C11- Les objections cyniques d’un libéral pur jus

Il est évident qu’un projet révolutionnaire et communiste comme celui de Réseau Salariat ne peut que provoquer une levée de boucliers chez les bourgeois. Résococo donne donc la parole à l’un de ses représentants aussi libéral que cynique.

Résolument communistes – C11

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Si j’ai bien compris, votre Bernard Friot entend offrir un salaire à tout citoyen en âge de décider de ne rien faire  ?

RÉSOCOCO.- C’est exactement ça. Friot n’a pas tranché sur les montants exacts mais son calcul est simple  : il prend le PIB (la valeur ajoutée à l’échelle nationale), il le divise par le nombre de salariés et il obtient un salaire annuel. Libre à chacun ensuite de finir ses jours en faisant des châteaux de sable sur la plage ou en travaillant dans la métallurgie. 

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Je peux d’ores et déjà vous annoncer que les plages vont être surpeuplées et qu’il n’y aura plus personne dans les hauts-fourneaux. 

RÉSOCOCO.- C’est un pari anthropologique que l’on fait parce que nous pensons que c’est humainement impossible d’être inactif et inutile. Même les plantes ne le peuvent pas. Je vous invite à aller lire ce qu’en dit la théorie de la médiation. Nous parlons de dette sociale à ce sujet. Il ne faut d’ailleurs pas confondre improductif et inactif. Dans la société capitaliste, l’improductif est inactif parce qu’il ne participe pas à la valorisation du capital. Le prof n’y est productif que s’il est formateur des futurs producteurs. Dans cette même logique et malgré toutes ses activités, la mère de famille au foyer est considérée comme inactive.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Elle touche tout de même des aides, non ?

RÉSOCOCO.- Oui mais statutairement parce qu’elle est sans emploi reconnu comme tel, elle est sans salaire et donc improductive et inutile au capital, alors même que son rôle est primordial.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- On ne peut tout de même pas lui verser un salaire parce qu’elle élève des mômes et fait son ménage ?

RÉSOCOCO.- Et pourquoi pas ? C’était même l’idée de base des allocations familiales : un salaire pour s’occuper des enfants, ce qui n’est pas une mince affaire et qui se partage au sein du couple ou de la famille.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Soit… mais un salaire à vie sans contrepartie, c’est la porte ouverte à l’oisiveté. Pourquoi se lever pour aller travailler alors que la salaire tombe de toutes façons ?

RÉSOCOCO.- C’est une vraie question déontologique. Mais selon la théorie de la médiation, l’humain hérite à l’âge adulte d’une dette sociale. Ce n’est pas être benoîtement optimiste mais vous le constaterez vous-même, la personne tend à rendre un service qu’on lui a offert dans une sorte de mouvement perpétuel. L’humain n’est pas spontanément nuisible ni végétatif. Vous-même, bien qu’opposé à mes idées, vous m’accordez ici un minimum d’attention du simple fait que je suis un être humain.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- On ne va tout de même pas flinguer ou ignorer tous les gens qui ne pensent pas comme nous. Ce serait se condamner à l’autisme.

RÉSOCOCO.- Vous avez tout à fait raison. Nous interagissons forcément dans l’espace social. D’ailleurs un libéral comme vous ne contestera pas l’existence du marché qui fonctionne sur le même principe. L’échange y est spontané.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Oui, enfin… vous connaissez l’adage… vices privés, vertus publiques. Selon le libéralisme, c’est la nécessité qui fait agir les acteurs du marché, la nécessité et le désir de profit. Avec un salaire assuré, je vous mets mon billet que du jour au lendemain, personne ne fout plus rien.

RÉSOCOCO.- Ce qui serait ennuyeux. Je vous le concède, toucher un salaire pour ne rien avoir à acheter, c’est ballot. Mais je ne partage pas votre vision d’un être humain spontanément partisan du moindre effort et enclin à la paresse. Naturellement peut-être… parce que le socle éthologique qui est en nous vise à la satisfaction sinon immédiate, du moins pas éternellement différée. Mais la motivation humaine a bien d’autres ressorts que le plaisir animal, la satiété ou le bien-être. Notre besoin de reconnaissance nous oblige, au sens où noblesse oblige. 

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Vous essayez de me faire croire que l’homme n’est pas fondamentalement individualiste, égoïste et cupide ?

RÉSOCOCO.- Oui. Mais vous fonctionnez sur un vieux logiciel hérité de Mandeville. Vos économistes n’ont qu’une piètre opinion de l’humain et vos bourgeois capitalistes ont bâti un monde invivable pour la plupart d’entre nous… et sans doute très prochainement pour nous tous, si on les laisse faire.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Vous oubliez tous les progrès techniques, scientifiques et démocratiques que mon capitalisme, comme vous dites, a suscités.

RÉSOCOCO.- Les Soviétiques n’ont pas été en reste sur les deux premiers points. Et la démocratie comme vous la concevez se discute. 

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Vous n’allez pas me dire que Staline…

RÉSOCOCO.-Non. Et arrêtez de nous emmerder avec Staline. Ce n’est un modèle pour personne et le soviétisme est un capitalisme productiviste d’État. On est très loin de ce que nous proposons ici. Nous n’avons pas l’intention de remplacer les requins libéraux par des bureaucrates prédateurs. L’idée, c’est de donner le pouvoir à ceux qui produisent, le pouvoir de décider qui produit quoi et comment.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Ça ne marchera jamais. Il nous faut des chefs, des dirigeants politiques, des capitaines d’industrie…

RÉSOCOCO.- Des chefs de service autoritaires, des sous-fifres revanchards, des contremaitres mal lunés, des premiers de cordée bourrés de coke, des mandarins infatués, des caciques de partis, des notables ventripotents, des Mozart de la finance qui jouent du pipeau, on en a un peu soupé si vous voulez mon avis.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Ne faites pas l’enfant, vous voyez exactement ce que je veux dire. Il faut des dirigeants et des gens qui suivent, c’est comme ça que ça marche, dans un commando comme en politique ou dans les affaires.

RÉSOCOCO.- C’est comme ça que ça marche dans un système où les propriétaires mènent la danse. Mais il est question ici de produire autrement, de consommer autrement et surtout de vivre autrement. Et l’idée n’est pas de supprimer toute hiérarchie mais d’éviter les abus de pouvoir. Avec tout d’abord une nouvelle constitution.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Le joli vœu pieux que voilà  ! Mais c’est l’argent qui mène le monde, mon brave monsieur. Ceux qui en ont font les lois et si de temps en temps, la majorité des pauvres réussit à obliger l’État à endiguer le phénomène, les riches doivent s’enrichir pour que ceux qui veulent vraiment bosser en profitent également. Ceux qui ne trouvent pas de boulot n’en cherchent pas sérieusement. Dans la restauration et le bâtiment, on réclame du monde.

RÉSOCOCO.- Oui, mais à quel prix  ? Il y a quelque chose que l’on nomme la dignité et que l’économie libérale ne prend pas en compte sauf pour berner les auto-entrepreneurs. Si on peine à recruter dans certains secteurs, c’est parce que les salaires et les conditions de travail n’y sont pas dignes. Le CAPES de l’Éducation nationale manque cruellement de candidats.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Celui qui veut manger est prêt à travailler à n’importe quel prix. Offrez-lui un minimum vital et le pauvre se contentera des allocations. Les Anglais avaient déjà mené ce débat à son terme au XIXème siècle quand on s’est rendu compte que l’assistanat plombait l’économie.

RÉSOCOCO.- Lorsque l’utilité de l’activité n’entre pas en ligne de compte, personne ne trouve de motivation pour aller se casser le dos ou se tuer les yeux, de surcroît pour un salaire de misère.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Mais c’est ce que vous proposez…

RÉSOCOCO.-Démarrer dans la vie, à 18 ans, avec 1700 balles par mois, c’est déjà beaucoup mieux que ce que le régime actuel propose. Sans compter qu’il s’agirait également de se former et d’étudier pour ceux qui le désirent.   

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Oui, enfin, 1700, c’est relatif. Pour un manœuvre ou un ouvrier agricole, c’est une fortune mais vous ne trouverez pas un publicitaire ou un chirurgien à ce prix-là.

RÉSOCOCO.- Vous oubliez les stagiaires dont l’économie actuelle abuse. Et puis, les salaires mirobolants des jobs à la con sont voués à disparaître dans le communisme que nous proposons. Quand aux chirurgiens, leurs études seront financées par la collectivité et leurs qualifications leur permettront d’obtenir des grades qui leur donneront droit à un salaire plus élevé que les 1700 euros de départ dans la vie.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Comme c’est déjà le cas avec l’Internat…

RÉSOCOCO.- Et l’ENA.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Mais à ce rythme-là, tout le monde va vouloir faire des études !?

RÉSOCOCO.- Je n’en suis pas si sûr… ou alors de la formation continue pour gravir les échelons de la qualification professionnelle. Rappelez-vous qu’un travailleur qualifié augmente la productivité.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Et j’imagine que vous avez prévu un salaire plafond dans ce Club Med avec open bar…

RÉSOCOCO.- On n’est pas tous d’accord sur cette limite. Friot pensait à une fourchette de 1 à 5. Puis il a pensé plafonner les salaires à 5000 euros. Je vous rappelle que le NPA parlait d’une amplitude de 1 à 10 et qu’à l’heure actuelle, la rémunération totale de Carlos Tavares, le directeur de Stellantis (ex-PSA), a atteint l’an dernier 19.153.507  euros. Je vous laisse calculer la fourchette avec un smicard. Pour ma part, je préconise une fourchette de 1 à 2, ce qui place le plafond à 3400 euros net mensuel. Dans mon entourage, je ne connais pas beaucoup de gens qui terminent leur carrière à ce tarif. Il y aura des volontaires pour occuper les postes.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Et vous pensez sérieusement qu’un grand patron se contentera de ces miettes?

RÉSOCOCO.- Je pense surtout qu’on se passera de ces pontes omnipotents et qu’on les enverra en cure de désintox à la montagne ou à la mine pour les plus atteints.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Et vos voitures et vos smartphones se construiront toutes seules?

RÉSOCOCO.- La responsabilité de ces oligarques est beaucoup trop importante. D’autant que certains sont de parfaits crétins, brillants pour faire du pognon mais d’une humanité qui laissent à désirer. Il faudra revoir le principe même de la ligne de production : la division scientifique des tâches et la chaîne de montage ont déshumanisé le travail et leurs concepteurs ont spolié les ouvriers de leur savoir-faire. On peut imaginer que les ingénieurs et les ouvriers coopèrent.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Les bons sentiments ne comptent pas en affaires ni même en économie.

RÉSOCOCO.- Ce n’est pas une question de bons sentiments. Je vous parle d’intérêt public, d’utilité et de bon sens commun. A quoi peut bien servir un salaire mirobolant gagné à réduire le travail vivant au profit de la mécanisation  ? 

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- A capitaliser, j’imagine.

RÉSOCOCO.- Exactement et c’est que le communisme veut éviter. Au-delà de 3400 euros, vous ne pouvez que mettre de côté.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- A moins que les impôts ne passent par là.

RÉSOCOCO.- La redistribution financière ne sera pas nécessaire puisque la division et la répartition du pouvoir et de la production de richesse se fera en amont. Mettez-vous dans la tête que nous ne cherchons pas à dompter une bête malade et féroce. Nous changeons de système. Il serait absurde de taxer un contribuable à 99% comme cela s’est fait en Angleterre avant l’ère Thatcher. Il faut juste que ces 99% ne s’inscrivent jamais sur sa fiche de paie ou sur son relevé de compte.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- On en revient à la motivation. Je ne connais aucun diplômé qui se lèvera pour seulement 3400 balles par mois.

RÉSOCOCO.- Pour ma part, j’en connais des trains entiers qui seraient prêts à travailler 28 heures par semaines pour 2500 balles par mois.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- 28 heures ?

RÉSOCOCO.- Oui, pour que tout le monde travaille, il faut mieux répartir la masse totale de l’activité. Finie la semaine à 70 heures pour l’artisan chauffagiste qui passe son week-end à dormir pour récupérer. Quant au chef d’État qui prend de la coke pour soutenir le poids de responsabilités surhumaines, on pourra l’envoyer contempler les saumons qui remontent les torrents. Ça détend et ça relativise nos efforts. 

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Vous êtes en train de me dire que les politiques aussi seront astreints aux mêmes conditions financières ?

RÉSOCOCO.-Évidemment et ils devront être exemplaires. Des Pepe Mujica à la française en somme.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Vous voulez rire ?

RÉSOCOCO.- Un peu. On se contentera de politiciens correctement payés et dignes de leur fonction. Mais c’est un autre chapitre. Vous avez d’autres objections  ?

LE LIBÉRAL CYNIQUE.-  On peut revenir sur vos manières d’éviter que le pays ne sombre dans un enfer bureaucratique.

RÉSOCOCO.- Je comprends vos craintes. Je les partage. D’autant que l’État français est devenu kafkaïen sous l’influence de ceux qui prétendent desserrer l’emprise de l’administration sur la société.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Les néolibéraux ?

RÉSOCOCO.-En personne. Ceux qui prétendent simplifier le système n’ont fait que confier à des agences des missions qui incombent à l’État. En outre, un certain nombre de fonctionnaires sabotent en sous main l’éducation nationale, le système hospitalier, la SNCF et d’une manière générale, tout le service public.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Le privé a toujours été plus efficace, même dans ces domaines qu’on disait régaliens.

RÉSOCOCO.- Tout est une question de moyens alloués. Quand vous voulez qu’une organisation périclite, vous la sous-alimentez financièrement, vous lui faites faire des économies au nom de l’austérité et le tour est joué  : retards de train, urgences engorgées, classes surchargées et réformes imbéciles, files d’attente à Pôle Emploi, surcroît de travail pour les agents de la Sécu et j’en passe.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Ces fonctionnaires profitent pourtant d’un régime que vous préconisez pour tout le monde.

RÉSOCOCO.- Objection retenue et c’est bien vu de votre part. Mais vos amis au pouvoir sont d’une perfidie remarquable. Prenons un exemple dans l’éducation nationale. Si on n’est pas vraiment en forme, physiquement et psychiquement, une classe de 25 ou 30 collégiens devient rapidement un enfer. Enseigner une langue étrangère dans ces conditions relève du sacerdoce et du bagne mais ça vaut pour toutes les matières. Ce n’est pas une question de contenu, c’est une question de nombre d’élèves. A 12, une classe est gérable quel que soit le niveau d’indiscipline et de motivation des élèves. A 20, un prof dynamique obtient d’excellents résultats. A 30, tout se complique. L’absentéisme qui est loin d’être aussi important qu’on veut bien nous le laisser croire peut s’expliquer par la fatigue nerveuse des enseignants et l’angoisse d’être débordé. Un cours de 50 minutes, ça n’a rien à voir avec une heure au bureau ou même sur un chantier. Et donc, notre prof se met en arrêt de travail pour éviter le burn out total. Son administration a bien vu qu’il allait partir en cacahuète mais rien n’a été fait pour prévenir la catastrophe annoncée, faute de moyens humains suffisants pour trouver des solutions. Et on manque en plus d’effectifs pour le remplacer rapidement, les ados sont mis en permanence, les parents s’inquiètent et se plaignent, le principal essaie de recruter localement, je parle en connaissance de cause, quelqu’un qui travaille déjà ailleurs, on s’arrange, on rafistole l’emploi du temps, on fait avec. A long terme, le système se dégrade et au final, on accueillera les propositions de Blanquer avec soulagement : chaque établissement sera managé comme une entreprise. Autonomie accrue, intervention (ou pas) des parents dans la vie scolaire, recrutement direct, notation des établissements en fonction des résultats, éviction des éléments perturbateurs, et au final des disparités selon les quartiers, une suppression de la carte scolaire et la fin de l’école républicaine. Un alignement sur le privé sous contrat. 

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- C’est pour cela qu’une gestion locale et indépendante serait plus efficace.

RÉSOCOCO.- Je vous vois venir avec vos gros sabots d’ultralibéral. Privatisez-moi tout ça et vous verrez que ça tournera comme une entreprise bien gérée.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Les gens qui ont les moyens optent déjà pour le privé afin d’éviter la chienlit du service public. La qualité se paie.

RÉSOCOCO.- Votre raisonnement tiendrait la route si vos collègues énarques ne faisaient pas tout ce qu’il faut pour saper le rôle de l’État et privatiser son action là où une gestion publique avait produit d’excellents résultats. Vous avez remarqué qu’on n’entend plus parler de grands serviteurs de l’État ? C’était la manière de valoriser les hauts-fonctionnaires avant que le pantouflage ne devienne une pratique courante.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Ce n’est pas avec 3400 euros par mois que vous attirerez les meilleurs à la tête de l’État. Tous nos managers fuiront l’administration pour le secteur privé.

RÉSOCOCO.- C’est là que votre conception bourgeoise et mercantile de l’existence atteint ses limites. Laissez-moi vous donner un petit cours de philosophie morale.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Qu’est-ce que la morale a à faire avec l’économie ?

RÉSOCOCO.- Si on réencastre l’économie dans la société, comme le préconisait Karl Polanyi, il faudra bien qu’on reparle de morale. Les économistes orthodoxes et scientistes ont tenté de nous faire croire que le marché était une question d’équilibre mathématique et de choix rationnels. Or il s’agit aussi d’initiatives politiques et éthiques. La sobriété collectivement choisie, par exemple, aussi souhaitable qu’elle puisse être pour la planète et ses habitants, va rencontrer une opposition farouche du côté des technophiles et des productivistes. En revanche, elle trouvera un écho certain chez les jeunes pour qui le bonheur ne passe pas forcément par une consommation tous azimuts et pour lesquels l’accumulation de biens et la valorisation du capital n’est pas une religion, un dogme qu’on ne remet pas en cause.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Je vous laisse discourir mais désolé de vous annoncer que vous réinventez l’humanité à votre guise. L’humain cherche avant tout son plaisir et s’il fournit un effort, c’est dans le but d’obtenir plus et mieux que ce qu’il a. Nous vivons dans une société d’abondance et de loisirs. Tant que la première ne fait pas défaut, les autres s’y développent. Nos contemporains ne jurent que par le confort et le divertissement. Toute notre économie repose là-dessus. Ça n’a rien d’un culte. C’est juste le modèle qui s’est imposé. Aujourd’hui, il n’y a plus le choix. Soit on se fait une place au soleil, soit on chouine dans la soute. Les meilleurs partent en croisière de luxe autour du monde, les loosers survivent grâce à Netflix, le Metavers ou la drogue. L’égalité n’existe que le jour du vote au suffrage universel. Le reste du temps, c’est une élite qui mène le navire alors que la majeure partie de la population reste en rade derrière ses écrans. En même temps, tout le monde ne peut pas se dorer la pilule sur le pont.

RÉSOCOCO.- C’est à votre tour de tordre la réalité. Vous oubliez que votre modèle économique, non seulement ne profite vraiment qu’à une minorité plutôt oisive, mais se goinfre de ressources naturelles. Je vous fais grâce du changement climatique mais vous ne pourrez pas mettre la pollution, l’artificialisation des sols et l’exploitation outrancière de la planète éternellement sous le tapis. Le capitalisme détruit notre environnement et la bourgeoisie qui profite du massacre a le culot de prétendre que c’est pour le bien de l’humanité toute entière. Je ne suis pas un égalitariste forcené mais l’hypocrisie des bourgeois me donne la nausée. 

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Je vous rappelle que vous profitez vous-même des progrès du capitalisme  : Internet, douche chaude à toute heure et soirée devant un match de foot avec pizza livrée à domicile.

RÉSOCOCO.- D’accord pour les deux premiers mais je ne suis ni foot ni télé ni Uber Eats. Et vous caricaturez trop facilement toute opposition à votre mode de vie. La question n’est pas Internet ou la brouette, mais Internet pour quoi faire? S’il s’agit de découvrir la pensée de Bernard Friot ou d’écouter le dernier Fontaines DC, Internet est une bonne chose. Si l’idée est de passer son temps libre à surfer de vidéo gags en tutos débiles, je ne vois pas le progrès sur les blagues à la Toto dans la cour d’école. Mais vous me faites dévier de notre objectif avec ces faux-progrès attribuer au capitalisme. D’ailleurs les grandes découvertes n’ont souvent que peu à voir avec le capitalisme alors que celui-ci a toujours su s’emparer des trouvailles géniales pour en faire de l’argent, parfois au détriment même de l’inventivité. 

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Il faut beaucoup d’argent pour faire de la recherche et les financeurs veulent un retour sur investissement, c’est bien normal.

RÉSOCOCO.- Ça ne l’est que dans une logique de profit. Reprenons par exemple le cas de Fontaines DC, un des groupes les plus prometteurs du moment. Ces cinq irlandais en sont à leur troisième album, une pure merveille à mon avis. Contrairement aux deux albums précédents, le troisième jouit d’une grosse couverture médiatique. Ils ont signé sur un label indépendant Partisan Records qui va sûrement engranger un maximum avec ce LP. Dans une logique capitaliste, le groupe enchaîne les tournées de promotion, s’épuise sur scène et sur la route et prend toutes sortes de drogues pour soutenir la pression et l’épuisement. On ne sait jamais  : l’inspiration ne sera peut-être pas toujours au rendez-vous. Il faut exploiter le filon tant que ça marche, mettre de l’argent de côté et éventuellement l’investir comme U2 a su le faire dans une boite de nuit, un hôtel de luxe et d’autres placements juteux. Dans une logique communiste, le groupe assure un certain nombre de dates pour satisfaire un public qui apprécie ses performances scéniques et sans doute aussi un minimum de promotion pour les médias, quelques sessions live pour le net. Mais ce qui compte avant tout, c’est qu’il puisse continuer à faire de la bonne musique. Fontaines DC a par exemple dans ses cartons des morceaux plus traditionnels et sans doute beaucoup moins accessibles à un vaste public. Peu importe si ça marche  : ce qui compte, c’est que leur art puisse s’épanouir. Un album-OVNI comme Kid A de Radiohead n’aurait jamais vu le jour si ces musiciens avaient cédé à une pure logique marchande. Le succès doit simplement permettre à des artistes de continuer à créer dans des conditions optimales. Peut-on étendre à ce type de travailleurs le modèle du salaire à la qualification que nous proposons ? Honnêtement, je ne sais pas.  

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Les artistes font ce qu’ils aiment. S’ils rencontrent leur public tant mieux. Sinon tant pis.

RÉSOCOCO.- C’est possible. Mais ce qui est néfaste à leur créativité, c’est d’une part le besoin de s’assurer une subsistance en vendant leur musique au plus offrant et d’autre part, une certaine cupidité qui les entraînerait à produire ce qu’un certain public attend d’eux parce qu’il est habitué à des produits commerciaux faciles à consommer et attractifs.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- C’est la loi du marché  : la rencontre d’une offre et d’une demande.

RÉSOCOCO.- Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler que c’est une fable libérale, cette histoire-là. Les conditions ne sont jamais réunies pour que ça se passe de manière optimale. Van Gogh est mort bien avant que ses toiles lui permettent de devenir millionnaire et c’est la spéculation qui a fait grimper les prix de ses œuvres sans commune mesure avec leur qualité. Il y a d’excellents produits qui ne percent pas faute d’une information à la hauteur et d’autres qui génèrent des milliards de revenus alors qu’ils sont nocifs. Soit vous êtes naïf, soit vous vous foutez de ma gueule.        

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Non, je vous assure que je crois à ce principe. Il y a sans doute des ratés mais d’une manière générale, ça fonctionne.

RÉSOCOCO.- Vous voulez me faire croire que la plupart des gens se nourrissent mal parce qu’ils sont bien informés, que leur demande de s’empoisonner coïncide avec la daube empoisonnée que l’industrie agro-alimentaire leur fournit et que la loi du supermarché permet à des consommateurs éveillés de faire des comparatifs de qualité entre produits alimentaires transformés, trop sucrés ou salés et pauvres en nutriments.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Évidemment non. Mais le prix est un indicateur précieux et au supermarché, on peut comparer. C’est déjà plus difficile au marché. 

RÉSOCOCO.- C’est bien pour cela que c’est à l’État de veiller à la qualité nutritive des produits. Le consommateur ne possède pas tous les paramètres qui lui permettraient de faire fonctionner la libre concurrence à son avantage. La plupart des gens optent pour le moins cher.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- C’est leur droit.

RÉSOCOCO.- Mais ils n’ont guère le choix. C’est pourquoi Réseau Salariat propose une sécurité sociale de l’alimentation avec des producteurs agréés sortis de la logique du marché et du rendement à tous prix. Une nutrition correcte éviterait ou minimiserait un certain nombre de maladies chroniques comme le diabète ou l’obésité, diminuerait les consultations médicales, la prescription médicamenteuse et la consommation massive de médicaments. Vous remarquerez que j’ai évité de parler de vaccins anti-covid pour ne pas envenimer la conversation.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Mais vous ne pourrez pas réguler l’utilité. Il faut laisser les consommateurs se faire leur propre opinion : ils sont bien capables de savoir ce qui est bon pour eux ou pas. Ce n’est pas à l’autorité publique de décider de ce qu’ils mettront dans leurs assiettes ou entre les oreilles. Chacun est responsable de ses choix.

RÉSOCOCO.- A condition d’être bien informé et pas manipulé par la publicité. C’est une affaire d’éducation, ça prend du temps et on n’en laisse guère au citoyen moyen. On l’accable de divertissements et on le pousse vers du prêt-à-bouffer, du prêt-à-porter, du prêt-à-voter.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Vous ne voulez vraiment pas qu’on prenne du bon temps. La vie que vous nous proposez me glace les sangs. Atelier couture, jardinage en permaculture avec option cuisine végane, lecture du petit livre rouge et interro écrite sur le Capital avant la veillée où on chantera du François Béranger. Plutôt mourir obèse et gavé de Snickers devant l’intégrale de Desperate Housewifes.  

RÉSOCOCO.- Malheureusement pour vous, on vous sauvera à temps du coma diabétique et vous finirez avec un salaire à vie à végéter dans un lit d’hôpital en matant les infirmières qui prendront le temps de vous traiter comme un être humain à part entière malgré votre mentalité de connard libertarien.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Je continue à penser que votre communisme de pacotille est une douce utopie qui n’aboutira jamais à quoi que ce soit de concret.

RÉSOCOCO.-Là où vous avez tort, c’est que ça existe déjà. Le monde associatif s’est statutairement interdit le profit et si on additionnait les heures de travail bénévole, on atteindrait des sommes vertigineuses.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Sauf que le bénévolat et l’associatif, ce sont des trucs de retraités. Les jeunes ont mieux à faire.  

RÉSOCOCO.- Vous oubliez les scouts et les clubs sportifs. Les équipes qui gèrent les festivals de musique, les troupes de théâtre amateurs, les assos caritatives qui accueillent pas mal de lycéens et d’étudiants qui ont envie de filer un coup de main. Il existe en France un tissu associatif très important qui génère de la richesse hors du système marchand. 

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Mais qui ne produisent rien de concret.

RÉSOCOCO.- C’est une obsession chez vous, la production concrète. Mais en effet, les associations produisent essentiellement du service pour leurs adhérents. Mais elles génèrent aussi de la richesse et éventuellement de l’emploi rémunéré. Ce qui est intéressant, c’est le temps consacré par les membres du bureau en réunion ou les adhérents en AG au fonctionnement des associations. Ce temps de réflexion délibératif ressemble à celui qui, au sein des entreprises agréées et subventionnées, sera consacré à l’autogestion.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Et on sait comme les décisions collégiales sont longues à prendre. Je serais curieux de voir comment ça se passerait. Ça risque bien de palabrer pour pas grand chose.

RÉSOCOCO.- Faites donc confiance à l’intelligence collective. Et puis ça vaut sans doute mieux que des décisions prises en petit comité pour remplir les poches des actionnaires. On est loin du temps où les dirigeants pensaient d’abord à l’entreprise et pas à leurs propriétaires.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Ces derniers ne vont tout de même pas scier la branche sur laquelle ils sont assis. 

RÉSOCOCO.- L’obsession lucrative rend les bourgeois aveugles.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Les bourgeois comme vous dites ne sont pas exclus du tissu associatif. Ils ont les leurs  : le Lion’s, le Rotary, le Kiwanis, ce sont des clubs services très efficaces. Leur capacité à mobiliser des fonds n’est pas négligeable.

RÉSOCOCO.- C’est indéniable. Mais le principe de l’association est trans-classe à la base, autour d’un intérêt commun qui transcende les clivages politiques. Les clubs services rassemblent plutôt des droitards conservateurs, soucieux de se donner une bonne image sociale.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- J’y vois plutôt une certaine générosité.

RÉSOCOCO.- Et moi de l’hypocrisie et de la bonne conscience pour pas cher. Des dames patronnesses et des notables déguisés en Père Noël si vous voulez mon avis. Mais ce n’est pas le sujet. Friot n’en parle pas beaucoup mais le militantisme est aussi l’occasion d’œuvrer hors d’une logique marchande. 

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Le militant y va même de sa poche, c’est le club service du prolo.

RÉSOCOCO.- On est dans le lobbying en effet. Mais l’éducation populaire n’a que peu à voir avec les opérations caritatives de vos riches. C’est un moyen d’expression et de transmission nettement plus enrichissant.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Oui mais le militantisme ne vole pas très haut. 

RÉSOCOCO.- Vous confondez campagne électorale et éducation populaire. Il ne s’agit pas de faire voter pour tel ou tel mais de comprendre comment tourne la société pour la transformer en profondeur. 

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Vous avez un côté moine-prêcheur limite obsessionnel, un peu comme votre Bernard Friot qui pourrait bien prendre sa retraite à 75 ans bien sonnés.

RÉSOCOCO.- Ne lui parlez pas de retraite ! Les vieux ne sont pas des déchets à recycler. D’ailleurs, dans le régime qu’il préconise, les « retraités » continuent à percevoir leur meilleur salaire et rien ne les oblige à ne rien faire et à « s’occuper ». La vie ne se cantonne pas au secteur professionnel. De 18 ans jusqu’à sa mort, l’homme conserve sa qualification de producteur et touche un salaire en tant que tel. L’assurance-retraite n’est pas une cagnotte mais une cotisation pour financer les retraites actuelles. C’est du salaire socialisé. Mais je ne vais pas reprendre tout mon exposé de H12. Il faudra pourtant le répéter et le réexpliquer pour imprimer les esprits et sortir de l’ornière capitaliste. La révolution est un travail de fond comme la lame qui finira par venir faire table rase d’un système qui s’effondre.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- On se rapproche enfin de l’image du bolcho avec le couteau entre les dents. Mais il était plus menaçant durant la guerre froide qu’aujourd’hui.

RÉSOCOCO.- C’est parce qu’il nous faut effrayer le rentier sans faire fuir les salariés. L’intérêt bien compris passe par l’éducation populaire avec une pointe d’idéologie.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Qui ne fait pas le poids face au pragmatisme du libéralisme ambiant. Votre modèle est beaucoup trop hypothétique pour être dangereux. Les bourgeois peuvent dormir tranquilles.

RÉSOCOCO.- Si ces cons-là se contentaient de pioncer avec leur argent, nous n’irions pas à la catastrophe. Non, les accapareurs veulent toujours plus. C’est même l’essence du capitalisme. On ne pourra pas y remédier et il nous faut convaincre les keynésiens qu’ils se trompent.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Bon courage avec les socio-démocrates ! Y a pas plus englués dans la bien-pensance. Ce sont nos idiots utiles et nos meilleurs alliés.

RÉSOCOCO.-Ils perdent du terrain alors que nos idées en gagnent.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- En attendant le libéralisme a encore remporté les élections présidentielles.

RÉSOCOCO.- Mais il est en train de perdre la bataille idéologique.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Pensez donc  ! Les Français sont des petits bourgeois dans leur grande majorité. 

RÉSOCOCO.- Mais les gros prédateurs sont sortis du bois. Plus personne ne croit à la fable du ruissellement. Les inégalités sont si flagrantes que la bourgeoisie devra avoir recours à la répression violente pour conserver son monopole hégétique…

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Oh la la, qu’est-ce que c’est que ce machin ?

RÉSOCOCO.- C’est une manière de parler du pouvoir sans partage. Gestion de l’économie et gouvernance politique. Mais sur le plan idéologique, la bourgeoisie perd du terrain : le modèle du rentier boomer ne séduit plus que les costards bleus à trottinette électrique. Il y a une pensée alternative qui se développe et si le terme communisme n’a pas encore regagné sa popularité d’antan, Réseau Salariat et Résococo en changent l’image négative que la propagande néolibérale a propagée dans les programmes d’histoire. Et rappelez-vous ce que disait Lénine à propos des qualités du révolutionnaire…

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Je sais, l’humour et la patience. D’ailleurs l’humour permet de patienter.

RÉSOCOCO.- L’humour réellement subversif permet surtout de prendre l’ordre bourgeois à son propre piège. Quant à la patience, elle est indispensable pour transformer les mentalités. L’ennui, c’est que l’agenda de la Terre nous précipite un peu.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Avec Macron au pouvoir, on est au moins sûr d’une chose : la planète attendra.

RÉSOCOCO.- Pas sûr que le peuple fera de même. Mais le fruit n’est pas mûr. La révolte se fait soudainement dans l’enceinte de la prison. La révolution en sape les fondations petit à petit. La mouche bleue s’énerve bruyamment contre le carreau quand les termites attaquent le bois de la fenêtre en silence.

LE LIBÉRAL CYNIQUE.- Hue là  ! C’est beau comme du Mao !

RÉSOCOCO.-Moquez-vous tant que vous le pouvez ! Mais la force de proposition est aujourd’hui résolument communiste. Et elle a déjà pris pied sur votre continent presqu’englouti. A la revoyure, camarade!