P17 – De la promiscuité au club de complices

L’humanité n’a rien du banc de thons. Les humains passent leur temps à créer des réseaux et des clubs, à se séparer pour pouvoir se fédérer. Pour échapper à la promiscuité de la masse, ils jouent du notable et du partenaire.

sur la piste d’Hubert Guyard (3ème partie) P17

Sur l’axe génératif, la discrimination permet de segmenter l’entassement général que serait le troupeau d’anthropiens : imaginez sept milliards d’hominidés amassés au coude à coude, se frottant les uns contre les autres, à se brouter le minou au gré des occasions forcément nombreuses. Désolé, ami échangiste, mais on n’est pas des morses, encore moins des abeilles ! Dans la cité des hommes, on fait au contraire dans le morcellement, la division et la prise de distance. La Personne refuse la promiscuité de la harde et de l’émancipation du tas nait le notable, ce qui compte et peut se compter. Il ne s’agit plus de s’opposer comme pour le statut mais de se séparer les uns des autres, de se sortir de cette promiscuité naturelle, cette proximité parfois oppressante qu’on retrouve dans les mouvement de foule, les heures de pointe dans les transports en commun et les festivals de rock.

Au sein du notable (ce qui peut donc être noté, repéré, dénombré), on peut recenser les membres à charge, ceux qui dépendent de cette unité et n’en sont que des fragments sans véritable réalité hors de cette entité. La notabilité nie donc l’individualité, la tête de pipe, le #Sujet naturel.

Vous pensez peut-être, à cause du vocabulaire, au foyer fiscal ou à la famille bourgeoise, mais la discrimination s’étend du club de complices (selon l’expression de Guyard) à la nation de citoyens, en passant par la classe sociale ou la corporation professionnelle. 

Le notable est le principe formel qui met en capacité de diviser et le partenaire en est la négation. Je ne vous cache pas que la manière de désigner ces unités m’évoque plus des individus que des regroupements. S’il garde l’étiquette notable dans l’Instituant, Guyard propose la locution assez funky de club de complices pour expliciter l’unité partenariale. Ça fait un peu bande de potes, toujours près à faire les cons et c’est plutôt cool. Mais reprenons !

La répulsion (c’est à dire le fait de repousser) rencontre des limites et sauf pathologie, le Sujet ne se retrouve pas définitivement isolé et peut envisager une certaine intimité avec d’autres Sujets. Le couple, la famille, le cercle d’amis, la bande, le syndicat, le parti, l’association, le collectif… Ce qui aurait pu être une gigantesque partouze mondiale est un puzzle aux règles multiples et compliquées, très éloigné de ce que la nature nous porterait à faire : moi, le quinqua blanc hétéro européen intello classe moyenne, j’ai peu de chance de me frotter avec l’ado maori élevée dans la pure tradition tribale. Ça pourrait physiquement coller mais ça ne s’est pas fait… pour une sombre affaire d’empreinte carbone et de culpabilité écologique dont je vous épargne les détails. Non, je déconne !

Plus sérieusement, l’émancipation dont parle Guyard fait penser à la création d’un nouveau foyer. En s’émancipant, le jeune devient autonome, se sépare de sa famille et compte alors pour « un » aux yeux du Fisc : pour l’inspecteur des impôts, le jeune devient notable. Ce n’est plus cette demi-part pour calculer le quotient familial mais un interlocuteur à part entière, susceptible de contribuer à l’impôt.

Un peuple qui choisit de faire sécession d’avec une nation et de se constituer lui-même en entité nationale attend d’être reconnu par ses pairs à l’ONU. A ce niveau, les individus et leur nombre ne comptent pas. Seules les nations membres rentrent en ligne de compte. Les Nations Unies règlent les problèmes internationaux entre états mais n’interviennent normalement pas dans les affaires intérieures de ses membres. Les ingérences même humanitaires sont par conséquent problématiques. Le paragraphe 7 de l’Article 2 stipule que rien n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État, mais que ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII de la Charte. L’ONU est ainsi toujours très longue à la détente dans les conflits inter-ethniques (Rwanda, ex-Yougoslavie, Soudan, Centrafrique, Birmanie, Espagne…). 

C’est en effet difficile de trancher entre ce qui relève d’une affaire de police (maintien de l’ordre intérieur) et d’une guerre civile. 

Le gouvernement français vient d’être rappelé à l’ordre par les Nations Unies : elles ont fait part de leur inquiétude le 6 mars dernier d’un «usage excessif de la force» lors de manifestations des Gilets jaunes. Dans un discours prononcé devant le Conseil des droits de l’homme à Genève, le Haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU Michelle Bachelet a déclaré : «Nous encourageons le gouvernement [français] à poursuivre le dialogue et demandons urgemment une enquête approfondie sur tous les cas rapportés d’usage excessif de la force.»

Depuis… rien !

Un peu comme dans ces affaires de maltraitance entre conjoints ou entre parents et enfants où personne n’ose intervenir parce que ça se passe dans un cadre familial.

On voit mal des Casques Bleus intervenir pour empêcher les mecs de la BAC de faire des cartons, ou empêcher Manuel Valls de bourrer les urnes à Évry et pourtant… des observateurs internationaux sont dépêchés lors d’élections dans des pays démocratiquement mineurs (en opposition aux pays adultes qui peuvent se gérer seuls). 

Si on en revient à une petite échelle, la discrimination divise la foultitude. Guyard prend l’exemple de l’église et de la répartition de l’assemblée en fonction de critères qui peuvent changer (hommes/femmes, adultes/enfants). Le nombre de clubs ne varie pas en fonction du nombre total de fidèles. Qu’il en arrive d’autres: ils se répartiront dans les Partenaires existants. Il faut bien comprendre le Partenaire dans une dynamique de convivialité où chaque fragment partage un ou plusieurs états avec les autres.

Un club n’accueille pas non-plus le tout-venant : plus il est sélect, plus le nombre de critères de tri est important. Le cercle se restreint jusqu’à ne retenir qu’une élite répondant à toutes les discriminations. Une clause d’admission peut également être la cooptation, le parrainage ou l’accord de l’ensemble des déjà-membres, voire l’engagement par un représentant de l’autorité du groupe.

Le vocabulaire du groupe humain est très étendu. Je ne vous livre ici que les items qui m’ont paru les plus exotiques: clique, chapelle, peloton, grupetto, colonie, confrérie, cohorte, phratrie, clan, ligue, loge, camarilla, escouade. Tous ces cas particuliers de clubs correspondent à des circonstances tout à fait spécifiques et l’extrême variété du lexique souligne la pluralité importante des divisions. Le terme de coterie que cite Guyard est actuellement remplacé par le lobby, groupe agissant pour ses intérêts.

Pas facile de faire, toujours à la suite de Guyard, la distinction entre la séduction (taxinomique) et l’invitation (générative). Disons pour faire simple que la première s’envisage comme une sélection de statuts à rendre publics quand la seconde doit être penser comme une ouverture du cercle à celui qui n’en fait pas encore partie. Dans les deux cas, le franchissement de frontière est imminent: privé/public d’une part, indigène/halogène d’autre part. Reste que les deux analyses se recoupent et se mêlent dans le phénomène social: on parle de cercle privé, de société secrète ou d’ennemi public.

D’une manière générale, l’importance numérique à l’intérieur du cercle est inversement proportionnelle à la rareté des qualités requises pour y entrer.

La Skull & Bones société intègre des étudiants de Yale, quinze par promotion depuis 1832.

C’est plus difficile de faire partie de la tranche des centenaires ou du groupe Bilderberg que d’obtenir la nationalité française, mais il est plus difficile de devenir monégasque que catholique (on baptise sans trop se faire prier ces temps-ci!). Vous pouvez également devenir végane sur le champ et adhérer à l’UPR en moins de deux clics (c’est 30 euros tout de même, tarif réduit pour les chômeurs, les étudiants et les personnes touchant le RSA). 

Sachez, pour finir, que la théorie de la médiation ne fait pas école, n’adoube ni n’exclut personne et qu’on y entre comme dans un moulin où il y a du grain à moudre. Mais on n’en sort pas indemne. Je suis bien placé pour le savoir.

Tout le reste est littérature ! A la revoyure !

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