le plan de la personne P14
Bruno Dumont fait se terminer Coincoin et les Z’inhumains dans un gigantesque manège où tous les protagonistes de cette série loufoque mais moins barrée qu’elle n’en a l’air se retrouvent dans une ambiance de carnaval. Les plus attentifs auront remarqué que ce sont les migrants qui donnent le départ de cette fin aussi improbable que chorale. Voilà le mot est lancé !
La troisième visée politique a été baptisée chorale par Jean Gagnepain et non sans raison. Contrairement aux deux autres et de manière similaire à la prosodie, la politique chorale est endocentrique : l’être ensemble s’y célèbre lui-même. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si les célébrations recourent souvent à la chorégraphie et à la répétition, avant mais aussi pendant.
La photo se passe de commentaires mais qu’on pense une minute à ces militaires d’opérette pour qui le défilé fait pourtant partie du métier. La cérémonie officielle bat son plein avec l’uniforme de parade, la botte cirée et les gants blancs et n’a rien à envier au smoking et aux paillettes. Et si tout ce beau monde se met sur son 31, c’est pour bien souligner que l’échange festif s’oppose au quotidien où la synallactique et l’anallactique se la disputent.
Il y a toujours du falbala dans le cérémonial : il faut marquer le coup. Le costume de scène de la star du rock, les déguisements du carnaval, les perruques et le maquillage des supporters ou l’habit de lumière du torrero vont de paire avec les ovations et les chansons reprises en choeur, les défilés de chars sous les confettis, les holas dans les tribunes ou les olé dans les arènes.
Le fait d’être ensemble décuple les émotions : réjouissances, tristesses et colères se partagent dans les cortèges. La communauté a besoin de se retrouver périodiquement au grand complet pour se redire qu’elle existe. Grains de riz, confettis et grandes orgues participent de cette politique chorale qui ne se justifie que par elle-même.
Dans de nombreuses cérémonies, on danse, c’est à dire qu’on dépense de l’énergie sans autres raisons que de sentir en communauté. Et on s’oblige souvent au même pas comme à la bourrée auvergnate, au fest noz ou au charleston quand ce n’est pas un pogo des familles, un flash mob pour le téléthon ou le bain de foule de l’élu.
Parfois on s’offre gratuitement en spectacle et là, c’est carnaval, charivari et mascarade, des manifestations à peine plus extravagantes que les embrassades, les pleureuses et les farandoles.
Avez-vous remarqué que les applaudissements d’un public enthousiaste finissent toujours par ressembler au pas cadencé des militaires ? Et si on fait marcher ceux-ci en rythme et en uniforme, c’est pour renforcer la cohésion de la troupe ? L’armée accumule les cérémonials : la moindre revue est une célébration, le lever des couleurs se fait au clairon et il y a des garde à vous ! à tout bout de champs. Ces gens n’ont pourtant pas un goût très poussé pour la fête même si les uniformes de l’ancien régime étaient une véritable invitation à l’étripage en couleurs, en rangs serrés et en musique.
Les jeux olympiques offrent tous les quatre ans son heure de gloire à la politique chorale. Ils sont d’abord l’occasion d’une trêve des conflits conventionnels (même pour s’entretuer, les belligérants passent des accords) : les comptes se règlent alors dans les stades. Mais rien ne commence sans la traditionnelle cérémonie d’ouverture qui est devenue une débauche de mouvements de foule, d’effets spéciaux et de démonstration de puissance, retransmise dans le monde entier, où le groupe fête dans un ordre impeccablement réglé le fait pour l’humanité d’envoyer ses meilleurs spécimens pour rivaliser. Les festivités précèdent l’affrontement qui s’achève par des cérémonies : une pour la remise des médailles et l’autre pour la clôture des jeux. Drôle de planète !
Tout le reste est littérature ! A la revoyure !