H9 – Et si la propriété n’était pas un mal héréditaire….

On rêve tous d’hériter. D’un vieil oncle oublié en Amérique qui aurait fait fortune dans l’industrie de la pizza à Chicago. Ce n’est pourtant pas un cadeau, l’héritage… à grosses doses en tous cas.

La propriété mise à nu (9ème partie) H9

Quand il s’agit de valeurs matérielles, le capital, aussi minuscule soit-il, n’est pas prêt à partager et le premier Johnny venu vous le dira: ça chie dans les familles dès que le défunt laisse derrière lui autre chose qu’un bon souvenir.

En revanche, quand il s’agit d’idées, les classes possédantes sont prêtes à partager même quand on ne leur demande rien. Et ça déborde même les frontières de la classe. Rêvons donc un peu: la richesse n’est pas une fatalité, la bourgeoisie non plus.

Vampires et droits de succession 

Quand vous abordez la question de l’héritage, vous avez toutes les chances de tomber sur le descendant d’une malheureuse victime que le Fisc aura détroussée lors d’une succession: à en croire ceux qui n’ont pas encore hérité, parce qu’on hérite en moyenne autour de 58 ans en France, l’État pomperait plus de la moitié du pactole. D’où tirent-ils ces informations? De la rumeur qui bouche le tuyau.

Or, contrairement à ce qui se dit, le barème des droits de succession est fortement progressif (on n’a pas dit progressiste). Comme pour l’impôt sur le revenu, plus le montant net taxable de l’héritage est important, plus les droits à payer sont élevés. Et les héritiers de pleurer sur ce qui leur échappe, oubliant de se réjouir pour ce qui leur reste.

Il faut aussi préciser que la nature des liens de parenté entre le défunt et son héritier est prise en compte. Plus ces liens sont étroits, plus les droits sont faibles. Ainsi, dans le cas d’une succession entre parents et enfants (même si on ne pouvait pas s’encaisser avant la mise en bière), le taux applicable est de 5% jusqu’à un montant taxable de 8 072 euros, puis il grimpe à 20% entre 15 932 et 552 324 euros, pour s’établir à 45% au-dessus de 1 805 677 euros. Et donc si nos calculs sont justes, pour un héritage de 2 millions, vous verserez 617 394 euros au Fisc, et il vous restera quand même 1,3 million et des poussières. 

Pas de quoi se plaindre en fait et pour 8000 euros, vous auriez déboursé à peine 400 boules. C’est pas rien mais c’est pas le régime féodal non plus.

Par contre, dans le cas d’une succession entre frères et sœurs, le fisc est nettement plus glouton: 35% de droits à régler jusqu’à 24 430 euros et 45% au-dessus de cette somme. 

S’il s’agit d’une succession entre parents au-delà du quatrième degré (arrière- cousins, arrière-petits-neveux…) ou entre non-parents (entre simples concubins, par exemple), le fisc s’adjuge même 60% du montant taxable, et cela dès le premier euro d’héritage perçu. Ça frise le scandale! Non mais sans blague!

On conseille donc aux concubins de se marier. Pour les autres, dites-vous bien qu’il n’y a rien de moins sûr que votre frangine ou votre cousin pense à vous pour un héritage. 

J’ai moi-même un cousin vraiment blindé. Eh bien, je peux vous annoncer dès aujourd’hui, qu’il n’y a pas de danger pour qu’il me verse un seul centime. Y a que dans les films que ça arrive, ce genre de trucs! Quant à ma soeur, qu’est-ce que vous lui voulez d’abord? Nous voici donc tranquilles sur le plan comptable. Inquiétons-nous à présent de l’aspect éthique de l’affaire.

De l’eau dans le Gattaz Jr

(Depuis que l’article a été écrit pour la première fois, Geoffroy Roux de Bézieux a remplacé Gattaz Junior à la tête du Medef. Et donc le jeu de mot n’a plus court et le successeur de Pierrot n’est pas un rigolo. Et donc reprenons.)

Vous vous souvenez du Chat botté? Eh bien voici, le début de l’histoire. À son décès, un vieux meunier laisse à ses trois fils l’intégralité de ses biens. L’aîné hérite du moulin, le cadet de l’âne et le benjamin du chat. C’est l’application du droit d’aînesse qui n’avait légalement cours que dans la famille royale et chez les nobles sous l’ancien régime, qui fut aboli pendant la Révolution, puis rétabli en 1826 avant de disparaitre définitivement en 1849. Au Japon, il a fallu attendre 1948, soit trois ans après les bombes atomiques: ça n’a aucun rapport de cause à effet mais il n’est jamais inutile de rappeler la barbarie américaine. 

L’idée du droit d’aînesse, c’était de ne pas morceler le fief, puis plus tard d’éviter d’avoir à vendre le domaine ou le bien en cas de désaccord entre les héritiers ou tout simplement de non-accord sur celui qui garderait ce bien. Sur du numéraire, le problème ne se pose pas de la même manière. On peut le diviser sans en altérer la valeur. Et c’est aussi plus facile à planquer dans des paradis fiscaux. 

Les familles où l’héritage fonctionne bien forment des dynasties: la maison Rothschild serait ainsi cinq fois plus riche que les huit plus grosses fortunes individuelles mondiales cumulées, soit 2 000 milliards de dollars. Un bel esprit de famille dans cette communauté capable d’adopter un Pompidou pas encore grand serviteur de l’État ou un Macron tombé du giron de l’ENA. Si vous aimez les arbres généalogiques, on vous recommande celui-ci.

Le partage est aujourd’hui égalitaire en France, faute parfois d’être équitable: on n’hérite pas selon ses besoins mais selon son lien de parenté. 

Que l’État s’immisce dans les transactions posthumes pour percevoir une taxe alors que la douleur de la perte de l’être aimé n’est pas encore éteinte, voilà qui peut sembler barbare! L’héritage n’est-il pas le lot de consolation des âmes en peine? Non mais sans blague!

« Les héritages vont trop souvent à des incapables et n’apportent que des calamités par la tendance à l’oisiveté qu’ils engendrent chez l’héritier. Un adage populaire dit: la première génération crée la fortune, la seconde la fait fructifier, la troisième la dilapide. »

Alfred Nobel

Parmi ceux qui réussissent les critiques de l’héritage ne manquent pas et parfois même aux États-Unis où l’accumulation est pourtant un sport national. Mais ils fustigent plutôt l’oisiveté des fils de et des filles à papa car rien ne semble pire pour le self-made-man que le fainéant. On est loin de l’idéologie de la noblesse de l’ancien régime jamais décidée à lever le petit doigt pour se rendre utile sinon pour aller se couvrir de gloire sur les champs de bataille.

«Un homme très riche doit laisser à ses enfants assez pour qu’ils puissent faire ce qu’ils veulent mais par trop pour qu’ils ne fassent rien. » 

Waren Buffet

Quittons les milliardaires de la réussite financière pour rejoindre les penseurs sociaux. De Saint-Simon à Keynes, en passant par Bakhounine et Marx, on a toujours réclamé de limiter l’héritage. En effet, ce dernier favorise la reproduction sociale et donc la reconduction des inégalités dans des sociétés de classes hiérarchisées. La tendance tendrait même à s’accroitre vu que les libéraux largement au pouvoir dans le monde ne sont jamais pressés d’augmenter la pression fiscale sur la transmission alors même qu’ils prônent l’injection des capitaux dans l’économie. Le capital se concentre donc dans les mêmes mains de générations en générations. 

Si les héritiers étaient des investisseurs et non des spéculateurs, ça se saurait et ça ruissèlerait un peu plus. Pierre Gattaz, l’héritier d’Yvon sur plus d’un plan, avait annoncé qu’un million d’emplois seraient créés grâce au CICE. Et puis il a oublié. Non mais sans blague!

Mieux encore! Alors qu’ils honnissent l’assistanat, les libéraux ne se précipitent pas pour réclamer l’abolition de l’héritage. Celui-ci s’apparente pourtant à une allocation familiale conséquente, non?

Plus sérieusement, les riches paient de bonnes études à leurs enfants, faute parfois de prendre le temps de les éduquer eux-mêmes, et leur mettent ensuite le pied à l’étrier pour se lancer dans la vie économique. Ils seraient aussi cons que grippe-sous d’attendre de mourir pour lâcher du flouze à leur progéniture. Mais on a vu des cas où… Non, pas de noms! De toutes façons, c’est pas la générosité qui étouffe les capitalistes!

Hériter au mérite

Et donc, contrairement à l’évidence du départ, la transmission familiale des richesses n’a rien de particulièrement pertinent. C’est peut-être contre-intuitif mais on peut carrément lui trouver une certaine nocivité. De Noblesse Oblige à The Grand Budapest Hôtel, les films regorgent d’héritages qui tournent au massacre. Que de mauvais sentiments aurait-on évité aux Bettencourt et autres Hallyday en supprimant l’hérédité de la propriété! 

Sans compter qu’hériter à 57 ans, c’est un peu tard. Bon, c’est vrai, on peut alors envisager de partir en préretraite un peu plus sereinement. Mais c’est quand on élève ses enfants qu’on a le plus besoin d’un coup de pouce. C’est d’ailleurs ce qui se passe actuellement où certains grands-parents aident financièrement les jeunes. Les moins crevards parmi le troisième et quatrième âge peuvent ainsi s’assurer de la visite à la maison de retraite. Non mais sans blague.

Nous étions là sur des héritages de petit calibre: un appartement, une maison, quelques milliers d’euros sur le compte, la collection de BD, une poignée de Louis d’or et la vieille Norton dans le garage. Mais c’est sur la propriété lucrative que les questions les plus mordantes se posent. 

Passe encore la gestion de biens immobiliers: faut pas avoir un QI de 170 pour encaisser des loyers et réparer une chasse d’eau. Mais quand on en arrive à la gestion des moyens de production plus importants, des capitaux colossaux et des « ressources humaines », est-il vraiment sage de les laisser aux mains des descendants de mauvais génies qui ont amassé ces fortunes grâce à la ruse et à la fraude? C’est, quand on y pense, aussi naïf et stupide que d’être royaliste. 

Même délictueux, l’accaparement est le fait d’une volonté et d’un effort. Le capitaliste capitalisant a au moins le mérite à un moment en tout cas d’avoir oeuvré pour s’enrichir. Bill Gates est sans doute un dangereux con mais pas un fainéant. Nobel tablait sur deux générations pour créer et faire fructifier le patrimoine mais l’accélération du processus et l’allongement de la durée de vie le place de son vivant à la tête d’une immense fortune et ses trois enfants seront donc en position d’avoir à dilapider le pactole. Mais il ne leur en donnera pas l’occasion puisqu’il ne leur laissera que 7 millions d’euros chacun et c’est même une tendance aux États-Unis.

D’accord, on peut rire parce que démarrer dans la vie avec 7 millions, c’est tout de même un gage de réussite. Mais l’idée de Gates est que le principal héritage de ces enfants est culturel: leur éducation va leur permettre de trouver une place dans la société. L’essentiel de sa fortune ira donc dans une fondation pour aider ceux qui ont moins bien réussi ou qui n’ont pas tous les atouts pour réussir. Ça parait plutôt cool mais on reste  dans le domaine privé et les époux Gates n’aident que ceux qu’ils pensent devoir être aidés.

Pas sûr qu’ils participent au financement de la recherche dans le logiciel libre ou dans la lutte contre la fraude fiscale. Ça reste du caritatif à la papa. Mais bon, ce n’est pas le sujet…

Et comme il se fait tard, nous reviendrons sur l’héritage culturel qui lui se transmet souvent sans que les héritiers n’aient rien demandé.

Tout le reste est littérature! A la revoyure!

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