P22- Le pouvoir est une obligation

En relisant mes notes, je suis tombé sur une série de propos sur le pouvoir qui m’ont paru intéressants. Je vous les livre un peu remaniés et du coup c’est plus haché que d’habitude. Alors j’ai décidé d’appeler cela des remarques. Cela aurait pu paraitre élégant, voire brillant, d’appeler cela des aphorismes mais ça n’en est pas: j’ai été obligé de commenter pour sortir du paradoxe flamboyant de l’aphorisme définitif. Des remarques… ça mange pas de pain.

le plan de la personne P22

Bien que surpuissant, Superman est impuissant face à Loïs. Il vaincra sa névrose par l’héroïsme et le don de soi.

Je vous ai déjà bien recommandé de ne pas confondre les trois sens du mot pouvoir pris comme substantif: 1) la capacité à faire, la force (socle anthropien du plan de l’Outil) 2) le droit (légitime), la volonté, la liberté (plan de la Norme)

3) la mission par procuration, la délégation de la chose à faire, le devoir conféré par autrui (source de la légalité)

En P20, nous avons déjà pas mal explicité cette troisième acception du terme.

La théorie de la médiation conçoit la dialectique comme un circuit intégré de l’analyse. Sur le plan 3, la contradiction et son dépassement sont imputables à la Personne elle-même. Ce n’est pas un simple processus historique comme les marxistes le prétendent. On ne peut figer la classe (ou alors on fait de l’histoire) et la réduire au résultat, pourtant toujours tributaire du flux historique (jamais figé): prendre une photo n’empêche pas le monde de continuer son cours. Sitôt prise, la photo est une trace du passé.

Ambroise Croizat, ministre du travail à qui on doit en grande partie la sécurité sociale vécut modestement tout au long de sa vie. Sans faire l’apologie du communisme, on peut considérer que c’est un des rares à ne pas avoir été corrompu par l’exercice du pouvoir.

De même, le ministère (le service spontané qu’on offre à autrui) ne se résume pas à une obligation extérieure (carcan social ou contrainte introjectée comme le surmoi des psychanalystes). Ce service que l’individu donne et qui du coup peut faire l’objet d’un échange peut être appelé pouvoir: je le prends autant qu’on me le donne.

Si nous appelons pouvoir la prestation de services, et donc l’ensemble des services auxquels culturellement l’être humain s’oblige envers autrui, il est exactement ce qu’on appelait autrefois le devoir, la dette envers autrui (un dû spontané, sans raison ni créancier objectif). La contribution sociale se réalise politiquement (en actions, en impôt, en comportements) et sa répartition entre les personnes, la répartition des tâches, fonde la distribution du travail par exemple (qu’on ne peut donc pas attribuer à la complexification des modes de production) mais surtout la distribution des rôles sociaux qui dépasse largement la production de biens.

Chacun participe ainsi au pouvoir dans la mesure où il y contribue socialement par un métier, une prestation de service qui peut se matérialiser en profession.

Le pouvoir est à envisager comme un devoir et c’est le devoir qui nous fait homme (formule de Gagnepain). Seule, la force relève de l’anthropien, du sujet, de l’animal. Si elle peut apparaitre comme le bras armé nécessaire au pouvoir, elle n’en est que le talon d’Achille, l’aveu de faiblesse.

Le pouvoir est politiquement la somme des rôles, des services à rendre. Le pouvoir de chacun est relatif aux charges des autres. 

Comme l’ouvrier est le ministre de notre adresse (habileté), le chef est le ministre de la décision: il prend les décisions à notre place comme l’ouvrier se charge de faire ce qu’on ne peut pas fabriquer nous-mêmes. Ça marche aussi avec le tueur à gages, la pute et l’huissier, respectivement ministre de notre lâcheté, de notre misère sexuelle et de notre impuissance.

Une décision devient hégétique (relative au gouvernement de la communauté) si elle se fonde dans un désir légitime, c’est à dire autorisé par nous-mêmes, une volonté socialement reconnue. Je m’autorise à décréter que je suis le chef (la tête, celui qui dirige) et je le deviens si l’ensemble des volontés vont dans ce sens, à défaut une majorité comme dans une société démocratique.

Dans un gang où le chef s’impose par la force et non par l’élection, vous  comprendrez que l’élimination des opposants est nécessaire à l’hégémonie indispensable au fonctionnement du gang. On est dans la soumission et non dans le consentement. L’insoumis peut toujours flinguer le chef indésirable.

En tant que ministre de notre volonté et de notre liberté, le dirigeant prend les décisions en notre nom parce qu’il est plus à même que nous de le faire. Mais cette délégation (cession de notre capacité à légiférer, à établir la Loi) doit rester temporaire et partielle si on ne veut pas que le pouvoir s’enkyste et se naturalise. C’est l’objectif de la révolution permanente de Trotsky et de Mao, une idée de l’Avenir en Commun qui limite la députation à deux mandats, une volonté des gilets jaunes avec le RIC révocatoire.

La monarchie absolue repose sur le postulat mythique que la charge omnipotente se transmet de manière héréditaire. La mention de droit divin vient renforcer cette croyance en la majesté.

Le pouvoir n’est pas seulement un privilège qu’on accorde à un ayant-droit qui peut en disposer à sa guise. C’est également une prise en charge, et par conséquent autant un devoir qu’un pouvoir. Obligations et prérogatives (privilèges) entretiennent une relation de réciprocité. L’incompétence est une rupture de cet équilibre: l’incapacité de remplir les missions entraine l’usurpation des prérogatives. Quant à l’abus de pouvoir, il induit un accroissement du mandat sans l’accord d’autrui.

Le travail est l’un des services à rendre, la part ergologique (plan de l’Outil), mais pas le seul. Les marxistes l’ont surévalué. Pour eux, le mode de production détermine les rapports sociaux et l’idéologie. Le travail (infrastructure) subordonne la société et la répartition historique du travail distribue les positions sociales et les revenus à un moment donné de l’Histoire.

Le savoir est lui aussi une contribution sociale. La participation au jeu également. Durant une partie, la distribution des rôles est bouleversée: tout ce qui a cours au dehors s’efface car les institutions sont pour ce laps de temps ludique les règles du jeu. Le sport permet également un renversement de la hiérarchie ordinaire mais les grandes puissances entendent bien la faire respecter jusque sur le podium. Regardez comment la Guerre Froide n’a pas épargné les stades et comme la Chine revient en force aux JO.

L’intellectuel en tant que créateur d’idées est un contributeur social. L’exigence sociale n’est pas uniquement la conscience professionnelle telle qu’elle s’impose depuis la Révolution où la classe qui valorisait la production et le commerce a pris le pouvoir, c’est à dire la bourgeoisie. Elle s’est ensuite construit une conscience de classe telle que la noblesse en avait une. Le pouvoir de la noblesse a d’abord reposé sur la force, puis sur la persistance de cette mémoire de suprématie qui rendait naturelle son état: le noble n’avait qu’à être bien né pour avoir une reconnaissance sociale. La noblesse financière actuelle reproduit ce schéma dynastique.

Soeur Sourire: y a des jours avec, y des jours sans…

La responsabilité est le devoir de répondre de sa contribution sociale au cas où ça se passe mal: la responsabilité est alors engagée, c’est à dire mise en gage. Elle est à la mesure de la participation et la reconnaissance doit être proportionnelle à la participation et à la responsabilité. 

Le métier, c’est la dignité de l’homme, la reconnaissance de sa contribution à la marche de la communauté.

La rémunération est la #dénotation des offices: la fonction justifie son statut par la rémunération.

La pertinence du statut (dans l’Instituant) définit les services (dans l’Institué): la quête d’attribution ou la revendication qui s’oppose à la reconnaissance ou la rémunération. Si le munus est le service « rendu » ou le don, la rémunération est le contre-don, qui prend un caractère financier dans une société marchande.

La revendication est l’exigence de son dû en fonction de sa contribution, le comblement de la dette éternellement à faire: mythe de Sisyphe et non le mythe de Tantale. Tantale ne peut accéder à la satisfaction de son désir qui s’exacerbe. Sisyphe, quant à lui, pousse son rocher parce qu’il doit le faire, c’est ce que Camus veut dire quand il dit qu’il faut imaginer Sisyphe heureux: pour trouver son compte dans une société, il faut y délimiter sa portion congrue de responsabilité, une charge pour laquelle on est à la hauteur et un rôle que personne ne nous dispute. Sisyphe est assez fort pour pousser son caillou et personne ne vient lui piquer le boulot. Il a toutes les raisons de se sentir à sa place même s’il en chie et que ça ne sert pas à grand chose. Voir le job à la con selon David Graeber.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bullshit_jobs

Dans une société qui tend à infantiliser pour pouvoir mieux dominer, dans la mesure où on fabrique une masse d’assistés, c’est là qu’on déshumanise car humaniser, c’est-à-dire faire accéder à l’âge adulte, à la paternité c’est faire accéder à la dette, c’est-à-dire à l’obligation, à la contribution. L’impôt pour tous, même minime, représente cette implication dans la société. Le citoyen ne doit pas se désengager. 

Le choix du costume, le poids du légume

L’assistanat est un don qui n’appelle pas de contre-don et qui laisse l’autre dans la dette à cause d’un profit sans dû. L’enfant prend et profite quand l’adulte infantilisé ou assisté est mis dans l’impossibilité de rendre le service. Si nous sommes contraints de rendre (au sens de rendre un dû ou un service), c’est parce que nous avons pris. Plus la société nous offre la chance de faire des études, plus nous devons être au service des autres en retour. Plus on monte dans la hiérarchie sociale, plus l’étendue du service rendu est vaste. Le président de la Vème république se consacre à son peuple qui lui octroie un statut d’exception et une position unique: il est nourri, logé, transporté, choyé mais en contrepartie, il est totalement voué à sa charge. Son espace privé est très réduit et tout ce qu’il fait l’est au nom de la nation: il l’engage par ses dires, faits et gestes. Il cache ses maitresses mais doit révéler son patrimoine et ne peut pas se permettre de dire n’importe quoi. C’est une énorme pression pour un individu du petit gabarit psychologique d’Emmanuel Macron d’autant que son rôle est démesuré et qu’il n’est pas à la hauteur de ce que la fonction réclame. En outre, l’économie et la finance ont envahi le champ politique puisque c’est la grande bourgeoisie dont il est le larbin qui l’a mis là où il est et il lui doit ce renvoi d’ascenseur qui le rend totalement impopulaire et illégitime aux yeux d’une majorité qui ne reste plus silencieuse. Macron ne trouve plus la place qui revenait à De Gaulle ou même à Mitterrand l’opportuniste, parce que son ministère n’est plus adapté au contexte. La nation lui a offert son statut de grand serviteur de l’État et sa compétence doit être mise au service de celui-ci. L’État lui-même n’est qu’un organe (fait de fonctionnaires) au service du fonctionnement de la nation.

Juan Branco a très bien montré l’arnaque dans sa critique de la dérive des élites qui justement n’en sont plus à force de se comporter comme les plus vils alors qu’ils sont sensés être les plus nobles, les plus exemplaires. Je vous renvoie également à la critique d’Emmanuel Todd sur ce même sujet des élites dans son passage à Thinkerview.

En supprimant l’ENA, Macron fait finalement disparaitre une part de son passé qui l’encombre: sa dette envers la société qui lui a financé ses études et en partie offert sa position actuelle. Il suffira dorénavant de faire HEC pour obtenir un maroquin de ministre. Ce qui est une absurdité. Le service de la communauté doit s’apprendre autrement que par la finance et l’orthodoxie économique qu’apprennent les bourgeois à des fins mercantiles. La nation française mérite mieux que ça.

L’acquisition et l’obligation sont réciproques dans l’Ego: par exemple, plus on apprend, plus il y a nécessité à redonner. Obligation morale peut-être mais surtout nécessité sociale: les talents ne peuvent rester secrets. Nous avons tous autour nous des gens de qualité que nous avons essayé de promouvoir en leur disant qu’un tel potentiel ne peut rester inexploité. Ta communauté a besoin de toi! Le monde attend! Et si vous ne l’avez pas fait, c’est qu’il y a en vous du pervers-narcissique.

L’Ego pose l’analyse sociale et la performance réaménage. La personne pose la dette et la performance apaise la dette sans jamais la combler: elle existe toujours virtuellement. Autrement dit, l’Institué permet de me définir un rôle relatif à celui d’autrui: je suis enseignant dans une discipline qui tourne autour de la langue française. En situation, je me retrouve en charge d’une mission comme par exemple corriger des fautes d’orthographe ou mieux formuler une pensée qui n’est pas forcément la mienne.

Le pouvoir est une obligation: l’ambiguïté de cette proposition est particulièrement révélatrice de la réciprocité hégétique. C’est une prise sur l’autre et par conséquent une obligation envers autrui. Inversement, la dette envers autrui justifie le pouvoir sur l’autre. J’ai le pouvoir dans la mesure où tu as une dette envers moi et le fait de prendre ce pouvoir définit une obligation vis à vis d’autrui. Je prends des décisions à ta place certes mais je dois répondre de leur bien-fondé si tu m’interroges à ce sujet: il en va de ma responsabilité et quelque part de ma dignité.

Accéder au pouvoir, c’est en fait entrer au service.

Tout le reste est littérature! A la revoyure!