P60 – La kleptomanie est-elle un vol de fétiches?

Un certain nombre de fétichistes sont kleptomanes, ce qui les conduit parfois au poste de police et à l’internement en cas de récidive, ce qui est fréquemment le cas. Quel rapport peut-on établir entre ces deux pratiques? Inspecteur Feitiço, on vous confie le dossier. Mais laissez donc le reste de cette chaise tranquille !!!

Les troubles de la Personne : le fétichisme P60

L’érotisation de la soubrette trouvera son point culminant
dans « La Cage aux folles ».

Comme on l’a constaté à plusieurs reprises, le fétichisme s’impose comme une impérieuse nécessité chez le malade qui ne peut résister à l’irrépressible élan qui le pousse parfois à commettre des larcins. Valentin Magnan, un collègue de Jean-Martin Charcot, rapporte le cas d’un nommé C… Ancien matelot de son état, il ne se contenait plus à la vue d’un tablier blanc et avait encouru plusieurs condamnations pour vol de tabliers justement.

« A quinze ans, il aperçoit flottant au soleil, un tablier qui séchait, éblouissant de blancheur, il approche, s’en empare, serre les cordons autour de sa taille et s’éloigne pour aller se masturber au contact du tablier derrière une haie. Depuis ce jour, les tabliers l’attirent, il ne peut s’empêcher de les prendre, s’en sert pour pratiquer l’onanisme, puis les replace dans le lieu où il l’a pris, ou bien il le jette ou le laisse chez lui dans un coin. Quand il aperçoit un homme ou une femme avec un tablier blanc, il les suit, ne tenant aucun compte du sexe, le tablier seul offrant tout l’attrait ».

« En ajuster un à sa taille est pour lui le suprême bonheur. A ce moment, au comble de la volupté, en plein orgasme vénérien, il éjacule dans le tablier, sans avoir besoin de s’aider de manœuvres onanistiques, tellement la sensation est forte. Il cache l’objet de sa passion, il l’enfouit dans la terre ; dès qu’il est libre, il court à sa cachette, déterre le tablier avec une sorte de frénésie, s’en affuble aussitôt, pour l’enterrer à nouveau, après l’avoir maculé de sperme. C… suit les servantes, non pour elles, mais pour le tablier blanc attaché à leur taille. Il en repaît ses regards et l’attraction fascinatrice est d’autant plus violente que la blancheur du linge est immaculée.

Son existence tout entière a été dominée par la tyrannie de cette obsession qui le faisait pénétrer de nuit, avec effraction, dans une boutique de pâtissier, pour y voler des tabliers blancs. Il semble n’avoir que des rapports assez lointains avec le linge intime de la femme, il se relie, cependant, pour le fétichiste C… à l’idée de sexualité, par cette blancheur immaculée, alba virginitas, et aussi par la région du corps où s’applique cette pièce du vêtement. Lorsque je fus chargé de le visiter et de constater judiciairement son état mental, il venait d’être appréhendé dans des circonstances particulièrement étranges. Longeant, un soir, en sortant de son travail, l’avenue du Maine, il aperçoit à l’étalage extérieur d’un marchand de nouveautés, un mannequin revêtu d’une longue matinée blanche. A cette vue, il reçoit comme une commotion. Dans la demi-obscurité, il distingue mal la nature de ce vêtement blanc. Il croit voir le tablier de ses rêves et, subissant une irrésistible impulsion, il s’élance, se saisit frénétiquement du mannequin, l’enlace dans ses bras et s’enfuit avec sa conquête. Le marchand court après lui et n’a pas de peine à le faire arrêter. C…, qui bénéficia d’une ordonnance de non-lieu, conformément aux conclusions de l’expertise, tomba à la suite de cette aventure dans un accès de mélancolie qui dura plusieurs mois et nécessita son envoi dans un asile d’aliénés. »

Cleptomanie ou kleptomanie, c’est selon…

Aussi rocambolesque que soit son arrestation, le cas de C… n’en est pas moins dramatique à cause du caractère tyrannique et incontrôlable de l’impulsion. Par sa blancheur « virginale » recherchée et sa proximité toute relative avec les organes génitaux une fois porté, le fétiche répond tout à fait aux critères que nous avons déjà mentionnés. Il marque un double rejet de l’obscénité. Jamais en contact direct avec le sexe des femmes ou des hommes qui le portent, le tablier blanc se fait l’emblème immaculé d’une pureté (alba virginitas), même si C… n’est pas toujours aussi regardant. 

On peut alors s’interroger sur la nécessité du vol. Pourquoi enterrer le fétiche une fois souillé et le déterrer pour s’y satisfaire alors que s’en procurer des neufs en les achetant parait plus… évident? Il semble bien que pour C…, le fétiche ne peut acquérir ce statut qu’à la condition d’avoir été porté, ce qui contraint C… à recourir au délit. C’est aussi le cas des fétichistes du mouchoir dans l’obligation de les dérober pour ensuite assouvir en privé leur pulsion. 

Fais pas l’con, Kevin!

Parfois, le pervers se munit de ciseaux et opère des « découpes » dans les vêtements de femmes à la faveur de la promiscuité de lieux publics: cela était rendu possible par l’ampleur des robes et des jupons de femmes de la deuxième moitié du XIXème. On peut rapprocher ces cas de kleptomanie de celui du coupeur de tresses dans le Londres victorien et ceux que Richard Von Krafft-Ebing répertorie dans ses observations 78, 79 et 80 sous le terme de « coupeurs de nattes ».

En 1889, P… est arrêté en flagrant délit, les ciseaux dans la poche et la natte à la main, celle d’une jeune fille. Il avoue 10 méfaits du même type mais lors de la perquisition, la police découvre « 65 nattes et queues assorties et mises en paquets ». On a aussi trouvé chez lui des épingles à cheveux, des rubans et autres objets de toilette féminine qu’il s’était fait offrir. Depuis toujours, il était atteint de cette manie à collectionner des objets de ce genre, de même que des feuilles de journaux, des morceaux de bois et d’autres objets sans aucune valeur, mais dont jamais il n’aurait voulu se séparer, ce qui est la définition même du fétiche par les premiers ethnologues. 

Dans l’impossibilité de se procurer légalement des cheveux, P… doit donc voler pour obtenir son fétiche et y assouvir la violente pulsion sexuelle qui suit le larcin.

Observé par Magnan, E… souffre sensiblement des mêmes symptômes et malgré une première peine de prison de trois mois pour avoir tortiller entre ses doigts la natte d’une jeune et cinq ans de service militaire où il ne fait que rêver de nattes mais pas de corps de femmes entiers, il va récidiver en coupant trois nattes « d’une longueur de vingt-cinq centimètres sur la tête de petites filles qui passaient ». Il sera arrêté à la quatrième tentative. Conscient du danger qu’il encourt, il n’a cependant pas pu résister plus longtemps « à l’obsession de toucher des cheveux de femme, ou, de préférence, de posséder des nattes pour pouvoir se masturber avec ».

Le dernier patient évoqué, X…, semble moins doué pour le vol à main armée, doit se contenter d’embrasser la tête des dames dont il se rapproche à la faveur de mouvements de foule  mais toujours tiraillé par l’incompressible envie qui le pousse à tenter de cisailler la natte d’une jeune fille dans la foule avec un canif, il échappe de justesse à une arrestation traumatisante. Faute de mieux, il vole des cheveux laisser par une femme sur son peigne puis se les fourre dans la bouche pour se masturber. 

Par curiosité, je vous incite à aller jeter un oeil sur les clichés des soeurs Sutherland. L’engouement qu’elles ont provoqué aide peut-être à ressituer dans leur époque nos fétichistes capillaires.

Richard von Krafft-Ebing conclue son article sur les « coupeurs de nattes » en signalant que tels cas qui mènent à des vols de nattes de femmes, « paraissent se rencontrer de temps en temps dans tous les pays. Au mois de novembre 1890, des villes entières des États-Unis de l’Amérique ont été, au dire des journaux américains, inquiétées par un coupeur de nattes. »

Rien ne permet de conclure que le vol ne répond à autre chose qu’une nécessité pratique : on voit difficilement ces hommes demander à leurs victimes de volontairement leur « céder » une bonne partie de leur chevelure. Difficile donc d’établir sur ces seuls rapports psychiatriques si l’acte lui-même entre dans l’obsession fétichiste de ces hommes. 

Je note par ailleurs que ces observations sont toutes faites à la fin du XIXème siècle, époque à laquelle les cheveux se portent longs mais relevés en chignon chez les femmes adultes alors que les nattes et les tresses sont l’apanage des jeunes filles. Sur un plan purement technique, il est beaucoup plus facile de couper une natte qui pend que de cisailler un chignon.

D’autres sujets éprouvent des émois très forts à caresser des étoffes et des dessous féminins raffinés mais les achètent.

Les grands magasins de la fin du XIXème siècle ont constitué des lieux de tentations irrésistibles. Dans Le Cri de la Soie, l’héroïne fauche un coupon de soie rouge avant d’éprouver un violent orgasme en se caressant contre l’étoffe. L’action se déroule en 1914 mais Yvon Marciano s’est inspiré d’une étude détaillée du psychiatre Gaëtan Gatian de Clérambault qui date de 1908 et s’intéresse aux cas de femmes kleptomanes fétichistes, entre 40 et 50 ans, prises en flagrant délit et récidivistes, ce qui tend à prouver le caractère non-fortuits de leur larcins.

Les grands magasins de la fin du XIXème vont exacerber la cleptomanie et Zola en fera état dans « Au Bonheur des Dames ».

Dans sa première observation, Clérambault note à propos de V.B. : « Son premier vol a eu lieu il y a huit ans (à 32 ans) : « J’avais pourtant tout le nécessaire chez moi, et de la soie surtout, comme couturière ». Au moment du vol, elle éprouve une jouissance sexuelle résultant du vol même ; si la pièce de soie lui était, au moment de la tentation, purement et simplement donnée, elle n’en éprouverait nul plaisir. Toutefois, elle croit que le frisson du danger n’entre pour rien dans sa jouissance. Le vol accompli, elle froisse la pièce de soie sans l’abîmer ni la gâter, elle l’applique contre ses parties sexuelles, et l’y frotte. « Je la mets sous mes jupes ; si je la frotte contre moi ? J’ai oublié ; mais il me semble ». Elle n’aurait, paraît-il, pas éprouvé de plaisir à froisser ni à lacérer, ni même à faire « crier » la soie. » Et plus loin. « L’idée du vol lui venait comme une envie ; ensuite, elle en avait des regrets ».

Frou…

Dans la deuxième observation Clérambault note cette fois-ci à propos de F. : « De 1885 à 1905, a été arrêtée 22 fois ; 15 condamnations, 7 non-lieu. Des 15 condamnations, 7 ont été prononcées entre 1897 et 1901 ; une ou deux seulement sont antérieures à 1893 (fièvre typhoïde). Dans les divers délits, le degré d’imputabilité semble avoir varié. De la dégénérescence banale avec amoralité sont résultés des vols intentionnels, soit au début, soit à la fin de sa longue carrière ; plusieurs ont été accomplis sous des faux noms, et avec complicité. Mais certains autres, les plus nombreux, résultaient d’impulsions spéciales dont nous allons nous occuper. Ainsi, pour un vol de 1901, deux vols de 1902, deux vols de 1903, etc. » Plus loin dans le rapport, la patiente évoque son excitation intense à froisser de la soie ou de la faille (tissu assez semblable mais moins coûteux) : « Mais la jouissance est surtout grande quand j’ai volé. Voler la soie est délicieux ; l’acheter ne me donnerait jamais le même plaisir. Contre la tentation, ma volonté ne peut rien ; lorsque je vole, c’est plus fort que moi ; et d’ailleurs je ne pense à rien d’autre, je me sens poussée vertigineusement. La soie m’attire, celle des rubans, des jupes, des corsages. Lorsque je sens le froissement de la soie, cela commence par me piquer sous les ongles, et alors, il est inutile de résister, il faut que je prenne. Lorsque je résiste à cette poussée (sic), je pleure, je suis énervée, je sors du magasin et j’y reviens ; et si je ne peux pas prendre l’étoffe, j’ai une crise.

… frou!

« Je ressens un gonflement de la gorge, et de l’estomac, puis je perds connaissance. Mais quand je peux prendre l’étoffe, je la froisse, cela me produit un serrement d’estomac particulier, ensuite, j’éprouve une espèce de jouissance qui m’arrête complètement la respiration ; je suis comme ivre, je ne peux plus me tenir, je tremble, non pas de peur, si vous voulez, mais plutôt d’agitation, je ne sais pas. Je ne pense pas à la mauvaise action que je viens de faire. Dès que je tiens la pièce dérobée, je vais m’asseoir à l’écart pour la toucher et la manier, c’est là qu’on me voit. La jouissance passée, je suis très abattue, parfois la respiration se précipite, tous mes membres sont courbaturés. Après, il m’arrive de jeter les pièces volées derrière des portes d’allée, ou encore quelquefois mes enfants les rapportent (?) alors elles ne m’intéressent plus. Quand la chose est passée, c’est bien passé. » Et enfin: « Voler la soie est mon plaisir. Mes enfants ont inutilement essayé de me guérir, en m’achetant de la soie en quantité. Si on me donnait le coupon de soie au moment même où je vais le voler, cela ne me procurerait aucun bonheur ; au contraire, cela m’empêcherait d’en avoir ».

Dans la troisième observation, Clérambault note à propos de D. : « Depuis mes 39 ans, mes vols ont toujours été les mêmes, des vols de soie. La soie me donne un spasme étonnant et voluptueux. La soie, je ne peux pas la déchirer, cela fait trop… oh ! (mimique d’un frisson)… Au moment de voler un peu de soie, j’éprouve une angoisse, je me défends, et j’éprouve ensuite une jouissance. Voilà. C’est toujours la même chose. »

Le fétichisme de la monnaie, c’est une autre histoire et j’y reviendrai bientôt.

Hubert Guyard mentionne les observations de Clérambault mais préfère détailler un exemple plus singulier encore. « Mariée depuis six mois, elle (appelons-là K…, c’est moi qui ajoute) éprouva un besoin impérieux de voler de l’argent dans le secrétaire du bureau de son mari. Elle n’en avait pas besoin, car elle était comblée à tout point de vue. Cette obsession lui causait du remords, mais elle se faisait de plus en plus urgente. À la fin, elle y céda et déroba une petite somme de monnaie. Au moment du vol, elle éprouva un violent orgasme sexuel. Celui-ci fut suivi de regrets, d’un sentiment de déchéance morale ; elle se fit des reproches, mais n’avoua pas son larcin. Deux mois plus tard, elle vola de l’argent à une de ses servantes et éprouva au cours du vol le même orgasme. Dans la suite, au cours des dîners qu’elle donnait, montait en elle l’obsession du vol avec lutte anxieuse, mais dès la fin du repas, elle se précipitait à l’office ou à la cuisine pour voler les pourboires des domestiques, au risque d’être surprise. Chaque fois, elle éprouvait pendant le vol des vertiges, du tremblement et un orgasme de courte durée. Elle se jurait de ne plus recommencer, mais chaque fois le besoin était le plus fort. » En fait, Guyard cite L. Massion-Verniory qui lui-même cite M.Boss (impossible de remettre la main sur leurs prénoms entier), mais aucun des trois ne me semblent parvenir à trouver une version convaincante de l’origine de la kleptomanie chez cette patiente. Ce n’est d’ailleurs pas notre problématique du jour.

On distinguera bien la cleptomanie du vol lucratif et la cleptomanie fétichiste de la cleptomanie hystérique.

En effet, la théorie de la médiation n’est pas une thérapie contrairement à la psychanalyse et à la psychiatrie qui sont à vocation curative, l’une par formulation du trauma initial, l’autre par stabilisation neuro-médicamenteuse. Massion-Verniory trouve dans le passé de K… des éléments troublants qui laissent très sérieusement à penser que l’origine de la perversion s’y trouve. Mais ce qui me parait être le noeud du problème, c’est en réalité la nature du fétiche lui-même, ici l’argent, un argent dérobé soit à son mari soit aux domestiques. De quoi est-il l’emblème dans le cas présent? Que cherche-t-elle à s’approprier?

Si ce type de kleptomanie est liée au fétichisme, ce que nous pensons, le kleptomane ne vole pas n’importe quoi. C’est ce qui le distingue d’un autre type de voleur obsessionnel, porteur d’un trouble probablement lié à l’hystérie, beaucoup moins regardant sur l’objet du larcin puisque c’est dans le passage à l’acte que tout se joue.

Chez le fétichiste, le vol participe lui aussi au trouble mais pas de la même manière. Guyard écrit : « Le seul fétiche qui compte, c’est celui que l’on n’a pas, et que l’on dérobe. « Le plaisir de se faire prendre sur le fait, ou de risquer de se faire prendre, est d’ailleurs patent chez ces délinquantes ; et ce plaisir témoigne du fait qu’elles reconnaissent la loi, si elles la dénient ». La sélection de l’objet dérobé est extrêmement précise, car il s’agit, en général, d’un seul et même fétiche, par exemple un morceau de soie, lequel perd tout son intérêt aussitôt que le vol est terminé. » La citation incluse est très probablement de Jean Gagnepain (Les conditions de l’expérimentation, séminaire inédit, 1983-84). Le délit qu’est le vol nous entraine vers la Loi, ici sous la forme de l’institution de la propriété : le kleptomane ne fait pas que chaparder sans discernement, il s’empare d’une partie de l’Autre. Le propriétaire de l’objet dérobé n’est pas anodin puisque la chose subtilisée est l’emblème d’un statut spécifique de cet Autre.

Le cas nippon évoqué ci-contre.

Je ne m’y attarderai pas maintenant mais la remarque de Gagnepain me pose un problème de cohérence clinique. On verra dans les chapitres suivants que l’exhibitionniste se heurte délibérément à la Loi et à l’intimité pour en éprouver les limites : incapable de savoir où il doit s’arrêter, il provoque donc la « rencontre ». L’effraction est une tentative de retrouver des limites qu’il ne pose plus spontanément. Le fétichiste au contraire ne se contente pas de les poser mais il les repousse constamment et déplace la personne vers un de ses biens, caractéristiques de son être, jusqu’à l’en détacher. Le morceau de soie est un cas extrême, la fourrure est déjà socialement plus identifiable. Quand aux sous-vêtements que ce jeune Japonais épinglé par la justice nippone, ils semblent sans équivoque. Ce qui l’est moins, c’est le fait que ce patient multirécidiviste ne s’intéresse nullement à des dessous portés par sa mère, sa soeur ou même ses petites amies. Une explication possible est que dans l’idée implicite de repousser la sexualité, il a déplacé son intérêt non pas vers une partie du corps moins sexuelle mais sur le linge encore sans propriétaire et par conséquent non-porté. L’emblème est alors rendu anonyme par le vol en magasin : il reste fortement sexué mais perd en intimité, ce qui est en quelque sorte le contraire du fétichiste du clou de chaussure très personnel mais guère sexy.

– Sergeï, tu me reçois? garde un oeil sur la grosse dame en vert et en surpoids, sa poitrine n’a pas l’air naturel.

Reste que notre Japonais préfère, peut-être par simple honte, risquer d’être pris à voler en magasin plutôt qu’à soustraire leurs effets intimes à ses proches. 

Pour les voleuses des magasins, le risque d’être surprise à enfreindre la Loi semble participer de l’excitation. Le cas précédent pourrait d’ailleurs relever du même principe mais j’ai égaré le numéro de téléphone de ce jeune homme qui a suivi une thérapie comportementale avec succès. Si on en revient à K…, l’orgasme lié au vol atteste de son importance dans le trouble. Cependant l’objet du délit lui-même reste obscur. Pourquoi l’argent du mari d’abord, des domestiques ensuite et pourquoi pendant la présence d’invités? Que représentent ces pourboires? L’infraction que représente le vol n’est certainement anodine dans le fétichisme puisqu’elle vise la propriété qui est au coeur de l’Instituant. En s’appropriant illégalement le fétiche, le pervers enfreint la Loi dont il a pleinement conscience et cela, comme le rappelle Gagnepain, provoque chez lui un frisson comparable à celui que ressent le cleptomane hystérique à l’idée de se faire prendre sur le fait.

Si vous rêvez de votre oncle ainsi vêtu,
n’hésitez pas à consulter…

Guyard plussoie la thèse de Massion-Verniory : « Chez le pervers, l’objet volé acquiert une valeur symbolique de même signification que le fétiche. » Il parle également de « déviation dans le choix objectal ». En d’autres termes, la jouissance éprouvée en volant un type d’objet spécifique, l’argent dans le cas de K…, serait équivalent au plaisir ressenti par contact avec le fétiche. K… rêvait souvent que l’oncle fortuné qui l’avait recueillie à l’âge de 11 ans lui donnait des pièces d’or et des robes dorées. « Elle rêva au moins une fois d’une scène d’amour complète avec son oncle. » Le raisonnement est donc le suivant: afin de réprimer son attirance sexuelle envers son tuteur, K… a opéré à son insu un déplacement fétichiste de l’oncle vers sa fortune, puis de sa fortune vers l’argent, de l’argent vers le pourboire, celui-ci ne pouvant avoir de réel intérêt pour elle que comme emblème du parent tutélaire inaccessible. C’est ce qui permet à Guyard d’écrire que « le seul fétiche qui compte, c’est celui que l’on n’a pas, et que l’on dérobe », dans le cas du kleptomane en tous cas, tous les fétichistes ne l’étant pas. Le vol participe donc de la répression de l’obscénité que représente pour K… l’accouplement avec celui qui l’a recueillie.

Dans le fétichisme, le vol consiste donc à s’emparer sans consentement de l’emblème d’un statut du partenaire potentiel. Le lien entre ce dernier et l’objet qui se substitue à lui est parfois si ténu que le délit parait inexplicable. Cela tient sans doute au fait que le pervers repousse parfois aussi loin que possible du corps sexué du partenaire le choix du fétiche dans un souci d’élégance selon le terme de Guyard. Si le vol n’est pas en soi raffiné, il l’est au regard de l’agressivité et de la bestialité d’un viol auquel il s’apparente pourtant comme je l’ai déjà signalé dans un chapitre précédent. Le vol à la dérobée est alors une dérobade élégante où le fétichiste n’entre même pas (ou à peine) en contact avec la victime dont il cherche finalement à rester le plus éloigné possible. On se souvient de cet homme qui embrassait subrepticement les cheveux des femmes dans la foule avant de s’enfuir.

Ou encore : « Un jeune Allemand qui attaquait des passantes pour leur voler leurs chaussures à talons a été arrêté et incarcéré. C’est ce qu’a annoncé la police de Bonn. L’homme, originaire de Troisdorf, et âgé de 27 ans, est soupçonné de neuf vols de chaussures de piétonnes commis depuis 2008 dans la région de Bonn et de Cologne (ouest). Selon la police, l’homme attaquait « en général » ses victimes par derrière et les « poussait » à terre pour leur dérober leurs souliers. »

La logique voudrait que le fétichiste ne puisse pas être un violeur puisqu’il aura tendance à fuir la promiscuité à laquelle contraint la pénétration. Or quelques cas criminels ne cadrent pas avec cette thèse comme nous le verrons par la suite.

Toujours est-il que le lien entre kleptomanie et fétichisme ne s’expliquerait que par le refus du pervers d’entrer en relation avec la porteuse (plus rarement le porteur) du fétiche. L’autolyse par sa dynamique de retrait pourrait expliquer le délit : le fétichiste ôte illégalement le fétiche pour se soustraire au rapport avec l’Autre. Dans cette stratégie d’évitement, subtiliser parait la meilleure solution de se procurer l’objet convoité aussi hors-la-loi soit elle.

Tout le reste est littérature! A la revoyure!

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