S7 – Rien ne colle dans ce monde de verbe

Certains auront peut-être l’impression que l’on piétine. Ce n’est pas tout à fait exact : on progresse à petit pas car la pente est raide. Il est aussi essentiel que difficile de bien saisir le fossé qui sépare la structure de l’expérience : la compréhension du processus dialectique et structural en dépend.

le plan du signe S7

Vous avez remarqué que j’utilise le terme Signification pour désigner le mouvement d’abstraction de la dialectique et non plus pour signifier sens, d’où cette majuscule justement significative. Bien joué ! La Signification est l’accès au vide structural qu’est la #Grammaire. Tâchez de mettre de côté celle que vous avez apprise à l’école qui n’est qu’une institution linguistique normative : le manuel du bien parler, un code syntaxique bien mal fagoté pour enfants sages. Pour la théorie de la médiation, la Grammaire est le traitement par le vide du Symbole. Je vous résume tout ça dans un tableau.

Je parle à ce niveau de capacités et de valeurs relatives, pas d’éléments positifs et de contenus circonstanciels. C’est sans doute ce qu’il y a de plus difficile à garder en tête : Signifiant et Signifié forment un jeu de frontières en tension. Ce que nous observons, ce sont leurs effets dans le prononcé et l’énoncé parce que tout ça a beau être virtuel, faut que ça s’exprime quelque part. Et c’est d’ailleurs parce que ça s’inscrit quelque part qu’on peut prétendre que ça existe.

Un mot justement sur le phonème qui apparait dans ce tableau et qu’on confond souvent avec l’épel qu’on prononce et entend, et un autre sur le Mot qu’on confond avec ce que nous appellerons le vocable qu’on conçoit et comprend. 

Ces deux unités, phonème et Mot, sont des programmes génératifs : ils définissent des positions (occupées ou pas) sur lesquelles se distribuent les identités en nombre variable. Ce sont des unités parce qu’elles résistent à la diversité des fragments qui les composent et à la pluralité des positions qu’elles définissent. Ces unités intègrent des partiels et définissent du contraste entre elles.

Sur un phonème, se distribue une diversité de traits pertinents. Si je fais la différence entre /p/ et /b/, c’est parce qu’une opposition phonologique attestée par les oppositions pas/bas, pot/beau, paix/baie, appât/abat, pope/bob sont constatables dans le Signifié. Cette opposition phonologique se traduit dans la bouche par la vibration ou non des cordes vocales : b est un peu plus sonore que p. Mais p et b partagent toutes les autres oppositions avec le reste des phonèmes du français: voyelle/consonne, occlusive/contrictive, orale/nasale, bi-labiale/etc… Toutes ces oppositions s’agglutinent simultanément (comme par miracle) sur un seul phonème et se désolidarisent tout aussi instantanément pour se combiner autrement aussitôt après. On entend pourtant des effets de Signifiant distincts qui permettent d’épeler phonétiquement les mots. On sait où ça s’arrête et où ça reprend. En même temps, on sait quand c’est ça ou pas.

Fort heureusement, nous ne sommes que très moyennement conscients de tout ce qui se trame sous notre palais… ce ne sont là que les effets de nos aptitudes phonologiques et pas encore sémiologiques. Nous n’avons que rarement à les gérer volontairement, notamment pour apprendre une langue étrangère. Ce qui nous réclame pas mal d’effort.

Après la chaine (phonologique donc), passons au Texte (sémiologique). Notre principal ennemi pour le découpage en Mots est le mot ortho-graphié. D’ailleurs vous voyez bien que mot et texte nous renvoient culturellement à de l’écrit si on n’y prend pas garde. Cela répond à une logique qui n’est pas celle de la Grammaire et peut conduire à des biais cognitifs. Chaque langue a développé ses particularismes historiques : la langue française a une longue tradition écrite. Elle est truffée d’espaces trompeurs et de coupes abusives qu’on n’entend d’ailleurs pas toujours à l’oral.

Découper le dit en Mots exige donc de ne pas tenir compte de cette manière d’écrire éclatée : le Mot assure une cohésion qu’on essaye de lui restituer dans les transcriptions sémiologiques: le-poisson // rouge // nage // dans-le-bocal. Le latin n’en n’aurait d’ailleurs fait que quatre mots écrits : les déclinaisons sont de l’information agglutinée en fin de mot (genre, nombre, cas). En français, aux concentre par imbrication les marques des sèmes PRÉPOSITION + DÉTERMINANT + DÉFINI+ MASCULIN et FÉMININ + PLURIEL en un seul petit fragment de Mot qu’on peut toujours essayer de saucissonner.

Le mot complet dont aux n’est qu’un fragment est en fait Aux-NOM PLURIEL ou plus précisément PRÉPOSITION-DÉTERMINANT-NOYAU NOMINAL. CONJONCTION-PRONOM-NOYAU VERBAL-TERMINAISON est celui du Mot verbal. On verra plus tard comment la syntaxe bloque l’occupation de certaines positions qui restent vacantes et font que les Mots sont souvent « tronqués ».

Cette majuscule à Mot ne vous surprend donc plus. Sa définition en glossologie n’est pas évidente du tout. Pire !  Comme on vient de le voir, l’évidence de la discontinuité graphique à laquelle on est habitué fausse la donne. Pour prendre un autre exemple, contrairement à lui, le pronom il n’est qu’un fragment du verbe: il-vient. Il n’a pas d’existence autonome. En Italien, comme en latin, les informations que contient le pronom sont intégrées au verbe par la terminaison: vengo, vieni, viene. Pas en français, je-viens, tu-viens, il-vient, elle-vient, on-vient. Oubliez l’orthographe qui ne s’entend pas. 

De même, les cas latins génitif, datif et ablatif (domini, domino, domino) nécessitent des prépositions et des déterminants en français (du maitre, au maitre, du maitre) et dans les langues sans cas (of the master ou the master’s, to the master, from the master). 

En sanskrit, les cas sont au nombre de huit : le nominatif, l’accusatif, l’instrumental, le datif, l’ablatif, le génitif, le locatif, le vocatif. Ça peut paraitre compliqué mais on évite ainsi toutes les embrouilles dues à de et à en français.

Par cette majuscule à Mot, je signale donc cette différence importante mais je ne me lancerai pas dans un décorticage approfondi de ce concept aujourd’hui. Remarquons toutefois que le Mot impose un ordre aux fragments et que les partiels apparaissent à une place précise dans le Texte: Je-te-le-fais- réchauffer. J’en reparlerai avec la morphologie.

Retenons-en simplement que le Mot et le phonème sont des matrices, des principes segmentaux qui engendrent le dénombrement et permettent la combinatoire : une fois découpé le saucisson, l’andouille et la mortadelle en tranches, vous pouvez procéder à leur combinaison dans l’assiette pour faire une jolie présentation. Et parce que vous opposez les trois, vous pouvez choisir lequel va où. Le choix résulte de la différenciation. C’est elle qui le rend possible.

La Grammaire est donc une instance autogérée qui répond à ses propres règles, mais pas totalement close sur elle-même puisqu’il y a un réinvestissement. Jean-Yves Urien parle d’endocentrisme : tendance à se replier sur soi.

Il est difficile de ne pas objectiver les identités et de ne pas donner de la substance aux programmes, sans compter qu’il est impossible de concevoir tout cela hors d’une langue donnée. Et justement la comparaison est une chance pour mieux saisir le principe grammatical.

Tout le reste est littérature. A la revoyure !

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