N12 – Un acte peut en cacher un autre

Fait-on vraiment ce qu’on croit faire? Les actes qu’on commet par inadvertance sont-ils fortuits? Freud et la psychanalyse ne le pensaient pas et la théorie de la médiation lui a emboité les pas. Sans pour autant tomber dans un délire interprétatif à deux balles.

le plan de la Norme N12

Gagnepain réserve le terme de transfert au traitement éthique d’une pulsion à contenu social. Et il utilise celui de stratagème pour parler de la stratégie restrictive de la Norme sur un contenu de type technique. Ça parait alambiqué comme formule mais si je vous dis acte manqué, vous voyez immédiatement où je veux en venir.

A la suite de Freud, pour la théorie de la médiation, l’acte manqué marque, malgré son nom, le passage à l’acte réussi de la pulsion, l’irruption dans notre activité d’une action qui techniquement n’a aucune efficacité, bien au contraire. Il s’agit de méprises, de maladresses, d’oublis, d’égarements et autres erreurs. Ces ratés n’ont, en apparence, pas de raisons d’être: ils interviennent dans des activités que vous accomplissez habituellement sans difficulté et parfois même machinalement. L’échec résulte peut-être d’une inattention mais il peut aussi être l’expression d’une échappée de désir dont vous n’avez pas conscience. 

Vous égarez dans votre ordinateur une facture que vous estimez ne pas avoir à payer. Vous oubliez de faire votre déclaration d’impôts. Vous n’arrivez pas à retenir le nom d’une personne. Vous l’orthographiez systématiquement mal. Vous posez vos clefs de voiture dans un endroit inhabituel le jour où vous devez aller chez votre tante qui vous emmerde. Vous vous trompez d’étage pour aller chez votre dentiste. Vous oubliez votre téléphone alors qu’on est sensé vous appeler pour un service. Vous bégayez devant certaines personnes. Les ratés de la vie ne manquent pas sans oublier les lapsus linguae qui relèvent du discours mais répondent au même mode de fonctionnement.

Bon, pas question non plus de sous-estimer l’inattention et de tout mettre sur le compte d’un Projet implicite. Ce n’est tout de même pas l’apocalypse à chaque bévue. On peut rater une marche sans que l’inconscient ait fait des siennes. Cela dit, si vous manquez régulièrement la même marche qui mène chez une personne que vous craignez ou si vous boutonnez systématiquement de travers votre blouse de travail, cela vaut peut être la peine de chercher la véritable cause de ce ratage.

Lorsque votre faute de frappe sur le clavier s’explique par la proximité de deux touches, elle peut passer pour une erreur de manip’ mais lorsque le raté technique n’a aucune explication ergonomique, on peut lui chercher un autre motif, une motivation plus plaisante car ne l’oublions pas, c’est toujours de jaillissement du plaisir qu’il s’agit.

Lorsque la bavure prend un caractère sexuel, elle se repère facilement.

Mais elle peut passer tout à fait inaperçue dans la plupart des cas. Si vous avez pris l’habitude de griffonner sur votre bloc-note, vous y trouverez peut-être des figures récurrentes qui peuvent présenter un intérêt: l’analyse graphologique repose sur l’idée que l’écriture, acte rapide qui devient automatique, est aussi un espace où les pulsions peuvent percer. 

Le célèbre test de Rorschach, test de personnalité publié en 1921, qui porte le nom de son inventeur, le psychiatre suisse Hermann Rorschach, est destiné à mieux cerner la personnalité des individus qui y sont soumis, en fonction de leur libre interprétation des taches d’encre proposées sur les dix planches imaginées par Rorschach. Personnellement, je ne suis pas surpris d’y voir …

une radio du bassin

un troll qui défèque

un chat vu du dessous

On a tous joué à ce jeu-là dans le ciel. Et que dire des lapsus que Freud a largement étudiés sous le terme de witz (mot d’esprit, trait d’esprit ou lapsus en français). Je ne citerai que l’un des exemples les plus connus de mots-valise par condensation (et donc association d’idées) et qui pour une fois n’est pas à caractère sexuel. Freud l’emprunte à l’écrivain Christian Heine. Reçu par le richissime baron de Rothschild, d’une manière tout à fait « simple et conviviale », le personnage de Heine, Hirsch Hyacinthe, raconte: « il me traitait tout à fait d’égal à égal, de façon toute famillionnaire». Le mot-valise condense familier (ou famille d’ailleurs) et millionnaire. Petite merveille d’encastrement involontaire dont Lacan fit ses choux gras. L’invité ne peut s’empêcher de dire que son hôte est blindé malgré la simplicité de l’accueil.

Au-delà de la boutade, vous voyez que dès que les mécanismes de restriction relâchent leur vigilance à cause du sommeil, de la fatigue, du stress, de la mise en pilote automatique, la libido ne demande qu’à pointer.  La littérature psychanalytique est pleine d’exemples de ces lapsus pas toujours tordant de rire, il faut l’avouer, car l’intérêt du mot d’esprit, volontaire ou pas, qui fuse, c’est justement sa fulgurance. Raconté, c’est nettement plus laborieux.

Je ne choisirai que deux cons, et non des moindres, pour servir d’exemples.

Le 26 septembre 2010, Rachida Dati prononce lors d’une émission de télé le mot fellation en voulant parler d’inflation. Le 1er avril 2011, l’inébitable Rachida lors d’une interview sur LCI lâche un gode qui fait tache en voulant parler d’un code des bonnes pratiques.

Le 17 octobre 2010, Brice Hortefeux interrogé au cours d’une émission radiophonique sur les fichiers cite les empreintes génitales en voulant dire génétiques.

Ça les rendrait presque sympathiques. Mais quand Castaner parle des « patrons des collèges et des lycées », c’est nettement moins drôle et tout aussi révélateur.

Avec ces « couilles dans le potage »… oh pardon, ces lapsus grivois, on est loin des witz subtils de la bonne société autrichienne où officiait Freud. La « qualité » des dérapages linguistiques est à l’aune des conditions dans lesquelles ils surviennent. On se lâche plus ou moins et plus on se lâche, moins le jeu des mots vole haut: ce type de plaisir ne regarde pas à la trivialité. 

Nous n’avons pour l’instant parlé que des loupés visibles et risibles. Mais la plupart du temps, même si la véritable motivation de nos actes reste la recherche d’une satisfaction, elle passe inaperçue. Freud citait l’exemple de ce gamin sadique qui coupait les queues des chiens avant de faire carrière dans la chirurgie. Je n’en suis pas là mais j’éprouve, il faut le reconnaitre, un plaisir assez vif à trancher les blancs de poulet en aiguillettes jusqu’à décliner le service que me propose le boucher. Vous-mêmes, ressentez-vous une quelconque jouissance en coupant votre steack commandé saignant? Où vous contentez-vous de faire les parts dans un gâteau bien moelleux? D’éventrer une pastèque? Ou d’égorger les concombres?

Tout le reste est littérature! A la revoyure!

Erratum: c’est inévitable Rachida qu’il phallait lire.

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