A5 – Heuristique en stock

La science fait des affirmations sur la réalité de telle manière que cela puisse être confirmé ou au contraire réfuté. Corroborons ou falsifions! Mais bordel! Arrêtons de noyer le poisson!

Prolégomènes A5

Une théorie est une proposition généralisante sur la réalité à partir de laquelle elle construit un certain nombre de faits qu’elle rassemble sous une même explication. Les faits sont donc construits à partir des phénomènes puisque je n’ai pas un accès direct à ceux-ci. Mes sens et mes mots forment un double sas à travers lequel je construis un point de vue. Je pose mon regard sur mon réel et j’y capture un objet d’étude, c’est à dire l’ensemble des faits qui relèvent d’une même explication. L’explication scientifique n’explique pas le réel dans sa totalité : elle explique seulement ce qui relève de son point de vue.

Une force centripète rendrait le lancer de marteau aussi peu spectaculaire pour le public que dangereux pour l’athlète.

L’effet centrifuge est la force agissant sur un corps ayant une trajectoire curviligne et tendant à le pousser radialement vers l’extérieur. Il explique aussi bien les sorties de route dans les virages, le fonctionnement de la fronde, le mur de la mort, le saut de la balançoire que l’essorage du linge et les accidents de tourniquet, phénomènes qui peuvent paraitre assez éloignés les uns des autres. Pourtant un même et unique principe les lie. La formulation de ce principe, c’est la théorie.

Plus la théorie est puissante, plus elle réunit de faits et tend vers la généralité : la gravité dépasse la stratosphère et le temps universel avait cours à l’ère newtonienne. La généralisation s’accompagne de la prévisibilité : quand les mêmes conditions sont réunies, on s’attend à ce que la conséquence soit la même.

Si je place une bille sur une platine-disque en mouvement, je suppose qu’elle en sortira par l’extérieur en vertu de l’effet centrifuge dont je parlais. Si je trouve un moyen d’augmenter la vitesse de rotation des anneaux de Saturne, je prédis que la planète peut leur dire adieu.

La théorie injecte de l’identité dans des phénomènes disparates et de l’unité dans leur multitude. Elle met de l’ordre dans le gigantesque fatras de la réalité. La théorie lui donne du sens : elle l’organise. Mais rien ne me permet d’affirmer qu’elle est ordonnée d’avance. Rien ne me permet d’affirmer non plus qu’elle est amorphe. Il se trouve simplement qu’elle répond bien à l’explication que je plaque sur elle. Ou pas d’ailleurs.

La puissance d’une théorie se mesure à sa richesse heuristique: sa capacité à produire de l’explication à grande échelle. L’effet centrifuge se vérifie dans tout notre système solaire et au-delà.

Selon Karl Popper, une assertion est dite scientifique si elle peut être réfutée. Autrement dit, elle doit être formulée de telle manière qu’on puisse la soumettre au test qui l’invalidera ou la corroborera. Invalidé, c’est NIET sur le coup. Corroboré, c’est YES pour un moment. 

Christophe Barbier pose quotidiennement la question de la falsifiabilité des faits sur BFM TV.

Si je dis : tous les sans-emploi sont heureux de ne pas travailler, c’est faux mais l’énoncé est à caractère scientifique car la simple observation du taux de suicides chez les chômeurs ou de leur consommation d’anxiolytiques falsifie la proposition. Mais si je dis: il y a des chômeurs contents de leur sort, l’assertion est vraie mais pas réfutable. Et en fait, scientifiquement, on s’en fout un peu… qu’il faille de tout pour faire un monde. Ce qui compte, c’est qu’une proposition scientifique doit viser le général parce qu’au particulier, on peut faire dire n’importe quoi, d’genre: il y aurait, d’après BMFTV, des sans-emploi qui travaillent en cachette rien que pour fausser les chiffres de Pôle Emploi.

Si je dis: l’oligarchie est le seul fonctionnement politique possible à long terme, rien ne le prouve, mais rien ne l’infirme non plus de manière définitive. C’est de l’ordre du possible et du postulat. C’est surtout une idée élitiste, pour ne pas dire libérale. Il en va de même pour l’existence de Dieu et de Satan, celle de l’équilibre économique naturel et de l’homéopathie, de l’au-delà et de tout ce qui a trait à l’âme, aux esprits, aux mondes parallèles ou aux extraterrestres.

Un concours d’Elvis ne prouve rien

Autre exemple : si j’affirme que chaque homme a au moins sept sosies vivants dans le monde, je dois faire une expérience sur un échantillon suffisamment représentatif pour corroborer mon affirmation. Il faudrait par conséquent déployer des moyens logistiques considérables pour donner un quelconque crédit à cette théorie qui reste pourtant de l’ordre du possible. Mais ne pouvant ni être prouvée ni être falsifiée, cette théorie peut être déclarée non-scientifique. Si cette rumeur perdure, c’est que ceux qui la colportent font correspondre la réalité à leur fantasme.

https://www.ouest-france.fr/insolite/partez-la-recherche-de-vos-sept-sosies-travers-le-monde-3445517

Karl Popper ou la vérité comme prise de tête

Sans entrer dans la controverse au sujet de l’efficacité du critère de Popper, je dirai simplement qu’une thèse tend à être scientifique si elle est logique, cohérente et vérifiable dans des tests valables et reconductibles. Si en revanche, elle échappe à la logique et à toute vérification expérimentale, elle ne sera pas retenue aussi séduisante soit-elle. C’est ce qui est arrivé à la psychanalyse. Elle n’a pas été retenue par l’institution scientifique, faute de gages suffisants. Le marxisme a également subi le même sort et pourtant, de l’une et l’autre, nous garderons des idées.

Je veillerai donc à fournir de l’explication claire et transposable, toujours reformulable et traduisible, à ne pas laisser les mots prendre le pas sur les concepts, la spéculation sur l’expérimentation, l’anecdote sur la théorie. En d’autres termes, j’essaierai de ne pas chercher l’embrouille et de ne pas noyer le poisson, sans pour autant renoncer au plaisir de la formule et de la déconne. On n’est pas non plus sur terre pour en chier plus que de raison.

Tout le reste est littérature. A la revoyure !

Pour aller plus loin :

L’astrophysicien Aurélien Barrau fait un point intéressant sur la question:

Brillant comme un paradoxe :

Les paradoxes semblent vrais et plein d’intelligence mais ne reposent sur aucune observation rigoureuse.

Nous vivrons bientôt une époque où chacun aura le droit de dire ce qu’il pense, et ce sera sans problème, car alors tout le monde pensera la même chose. (Andy Warhol)

Dans cet exemple, les trois assertions sont cohérentes et même très cohérentes mais la dernière sur laquelle repose la première est une prédiction sans aucun fondement expérimental qui repose sur l’idée répandue de l’uniformisation et de la globalisation de la pensée. Si je ne peux pas la prouver puisqu’elle est du domaine de la spéculation, je ne peux pas non plus l’infirmer avec certitude pour la même raison. En revanche, on peut, sans trop s’avancer, affirmer que Warhol a souvent dit un peu n’importe quoi pour se faire remarquer.

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