Les dérives des systèmes politiques (4ème partie) – H29.1
J’ai consacré plusieurs chapitres à la présentation de la schizophrénie selon la théorie de la médiation. Nous l’avons définie comme un trouble autolytique de la compétence mais contrairement à la paraphrénie, elle opère sur l’axe génératif. Je te sens perplexe, lecteur de passage. Ne t’inquiète pas: si tu accroches sans tout saisir, tu pourras toujours aller relire les chapitres correspondants.
Parce que la division des #rôles virtuels peut se scléroser à cause de ce que nous appelons un maladie autolytique (ça bloque dans l’instance), la schizophrénie se traduit par une difficulté, voire une impossibilité, à gérer l’ensemble des #ministèresSynonyme de partie, c'est à dire l'unité déontique. More qu’en temps ordinaire, la personne parvient à assumer ensemble. Je peux potentiellement être dans des rôles de chauffeur, de musicien de hip hop, d’éducateur, de blogueur, de joueur de basket ball, de lecteur de romans policiers, de contribuable, de livreur de pizza, de cycliste, de locuteur francophone, d’amoureux de la Bretagne, de correcteur orthographique, de père, de mari, d’interlocuteur, de voisin serviable, de bout-en-train, de cruciverbiste, d’amant, d’intellectuel, de bricoleur, de confident, d’homme de confiance, de cuisinier, de militant des droits de l’homme et de fidèle pratiquant (ce n’est qu’une hypothèse de travail). Au rayon spirituel cependant, je ne peux pas être catholique et musulman. Y a un couac théologique, une opposition taxinomique de pratiques religieuses. Mais je peux très bien être livreur de pizzas, blagueur et militant des droits de l’homme, cycliste, homme de confiance et contribuable, père, francophone et amant. Pas tout à la fois, c’est tout. Autrement dit, sur l’ensemble des rôles que je peux potentiellement assurer, certains seront compatibles entre eux. Tous les rôles que j’ai mentionnés ne trouveront peut-être pas en même temps une application mais aucun ne viendra en contradiction avec un critère nécessité par la situation ou avec les devoirs qu’on réclame dans la constitution qui constitue la base de la législation nationale qui repose elle-même sur la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUDHC).
Le schizophrène rencontre de grosses difficultés à faire plusieurs choses à la fois. Les divers rôles qui devraient pouvoir fusionner en situation ont tendance à se disperser et le patient doit fournir d’énormes efforts pour garder un semblant d’unité car la convergence dans une partie unique ne s’effectue plus spontanément.
Relationnellement, le schizophrène éprouve de la difficulté à participer de manière spontanée, à dépasser l’altérité pour être avec autrui et pour vivre ensemble pour utiliser une expression un peu galvaudée. Il a même tendance à esquiver autrui et à l’écarter, à s’autonomiser abusivement. La coopération et la communication sont laborieuses. D’une manière générale, le partage est rendu difficile, voire impossible, à cause d’une partition trop rigide qui ne se décloisonne plus.
Pour compenser, le schizophrène concentre son attention sur un nombre restreint de rôles bien définis et toute sa stratégie consiste à n’en pas sortir, quitte à répéter rituellement les mêmes enchainements afin de ne pas laisser sa personnalité se disloquer, ou tout au moins sauver ce qui peut l’être.
Pour vous donner une comparaison, imaginez de gros ballons qui s’envoleraient lentement. Vous ne pourriez qu’en garder quelques-uns dans vos bras sans tous les retenir. Le schizophrène est victime de cette dispersion car, au lieu de redescendre quand on a besoin d’eux, les ballons continueraient à s’écarter les uns des autres empêchant un fonctionnement équilibré. L’image est aérienne mais la souffrance psychique l’est nettement moins.
A l’échelle d’un pays, l’État concrétise cette cohésion entre les citoyens et entre les communautés qui, elles, sont plutôt soudées par la tradition quand les familles le sont par la parenté. L’État recouvre de multiples compétences mais nous n’en retiendrons que trois : l’éducation, le fisc et le maintien de l’ordre. Dans une nation digne de ce nom, c’est à dire un ensemble d’humains qui aspirent à avoir un destin (en partie) commun, ces trois compétences régaliennes ne peuvent échapper à l’autorité étatique. En revanche dans un système laïque comme le nôtre, l’État n’intervient pas dans le domaine religieux qui relève du privé. Imaginons un groupe religieux qui aurait ses propres écoles, qui échapperait à l’impôt et qui appliquerait son propre service d’ordre sans laisser la police intervenir. Nous aurions un cas de communautarisme, idéal quoique caricatural, ce qui sur le plan hégétique le placerait à l’opposé du totalitarisme où l’État contrôle tout ce qu’il est possible de contrôler.
Transposons à présent, comme nous l’avons fait avec les autres pathologies, ce trouble de la distribution des rôles et de l’échange, à l’échelon de la société tout entière et même du monde. Voyons grand et parlons d’empire.
L’empire éclaté
Chinois, perse, macédonien, romain, arabo-musulman, mongol, songhaï, ottoman, inca, espagnol, portugais, russe, austro-hongrois, britannique, français, allemand, soviétique, les empires ne manquent pas dans l’Histoire. S’ils ont moins la cote actuellement, il n’en reste pas moins des modèles de longévité mais ils finissent tôt ou tard par éclater. Dans sa phase expansionniste, l’empire est une entreprise d’extension d’un régime politique et culturel propres à un peuple sur d’autres ethnies soumises par la force. L’empire subordonne les pouvoirs locaux à son autorité sans toujours les détruire. Tout le problème ensuite est de maintenir un code à peu près constant sur une pluralité de peuples aux modes de vie parfois très hétérogènes, de faire régner de l’identité fédératrice sur une mosaïque de coutumes qui singularisent les ethnies. Deux forces s’affrontent donc: l’une qui éloigne les communautés les unes des autres par des développements séparés, l’autre qui tend à les unifier par l’exercice d’une autorité tutélaire.
Un empire ne peut pas gérer la multiplicité de ses populations et leur diversité culturelle de la même manière qu’un pays aux dimensions plus restreintes et à l’homogénéité plus grande. Les stratégies pour maintenir un pouvoir central sur un vaste territoire sont variées. Il importe pour les dominants de trouver le dénominateur commun, réel ou fictif, pour provoquer le désir d’union sans avoir systématiquement recours à la force et à l’intimidation. Les dominés doivent trouver de l’intérêt (protection, développement économique) à la présence impérialiste sans quoi ils la refusent au profit d’aspirations nationalistes souvent plus évidentes même si elles sont parfois trompeuses.
Rappelons que l’idée de nation telle qu’elle est conçue par la Révolution française est une notion assez récente à l’échelle de l’Histoire.
L’immensité de l’Empire britannique l’avait contraint à adopter des systèmes hégétiques aussi variés que les territoires qu’il dominait. Le Raj britannique en Inde pouvait s’appuyer sur le système de castes alors qu’en Afrique, les petits « rois de la brousse » se servaient des chefferies locales pour asseoir leur domination essentiellement commerciale. « Ainsi les agents de l’autorité britannique ne venaient pas en Afrique pour y transporter leurs propres institutions démocratiques et parlementaires, mais pour y maintenir l’ordre et assurer le statu quo. Ils étaient les pions dans une école. Si l’un d’eux faisait preuve d’une intégrité particulière, d’un intérêt passionné pour le « bon » gouvernement, c’était tant mieux. Mais, en aucun cas, les indigènes n’avaient à être encouragés à adopter l’English way of life, ni la culture, ni l’activité économique, ni les institutions. » Pour l’historien Pierre Grimal, le système anglais tourné avant tout vers les affaires s’abritait derrière les autorités indigènes et il n’y avait pas à proprement parler d’entreprise de civilisation.
Une administration impériale doit toujours composer avec les classes supérieures locales. Les Ottomans par exemple s’appuyaient sur les élites de chaque communauté religieuse sans chercher à les détruire ni même à les assimiler. Et cela a tout de même tenu longtemps même si le tsar Nicolas Ier en 1853 a pu lâcher : « L’Empire ottoman est l’homme malade de l’Europe ». Il aura tenu encore plus d’un demi-siècle alors Nicolas II va essuyer une révolution qui lui coûtera la vie. Fallait pas faire le malin!
Si leur droit et l’impôt impérial s’appliquaient sur tout leur empire, les Romains avaient pour politique d’incorporer au panthéon romain les dieux locaux des contrées qu’ils avaient conquises pour éviter toute opposition d’ordre religieux dans les pays polythéistes. Même en Judée, les romains laissèrent les autorités religieuses pourtant monothéistes en place. L’Empire des Césars changera de politique lorsque le christianisme deviendra religion d’État. La religion est parfois une bonne manière de transcender les différences: l’islam a servi de ciment à l’empire arabo-musulman et les conversions forcées ont souvent tenu après leur recul, en Afrique notamment.
L’Empire britannique s’est constitué sur une idée commerciale maritime grâce à la Royal Navy et au libéralisme anglais: les aristocrates anglais qui constituent la classe coloniale sont animés des idées racistes de l’époque, ce qui les placent à un rang ethniquement supérieur. L’universalisme égalitaire à la française n’est d’ailleurs pas partagé par la majorité des peuples du monde au XIXème siècle et subira de graves entorses dans l’empire colonial français.
Malgré sa faiblesse numérique, l’Empire britannique s’est imposé grâce à la discipline et à sa force militaire. Quand on regarde la carte, on peut s’étonner du morcellement de l’empire comparé à la massivité de son homologue russe d’abord, puis soviétique après la Révolution. Mais la mer peut être un atout quand l’étendue terrestre peut devenir un obstacle.
Quel qu’il soit, l’empire repose toujours sur un abus de pouvoir pour capter les richesses naturelles, exploiter le travail, développer des marchés et prélever l’impôt, le vernis civilisationnel et apostolique n’étant jamais le véritable moteur de la colonisation. En Inde par exemple, une part énorme de l’impôt était consacré au maintien de l’ordre alors que l’éducation et la santé étaient sacrifiées: payer pour être opprimé, ça finit par lasser, surtout quand l’injustice économique s’en mêle.
La révolte des Cipayes en 1857 a montré tous les paradoxes de ce système. Sur un territoire immense comme l’Inde, les troupes anglaises étaient insuffisantes pour maintenir l’ordre et des soldats recrutés localement servaient sous les ordres d’un commandement britannique, avec un ratio qui oscillait entre 5 et 20 Indiens pour 1 Britannique. Les soldats indigènes étaient donc appelés à mater des rébellions contre leur propre peuple mais les représentants de sa majesté ont souvent joué du manque d’unité du sous-continent et des rivalités internes entre ceux que, de l’extérieur, nous aurions pu croire frères ou concitoyens. Or ce n’était pas le cas et en obligeant ses troupes indigènes à réprimer la révolte des Cipayes, l’empire a accentué les ressentiments intérieurs entre peuples, communautés religieuses et castes. Ce qui aurait pu devenir une guerre d’indépendance est restée une guerre civile larvée, une série de soulèvements populaires mal coordonnés que les Britanniques ont lourdement réprimé dès qu’ils ont repris la situation en main.
Lors de la révolte du Rand en Afrique du Sud, au début des années 1920, les dirigeants des exploitations minières vont essayer de s’appuyer sur les rivalités raciales entre mineurs afrikaners blancs et les mineurs de couleurs pour éviter que l’ensemble des mineurs ne se fédèrent. Les petits blancs veulent garder leurs privilèges sur les travailleurs noirs qu’ils accusent de travailler pour des salaires trop bas et donc de casser le marché de l’emploi alors que ce sont les dirigeants qui tirent les ficelles de ce jeu malsain de la concurrence. Les Afrikaners veulent conserver la colour bar, la barrière de la couleur, une discrimination raciale traditionnellement pratiquée pour se réserver les emplois les mieux payés. Toujours dans la même logique de réduction de la masse salariale à tout prix, le patronat britannique avait même faire venir des Chinois entre 1905 et 1910, une main d’oeuvre encore moins bien payée que la force de travail autochtone noire.
Le dernier exemple est celui de la Birmanie. Afin de mieux régner, les Britanniques divisent volontairement les différentes ethnies, et privilégient certaines minorités par rapport à la majorité birmane (dite Bamar) en favorisant notamment l’accès de certaines populations chrétiennes ou provenant du reste de l’Inde britannique à l’administration coloniale. Jusqu’au début du XXe siècle par exemple, les professions d’élite telles que juriste ou médecin sont occupées quasi exclusivement par des Indiens, ce qui attise durablement la jalousie des Bamars: l’idée d’une «supériorité indienne», instaurée par les Britanniques, explique en partie la haine des Birmans envers les populations d’origine indienne telles que les habitants de l’Arakan pourtant très peu représentés dans ces postes prestigieux. Les Rohingyas, minorité musulmane, assimilés par les Birmans à des Bangladais et par conséquent à des protégés de l’occupant, subiront après le départ des Anglais une discrimination qui s’est aggravée il y a peu.
Le « jeu ethnique » peut même devenir dangereux avec du favoritisme comme celui qu’ont pratiqué les Belges au Rwanda en faveur des Tutsis d’abord, puis des Hutus ensuite, et qui s’est terminé par le génocide que l’on connait.
L’Empire britannique s’est décomposé parce que les inégalités y étaient devenues trop insupportables pour une majorité des colonisés et que les revendications nationalistes ont pris le dessus sur l’autorité étrangère.
Malgré une hypertrophie du sentiment de supériorité des sujets de sa Majesté, les missionnaires anglicans de l’Empire britannique n’ont pas pu christianiser le quart de la population mondiale qui était tombé sous sa coupe. En Inde et au Pakistan, le cricket a eu plus de succès que la Bible. L’Afghanistan est resté un cuisant échec au palmarès colonial du Royaume-Uni, comme il le sera plus tard pour l’Union soviétique et les Américains. Néanmoins l’administration anglaise a laissé une profonde empreinte dans le Commonwealth. « Nous avons en commun une langue, une culture, un système juridique, des valeurs fondées sur les libertés individuelles et l’économie de marché. Nos institutions politiques démocratiques sont très similaires, et nos niveaux de développement économique sont équivalents, ce qui permettra des relations équilibrées », assure Marc Sidwell, un écrivain-essayiste plutôt conservateur qui a voté pour le Brexit et voit un avenir économique prometteur dans le Commonwealth. La cohésion impériale n’a pas tenu mais personne ne s’est fâché à mort avec l’ancien patron anglais. Une émigration importante vers l’ancienne métropole s’est même développée après 1948, ce qui va entrainer un inversement du phénomène colonial.
Résumons donc le processus impérial ainsi : un peuple dominant étend son emprise sur une pluralité d’autres peuples qui adoptent un dénominateur commun politique, culturel et/ou religieux. C’est la phase d’agrégation où les disparités se mettent en sourdine au profit de la communauté impérialiste. On peut même parfois oublier que l’État colonial est un envahisseur, épouser sa cause et intégrer le projet commun qu’est une nation. Cela a finalement été le cas de la Bretagne, du Pays basque ou de la Franche-Comté, même si cela ne s’est pas toujours fait dans la joie et la bonne humeur. La relative proximité des cultures, la géographie et la volonté jacobine d’intégration ont permis d’accélérer le processus d’assimilation parfois forcée. Cela dit, il faudrait voir dans qu’elle mesure un Basque se sent plus français qu’un Ecossais se sent britannique. A voir.
Mais lorsque les différences demeurent trop importantes et les inégalités trop sensibles, tôt ou tard, l’éclatement de l’entité impériale devient inéluctable : c’est la phase de désagrégation et d’émancipation qui commence, avec des mouvements de libération et d’indépendance souvent sanglants et meurtriers parce que le colon finit quand même par se sentir chez lui à la longue et qu’il n’entend pas quitter sur un claquement de doigts une contrée qu’il estime avoir mise en valeur. Ça se défend, aux deux sens du terme.
L’origine de la présence de communautés ethniques minoritaires au Royaume-Uni remonte à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui voit se mettre en place un processus de décolonisation progressive associé à la création d’un Commonwealth (qui signifie littéralement prospérité commune) élargi aux nouveaux États qui apparaissent avec la fin de l’empire britannique. Les accords qui régissaient ce réseau post-colonial autorisaient la libre circulation et la libre installation en métropole des personnes appartenant à cet immense patchwork géographique. La forte demande de main-d’œuvre en Grande-Bretagne nécessitée par le développement industriel d’après-guerre et la mise en place de grands services publics (santé et transports) va attirer (ou plus prosaïquement déplacer) de nombreux ressortissants du Commonwealth sans compter que les anciennes colonies rencontrent de grosses difficultés économiques et une poussée démographique intense. Tous ces facteurs ont encouragé l’immigration vers le Royaume-Uni. Je vous passe les détails historiques mais on estime que les minorités ethniques représentent environ 10% de la population, ce qui constitue une mosaïque particulièrement hétéroclite (Jamaïcains, Antillais, Indiens, Pakistanais, Vietnamiens, Somaliens, Éthiopiens, Ougandais, Kurdes, Afghans, Iraniens, Sri Lankais, Kashmiri, Bosniaques…)
On oublie parfois que le Royaume-Uni qui porte dans son nom même le désir des Anglais est lui-même un assemblage qui ne va pas toujours de soi et qui ne durera peut-être pas si les Écossais votent pour l’indépendance. L’Eire a obtenu son indépendance dans le sang après la première guerre mondiale car l’Angleterre n’était pas décidée à lâcher le morceau.
Avant les grandes vagues migratoires de la deuxième moitié du XXème siècle, la Grande-Bretagne avait connu un afflux de 50 000 huguenots lors des guerres de religion, une immigration massive d’Irlandais au XIXème siècle vers les cités industrielles et également l’arrivée de 120 000 juifs qui fuyaient les persécutions nazies. Toutefois la fin de l’empire correspond grosso modo à l’éclosion du multiculturalisme intérieur.
Le multiculturalisme à l’anglaise signifie la liberté pour diverses communautés de vivre à leur guise de façon autonome sur le même territoire avec même une valorisation de la diversité, non plus au nom de la tolérance, mais de l’acceptation véritable, en vertu du principe que toutes les cultures se valent et peuvent s’enrichir mutuellement puisqu‘aucune n’est parfaite et que toutes restent en constante évolution. Pour Roy Jenkins, secrétaire du Home Office en 1966, l’intégration ne signifie donc pas « la perte par les immigrés de leurs propres caractéristiques et culture nationale. Je ne pense pas que nous ayons besoin d’un melting-pot dans ce pays, qui transformerait tout le monde dans un moule commun, comme l’exemplaire d’une série de copies-carbones de la vision maladroite que quelqu’un pourrait avoir du stéréotype britannique. Je définis donc l’intégration non pas comme le processus aplanissant d’assimilation, mais comme l’égalité des chances, associée à la diversité culturelle, dans une atmosphère de tolérance mutuelle. »
Cette politique multiculturelle garantit un droit à la différence aux minorités. L’État subventionne des écoles confessionnelles, qu’elles soient chrétiennes, musulmanes, juives, hindoues… Les documents officiels des services publics sont souvent disponibles en plusieurs langues. Dans les écoles des quartiers cosmopolites, on célèbre les fêtes religieuses de cultures diverses. L’enseignement de l’histoire inclut l’histoire des anciennes colonies, et pas seulement celle du Royaume-uni. Le port de signes religieux fait beaucoup moins débat qu’en France. Ainsi, les femmes musulmanes fonctionnaires de police peuvent, si elles le souhaitent, porter un voile fourni par l’administration, et qui fait partie de leur uniforme. Le multiculturalisme a donc longtemps été plébiscité par les Britanniques, qui y voyaient le moyen de faire coexister différentes cultures dans un climat serein. La politique officielle de multiculturalisme a longtemps favorisé l’expression des particularismes des différentes minorités avec aussi des ponts interculturels assez inattendus.
Cela donne au début de années 60 une explosion de jeunes mods qui dansent sur de la soul américaine. Dans les banlieues et les quartiers ouvriers, les hard mods fréquentent les rude boys, ou rudies, des jeunes immigrés antillais, surtout jamaïcains, au son des musiques noire américaine (soul, rythm’&’blues) et jamaïcaine (ska, rock-steady). Puis jaillit une vague de skinheads en 1969 qui sont les premiers à écouter massivement du reggae, nouvelle musique venue de Jamaïque. La deuxième vague de ska arborera même le damier, symbole de mixité blancs-noirs.
Cependant, le multiculturalisme a largement été remis en question. On l’accuse de nuire à la cohésion sociale, si bien que le Royaume-uni évolue désormais vers une politique qui vise une plus grande intégration des minorités dans la société britannique.
Le tableau est en effet assez idyllique sur le papier, un peu moins dans les quartiers. Lorsqu’elle existe, l’hostilité à l’immigration chez les Anglais de souche se focalise sur l’emploi et les services publics, pas sur la diversité culturelle : on accuse les immigrés de prendre des emplois aux Britanniques, de tirer les salaires vers le bas, et de profiter abusivement des prestations sociales. Pourtant, les immigrés rapportent beaucoup plus au fisc britannique qu’ils ne coûtent, car ce sont en général des personnes jeunes, avec un emploi, et en bonne santé.
Quelques évènements très médiatisés ont amené la politique en vigueur à s’infléchir progressivement. Dès fin août 1958, des émeutes raciales à Notting Hill et Nottingham voient des Teddy Boys déferler dans des rues pour briser les vitres de maisons habitées par des Antillais. Des peines exemplaires seront prononcées contre des jeunes blancs. En réponse à ces incidents, un carnaval reggae sera pourtant créé à Notting Hill. Si la culture skinhead réunit antillais et anglais autour de la musique, le paki bashing se développe également durant cette période, sous la forme de ratonnades contre les Indiens et les Pakistanais à qui on reproche leur côté hippie. En fait, ce sont les hippies qui leur ont emboité le pas.
Les années Thatcher où la Dame de Fer est premier ministre vont voir de nombreuses émeutes éclater entre jeunes et policiers. Elles sont presque toujours qualifiées d’émeutes raciales comme celles de Brixton qui seront immortalisées par une chanson de The Clash. Au cours de l’été 2001, des émeutes urbaines ont opposé des blancs et des membres de minorités ethniques à Oldham, Bradley et Burnley. La commission d’enquête mise en place à la suite de ces événements a révélé que les différentes communautés vivaient largement en vase clos, séparation qui était source d’incompréhension mutuelle et de tensions. Dix ans plus tard en 2011, d’autres émeutes à caractère racial éclatent à Londres, puis dans d’autres villes d’Angleterre.
« They are casting their problems at society. And, you know, there’s no such thing as society. There are individual men and women and there are families. And no government can do anything except through people, and people must look after themselves first. It is our duty to look after ourselves and then, also, to look after our neighbours. » En 1987, Margaret Thatcher livrait déjà le fond de sa pensée au Women’s Own. « Ils rejettent leurs problèmes sur la société. Et, vous savez, il n’y a pas de société. Il y a des hommes et des femmes individuels et il y a des familles. Et aucun gouvernement ne peut faire quoi que ce soit qu’à travers les gens, et les gens doivent d’abord s’occuper d’eux-mêmes. Il est de notre devoir de prendre soin de nous-mêmes et ensuite, aussi, de prendre soin de nos voisins. » C’est une déclaration sans doute un peu provocatrice mais qui a le mérite, tout comme son auteure, de ne pas tortiller du cul. Une telle conception du social s’oppose à l’État-providence dont on peut tout attendre et Thatcher recommande ni plus ni moins de se sortir les doigts du c… pour assurer la prise en charge par l’individu et sa communauté de l’essentiel des compétences nécessaires au bon fonctionnement du quartier.
Thatcher applique à la lettre la morale controversée de la Fable des abeilles de Mandeville : en cherchant son propre profit, l’humain participe à la prospérité générale. Sauf qu’à l’échelon d’une communauté, ça ne fonctionne plus. Par exemple, devant la raréfaction des subventions de l’État britannique, les associations culturelles sont entrées en concurrence, ce qui a renforcé les rivalités ethniques qui se manifestaient déjà au niveau de l’emploi et on a beau organiser des actions socio-culturelles comme un carnaval, quand le travail et l’argent viennent à manquer, on a vite fait de pointer l’étranger (celui qui est extérieur à la communauté) du doigt. Dans My Beautiful Laundrette, les zonards anglais jalousent les Pakistanais qui réussissent et à qui ils imputent leur propre échec alors que le problème du chômage réside dans la non-assurance du plein emploi par les employeurs (privés ou publics). De même, les salaires sont bas non pas à cause de la concurrence des travailleurs immigrés (les Anglais dénonçaient déjà à tort les Irlandais au XIXème siècle) mais parce que les employeurs font jouer déloyalement cette concurrence pour augmenter les profit en diminuant la valeur du travail.
Ce manque de compréhension du phénomène économique est renforcé par l’absence de solidarité inter-ethnique. Pire, les dominants ont intérêt à attiser ces tensions pour masquer la réalité. L’administration britannique avait pratiqué la même politique de rivalité dans l’Empire entre peuples et castes notamment en Birmanie ou en Afrique du Sud. Thatcher n’a fait que pousser un peu plus loin le bouchon en individualisant le problème de la responsabilité. L’ultralibéralisme repose sur la notion d’individu libre de ses choix et maitre de son destin. Il valorise la volonté personnelle et minimise l’impact du milieu. Sauf que ça ne passe pas l’épreuve des faits: les écoles confessionnelles ont été accusées d’accentuer une ségrégation qui favorisait la singularité notamment linguistique à l’intérieur des communautés qui avaient tendance à se ghettoïser, une tendance renforcée par les prix discriminatoire de loyers dans les villes. Problèmes ethniques et question sociale se superposent, d’autant qu’à l’intérieur de la communauté, la solidarité joue et renforce donc le cloisonnement inter-ethnique.
Cependant certaines études sur le métissage tempère un peu cette version. Une légère hausse des couples mixtes tendraient à prouver que le cosmopolitisme gagnerait du terrain sur le communautarisme, mais il se pourrait bien qu’il s’agisse là d’un phénomène qui touche la middle class ou même l’upper class mais finalement peu la working class fortement impactée par le chômage et la pauvreté. Lors des émeutes, la presse à sensation britannique a souvent tendance à apposer le label « raciales » pour masquer leur caractère social et par conséquent les failles d’une économie ultralibérale dont les gouvernements ont toujours vanté les bienfaits sans qu’on puisse les constater sur l’ensemble de la population, tout particulièrement les Antillais et les Africains, et plus récemment les européens de l’est.
Le même processus s’est retrouvé à l’oeuvre en Irlande du Nord où les protestants faiblement majoritaires squattaient l’administration, la police et l’armée. Le fait que le premier long-métrage du réalisateur Steve Mac Queen, d’origine antillaise, portait sur la grève de la faim de Bobby Sands et des prisonniers politiques irlandais catholiques n’est pas fortuit. Steve McQueen aujourd’hui produit une série de cinq films où il raconte sa propre communauté parce qu’il estime qu’elle a largement été invisibilisée au cours des décennies passées.
Au Royaume-uni, le multiculturalisme fonctionne mal parce que ce qui unifie le royaume ne fonctionne plus: le Royaume-uni est une fiction où souvent seule la force a prévalu, de Braveheart aux grèves des mineurs aux pays de Galles. La lutte des classes y a toujours été rude. L’ultralibéralisme instaure un monde de compétition entre les êtres et entre les communautés. La co-existence au sein d’un tel « système séparatiste » ne peut être pacifique si et seulement si chaque communauté y trouve son compte économiquement d’abord mais aussi nationalement. Contrairement à une France très républicaine et très à cheval sur des principes comme la liberté et la laïcité, le Royaume-uni n’a dans un premier temps pas chercher à unir sous une bannière patriote les différentes ethnies venues vivre sur son sol et surtout faire tourner son économie. L’ultralibéralisme sous-entend une société inégalitaire où chacun défend ses intérêts, ce qui contribue « normalement » au développement général. Or, certaines communautés n’en profitent pas autant et l’aide sociale a drastiquement diminué. Leurs perspectives sont moroses et le sentiment d’appartenance à la « Great Britannia » qui animait l’Angleterre des années 60 (« It’s to be British ») n’a plus cours chez les moins favorisés et encore moins dans des communautés laissées à elles-mêmes sur un plan culturel.
Depuis les années 2000, les différents gouvernements qui se sont succédés ont d’ailleurs décidé de prendre quelques mesures pour diffuser la « culture » britannique et favoriser une identité commune. En septembre 2002, David Blunkett, secrétaire du Home Office, a par exemple recommandé aux minorités de parler anglais chez eux afin d’assurer une meilleure communication entre les générations et d’éviter que ne se crée un clivage trop important entre les sphères publique et privée. Il a regretté publiquement d’avoir soutenu les écoles confessionnelles qu’il considérait comme un frein à l’intégration des citoyens. En 2002, il a proposé l’instauration de cours d’éducation civique (citizens classes), dont l’objectif clairement déclaré est de sensibiliser les jeunes issus de l’immigration à l’histoire britannique et à la langue anglaise. C’était donc l’aveu d’un échec. En juillet 2005, les attentats du métro de Londres lui ont donné raison et sont apparus comme le symptôme de l’échec du multiculturalisme. Les auteurs étaient tous des musulmans nés et élevés en Angleterre. Leur action suggérait donc que le pays ne parvenait pas à transmettre à certains membres de ses minorités les valeurs de respect et de tolérance mutuelle sans lesquelles la vie en société est impossible. Le multiculturalisme se trouvait par conséquent soupçonné de favoriser un communautarisme préjudiciable à la société dans son ensemble.
Balkanisation de l’union
Quittons le cas des Britanniques qui ont eux-mêmes quitté l’Union européenne qui n’a plus d’union que le nom tant la force centrifuge y est forte. L’Union européenne veut faire tenir ensemble des peuples qui lui ont pour certains dit non par referendum. L’éclatement est inévitable à plus ou moins long terme parce que la Commission néolibérale veut appliquer à des pays une idéologie ordolibérale allemande qui ne convient pas aux autres pays dont la culture économique n’a rien à voir avec cette « recette ». On ne peut pas faire tenir ensemble des unités nationales sur des règles qu’elles rejètent en interne sauf à les tromper ou à les terroriser. La Grèce a eu droit aux deux : mensonge et menace.
Les émeutes ethniques sont en fait des émeutes sociales où les antagonistes se replient sur l’Histoire, la religion et l’ethnie. La coexistence culturelle fonctionne tant qu’il n’y a pas de problème d’inégalités sociales et de chômage, pas de crise économique. L’étiquette de troubles raciaux masque des affrontement dûs aux inégalités et à une lutte pour le pouvoir économique. Ils masquent les problèmes économiques et les classes populaires croient trouver dans la solution identitaire une issue à leurs tracas. Elles reportent sur l’Instituant un problème d’Institué, autrement dit une hypertrophie de l’unité ontologique viendrait compenser l’atrophie du rôle d’une communauté dans la société. Une communauté aurait donc tendance à affirmer sa notabilité (qu’on pourrait aussi appeler son exception culturelle) à mesure que son pouvoir politique ou économique diminuerait. Écartée du cercle décisionnaire, une communauté reviendrait à ses statuts traditionnels, dans une sorte de mouvement réactionnaire. Économiquement maltraitée ou politiquement ignorée, elle chercherait dans l’Histoire de son pays d’origine des sources de reconnaissance et de fierté, un âge d’or valorisant. S’il n’est pas associé à un égalitarisme institutionnel, le multiculturalisme tendra donc au séparatisme, avec d’une part un repli sur soi et d’autre part un refus grandissant de participer à un système qui ne lui octroie qu’une place marginale ou qui l’exclue.
Nous avons vu précédemment que l’impérialisme britannique n’était nullement une croisade civilisatrice mais plutôt une entreprise libérale de conquête de marché. Le Royaume-uni d’après-guerre laisse également aux ethnies qu’il accueille sur son sol une grande autonomie culturelle et linguistique et de la même manière, il ne leur octroie qu’une position tout à fait marginale dans le développement économique et les bénéfices sociaux de la croissance.
La désintégration de la Yougoslavie dans les années 90 est un autre exemple de la balkanisation, terme qui bien évidemment vient de la région. Avant son effondrement et alors que Tito était au pouvoir, la Yougoslavie a connu un développement économique assez spectaculaire et des améliorations sociales très notables (soins médicaux gratuits, alphabétisation massive et forte hausse de l’espérance de vie). A partir des années 70, des régions comme la Slovénie et la Croatie ont commencé à ne plus voir l’intérêt économique à rester dans ce qui est devenu une confédération de républiques avec une certaine autonomie chacune mais surtout de forte disparité des niveaux de vie et de puissance économique. L’ « improductivité du sud » était régulièrement dénoncée par les provinces du nord. Lorsque les difficultés économiques, la hausse de la dette extérieure et l’accroissement du chômage ont commencé à faire monter les tensions sociales, les vieilles plaies du pays se sont rouvertes: la Yougoslavie était en effet une mosaïque d’ethnies, de religions et de traditions culturelles et politiques. Slovènes et Croates avaient l’impression de trop verser au pot commun pour soutenir le reste du pays alors que la Serbie continuait à vouloir conserver l’unité et concentrer un maximum de pouvoir à Belgrade, les dirigeants communistes et corrompus vivant aux crochets de l’argent public. Les fédéralistes, puis les séparatistes, s’opposèrent aux unitaristes dans un conflit d’abord politique qui a tourné à la guerre civile et au nettoyage ethnique.
Je l’ai peu mentionné jusqu’à présent mais les troubles de l’Institué ont obligatoirement des répercussions dans l’Instituant et vice versa en vertu de l’immanence de la Personne (les identités et les unités d’une face de l’instance se justifie uniquement par les identités et les unités de l’autre face). La lutte des classes et la lutte des races trouvent leurs racines dans la lutte des places, ou mieux dans la lutte des tâches. En d’autres termes, l’explosion d’une nation a non seulement des conséquences dans la constitution des communautés mais peut même trouver son comburant dans l’Instituant. Cependant le carburant de la déflagration reste de l’ordre des compétences et de l’inégalité dans la répartition des rôles et du pouvoir. Les guerres civiles prennent l’aspect de guerres de religions ou de conflits ethniques alors que ce sont des revendications de #métiers, et par conséquent des luttes pour l’exercice du pouvoir qui éclatent dans la violence.
Face à la volonté serbe, animée par le souvenir historique de la grande Serbie, de pérenniser l’unité yougoslave à son profit, les autres républiques qu’aucun sentiment nationaliste ni intérêt économique ne maintenaient plus dans l’union ont cherché à s’en séparer: la crise et les conflits successifs peuvent se présenter comme une lutte entre des forces centrifuges et centripètes. L’imbrication inextricable des populations sur le territoire a rendu les choses impossibles à démêler et s’est soldée par des opérations de « nettoyage ethnique » extrêmement violentes. Le nationalisme exacerbé (sorte d’homophilie pathologique) a déchiré des populations qu’aucune autorité ni projet communiste ne maintenaient plus ensemble.
Les troubles intercommunautaires en Irlande du Nord n’ont pas été une simple guerre de clochers et de foi mais l’expression violente de la lutte des classes, pour la répartition des richesses et la redistribution du pouvoir : conservateurs protestants dirigeants et privilégiés d’un côté, protestataires catholiques dominés et démunis de l’autre. Contrairement à la Yougoslavie où l’imbrication des communautés a provoqué des migrations, Belfast a vu s’élever, matérialisant ainsi la rigidification de la partition sociale. Situés dans les quartiers mixtes dits « interfaces », les « murs de la paix » étaient destinés à éviter les infiltrations d’émeutiers et les affrontements entre communautés. Edifiés à l’origine avec des tôles et des fils barbelés parce qu’ils étaient destinés à ne rester en place que six mois seulement, ils sont finalement devenus des constructions permanentes à cause de leur efficacité sécuritaire mais également le symbole physique d’une ghettoïsation aussi bien géographique que socio-professionnelle.
La meilleure arme contre le repli communautaire, c’est le partage (mais pas la partition) des postes de décisions politiques et économiques, des emplois correctement rémunérés et de la reconnaissance. L’Empire britannique a tenu tant que les peuples qu’il avait soumis se sont contentés de la délégation de pouvoir que leur laissait l’autorité britannique. C’est la colonisation économique qui intéressait le libéralisme anglais. La couronne d’Angleterre n’a jamais tenté d’imposer son « british way of life », même si son manque de prise en compte des coutumes locales (la révolte de Cipayes éclate pour une histoire de graisse de porc sur les cartouches) a parfois généré des soulèvements populaires d’envergure.
Pour se maintenir, l’empire doit donner l’impression aux peuples qu’ils gardent leur souveraineté au sein d’un ensemble plus vaste qui leur confère une force supérieure face à un adversaire extérieur (souvent construit de toutes pièces), moins menaçant de par la puissance impériale. C’est finalement un principe d’allégeance féodale: le féal fait ce qu’il veut chez lui mais doit répondre à l’appel de son suzerain. Tant que le sujet paye son impôt et accomplit son devoir, l’empire ne va pas l’obliger à se convertir ou à changer sa manière de s’habiller. L’autorité doit donc composer avec la coutume autochtone et cela ne va pas toujours sans dérapage. Cela s’arrange généralement quand économiquement les classes soumises y trouve leur compte. Quand la crise économique a frappé le Royaume-Uni à partir des années 70, les frontières entre communautés se sont durcis et l’ascenseur sociale s’est grippé. Les revendications et les émeutes sociales quant à elles se sont ethnicisées.
Mais l’ultralibéralisme thatchérien allait plus loin encore puisqu’il visait à responsabiliser l’individu même, à faire peser sur lui la responsabilité de sa condition. Le désinvestissement de l’État et la diminution de l’aide sociale ont favorisé le repli communautaire, creusé les fossés culturels et attisé les rivalités entre ethnies avec des réussites sociales très disparates, d’autant que les nouveaux immigrés qui ne viennent pas du Commonwealth arrivent dans des circonstances souvent difficiles et sans aussi bien maitriser l’anglais que les migrants qui les ont précédés. Leur prise en charge par les proches déjà sur place et l’écart important entre les cultures en présence (Africains, Afghans, Syriens, Kurdes, Bosniaques…) rend le multiculturalisme à l’anglaise constitue un péril pour l’Union Jack, déjà menacé par le séparatisme écossais qui se fait plus virulent encore depuis le Brexit.
Certes le cosmopolitisme et la mixité raciale sont prônés par les élites néolibérales mais nous avons vu qu’elles ne fonctionnent que dans des sociétés prospères alors que le communautarisme et la crispation raciale se développent lors des mauvaises passes économiques ou quand le partage des richesses ne s’opère pas. Or c’est le cas au Royaume-Uni où l’industrie est à la peine quand la financiarisation de l’économie est à son comble dans la City.
Le communautarisme est ce qui guette une société victime de schizophrénie : éparpillés par une idéologie libérale qui renvoie chacun à son propre destin, les membres d’une telle société se retrouvent écartelés. Incapables de se raccrocher à un modèle consummériste envahissant mais peu satisfaisant, ils vont chercher dans un particularisme de proximité un moyen de refaire société. La communauté leur offre des repères. Qu’elle soit ethnique ou religieuse, elle leur propose un cadre qui peut se révéler étroit et totalitaire, et par conséquent intolérant et séparatiste. Peut-on en conclure que l’ultralibéralisme engendre le communautarisme et non le cosmopolitisme comme il le prétend? Je suis tenté de le penser.
La question de la dérive schizoïde d’une société demanderait à être approfondie et cet article n’est en rien une démonstration. Nous avons toutefois indiqué une certain nombre de pistes que laisse entrevoir le modèle pour peu qu’on ne limite pas la #PersonneCapacité humaine à être et à devoir, à engendrer du lien social et de la relation avec autrui, de l'appartenance et de l'obligation relationnelle. La majuscule distingue la Personne de... More à l’individu. Ce n’est pas une démarche évidente et spontanée dans un environnement intellectuel façonné par le libéralisme où nos habitudes de pensée nous renvoient sans cesse à un modèle cartésien qui hante notre conception du social. JE n’est qu’un pronom et le dire ne suffit pas à engendrer le concept. L’ego médiationniste est bien autre chose. Et vous commencez sans aucun doute à vous en douter.
Tout le reste est littérature. A la revoyure!
Pour aller plus loin:
Un article synthétique mais assez complet sur les différents modes d’intégration:
https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0449-les-modeles-d-integration-en-europe
Un peu plus consistant sur le cas britannique: