H11 – Open source et éducation populaire

Qu’en est-il de la propriété dans l’univers virtuel de la toile? De la richesse s’y crée et des fortunes s’y font. Mais les cas les plus intéressants concernent de généreux donateurs dont j’ai la prétention de faire partie, tout simplement parce que j’ai tellement reçu que je me dois de partager ce que je crois pouvoir être utile aux autres.


La propriété mise à nu (11ème et dernière partie)

« On ne peut pas dire la chose que les autres appellent « Propriété Intellectuelle » parce qu’il n’y a pas de telle chose. Cette chose n’existe pas, voici l’erreur, voici la confusion. »

Richard Stallman

« Vos notions juridiques de propriété, d’expression, d’identité, de mouvement et de contexte ne s’appliquent pas à nous. Elles se fondent sur la matière. Ici, il n’y a pas de matière. »

Déclaration d’indépendance du cyberespace (1996) de John Perry Barlow

Le web a radicalement modifié le rapport à la diffusion de la création. Finie la sacralisation de l’unique qui n’est finalement apparu qu’au XVIIIème siècle en Occident, avec la philosophie libérale et individualiste des Lumières, et qui s’est exacerbée avec le romantisme et l’égotisme. 

Auparavant, on copiait allègrement. La paternité de l’oeuvre n’était pas une obsession. Et si l’authenticité en est actuellement une, c’est pour une histoire de pognon, non? J’entends déjà mes amis du musée qui protestent. Et je leur réponds: à qui profite le caractère unique d’une oeuvre? Et je me réponds: à celui qui croit avoir acheté l’original, le benêt rapiat qui a investi une grosse somme en espérant un jour ou l’autre en tirer un plus gros profit à la revente. Aimer une chose ne nécessite pas qu’on l’acquiert. Il suffit que j’y aie accès quand je le désire. Ça marche pour la pelouse comme pour L’origine du monde.

Crédit Martin Gore avec l’accord de Gustave Courbet et de la FIFA

Bon, là j’entends encore mes amis du musée qui me demandent comment alors, on peut participer au financement des artistes dont on aime le travail. Et là, je dis: je suis anticapitaliste et je crois que l’accumulation de richesses est le symptôme d’une pathologie, que le salaire à vie pour tous sans condition est une solution pour les artistes et que l’art se porterait mieux sans les parasites cupides qui gravitent autour des créateurs. On s’attardera bientôt sur la question du salaire à vie dans un exposé sur Bernard Friot. Mais Usul lui a consacré une petite émission rigolote, ce qui n’est pas toujours le cas de Friot dont l’humour cinglant ne plait pas à ses contradicteurs.

Un statut pourrait être envisagé afin de sortir les artistes des griffes des galeristes et des spéculateurs. Ils pourraient créer sans la crainte de ne pas boucler les fins de mois. Leurs oeuvres ne seraient pas vendues mais elles appartiendraient à la communauté qui les auraient subventionnées, notamment dans le cas de travaux de tailles plus conséquentes qui demanderaient un investissement financier (et ça se fait déjà!). Une partie du temps de l’artiste serait également consacrée à l’enseignement et à la direction de projets collectifs. Fin de la parenthèse. 

Et retour sur la toile

Au niveau de l’informatique, les logiciels libres (free software) et leur variante de l’open source (in French code source ouvert), sont apparues en réponse aux solutions propriétaires. Le hacker Richard Stallman, l’initiateur de ce mouvement, pourrait sans doute aujourd’hui être milliardaire comme Bill Gates ou mort comme Steve Jobs. Mais il n’est ni l’un ni l’autre: il gagne sa vie grâce aux conférences et aux récompenses.

Stallman est aussi l’auteur de cette petite nouvelle sans prétention mais pleine d’enseignement.

On ne rentrera pas dans la polémique qui l’a opposé à Eric Steven Raymond, un autre grand hacker américain. Retenons simplement que pour ESR, le développement libre étant plus efficace que le développement non-libre, un auteur qui développerait un code non-libre à partir d’un code libre sera inéluctablement puni sur le plan économique privé où il a décidé de se placer par la production d’un code moins efficace que les améliorations libres du code libre initial qui ne manqueront pas de débarquer en open bar. Inutile d’ajouter qu’ESR est libertarien. 

En prenant bien garde de ne pas le réduire à l’informatique, le terme ubuntu est souvent lié au proverbe « Umuntu ngumuntu ngabantu » signifiant approximativement : « Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes », ou d’une manière plus littérale : « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous ». 

Holisme et intelligence collective ne sont pas loin. Le partage,  l’ouverture et la collaboration enrichissent mutuellement ceux qui les pratiquent. La dialectique à plusieurs, c’est à dire le débat ou la confrontation, génère de nouvelles idées. Les pensées se fécondent. Ça marche aussi pour la musique et n’importe quel savoir. Reste que l’auteur doit recevoir une reconnaissance digne de son effort et de son talent.

Le Che à toutes les sauces

La mise en ligne d’une vidéo, d’une photo ou d’un texte expose l’oeuvre à sa reproduction et même pire. Martin Gore est le premier à détourner des oeuvres, mais aussi des propos. Y a de l’abusus dans l’air! Certes, mais si je n’en tire aucun profit financier (fructus), on aurait mauvaise grâce à nous réclamer des dommages et intérêts. 

Le plagiat et même la parodie sont par ailleurs une manière détournée de reconnaitre la valeur de l’original. La reprise musicale qu’on appelle en anglais le tribute est justement un tribut qu’on verse à un inspirateur qu’on honore.

Reste la question des droits moraux distincts des droits patrimoniaux. Depuis 2002, les licences Creative Commons proposent six solutions qui préservent les droits de l’auteur sur sa création sans pour autant gêner la diffusion de la culture.

Les articles de Wikipedia sont publiés sous licence Creative Commons Attribution – Partage dans les Mêmes Conditions (CC-BY-SA). Et c’est ce que je suis en train de faire. Je reproduis à l’identique sans but commercial. 

L’homme qui a photographié le Che n’en a jamais touché de droit d’auteur à titre privé: Alberto Korda a en effet accepté que cette effigie soit reproduite tant que son exploitation ne l’a pas été à titre commerciale. Quand une marque de vodka a voulu s’emparer de l’icône, il a touché des droits qu’il a reversés à Cuba. Sa fille poursuit semble-t-il ce combat mais le phénomène a fait tache d’huile depuis longtemps.

Les réseaux sociaux se sont dotés d’un système de gratification plutôt futé mais mal compris: le nombre de pouces bleus, de coeurs et de partages est visible de tous. La notoriété instantanée est la traduction quantitative et, il faut bien le dire, plus affective que rationnelle, de cette rémunération non numéraire.

L’auteur bénéficie de cette manière de la reconnaissance auquel il a droit. Cette reconnaissance est le moteur de la création non-lucrative, qu’on pourrait abusivement appeler gratuite. En écartant le profit, on revient à un modèle d’échange non-marchand. C’est le partage viral qui vaut son heure de gloire au géniteur sans que le fruit de ses entrailles ne lui rapporte un kopeck. 

Récemment, un jeune (puisque que c’est son prénom et qu’il ne lira jamais ces lignes) trouvait particulièrement injuste ce traitement non pécuniaire estimant que pour le futur ingénieur qu’il allait sans doute être la consécration se faisait à l’INPI sous la forme d’un brevet et de droits sonnant et trébuchant.

J’ai alors demandé à Arthur s’il avait jamais versé un seul centime à Euclide ou Pythagore dont il se sert pourtant tous les jours sans oublier de lui rappeler que son employeur se ferait un plaisir de déposer le brevet à sa place et qu’il avait intérêt à bien lire sa convention collective au sujet de la prime éventuelle qu’il pourrait toucher. Il a pali. 

Profil à tout prix

On ne peut pas en vouloir aux capitalistes de chercher à faire de l’argent avec une mine d’or inépuisable ou sur le dos des inventeurs: c’est basique et animal comme on l’a déjà vu dans La pathologie du gulo gulo. Ces gens-là sont de grands malades et refusent de se soigner.

Mais on peut leur reprocher de rechercher le monopole pour bloquer la création concurrente, ou d’exploiter honteusement le talent des vrais auteurs. Facebook, Google et autre YouTube ne vivent que grâce à nous, utilisateurs certes mais aussi fournisseurs de données, mais ne versent pas un centime à ceux qui leur apportent la matière première. Pire, ils les revendent.

Les moteurs de recherche et les réseaux sociaux nous rendent certes service. Mais ils n’existeraient pas sans le contenu personnel que nous leur fournissons. Quant à la manipulation à laquelle ils se livrent sur notre naïveté, elle est une intrusion dans notre espace privé. On nous fait signer des contrats invalides car trop longs et compliqués pour être lus par le péquin lambda. On se retrouve spolier de nos propres données et souvent de beaucoup plus qu’on ne le croyait.

Quand c’est gratuit, c’est toi le produit!

Le secrétaire d’état au numérique Mounir Mahjoubi recommande aux internautes de demander leurs données personnelles aux plateformes en ligne. Nous voilà bien avancés. On est dépossédé d’une bonne partie de notre vie privée et Mahjoubi ne semble pas s‘en inquiéter plus que ça.

Perso, je m’en fous aussi, tant que c’est que pour me balancer des pubs minables pour cabanes de jardin et bottes forestières. Quand les nervis du pouvoir viendront défoncer ma porte pour m’écraser mon ordo sur la gueule, j’envisagerai différemment le problème. 

La jouer collectif!

Si je lance une idée, elle appartient à tous ceux qui se donneront la peine de la comprendre, de la reprendre et de la répandre. Si je la protège par un brevet, elle ne peut-être reproduite en tant que telle sans mon accord. Si je l’écris, je la publie, je la protège et je rentre dans le cas du DVD: intouchable! Enfin… presque.

L’auteur fait l’objet de relecture et de correction avant d’être publié: l’éditeur met sa touche dans le roman pourtant unique que pond le poulain. On est là dans une relation commerciale et c’est souvent pour polir les aspérités, faire passer l’oeuvre au marbre et la rendre plus conforme. Dans un cadre plus amical, on peut envisager une amélioration du résultat. 

Pour la pratiquer régulièrement, nous savons que l’intelligence collective est une force créatrice efficace en politique. Elle est aussi parfois le frein à des initiatives innovantes. Il faut donc tout essayer avec des protocoles expérimentaux: le grand n’importe quoi est un geyser dont les retombées se calculent à plusieurs. 

Cette pensée collective relègue la question de la création individuelle et de la propriété intellectuelle au second plan. Elle entraine même une remise en question de l’égo et de la gratification. 

On peut la poser dans ces termes. Qu’est-ce qui compte le plus? Moi ou mon idée? Et si celle-ci peut être améliorée par d’autres, pourquoi devrais-je la garder en l’état? Dans quelle mesure, ne puis-je pas apprendre à ne pas me prendre pour un génie créateur hors sol? Ne suis-je pas plutôt le fruit de nombreuses pensées et d’une multitude d’idées qui se croisent en moi et parfois se cristallisent à travers ma Personne? Et s’il y a un ego à combler, la mention spéciale est largement suffisante, pour peu que la question financière soit résolue en amont.

Le bien commun pour finir

La communauté comme l’agent social s’étendent ou se rétrécissent de manière arbitraire et contingente, c’est à dire historique et non-transcendante. Car la Personne n’est pas une entité mais une faculté à poser de la frontière entre moi et l’autre, entre le privé et le public.

Juridiquement, on définit une personne morale (c’est à dire collective) comme une entité qui peut être titulaire de droits et d’obligations. La personnalité morale confère à la personne morale nombre d’attributs reconnus aux personnes physiques, comme le nom, un patrimoine ou un domicile. La personnalité morale permet notamment d’acquérir des biens meubles ou immeubles et d’agir en justice. C’est pas très rigolo mais le rappel semble nécessaire.

L’extension de cette notion à la dimension d’une nation aboutit au collectivisme qui a mauvaise presse sous nos tropiques ultralibéraux. Mais le bien commun étant la propriété de tous, sa gestion est la responsabilité de tous pour l’intérêt général. L’Etat est donc logiquement la personne morale en charge. Mais la délégation des pouvoirs n’est pas du goût de tous car la classe dominante si elle s’est renouvelée au cours des siècles reste néanmoins minoritaire. Prédatrice, elle s’accapare tout ce qu’elle peut pour en tirer du profit. 

Si l’eau n’appartient à personne, ou plus exactement appartient à tous ceux qui en ont besoin, essayez de boire gratuitement: pas facile de trouver la source et celle qui coule du robinet à un coût. Certains se chargent de nous polluer l’eau potable pour que d’autres l’assainissent et nous la facturent. La Lyonnaise des Eaux, Suez et compagnie ont beau prétendre que c’est un service, c’est le patrimoine commun qu’ils captent et détournent à leur profit. 

Il en va de même avec toutes les matières premières, et de plus en plus avec l’énergie, l’information, la santé et tout ce qui devrait être accessible à tous sans trop de restriction.

Personne et propriété sont donc intimement liées. Cette partition du réel est inévitable, tout comme le conflit qui en découle. Interpersonnel, il s’arbitre grâce à la loi. Lorsque les intérêts particuliers se fédèrent, cet affrontement de personnes collectives vire à la lutte des classes.

Le vieux monde aurait pu continuer à regarder les Zadistes avec dédain et mépris. Mais ils sont à la fois risibles et dangereux aux yeux des experts : ils menacent le droit le plus sacré de notre état de droit, la propriété privée. Et ça, Macron et son monde ne peuvent le tolérer, eux qui privatisent à tour de bras.

Et quand les Gilets Jaunes occupent les ronds-points et y construisent des maisons du peuple en palettes et en tôles, ils nous ramènent à l’époque des communs. Bien évidemment, Macron et ses sbires envoient les « bleus » défoncer tout ça au bulldozer. Mais on revient régulièrement, on reprend la rue et on se réapproprie l’espace public. Non mais!

La lutte contre l’individualisme libéral passe justement par la collectivisation, peut-être pas de toute la propriété, mais d’un champ en tout cas bien plus vaste que la peau de chagrin que le régime actuel cherche à réduire, ordonnance après ordonnance. 

Nous n’avons pas pour l’instant la main mise sur la plupart des biens matériels, essayons au moins de le faire dans les domaines où l’hégémonie réactionnaire n’est pas encore totale: le domaine des idées! Redonnons aux gens l’envie de s’exprimer, de partager ce qu’ils savent, ce qui leur fait peur et ce dont ils ont envie! Ça s’appelle l’éducation populaire et ça ne se privatise pas!

Pour prêcher par l’exemple

L’actualité récente nous a fournit des exemples de premier choix.Juan Branco a mis «Crépuscule en ligne avant même qu’il ne soit publié.Gilles Perret et Françoit Ruffin ont mis « J’veux du soleil » à disposition durant la semaine jaune.

Quant à l’Anthropologie pour les Quiches, c’est à dire moi, eh bien… je publie sous la licence suivante, autant dire que je m’en fout un peu. Moi-même, je bidouille les photos que je capture sur le net pour illustrer à l’arrache ce que je dis. J’ai peut-être un peu plus de respect pour les textes et je cite plus volontiers l’auteur. Ce n’est pas de la mauvaise volonté de ma part mais une négligence chronique et un manque d’intérêt pour la propriété. A l’heure où j’écris ces mots, j’ai dépassé la centaine d’articles et j’imagine qu’il y a au minimum cinq ou six illustrations à chaque fois. Je me vois mal faire des recherches retrouver les auteurs puis les citer dans la légende ou même respecter la loi en vigueur en appliquant les filtres.

Je considère que l’Anthropologie pour les Quiches n’ayant pas un caractère commercial, je peux piocher sur le net tout ce qui s’y trouve, en faire ce que bon me semble et même en changer l’esprit. Alors si ça vous chante de nous citer, de nous critiquer ou de nous plagier, libre à vous pourvu que ce ne soit pas pour en faire de l’argent car là, ce serait nous injurier.

Tout le reste est épicerie et littérature! A la revoyure!

Fin de cette série sur la propriété

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