S2 – Les pièges de l’écrit

On nous rabâche à longueur d’ondes que les jeunes ne lisent plus et que tout passe par l’image. En ce qui les concerne, les glossologues dont nous sommes pourraient bien ne pas s’en plaindre. L’écriture masque souvent le réel fonctionnement du langage.

Le plan du Signe S2

Qu’on se rassure tout de go! Je ne demanderai à personne d’utiliser l’alphabet phonétique international, ni même français. J’en ai suffisamment bavé à la fac même si je dois le reconnaitre, c’est parfois pratique. 

Je signale en passant à ceux que ça intéresse Lexilogos qui propose ce service en ligne : vous saisissez votre transcription, puis vous copiez-collez. C’est simple et rapide. 

https://www.lexilogos.com/clavier/api.htm

J’y aurai recours mais sans abus. Promis !

On oublie trop souvent que de nombreuses langues ne s’écrivent pas et ne s’en portaient pas plus mal jusqu’à l’hégémonie des scribes et l’invasion de l’informatique. Si le latin et le grec ne s’étaient pas écrits, plus personne n’en ferait, il faut bien le reconnaitre. Qui parle encore le ligure ou le yuki ? Même si on dénombre tout au plus 200 langues écrites sur plus de 7100 encore existantes, ce sont les premières qui ont le plus de chances de survivre et les 90% qui sont menacées d’extinction d’ici la fin du siècle n’attendent probablement pas un prix Nobel de littérature. L’écriture, c’est de la mémoire sur disque dur. Mais nous y reviendrons dans le plan de l’Outil.

En ce qui concerne la glossologie, le principal écueil de l’écriture notamment française est le découpage en mots graphiés qui ne correspond pas à l’analyse formelle que nous faisons spontanément. Celle-ci est pourtant souvent avérée par notre prononciation.

Exemple : le poisson du bocal dort à poings fermés. Ah ! Il va falloir vous y faire : mes exemples grammaticaux n’ont souvent ni queue ni tête et je suis le roi des exemples à la con. Et donc, les espaces ne correspondent pas tous à une coupe orale. Si je dois faire des coupes, je dis spontanément : le-poisson / du-bocal // dort // à-poings-fermés. Les pauses tendent également à souligner le sens : séparer la préposition ou le déterminant du substantif n’a justement pas de sens. L’écrit et l’oral entreraient donc en compétition sauf que la glossologie ne tient pas compte de l’écriture qui n’est pas dans son champ d’étude. La contradiction est donc dépassée. Il faudra juste être vigilant.

Autre cas intéressant : la marque du pluriel. On pourrait penser que la base étant l’unité, le pluriel se traduirait par un ajout pour marquer qu’il y a plus. Avec un S par exemple. Ça le fait en français et en anglais et donc on se dit que… et non ! Plusieurs constatations vont vous montrer que c’est du gallocentrisme, pour ne pas dire du chauvinisme franchouillard et patriarcal.

Tout d’abord, en latin, le pluriel du nominatif dominus, c’est domini et il suffit d’aller faire un tour sur les tableaux des déclinaisons pour constater que la rallonge pour le pluriel est loin d’être généralisée.

L’italien fait son pluriel par substitution vocalique: ragazzo/ragazzi et ragazza/ragazze. Pas de rallonge à la clef ! En outre, dire qu’on ajoute un S pour marquer le pluriel est d’autant plus absurde qu’on ne l’entend pas en français, exception faite des cas de liaison pour éviter le hiatus (rencontre de deux voyelles) comme dans l’exemple suivant : les_(z)autruches_(z)attentives ont soif. Vous remarquerez que les liaisons se font au sein du groupe nominal mais pas avec le verbe alors qu’on dit vous_(z)arrivez. Tout cela vous_(z)interpelle, nous_(z)avons quelques_(z)explications. Mais nous_(z)y reviendrons.

Hormosessuel, mon cul !

Certaines langues amalgament ce qu’on sépare en français écrit. C’est le cas des langues agglutinantes comme le finnois:  Hänkö osti sen eilen ? Est-ce lui qui l’a acheté hier ? Et Raymond Queneau ne s’y prend pas autrement en démarrant Zazie dans le Métro par le magistral Doukipudonktan. 

Coup de grâce pour la théorie de l’ajout au pluriel : un-boeuf/des-boeufs (ɜ̄bœf/dɜbø) ou un-bocal/des-bocaux où le pluriel est, en termes phonétiques, plus court que le singulier.

La graphie est donc trompeuse et la prééminence du masculin-singulier dans notre langue pose question. Mais le problème est sociologique et nous ne le traiterons pas ici. 

Pour l’heure, retenez que l’écriture ne peut pas être prise en compte en glossologie et qu’il faut s’en méfier. L’apprentissage scolaire a laissé une empreinte profonde dans nos cerveaux. Qu’on appelle cela l’idéologie, la doxa ou le conservatisme, le savoir tend à se consolider et à se naturaliser jusqu’à paraitre évident et là d’avance. Or nous avons fait le voeu zététique de débusquer nos propres biais cognitifs. En voilà un de balisé !

Tout le reste est littérature. A la revoyure !

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