M16 – En avant la clinique…

Pour la théorie de la médiation, la clinique, c’est à dire l’étude des dysfonctionnements et des ruptures de l’équilibre psychique, permet de valider ce qu’elle avance dans le modèle. La pathologie est un passage à la limite qui justement permet d’attester l’existence de frontières et leur gestion : elles peuvent être abolies ou renforcées selon la nature du trouble.

Qu’est-ce que la médiation? M16

A la suite de la psychanalyse, la théorie de la médiation a choisi la clinique comme domaine expérimental. L’idée de Gagnepain est finalement assez simple. Les facultés ont une implémentation corticale : chaque fait culturel correspond à un phénomène neuronal. Aucun fait langagier, technique, social ou axiologique n’advient sans une activité neurologique particulière. Dans cette perspective, tout dysfonctionnement du comportement correspondra à un dysfonctionnement spécifique au niveau des neurones, des synapses ou d’une quelconque partie du cerveau.

Autrement dit, si on arrive à classer les pathologies selon le modèle médiationniste, on pourra chercher une localisation correspondant dans le cortex. La déconstruction des facultés et des troubles devrait permettre d’y voir plus clair dans les scanners et à l’inverse, le constat d’une lésion ou d’une détérioration cérébrale spécifique pourra attester d’un dysfonctionnement particulier. De la finesse de l’analyse #nosographique, dépendra la subtilité de l’observation.

Charcot lors d’une conférence gesticulée à la Salpêtrière

 Déclaration d’intentions toutefois plus facile à faire qu’à tenir. La psychiatrie ne prête pas ses patients au premier clinicien médiationniste qui se pointe. Mais Gagnepain est resté intransigeant là-dessus : pas de faculté attesté sans constat neurologique. Il tablait sans doute sur les progrès spectaculaires de l’imagerie médicale et sur l’ouverture de la psychiatrie à ses idées.

L’observation des performances des patients aphasiques dont les lésions ont été localisées depuis longtemps dans le cortex cervical ont amené Gagnepain et Sabouraud à constater que les aphasies de Broca et celles de Wernicke n’affectaient que partiellement le langage : celui-ci n’étant pas d’un seul bloc, ça ne merdouille pas partout en même temps. Mieux, ce qui continue à tourner rond a même tendance à venir prendre la place de ce qui ne fonctionne plus. La pathologie, en ce qu’elle rompt un équilibre, ouvre la porte à l’invasion de la totalité de l’espace psychique par les facultés intactes par une sorte de phénomène de compensation. 

Les symptômes sont donc à interpréter comme un trop plein dû à l’invasion par les capacités intactes. Il faut rechercher le trouble au-delà de l’apparence de sa manifestation pour remonter au principe qui dysfonctionne et à celui qui compense pathologiquement.

Imaginez un confluent où deux rivières se rejoignent. On déverse dans chacune des rivières une grosse quantité de colorant en continu : jaune et rouge. En aval du confluent, l’eau sera plus ou moins orangée suivant les remous et les courants qui auront tendance à mélanger les eaux colorées. Si, on constatait que l’eau virait au rouge, ce n’est pas à la source du rouge qu’il faudrait remonter mais bien plutôt là où le colorant jaune n’arrive plus. L’interférence des capacités (dialectique ou analyse) brouille l’interprétation du symptôme lors d’un dysfonctionnement de l’une ou de l’autre. 

Si votre moteur de voiture se met à chauffer, ce n’est peut-être pas lui qui est en cause mais le système de refroidissement. Le garagiste en thérapeute avisé coupera le contact pour laisser refroidir le bloc mais c’est du côté du radiateur, de la pompe et du ventilo qu’il recherchera le problème. L’échauffement du moteur n’est que la répercussion d’un mauvais fonctionnement qui se situe ailleurs. Ce n’est pas au niveau du symptôme qu’il faut rechercher sa cause. Ça marche en informatique, en médecine physiologique et c’est encore plus vrai en sciences humaines.

A cause de sa construction et de l’interférence continue des plans, des faces et des axes, vous comprendrez facilement qu’une rupture, ou une simple faiblesse, quelque part dans le modèle va entrainer des conséquences dans tout le comportement du sujet.

Parce que la communication orale et la nécessité d’une certaine précision interviennent dans de nombreux actes de notre quotidien, l’aphasique va rencontrer des difficultés importantes dans sa vie sociale sans que sa Personne soit en cause. On observera aisément ses difficultés à se faire comprendre mais un simple scanner suffira pour montrer que c’est le langage qui est touché et que son sens de la collaboration, pourvu qu’on fabrique les tests adéquats pour palier son handicap linguistique, est intact.

A l’inverse, un schizophrène ne sera pas atteint dans sa capacité à penser et à parler comme son comportement dans l’échange pourrait le laisser penser. Au contraire, certains patients ont une grammaire tout à fait performante mais d’eux seuls comprise. 

Un névrosé bègue passera pour un demeuré si on n’y prend pas garde et l’atechnique donnera l’impression de se foutre de la gueule du monde à ne pas savoir quoi faire d’un stylo. 

Sans aphasique ou atechnique sous la main, nous nous en remettrons à des études pratiquées à Rennes par des proches de Gagnepain. Les pathologies sociales et axiologiques, peut-être parce qu’elles ont été plus étudiées et parce qu’elles sont plus spectaculaires tout en touchant plus de personnes, nous permettront d’observer des phénomènes finalement plus familiers : le cinéma en a souvent fait sa tasse de thé et son biscuit. Joker, Rainman, Birdy, Birdman, Vertigo, Shine, Shutter Island, Le Silence des Agneaux, Psychose, Un Homme d’exception, M le Maudit, Fight Club, Clean, Shaven, Répulsion, Pi, Le Soliste, Split, la liste est longue et variée.

La clinique médiationniste, en ce qu’elle cherche à comprendre les mécanismes à l’oeuvre et parce qu’elle ne se contente pas d’être une simple énumération de symptômes mais tente de les rassembler pour en trouver la rationalité, même défaillante, encore active, n’est pas facile à suivre. Entre le positivisme  simpliste des DSM américains et les élucubrations psychanalytiques, les hypothèses qu’impose le modèle théorique de la médiation tiennent parfois de l’enquête policière en temps de guerre : la collecte d’informations et leur interprétation sont délicates mais passionnantes. Je tacherai de vous en faire saisir l’intérêt sans vous noyer dans l’abscons. La conséquence première de ce choix de clarté sera l’incomplétude du propos. Ce qui sera dit n’a aucune valeur définitive mais ce sont des pistes de recherche qui me semblent tenir la route, quoiqu’à y réfléchir à deux fois, je me demande bien comment une piste peut tenir la route.

Tout le reste est littérature et il y en aura ! A la revoyure !

Les différentes pathologies seront présentées dans leur plan de référence : les aphasies dans le Signe, les atechnies dans l’Outil, les psychoses et perversions sociales dans la Personne et les névroses et psychopathies dans la Norme.

Voici le tableau nosographique que proposait Jean Gagnepain. la nomenclature a été quelque peu revue par les médiationnistes.
Tableau des troubles des fonctions supérieures qui ne sont pas à notre programme pour l’instant.

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