S14 – Le chainon syllabique est-il manquant?

Les fins observateurs ont peut-être remarqué que nous avons légèrement triché dans l’analogie entre terme de proposition et syllabe. Petite mise au point.

le plan du signe S14

Assertion, proposition et prédication sont des synonymes. Lorsqu’on fait une proposition, on distingue ce dont on parle, le thème, le sujet ou le substrat (substantif), et ce qu’on en dit, la thèse, le propos (proposition) ou le prédicat. Ce qui implique deux termes de propositions distincts : Gagnepain parle de terme substantif et de terme prédicatif. Entre les deux, la coupe prédicative est un contraste virtuel.

Exemple: l’auteur de ces lignes (moi) / saisit son texte sur un clavier. (écrit)

Parce qu’elle est rhétorique, la proposition ne peut se faire qu’en situation. Dans celle-ci, le thème est en quelque sorte déjà là : les locuteurs source ou cible savent de quoi il est question même si ce n’est pas dit et ce qui en est dit peut justement se limiter à ce qu’on en dit. Un exemple pour y voir plus clair:

– La ferme!

– Pardon?

Dans ces deux assertions, seuls les propos apparaissent. Les termes substantifs sont virtuels, sans doute parce qu’on prend la conversation en cours. Mais pas que ! Si on traduit exhaustivement le dialogue, on aurait quelque choses du genre.

-Toi qui jusque là parlais (thème) / maintenant tu te tais (propos).

-Ce que tu viens de dire (thème) / je ne l’ai pas bien compris (propos)

Tout n’est pas dit mais les deux termes sont virtuellement présents. C’est même très exactement le prédicat qui doit toujours apparaitre : ce que j’ajoute au sujet qui ne peut pas être sous-entendu. C’est même parfois la cause d’un quiproquo. La perte du contexte engendre le malentendu.

-La ferme !

-Pardon ?

-En latin, « villa » signifie « la ferme ».

L’efficacité du dit ne peut donc se mesurer qu’en situation. Aussi bien que la source, le message et la cible, le contexte fait partie de l’énonciation.

 Je suis dans une maison et je dis: qu’elle est grande ! Mon locuteur cible comprend que je parle de la maison où nous nous trouvons et non de sa fille qui vient d’avoir 10 ans. C’est l’objet de référence implicite.

Vous constatez assez facilement à ce niveau que la réthorique conteste la Grammaire : elle ne l’annule pas mais aménage ses règles. La Grammaire peut toujours se lire en filigrane et elle permet de reformuler indéfiniment le dit s’il est mal adapté, c’est à dire le message s’il manque d’efficacité ou si l’on préfère l’énoncé congru. Sans blague ?!

Vous notez également que nous ne nous soucions pas ici de niveau de langue ou de correction syntaxique (on en reparlera en sociolinguistique) ni de sous-entendu ou d’allusion (il faudra attendre l’axiolinguistique).

Au niveau de la syllabe, il est beaucoup plus délicat de trouver le chainon syllabique qui serait le correspondant exact du terme de proposition. La partition consonne-voyelle ne fonctionne pas et on n’a pas trouvé, pour l’instant, d’argument suffisamment fort pour une parfaite analogie entre prédication et syllabation sur ce point précis. Pour être honnête, cela n’a guère d’importance. Dans les grandes lignes, je pense vous avoir suffisamment montré que, phonétique ou sémantique, le réaménagement rhétorique s’opère sur chaque face du signe et que la dialectique est à l’oeuvre dans la signification (du son-sens vers le Signifiant-Signifié) et dans la désignation (du Signifiant-Signifié vers la prononciation et l’énonciation). Une fois de plus, rien n’existe en dehors des rapports.

Plus prosaïquement, il  y a ce que la Grammaire dit en moi et ce que je dis à travers elle. Structure et réel sont irréductibles l’un à l’autre : ils coïncident plus ou moins en situation. A ce niveau, on ne parle pas d’adhérence mais de congruence : le fait de convenir et d’être adapté à un contexte. La portion congrue est suffisante et ce qui est incongru est en trop.

Mais voilà qui est littérature. A la revoyure !

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