H18 – Liberté, pédales et capitalisme vert

Les habitués de l’Anthropologie pour les Quiches (eh oui! il parait qu’il y en a!) savent que je fais un distinguo entre liberté et autonomie. En matière de pédalage sous assistance électrique, la différence prend un intérêt encore plus savoureux mais non moins fondamental.

les Anthropochroniques H18

Je rentre de Dinard, jolie cité balnéo-bourgeoise de la Bretagne-Nord. Le vélo y vit un essor qui pourrait faire plaisir à voir s’il n’était l’effet d’une stratégie capitaliste insidieuse qui exploite le sentiment de culpabilité des bénis oui oui écolos.

La ville de Dinard n’est pas des plus plates mais ce n’est pas non plus la Jayne Mansfield de la côte bretonne. On y circule plutôt mal en voiture entre le 14 juillet et le 15 août, aussi il a toujours été de tradition d’avoir deux ou trois vieux clous dans la cave pour aller chercher du pain frais ou se rendre à la plage. Vu que beaucoup de villas sont des maisons de famille, les mêmes biclards pouvaient servir à une palanquée de cousins-cousines sur plusieurs générations.

Or j’y ai vu cette année fleurir des vélos électriques comme s’il en poussait entre les rosiers dont regorgent les jardins de Dinard: on ne fait pas dans le potager dans ce petit coin cossu de la Macronie. Bon, je suis un rien de mauvaise foi: un potager réclame plus d’entretien qu’un jardin d’agrément de résidence secondaire et on ne va tout de même pas payer toute l’année un jardinier pour avoir des tomates et des courgettes pendant les trois semaines où on vient de Paris se rebretonniser les racines.

Certes, ces assistés de la pédale ne prennent pas la voiture (souvent une grosse cylindrée) lorsqu’ils font mine de pédaler sur leur selle mal réglée à peine plus haut que le dérailleur qu’ils n’utilisent même pas. Certes, trois fois certes…

Mais l’assistance électrique est-elle nécessaire pour des trajets si minimes alors qu’on est légèrement vêtu (c’est l’été!) et qu’on ne crève habituellement pas de chaud sur la Côte d’Émeraude (c’est l’été en Bretagne)? Ces vieux avant l’âge en ont-ils besoin pour aller chercher deux brioches au coin de la rue? Et s’il s’agit d’aller plus loin, l’effort musculaire est tout de même à la base de la balade cycliste estivale ou de la rando en VTT, non?

J’imagine que vous êtes conscients que l’empreinte carbone d’un vélo électrique est loin d’être négligeable. Pas plus que son prix d’ailleurs. Sans oublier qu’il faut recharger la batterie, éviter de se le faire piquer et fermer les yeux sur l’extraction des matières premières (voir le lien ci-dessous).

Un copain un peu enveloppé me faisait remarquer qu’avec le sien, il pouvait arriver au boulot sans transpirer dans son costume cravate après un quart d’heure d’exercice. Soit! Je connais un collègue, correspondant local de presse, qui aligne des centaines de bornes au compteur. Soit! J’ai moi-même été tenté d’en acheter un mais j’ai préféré customiser la bécane de ma femme pour moi et lui acheter une bicyclette vintage rigolote. Je transpire régulièrement ma race mais vu que j’ai arrêté l’auto-flagellation, j’y gagne en self-estime.

Ah, j’oubliais le facteur, le préposé de la Poste qui reste gaillard jusqu’à la fin de sa tournée. Pour lui, je dis oui, cent fois fois oui! Mais pour le couple de retraités qui me doublent en sifflotant sournoisement sur la véloroute toute plate qui va jusqu’à Tavaux alors que je reviens du boulot avec déjà 15 bornes dans les pattes, là, je dis NIET! 

S’ils veulent être autonomes, qu’ils gagnent leur indépendance à la force du mollet! Ils ne sont tout de même plus à l’âge de faire le cirque dans le quartier à vélomoteur.

Ou alors qu’ils mutualisent les engins: lundi et jeudi, c’est Monique. Mardi et vendredi, Marie-France. Mercredi et week-end, Suzanne et Brigitte n’ont qu’à s’arranger. Et si la météo n’est pas raccord, on peut toujours marcher.

Mais c’est pas cool!

Ni cool ni très libéral, c’est vrai! Un rien radical, sans doute! Mais il va falloir arrêter de se faire croire que la transition écolo-sociale va s’opérer sans un minimum d’effort. L’effort que font déjà les gens qui prennent les transports en commun, qui covoiturent, qui pédalent, qui patinent, qui marchent, qui ne prennent pas la bagnole pour un oui ou pour un non. Je me demande d’ailleurs comment on peut prendre la voiture pour un non…

Bien sûr, il y a de bons réflexes qui ne coûtent rien… ou presque. Mais il y a surtout l’exemple à montrer et les pièges du capitalisme vert à éviter. Les trottinettes électriques font florès le long des plages et sur les trottoirs des villes. Ah, bien sûr, c’est léger, ça ne fait pas de bruit et ça trace. Mais c’est bourré de lithium et ça consomme, moins qu’une voiture peut-être, mais ça consomme de l’énergie. Et pour quoi au juste? Pour le simple plaisir de ne pas se bouger un peu les fesses en traversant les centres piétons à 40 à l’heure. Et surtout pour que des gros malins de l’industrie s’en mettent plein les fouilles avec des inventions qui ne font pas avancer le schmilblick.

Autant le skate (même bruyant) et le roller étaient dans la bonne voie autant les batteries de confort sont des pièges à cons. Vous en êtes? Oups, désolé! 

Vous pouvez bien brandir vos droits de l’homme où le droit à la mobilité est forcément inscrit quelque part. Mais reconnaissez que l’autonomie d’un handicapé ou d’un réfugié économique ou politique n’a quand même pas grand chose à voir avec les quelques minutes que vous gagnez à faire le cake en vous déplaçant plus vite que le pauvre péquin qui transpire à se déplacer à la sueur de ses muscles. Alors laissez les métaux rares à ceux qui en auront plus besoin que vous pour leurs fauteuils roulants.

Ex-mod et scooteriste 

Je ne fais la morale à personne et si je devais la faire, ce serait plutôt à ceux qui prennent l’avion pour un oui ou pour un non, qui font tourner leur yacht et couiner leur jet-ski, qui affrètent des cargos transcontinentaux pour transporter des merdes en plastique non recyclables. Mais si on veut être tous d’équerre pour torpiller ces salauds de gros pollueurs, il va falloir qu’on s’entendent sur un minimum de choses. Sinon autant manifester contre la prolifération des gaz à effet de serre en SUV avec la clim à fond la caisse!

Naguère, j’avais un scooter. Il symbolisait ma « liberté » et ma singularité comme les vespas des mods British d’antan. Dans les années 60, on ne se préoccupait guère d’économiser le carburant. Je n’en faisais pas non plus une priorité et les émissions de CO2 étaient le cadet de mes soucis. 

Quand des branleurs ont volé mon Piaggio pour le balancer à la flotte, j’ai d’abord pensé à en racheter un. Et puis je me suis remis au vélo et j’ai réfléchi.

Si la liberté n’est pas l’autonomie, mon scooter me rendait indépendant mais esclave. J’allais rapidement où je le désirais. C’était pratique pour bosser, engranger les reportages et multiplier les rendez-vous un peu partout mais aussi pour varier mes points d’approvisionnement en bibine. L’alcoolo que j’étais alors essayait d’être discret lors du ravitaillement. J’étais aussi pitoyable qu’un consommateur d’Hanouna dans le déni, aussi fainéant qu’un joueur de golf motorisé. 

J’ai arrêté de picoler et je ne rachèterai pas de scooter. Ça me coûte d’autant plus que j’ai les moyens de satisfaire ces deux désirs. Mais la sobriété se mérite: c’est une drôle de victoire morale, aussi quotidienne qu’héroïque.

Pour sortir du piège de la consommation, on ne pourra pas faire sans ces sacrifices. Au lieu de les prendre comme une punition ou un mal nécessaire, il faut les envisager comme des victoires sur le côté fragile de nous-mêmes, celui qui nous pousse à l’excès par manque de contrôle, celui qui nous conduit à abuser au lieu de déguster, à remplir un manque que le confort matériel et la gourmandise ne combleront jamais. L’auto-régulation émancipe plus qu’elle ne prive et comme il y a des liens qui libèrent, il y a des interdits qui laissent le champ libre. Pour échapper à la consommation compulsive, triste et narcissique, retrouvons le sens de l’imagination et le goût de l’inaccessible étoile.

Comme exemple de narcissisme à deux balles, je me pose là!

Pourtant, il faudrait, pour que ça marche à grande échelle, rendre désirable cette restriction du désir. Car il parait plus classe de frimer au volant d’une Ford Mustang rouge qu’au guidon d’un vieux clou de gonzesse. La révolution écologique se fait d’abord sur soi-même, sur ses illusions égocentrées, sur son narcissisme à deux balles, mais le militant doit aussi toucher les affects du plus grand nombre, remuer le héros ordinaire qui sommeille en chacun de nous, déclencher une croisade anticapitaliste sans fanatisme ni trop de casse. La décroissance n’est pas facile à vendre au grand public: elle se heurte aux vieilles habitudes et au capitalisme vert qui a, pour lui, la force de frappe du marketing, les médias main stream et notre tendance à l’hédoniste aveugle. Va falloir être imaginatif pour rendre l’indésirable attractif, le recyclage sexy et la frugalité joyeuse!

Tout le reste est littérature! A la revoyure!

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