le plan de la norme N5
L’interdit entraine l’insatisfaction d’une envie, même en l’absence de pénurie. C’est même essentiel. Le manque n’est pas imposé par le contexte: il s’impose de lui-même sans coercition externe.
Dans la foule, je suis entouré de femmes et je m’interdis de leur caresser les fesses. A la crèmerie, je ne déclenche pas de bataille de chèvres frais. Même seul, je ne mange pas (ou plus) mes crottes de nez. La frustration de mon désir peut à la longue engendrer un manque mais cette abstinence face à mes pulsions, un peu frustres il faut l’avouer, m’évite de m’exposer à la culpabilité et aux remords. Pour ce qui est des baffes, c’est une autre histoire.
Je pourrais satisfaire mon désir si je n’écoutais que lui mais je m’inflige une restriction qui se traduit par la négation du plaisir immédiat. Ce traitement est la plupart du temps implicite et je n’en ai pas conscience. Mais parfois, c’est un choix délibéré, uniquement motivé par ma volonté. Par exemple, en jeûnant, je m’empêche de manger alors que j’ai faim. Je m’interdis toute nourriture et je m’impose un manque au nom d’un principe que ne pourrait pas avoir l’animal. L’animal qui jeûne y est toujours contraint par des déterminismes qui lui échappent. Le gréviste de la faim contrôle son appétit et ne répond qu’à une détermination intérieure.
Mais la frustration qu’occasionne ce renoncement à la jouissance directe trouve son contrepoint chez l’humain dans la permission sublimée que ce contrôle du désir permet. Certes, je renonce à jouir (ici satisfaire mon appétit) mais je m’autorise un autre plaisir qui, pour le coup, peut paraitre un peu tordu pour certains mais qui permet d’accéder à la liberté, comprise éthiquement comme l’indépendance vis à vis de l’envie ou comme une régulation de la satisfaction.
Ce principe de noloir est spontané chez l’humain sans pour autant être naturel puisque l’animal n’y a pas accès. L’homme s’abstient pour le simple fait de se priver et expie pour ce qu’il n’a même pas obtenu. Mais ce contrôle sur lui-même, s’il peut sembler gratuit et absurde, garantit à l’être humain les chemins de la liberté. Excusez-moi d’être un peu lyrique mais c’est là un des points les plus intéressants de la théorie de la médiation pour ce qui touche à la vie quotidienne. Comme il est nécessaire de penser Réglementant et Réglementé en termes d’#immanenceQualité de ce qui a son principe en soi-même. Elle s'oppose à la transcendance qui est le caractère de ce qui trouve son principe dans une cause extérieure. More, une frontière d’un côté se justifie par une frontière de l’autre: la Norme trouve son principe en elle-même.
Ni introjection du surmoi ni coercition sociale dans l’axiologie médiationniste. Elle ne va pas chercher de déterminisme extérieur ni même intériorisé pour justifier la régulation. La Norme est immanente à l’esprit humain. L’interdit est à la mesure de ce qu’il permet et la permission est à l’aune de l’interdit qui s’impose. Ce qui se régule côté Réglementant de la Norme trouve son correspondant dans le Réglementé sous la forme du Titre: celui-ci est ce à quoi le Gage autorise et le garant est ce par quoi advient le congé (congédier, c’est autoriser à disposer de soi). Ce à quoi on a droit côté titre et ce qui donne ce droit côté gage.
C’est pourquoi nous préférons parler de restriction car le revers de l’interdit, c’est le permis. Il n’y a pas de blocage complet mais un filtrage, Gagnepain propose le terme de déflexion pour exprimer cette idée de détournement de la pulsion jusqu’à la rendre méconnaissable. La vertu n’a souvent plus beaucoup à voir avec ce qui la motive profondément. Mais c’est là une question morale sur laquelle nous reviendrons.
Tout le reste est littérature! A la revoyure!