redevenu célibataire, renonce à concrétiser charnellement cette attraction malgré l’occasion qui lui en est donnée par la jeune fille elle-même. Peut-on voir là un déplacement de la prohibition de l’inceste comme celle qui opère dans les familles recomposées?

L’instance instituante pose donc des contrastes entre groupes d’appartenance (familles, générations, sexes, classes, ethnies). Ces analyses se recoupent, ce qui multiplie les statuts à se regrouper au sein des unités déterminées par contrastes mais aussi les répulsions possibles. J’illustre : moi, mâle de type caucasien, 57 ans (génération X), membre de la famille Martin de Rennes (même si j’ai déménagé pas mal) et de CSP intermédiaire (même si j’ai tendance à être de plus en plus précaire et déclassé), je ne suis ni femme, ni hermaphrodite, ni asexué, ni de couleur, ni baby boomer, ni de la génération Y ou Z, ni bourgeois, ni prolétaire, ni chômeur, ni CSP+, ni… ni.. et encore ni… Sur un plan ethnique et structural, je me définis donc négativement par tout un tas de contrastes. 

A ce stade où on en arrive à mon orientation conjugale: je tiens à rassurer mon épouse que je compte parmi mes lectrices, que je ne ME prends pour exemple que pour éviter les complications. Nous restons dans le domaine spéculatif et ma fidélité lui est toute acquise. 

Je suis assez facile à repérer…

Si ethniquement, je dresse des barrières, politiquement, je les franchis dans le cadre d’une quête de partenaire(s) parce que je ne suis pas particulièrement endogame. Autrement dit, je ne suis pas particulièrement à la recherche de semblables dans mes fréquentations, même si comme tout le monde, je suis en quête de complicité. J’adresse donc la parole à tout un chacun si tant est que nous nous trouvions un idiome commun. Sur un plan plus intime, le panel de mes possibles se réduit un peu plus encore : femme hétéro ou bi (sauf mes filles, ma belle-mère et Maman n’est plus de ce monde, mes belles-filles, mes cousines,  mon ex-femme (parce que quand même…) génération X (voire boomeuse en état de marche ou Y aventurière), ni passeport, ni CV, ni pass sanitaire requis. Mais peu importe mes choix finalement, ce qui compte c’est qu’on choisisse parmi des positions préalablement définies. On ne se jette pas sur ce qui passe. On cerne l’Autre avant d’éventuellement jeter son dévolu sur lui.

Sauf inceste ou blocage identitaire, la majorité des humains vont ainsi aller chercher en dehors de leur famille ou de leur clan leur partenaire conjugal et/ou sexuel. Sauf racisme revendiqué et hors viol, la majorité des humains sera, sinon porté sur, du moins pas opposé à un rapport ou un mariage interracial. Certains hésiteront à franchir le pas de la trop grande différence d’âge et de toute façon, la loi est là pour rappeler aux adultes que le détournement de mineurs est un délit pénal passible d’emprisonnement et d’amende.

Dans My Beautiful Laundrette, le couple d’amoureux doit affronter le racisme, l’homophobie et la lutte des classes: ça fait beaucoup.

Quant à la question de la différence sociale ou religieuse, elle ne posera guère de problème dans l’étreinte mais pourra se révéler difficile à assumer familialement et socialement. La conscience de classe telle que la pratique la bourgeoisie par exemple me parait relever du même processus endogamique et de nombreuses communautés la vivent plus ou moins implicitement avec plus ou moins de violence dans le rejet de l’intrus : revoir Roméo et Juliette, West Side Story, La Dentelière, My Beautiful Laundrette ou Grease (chassez l’intrus!). On n’est pas toujours le bienvenu dans sa belle-famille. Ecartez le milieu social lors des fiançailles et vous seriez surpris par les couples à se former « dans le noir ».

J’ai tenté jusqu’à présent d’expliquer comment l’Instituant structure la société des humains en y imposant spontanément une grille discriminatoire qui l’abstrait de la partition naturelle de l’espèce. L’Instituant donne le « là », et le « pas là » social selon des critères qui ne relèvent pas de la dualité sexuelle. Se constitue ainsi un réservoir virtuel de possibles pour la quête de partenariat politique. J’emploie à dessein un vocabulaire qui semble nous éloigner dangereusement de notre point de départ mais je ne m’égare pas. D’après le modèle médiationiste, il me parait possible d’avancer que la question homosexuelle prend racine dans une discrimination assumée au même titre que l’endogamie aristocrate ou judaïque, les mariages arrangés chez les bourgeois, la politique raciale nazie, le communautarisme ethnique ou même l’obsession de Dominique à se trouver quelqu’un de bien né, c’est à dire venu au monde avec un thème astral identique au sien. On est donc très loin d’une question uniquement sexuelle, même si, dans les faits, l’amour physique a tendance à éblouir l’observateur et à focaliser son attention sur l’apparent qui l’émoustille ou le révulse. 

Le chapitre prochain se penchera sur la question de la complicité homophile.

C’est pourquoi avec Jean-Michel Le Bot, je parlerai plutôt dans les chapitres à venir d’homophilie pour désigner la tendance autolytique à rechercher un partenaire gémellaire chez les homosexuels, qu’ils soient pratiquants ou non, puisque vous commencez à le comprendre le volet désir est ici une question liée mais pas centrale. On n’est pas homophile parce qu’on a envie de faire l’amour avec un corps semblable au sien mais parce qu’ethniquement, on repousse sans retour possible l’être qui n’est pas « là » et qu’on choisit par conséquent son partenaire au sein de son propre « sexe social ». C’est ainsi qu’il faut comprendre la formulation de Guyard: « La démarche de l’homosexuel a une partie visible, le choix d’un partenaire du même sexe que lui ; elle a une partie cachée, l’éviction de tout partenaire du sexe opposé. Or, c’est de ce côté, que nous pensons pouvoir saisir cette répression implicite de la promiscuité envisagée plus haut. N’importe quel homme sauf une femme ; l’homosexuel positive le principe social de discrimination en le dissociant de la dualité naturelle des sexes. Se trouve ainsi hypostasiée la complicité entre partenaires, sous toutes ses formes. » L’homophile pratique une ségrégation qu’il ne dépasse pas dialectiquement dans la rencontre politique, au gré des opportunités. Il reste dans sa communauté instituante quelque soit le critère de discrimination. C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’idée d’hypostase, principe premier que le réinvestissement expérimental ne vient pas contredire.

A suivre…

Il n’est d’ailleurs pas anodin que Max Aue, le SS homosexuel de Les Bienveillantes soit également fou amoureux de sa propre soeur jumelle avec laquelle il s’est livré à des jeux érotiques dans son adolescence qui ont très probablement donné naissance à des jumeaux. Ses amours sont toujours en quelque sorte incestueuses et il ne peut s’associer qu’avec son « connexe », à l’intérieur de sa propre communauté. L’auteur Jonathan Littell a-t-il eu pleine conscience de cela en écrivant son roman à trois étages? Sans doute car il a lu Les Météores de Michel Tournier qui explore les mêmes motifs psycho-littéraires.

L’entre-soi est par conséquent au coeur de la problématique telle que la théorie de la médiation nous semble la présenter. Il me parait possible d’affirmer que l’homosexualité n’est qu’un des aspects de cet entre-soi entretenu : l’homophilie est une perversion qui déroge à la tendance dialectique majoritaire. Les homophiles cultivent, parfois à leur insu, les relations réflexives. Ce n’est pas en soi une perversion mais l’exclusivité de ce type de relation le devient. On y reviendra.

Tout le reste est littérature, et j’en ai à compulser ! A la revoyure !

Pour aller plus loin:

Avec l’aimable accord de Jean-Michel Le Bot qui tient à préciser que son intervention n’est pas la vérité. C’est, à ce stade, une réflexion et comme il le dit à la fin une invitation à interroger l’unité de ce qu’on désigne par homosexualité.

« Il se trouve que je viens de lire le livre Sodoma (2019) de Frédéric Martel sur l’homosexualité au Vatican. Martel est un militant gay déclaré, depuis au moins son livre Le rose et le noir en 1996. Sa perspective n’est certainement pas celle de la TDM. Et il n’apprécierait sans doute pas que la TDM « continue » à faire de l’homosexualité une perversion. Mais justement, à mon avis, il y a *des* homosexualités, les unes perverses, les autres psychotiques, les autres encore névrotiques voire psychopathiques, d’autres aussi peut-être « normales » (de même qu’il y a aussi *des* hétérosexualités: névrotiques, perverses, etc.). On ne peut pas « positiver » l’homosexualité à partir de quelque chose comme « avoir une préférence sexuelle pour des personnes de même sexe » comme on ne peut pas positiver l’aphasie à partir de quelque chose comme « un manque de mot ». Il faut dépasser le manifeste pour s’intéresser à la structure sous-jacente. Martel à partir de son enquête dans les milieux du Vatican ne peut d’ailleurs faire autrement au final que de dégager une sorte de typologie, dans laquelle on retrouve assez bien les cas cliniques possibles de la TDM. 1° Il y a les « homophiles » mais aussi certaines homosexuels « pratiquants », qui sont plutôt sur le versant de l’instituant, côté autolytique. C’est l' »amour d’amitié’, comme on disait à une époque. On ne peut pas exclure d’ailleurs que Martel ne range ici des gens qui sont plutôt fétichistes (les soutanes, les rochets de dentelle blanche, etc.). 2° Il y a les suborneurs, pédophiles ou non, qui sont toujours sur le versant instituant, mais du côté fusionnel (le don-juanisme de Gagnepain). Que ce soient des hommes qui subornent des garçons ou des adolescents mâles n’en fait pas moins des profils différents de 1°. 3° Il y a d’authentiques sadiques. Dans le livre de Martel il me semble qu’on en trouve un, le fameux Marcial Maciel, fondateur au Mexique des Légionnaires du Christ. 4° Mais il y a peut-être aussi quelques névrosés, prisonniers de leurs voeux de célibat, qui vont à un moment ou l’autre céder à la tentation (avec des garçons ou des hommes, puisque les occasions sont plus fréquentes) et culpabiliser à mort. 5° Dans d’autres milieux (prisons, navires autrefois) on trouve peut-être aussi des psychopathes qui supportent mal la frustration et fautes de grives, si j’ose dire, vont manger des merles (le codétenu timide, le mousse). Cf. la phrase attribuée à Churchill quand on lui parlait des traditions de la Royal Navy: « quelles traditions? Le rhum, la sodomie et le fouet? ». Tout cela invite à déconstruire sérieusement l’unité de l’homosexualité et sa prétendue « communauté » gay, etc. »