S15 – Je suis… je suis… je suis…

Si on va s’arrêter au niveau de la syllabe en phonétique et laisser de côté zone et environnement, il nous faut aller plus loin en sémantique : concept et prédication doivent en laisser plus d’un sur sa faim (ou sur leur fin?). On va donc causer champ et expansion.

le plan du signe S15

Dans l’étude de la sémiologie, les axes taxinomique et génératif s’analysent mutuellement pour produire du paradigme morphologique et de la syntaxe. En rhétorique, ces aptitudes sont elles aussi réaménagées contextuellement et vont nous faire rencontrer des concepts qui peuvent sans doute paraitre plus familiers.

En se réaménageant en situation, le paradigme classe les vocables en champ conceptuel selon la conjoncture. C’est à peu près l’équivalent du champ lexical que vous avez dû rencontrer au collège et au lycée. Si le paradigme, de par sa nature structurale, n’établit pas de hiérarchie, le champ s’organise quant à lui du plus générique au plus particulier, du pantonyme (par exemple le végétal) à l’idionyme (la scarole) en passant par différentes inclusions (l’aliment, la salade). On peut visualiser le champ comme une pyramide à degrés. Les vocables d’un même degré sont dits isonymes (la scarole, la laitue et la feuille de chêne par exemple). En réalité, le végétal est le pantonyme aussi bien de l’aliment que de scarole qui est l’idionyme de la salade qui lui est l’idionyme de l’aliment et l’isonyme du légume, du fruit ou du champignon. A noter que le végétal aurait aussi bien pu être l’idionyme de l’aliment.

Une fois de plus, notons que le champ est une capacité de classification, pas un résultat figé sinon dans un vocabulaire, c’est à dire un dictionnaire spécialisé et institué. Le champ au contraire varie avec le contexte d’énonciation et se parcourt dans n’importe quel sens. Enfin… pas tout à fait.

Exemple: A) la scarole est une salade à grandes feuilles frisées et croquantes. Les feuilles intérieures de ce végétal sont beaucoup moins amères que ses feuilles extérieures. Cet aliment se consomme avec une vinaigrette.

B) L’aliment est un végétal à grandes feuilles frisées et croquantes. Les feuilles intérieures de cette salade sont beaucoup moins amères que ses feuilles extérieures. Cette scarole se consomme avec une vinaigrette.

B semble moins couler de source que A où on va du plus général au plus spécifique. Dans le contexte particulier de A où l’idionyme arrive en premier, scarole, salade, végétal et aliment se comportent comme des synonymes. En B, les mêmes vocables dans un ordre d’apparition différent ont l’air incongru. Julien Lepers dans Questions pour un Champion utilisait cette technique pour les questions du face à face.

« Nous cherchons un nom… top, je suis un volume géométrique qui a inspiré des architectes antiques et précolombiens. Quatre de mes faces sont identiques et de forme triangulaire, la cinquième étant appelée base. Rhomboïdale, à degrés ou à faces lisses, construite en pierres, selon des techniques qui restent encore méconnues, je suis alors un monument aux dimensions colossales. Maya, aztèque ou égyptienne, j’attire de nombreux touristes curieux de mes secrets. Temple dédié au soleil et à la lune ou demeure funéraire d’un pharaon, j’ai pour nom Kukulcàn, Mykérinos, Khéphren ou Khéops  je suis… je suis… je suis… ? ».

Lepers commence par le générique et descend progressivement vers le particulier qui est parfois un nom propre, propre voulant ici dire adéquat. Dans le champ de l’humanité, toute la base serait constitué de noms propres.

Autre exemple :

C) La capitale s’éveille, chante le Parisien en sortant de chez lui. 

Vu le contexte, vous aurez compris qu’il s’agit de Paris : le pantonyme est utilisé pour son idionyme, le générique pour le particulier. C’est une démarche courante. « Qui est à l’appareil ? » Appareil est le pantonyme de téléphone mais le contexte téléphonique permet d’idionymiser le générique. Ça en jette, hein ?!

Pour construire une définition, on choisit un pantonyme qu’on qualifie grâce aux différents moyens grammaticaux à disposition : complément du nom, adjectif, subordonnée relative pour les noms, adverbe, complément d’objet, complément circonstanciel pour les verbes. On monte dans les étages en ascenseur pour ensuite redescendre par l’escalier de service, plus ou moins long suivant la précision apportée. 

Sans image, on dira que : définition = pantonyme + précision

Exemple : un iceberg est un bloc d’eau douce glacée, souvent de masse considérable, qui s’est détaché du front d’un glacier ou d’une barrière de glace flottante et qui dérive sur un plan d’eau, généralement la mer.

Henri Michaux est lui plus expéditif : 

Icebergs, Icebergs, cathédrales sans religion de l’hiver éternel 

Que se passe-t-il ? Michaux emprunte en fait un raccourci : au lieu de remonter jusqu’à édifice ou montagne, il met en relation deux isonymes et les rend synonymes (iceberg = cathédrale) avant de fixer le contexte en le précisant (sans religion de l’hiver éternel = naturel de la banquise). 

Pour Rommel, le renard du désert (surnom du maréchal et titre d’un film avec James Gardner), le cas est légèrement différent. Le nom propre est l’idionyme d’homme rusé ou stratège et serait l’isonyme de Goupil par exemple. Renard en revanche n’est pas au même niveau de l’échelle général-particulier. De Rommel à renard, il y a pantonymisation (ascension si on préfère) et il y a fort à parier que du côté d’El-Alamein, on se contentait de parler du renard pour désigner le maréchal. Le Goupil des sables aurait sans doute été péjoratif mais tout aussi efficace et rien n’empêcherait de parler d’un Rommel des bacs à sable pour désigner un stratège en culotte courte.

Vous l’aurez peut-être reconnue : il s’agit là de la métaphore. Et là, Gagnepain a, selon moi, eu un trait de génie qui permet d’extirper les figures de style ou les tropes de l’ornière de l’écart où beaucoup pataugent encore. Pour qu’il y ait écart, il faudrait qu’il y ait droit chemin, ortho-doxie. Or la glossologie sémantique ne s’intéresse qu’à l’efficacité contextuelle, ce que nous appelions la congruence. L’originalité ou la rectitude relève de la sociologie et de l’axiologie.

Tout le reste est littérature. A la revoyure !

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