A7 – Squatters et urbanistes

La théorie de la médiation propose un modèle complet de l’humain. C’est hégémonique et ça ne laisse que peu de place au délire. Il y a donc les précurseurs que nous saluerons, ceux qui fument la moquette et nous.

Prolégomènes A7

J’ai écrit dans l’épisode précédant le précédent que la puissance d’une théorie se mesure à sa richesse heuristique, sa capacité à expliquer des faits. J’y ajoute ici: la puissance d’une théorie se mesure aussi à sa capacité à pratiquer l’hégémonie conceptuelle et à mettre au placard les disciplines obsolètes. 

On a pas mal bricolé depuis les débuts de la sociologie au XIXème jusque dans les années 1980. Le champ des sciences humaines ressemblait plus à un bidonville qu’à un cimetière militaire. Chacun y rafistolait sa bicoque sans trop se préoccuper de l’environnement, squattait les bases conceptuelles du syndic et annexait une partie du terrain du voisin. C’était pittoresque mais pas rigoureux pour un kopeck et on a fini le siècle avec des chimères monstrueuses et séduisantes comme la sémanalyse de Kristeva et la société du spectacle de Debord.

Autrement dit, la théorie occupe le champ de bataille autant qu’elle en chasse l’occupant précédent… à qui on laisse tout de même le droit de se défendre, de courir ou de se rallier à notre panache. Le vocabulaire est guerrier mais la science est un lieu de conflit, pas une promenade de santé. Bon, on n’est pas des sauvages non plus! Et on discute, on débat, on joute verbalement, on argumente (boite mail, messenger et réseaux sociaux). C’est ce qui nous différencie des trafiquants de dogmes et des garants d’idéologies qui disqualifient déloyalement les idées alternatives par propagande et biais de pensée.

Et les critiques contre la théorie de la médiation sont nombreuses. La plus fréquente est la complexité de son modèle anthropologique et beaucoup de penseurs en sciences humaines ont préféré afficher une fin de non-recevoir plutôt que d’opérer une révolution de leurs habitudes de pensée.  

Car la théorie de la médiation ne convient ni aux tièdes ni aux pantouflards ni aux bidouilleurs ni aux conservateurs, encore moins aux réactionnaires. Elle est intellectuellement exigeante et conceptuellement radicale. Le tout cuit est à éviter en matière de connaissance: ce qui parait évident n’est que le fruit d’un #habitus, c’est à dire d’un sillon comme nous l’avons expliqué dans le troisième épisode, en A3. J’ai employé le terme de révolution et nous y sommes.

Comme en politique, l’alternance a assez duré : la cuisine à la papa avec des ingrédients surannés a vécu ! De la même manière qu’on n’amendera pas le capitalisme (vert ou moral, ce sera un leurre), il faut penser à un modèle anthropologique véritablement alternatif, et comme Gramsci le préconisait, pratiquer l’hégémonie intellectuelle. La masse critique de public pas vraiment critique suivra.

En science, les choix se motivent par des idées solides, étayées et mises à l’épreuve : la cohérence et l’expérimentation tranchent. Seules les disciplines molles se tolèrent, cohabitent et s’épousent. La pluridisciplinarité n’est qu’un leurre, un prétexte pour organiser des colloques transdisciplinaires et bouffer entre confrères.

En matière de sciences humaines, la théorie de la médiation conteste toutes les disciplines à la fois : elle explose tous les objets scientifiques et l’intégralité du savoir sur les facultés humaines et qu’on ne vienne pas nous parler de bienveillance : c’est bon pour le consensus mou et les tenants de la synthèse oecuménique. Ici, on fabrique du solide. C’est pas la Pentecôte !

La théorie de la médiation dérange donc l’ordre établi. Elle est arrivée dans les sciences humaines du XXème siècle comme Jacques Vabre au Brésil. Elle a pris le meilleur de la récolte. La dialectique de Marx, la structure de Saussure et l’inconscient de Freud, puis celui de Lacan. Mais aussi des éléments de Durkheim, Mauss, Nietzsche, Bourdieu, Lévi-Strauss, Sartre et toute la crème (et non l’écume) de la phénoménologie et des sciences humaines. Et surtout, elle en a fait quelque chose de totalement inédit.

La théorie de la médiation ne laisse aucune place à d’autres modèles, courants ou écoles: elle entend couvrir toute l’humanité. Elle en redessine la carte et réorganise le champ culturel dans son intégralité. Ça peut paraitre gonflé et prétentieux mais il est rigoureusement impossible de faire autrement.

Gagnepain est dur avec les intellos brumeux qui bricolent des concepts monstrueux et rafistolent de vieilles théories branlantes. Il sait aussi payer ses dettes envers ses inspirateurs et verser son obole après avoir pillé le tronc.

La Rome décadente attendait en secret les invasions barbares. Le monde contemporain est profondément malade et le troisième tome de la trilogie épistémologique de Gagnepain s’intitule rien moins et sans complexes : Guérir l’homme, Former l’homme, Sauver l’homme

Tout le reste est littérature. A la revoyure !

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