P64 – Outrage à la pudeur et stratégie du choc

Loin de l’image du pervers pépère en imper ouvert à la sortie des écoles, l’exhibitionniste n’est sans doute pas un simple obsédé sexuel. S’il s’exhibe, c’est moins pour se montrer nu que pour forcer le lien qu’il n’arrive plus à établir par la séduction.

Les troubles de la Personne : l’exhibitionnisme P64

Il se masturbait à sa fenêtre, l’exhibitionniste est placé en garde à vue », «l’exhibitionniste remet le couvert devant des établissements scolaires », « l’exhibitionniste avait une soudaine envie de se gratter les parties intimes », « l’homme en question, dans le plus simple appareil, c’est-à-dire vêtu d’une veste (verte), se montrait à sa fenêtre dépourvue de rideaux en exhibant joyeusement ses parties génitales », « ce n’est pas le genre de vue dont la voisine souhaitait profiter », «Philippe décide alors de se masturber allègrement et de lui faire profiter du spectacle ! », « le vice-président du MoDem a été surpris dans un magasin en train de se masturber à proximité de deux adolescentes. Il aurait reconnu les faits devant les policiers avant de se rétracter», « le procureur a d’ailleurs rappelé que si, St-Onge avait expliqué ses gestes par le stress intense qu’il vivait, il existe bien d’autres façons de se détendre que de s’exhiber à des adolescentes », «repérées par un pervers, elles se retrouvent victimes d’une dégoûtante expérience. En face d’elles, un inconnu commence à adopter un comportement lubrique. Il se serait mordu les lèvres, léché les doigts et aurait commencé à se masturber en les fixant. Glauque ! », «lorsque les forces de l’ordre arrivent à sa hauteur, son sexe dépasse de son short. À leur vue, il tente de planquer son pénis avec un sac plastique », « toutes les trois mineures, elles sont alors importunées par un individu peu enclin aux règles de courtoisie, c’est le moins qu’on puisse dire. »

L’effet de surprise

La PQR regorge de faits divers de ce genre et ces derniers bénéficient d’un traitement assez désinvolte de la part des journalistes et correspondants de presse comme s’ils ne prenaient pas ce délit tout à fait au sérieux. Il est pourtant passible d’une peine d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende, des peines doublées si la victime a moins de 15 ans.

Grâce à une enquête «Cadre de vie et sécurité» de l’Insee, il est désormais possible de mesurer l’ampleur du phénomène en France. Et les chiffres sont surprenants. Plus de 560.000 personnes âgées de 18 à 76 ans auraient déclaré avoir été les victimes d’exhibitionnisme en 2017. Or les forces de l’ordre, de leur côté, n’ont recensé, la même année, que de 6200 signalements, soit à peine plus de 1 % des cas. Ce qui semblerait signifier que pas plus que la presse, le public ne considère l’exhibition sexuelle comme une affaire grave. Pourtant du côté des victimes, le traumatisme peut être bien réel et douloureux. 

Le délit d’outrage n’existe plus sous ce terme dans le Code Pénal et il a été remplacé par l’expression d’exhibition sexuelle qui « …imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende ». La loi précise également que « même en l’absence d’exposition d’une partie dénudée du corps, l’exhibition sexuelle est constituée si est imposée à la vue d’autrui, dans un lieu accessible aux regards du public, la commission explicite d’un acte sexuel, réel ou simulé ».

La monstration, dans un cadre festif, comme ici lors d’une fête à la Nouvelle-Orléans, ne peut être considérée comme de l’exhibitionnisme mais plus comme une provocation à caractère érotique ou une transgression sur un mode ludique.

A la lueur de ma lecture des articles de presse, je constate que l’exhibitionnisme n’y concerne (côté délinquants) que des hétérosexuels masculins rarement mineurs. Les victimes sont des fillettes, des adolescentes ou à des femmes adultes. 

Cependant mais sans que plus de détails ne soient donnés, Maitre Sabine Haddad, avocate au barreau de paris, conclue un article sur le droit et l’exhibition par : «  Enfin, il m’est arrivé de défendre des femmes en cette matière… ». De son côté, le psychiatre qui a inventé le terme d’exhibitionnisme Charles Lasègue signale n’avoir rencontré qu’un seul de cas de femme alors que les affaires d’hommes sont nombreuses au XIXème siècle dans les annales de la police des moeurs.  

Les militantes femen ne sont pas passibles d’une condamnation car leur exhibition ne revêt pas un caractère sexuel. En revanche, le pourvoi N° 65-91.997 avait considéré que l’outrage à la pudeur pouvait être constitué par une femme, qui exhibait les seins entièrement découverts, à la vue du public, sur une plage où elle se livrait à l’exercice du ping-pong, laquelle avait attiré une émeute de curieux supporters. C’était en 1965. 

L’exhibition sexuelle a lieu dans des endroits publics, des parkings ou des parcs, beaucoup plus rarement à la fenêtre ou sur un balcon, et l’exhibitionniste garde une certaine distance sans jamais rechercher la promiscuité, encore moins le contact ou l’attouchement.

Pour Lasègue, l’exhibitionniste type  « fait montre de ses organes génitaux, non pas au hasard, devant les passants quels qu’ils soient, mais aux mêmes endroits, en regard des mêmes personnes. » Cette observation sera souvent vérifiée par la suite: le pervers tend à fréquenter les même lieux et à ritualiser sa pratique. 

Dans les coupures de presse, l’exhibition s’accompagne presque toujours d’un acte masturbatoire et d’un effet de surprise. Le choc émotionnel sur la victime semble participer du processus et favoriser l’excitation des auteurs de l’outrage. On peut donc parler d’attentat à la pudeur et il ne se pratique qu’à l’encontre d’une personne, plus rarement un petit groupe.

Les délinquants exhibitionnistes opposent rarement de la résistance à leur arrestation. Ce sont très fréquemment des multirécidivistes alors que les peines qu’ils subissent leur imposent pourtant de suivre un traitement.

La plupart des exhibitionnistes ressentent ce besoin comme difficile à contrôler et étranger à eux.

Toutes ces remarques sont confirmées dans Les Exhibitionnistes de Lasègue, sauf en ce qui concerne la masturbation que le psychiatre ne mentionne pas. « Le premier cas qu’il m’ait été donné d’observer m’avait laissé une vive impression. Il s’agissait d’un jeune homme (moins de 30 ans) appartenant à une famille honorable, jouissant lui-même d’une situation enviée comme secrétaire d’un personnage politique de cette époque. II était distingué d’esprit et de formes, et son éducation le rattachait au meilleur monde. L’autorité avait été informée, par des plaintes multiples, d’un scandale qui se renouvelait dans les églises, toujours vers la tombée de la nuit. Un jeune homme, dont on donnait le signalement, se présentait subitement devant une femme en prière dans l’église alors peu fréquentée ; il étalait ses organes génitaux sans prononcer une parole et disparaissait dans l’ombre après une courte apparition. La surveillance était difficile, à cause du nombre des endroits où elle devait s’exercer. Un soir, cependant, cet étrange fantaisie fut arrêté à Saint-Roch, au moment où il se livrait à son exercice périodique devant une vieille religieuse qui poussa un grand cri et éveilla l’attention du gardien. Le délit était si singulier que le parquet demanda un examen médical. J’eus avec le prévenu de longs entretiens dont je ne pus dégager que quelques indices. L’impulsion était invincible, elle se reproduisait périodiquement aux mêmes heures, jamais dans la matinée ; elle était précédée d’une anxiété qu’il attribuait à une sorte de résistance intérieure. L’enquête, poursuivie avec une sollicitude concevable, ne fournit que des documents négatifs. Tout était irréprochable, sauf les faits qui avaient motivé l’arrestation. »

Richard von Krafft-Ebing, dans Psychopathia Sexualis, propose une série d’observations d’exhibitionnisme et la masturbation, ainsi que l’excès de boisson et la dégénérescence, y sont mentionnés. Ces observations confirment la nécessité incoercible de l’exhibition qui se traduit par la répétition de l’acte : étreint par l’angoisse, le patient doit lutter contre une irrésistible pulsion sexuelle. Krafft-Ebing associe à ces cas d’exhibitionnistes ceux des frotteurs (fricatores) et des souilleurs de statues. Nous serions donc en présence d’obsédés sexuels sous l’assaut incontrôlable de leur instinct sexuel qui les oblige à se soulager en public. Quant aux souilleurs de statues, leur cas relèverait du fétichisme, lui aussi considéré comme une « déviance sexuelle ». Cependant Krafft-Ebing me semble être allé un peu vite en besogne.

S’exhiber devant des pompes à essence n’a aucun sens, même si les victimes ne portent jamais plainte.

Ne s’accompagnant d’aucune violence physique, cette hyperesthésie (sexualité excessive) compulsive est considérée par la sexologie contemporaine comme une paraphilie, ce concept un peu fourre-tout où le fétichisme était déjà classé. Dans cette perspective psychiatrique, une paraphilie est une attirance ou une pratique sexuelle qui diffère des actes traditionnellement considérés comme « normaux », la norme étant le coït animal entre une femelle et un mâle. 

A la suite de Krafft-Ebing, de nombreux auteurs voient dans l’exhibition, un moyen pour le pervers d’arriver à l’excitation sexuelle, une excitation qu’il assouvit ensuite par la masturbation.

L’anthropologue et directeur des enseignements de sexologie à l’Université Paris-Descartes, Philippe Brenot, range lui aussi l’exhibitionnisme au rayon des paraphilies et il attribue la jouissance du pervers à la réaction outrée de sa victime et à la transgression d’un interdit. Et il ajoute que « souvent les exhibitionnistes sont de grands timides, ils montrent de loin ce qu’ils n’osent pas dévoiler de près. En réalité, ils ont très peur des femmes. S’exhiber est donc pour eux une attitude… contraphobique destinée à apprivoiser leur peur. Sauf exception, ces individus vont rarement au-delà de ce dévoilement public. Ils ne sont pas dangereux. Ce ne sont pas des violeurs potentiels. »

L’apodysophilie est l’envie incontrôlée d’enlever ses vêtements et d’être entièrement nu dans un lieu public. Contrairement à l’exhibitionnisme, l’apodysophile est un habitué des rues ou des stades puisqu’il recherche les regards de la foule. C’est assez vraisemblablement une transgression publique qui n’a que peu à voir avec un trouble de l’identité sociale.

Pour Brenot, l’exhibitionnisme relèverait donc du défi, un défi contre sa propre peur. Il se place alors sur le terrain de la névrose (plan 4) et sort du champ sociologique qui est le nôtre ici. En revanche, que l’exhibitionniste ne soit pas un violeur potentiel, cela confirme ce que j’écrivais en P45. Les violeurs souffrent d’un trouble fusionnel de l’Institué qui se traduit par des crises d’autoritarisme aigu et des passages à l’acte par des agressions sauvages. Ils nient autrui et réduisent la relation à un écrasement de sa Personne.

L’exhibitionniste adopte quant à lui une stratégie du choc psychique puisque la stupéfaction de la victime entre dans le jeu de l’exhibition. L’effet de surprise est provoqué soit par la soudaineté de l’acte soit par l’incongruité du choix de l’endroit, et généralement par les deux cumulés. L’exhibition ne peut en effet être ni attendue ni privée, ce qui écarte le strip-tease de nos radars, évite la prison aux effeuilleuses et vous autorise à poursuivre le naturisme chez vous. 

En dehors des lieux publics qu’on a déjà mentionnés (parcs, magasins, transports), l’endroit choisi par le patient sus-cité de Lasègue pour exhibitionner se révèle être une église, sans doute parce que c’est un endroit où il n’était pas rare à l’époque de surprendre des femmes seules et peut-être aussi parce que la solennité d’une nef renforce, par contraste, la crudité de l’exhibition, sans qu’il n’y ait pour autant une volonté sacrilège de la part du pervers vis à vis d’institution elle-même. Un des patients observés par Krafft-Ebing choisit également les porches d’église. Hubert Guyard cite l’étude n°12 du psychiatre Henri Ey dans ses Études psychiatriques, publiées en 1950, qui s’interroge lui aussi sur ce choix avec un ton moralisateur qui peut surprendre sous la plume d’un collègue de Lacan : « L’outrage public à la pudeur se produisant dans une église, cette obscénité révoltante consistant à se découvrir dans le temple, aux regards de dames agenouillées, acquiert une gravité particulière et semble résulter d’un cynisme provocateur qui ne saurait manquer d’attirer une sévérité spéciale sur l’homme capable d’une semblable profanation. Est-ce donc à ce sentiment qu’obéit le dégénéré impulsif en choisissant une église comme le lieu de choix de son exhibition ? On peut affirmer qu’il n’en est rien. Et, cependant, il est bien certain que ce n’est pas par le fait d’un simple hasard que les choses se passent ainsi. Un mobile guide l’exhibitionniste. Quel peut être ce mobile ? »

La confession de l’un de ces habitués des sanctuaires vient donner un début d’explication : « Mon bonheur est dans les églises, pourquoi ? C’est ce que je ne définis pas. Je sais pourtant que c’est là que mon acte est de toute importance. La femme est recueillie et doit bien se rendre compte que cet acte dans un pareil lieu n’est pas une plaisanterie de mauvais goût, ou une dégoûtante obscénité, et que si je viens là ce n’est pas pour m’amuser ! C’est plus grave que ça. J’épie l’effet produit sur le visage des dames auxquelles je montre mes organes. Je voudrais y voir une joie profonde, je voudrais en somme qu’elles fussent portées à se dire : que la nature vue ainsi est impressionnante ! Est-ce l’idée d’une odieuse profanation qui me fait agir ? Ce serait plutôt le contraire. » Manque de bol, son témoignage s’arrête là et impossible de remettre la main sur la suite pour l’instant. Mais le patient aurait-il été en mesure de comprendre la vraie raison de son acte alors même que les exhibitionnistes se montrent généralement très confus sur leur mobile? Mais le sérieux et le détachement avec lequel ce patient présente son délit est pour le moins surprenant. Tout comme l’est le cas que présente Lasègue : «L’autorité avait été informée, par des plaintes multiples, d’un scandale qui se renouvelait dans les églises, toujours vers la tombée de la nuit. Un jeune homme, dont on donnait le signalement, se présentait subitement devant une femme en prière dans l’église alors peu fréquentée ; il étalait ses organes génitaux sans prononcer une parole et disparaissait dans l’ombre après une courte apparition. » Le recueillement de la victime semble donc jouer un rôle important et où trouver des femmes recueillis et isolées sinon dans une église? 

– Allô, c’est la police nationale? Voilà… je suis dans la cabine téléphonique
de la… comment ça, j’affabule?

Cependant les techniques de sidération sont assez variées et ne se limite pas aux églises. En 2018, dans la région de Dunkerque, un SDF âgé de 34 ans, adepte des exhibitions sexuelles dans les trains de la région, passe au tribunal, et par voie de conséquence dans La Voix du Nord, et estime s’être masturbé une cinquantaine de fois devant les voyageurs, en quelques mois, en filmant la scène avec un téléphone. Pour justifier ses pulsions, il veut faire croire qu’il est acteur et réalisateur professionnel de films pornographiques et qu’il réalise un travail unique et de grande qualité. Il a écopé de dix mois ferme mais je constate que l’individu n’a pas été immédiatement appréhendé, ce qui semble être assez souvent le cas, sans doute parce qu’il insiste rarement et s’éclipse à la première alerte.

Autre cas rapporté cette fois par le psychanalyste Joël Dor, celui d’un « exhibitionniste masturbateur » à l’époque où les cabines téléphoniques existaient encore. Il repéraient ses cabines, isolées, et ses victimes, des femmes exclusivement, alors qu’elles y pénétraient, attendait qu’elles soient au bout du fil pour s’approcher de la porte, le sexe en érection bien en main. « Il se masturbait alors en fixant le regard de la femme. La plupart du temps, expliquait-il, ses victimes attendaient, terrorisées et sans chercher à sortir, qu’il ait conduit sa petite affaire à son terme. D’après lui les femmes ne pouvaient s’empêcher de regarder son sexe. C’est d’ailleurs cette fascination qui produisait en lui l’élément essentiel de son excitation. Lorsque sa proie lui paraissait être au point, c’est-à-dire au sommet de la terreur, alors il éjaculait contre la vitre de la cabine téléphonique. » Un jour cependant, l’une d’elles, au lieu de se démonter, souleva sa robe et commença à se toucher. La honte changea subitement de camp sans pour autant que l’exhibitionniste prenne la fuite ni renonce à s’exhiber. Mais son excitation retomba et sa jouissance fit long feu.

On peut donc dégager plusieurs caractéristiques de toutes ces observations.  L’exhibitionniste ne se contente pas de montrer son appareil génital : ce qui compte pour lui, c’est de produire un effet de stupéfaction outragée sur ses victimes lors d’une rencontre sans préliminaires et souvent sans paroles. L’excitation libidinale semble venir se greffer sur l’infraction à la pudeur. Avant de passer à l’acte, l’exhibitionnisme sent monter en lui une impulsion impérieuse qu’il ne peut maitriser et qui le tourmente jusqu’à ce qu’il expose à la vue ses parties. Il enfreint alors la barrière de la pudeur par une monstration obscène (dans le sens de déplacée, hors contexte, qui doit habituellement être couverte). L’infraction doit se constater dans l’expression des victimes. Les témoignages ne font pas mention d’exhibition devant des prostituées mais plutôt de personnes de sexe féminin, de tous âges, de la fillette à la religieuse âgée, en passant par les lycéennes, des femmes susceptibles d’être mises en état de choc et par conséquent incapables d’une réaction protectrice ou agressive. Le pervers interprète cette stupeur comme une manifestation positive à son endroit et il n’a pas toujours conscience du traumatisme qu’il peut occasionner. Il l’interprète même parfois comme de l’admiration et se sent par là même investi d’un droit de jouissance.

Marcel Gotlib popularisa le pervers pépère mais contribua également à répandre l’image du satyre qu’on tourne en dérision.

Le nombre d’exhibitionnistes serait en chute libre depuis une trentaine d’années. Philippe Brenot propose une explication plausible à ce phénomène : « Parce que la représentation de la sexualité a changé dans la société. On en parlait peu, le sujet demeurait tabou. Désormais, les jeunes filles ont appris que leur corps est à elle, et qu’elles peuvent dire non. Avec les images pornos qui ont circulé, elles n’ont plus été traumatisées par la vue du sexe d’un homme. Elles sont devenues capables de signifier au monsieur de remballer son petit matériel. Et de le traiter au passage de connard. L’affaire est ainsi réglée ! Plus de réaction de la spectatrice…plus de jouissance de l’exhibitionniste. » L’explication se tient, même si les journaux ne manquent pas d’affaires du genre.

La brutalité de la rencontre et l’intimité imposée et sans détour possible par le choix d’un lieu approprié font dire à Hubert Guyard que « ces pervers réalisent une parade (sexuelle) sans mascarade (sociale) ». Aucune forme de séduction n’est tentée, l’exposition s’impose d’elle-même et ne souffre aucune résistance. Cependant, en dehors du caractère subit de l’apparition, la violence ne fait pas partie du processus. Certains auteurs vont même jusqu’à dire que l’arrestation est parfois souhaitée par le pervers. Néanmoins beaucoup prennent la fuite à la moindre alerte et/ou résistance.

Par ailleurs, dans un certain nombre de cas, l’exhibition n’est pas la seule manière pour ces pervers d’arriver à l’orgasme. La jouissance n’est d’ailleurs pas systématiquement recherchée. C’est l’atteinte à la pudeur de l’Autre qui semble bien plutôt en cause. Le pervers dévoile ce qu’il a de plus obscène à montrer (allant jusqu’à la mise à nu du gland par érection) avec une totale inconnue qui doit d’ailleurs le rester. Il franchit sans négociation l’écran que nous impose la pudeur et le regard qu’il capte lui laisse à penser qu’il fascine sa victime. En s’exhibant, il établit de force une relation qu’il est incapable de gérer. On peut parler de trouble fusionnel car la barrière avec laquelle l’être sain joue jusqu’à la lever dans le cadre d’une union charnelle est ici impérativement « enfoncée ». 

Provoquer le désir n’est pas au coeur du projet exhibitionniste. Alors que cela constitue l’objectif de l’érotisme.

En termes plus médiationnistes, disons que la dialectique ne fonctionne plus. Mais alors que le fétichiste reste coincé dans les limbes de l’instance ethnique et n’en finit plus de s’enferrer dans l’identité au point de ne plus pouvoir en sortir pour s’unir avec un ou une partenaire et lui préfère son parapluie ou sa chaussure, l’exhibitionniste, parce qu’il a perdu la capacité d’établir du statut, utilise son sexe pour chercher ce à quoi il n’a plus accès. Ses organes génitaux constituant le degré 0 du genre qu’il n’est plus capable de déterminer, il cherche à choquer ses victimes pour que leur regard stupéfait lui renvoie le sentiment d’être identifié au moins en tant que mâle ou femelle. Au raffinement sans fin du fétichiste qui s’entiche de l’emblème plutôt que de la personne qui le porte, l’exhibitionniste oppose une crudité frontale sans atermoiement par laquelle il s’impose, faute de pouvoir le faire plus subtilement. L’obscénité est le seul moyen qui reste à sa disposition pour s’affirmer à l’état brut. S’il y a brutalité, c’est celle de l’anthropien sans traitement qui n’arrive plus à acculturer sa nature. Il se montre sans travestissement et sans emblème de ses statuts qu’il ne définit plus. « C’est comme si leurs organes génitaux faisaient partie intégrante de leur identité personnelle, » écrit Véronique Larivière et c’est assez bien vu. Seul son sexe identifie l’exhibitionniste qui n’a d’autre choix que de le brandir comme emblème et de l’utiliser pour tétaniser ses victimes dont il n’attend que cette stupeur admirative ou révulsée. Lors de ces accès d’exhibitionnisme, tout dialogue avec le pervers est impossible, aucun échange n’est envisageable car l’exhibitionniste n’a plus les moyens de se redéfinir par rapport à l’Autre comme nous le faisons inconsciemment et il prend un raccourci qui empêche une transaction ethnique. La meilleure esquive pour la victime serait finalement l’impassibilité pour les plus timides ou une simulation lubrique pour les plus dévergondées. Bon, c’est doute plus facile à prescrire qu’à faire. 

La séduction repose sur des manoeuvres d’approche et de réponses à des appels du pied. Contrairement aux animaux, nous ne nous contentons pas de montrer à l’Autre convoité nos appâts sexuels. Nous mettons en valeur les statuts adéquats qui peuvent nous attirer les faveurs du ou de la partenaire potentielle(le). C’est la danse des sept voiles qui tombent un à un à mesure qu’on se rapproche de l’intimité finale. Non seulement l’exhibitionniste grille les étapes mais il est en fait incapable de les concevoir. Il cherche la sidération parce qu’il a perdu la faculté de créer du lien par dévoilement progressif de ses atouts : le seul qui reste à sa disposition est génital et il s’en sert pour créer la panique ou l’extase. S’il n’est pas soigné, le pervers exhibitionniste est de moins en moins en mesure d’exercer un contrôle sur son trouble. La récidive est par conséquent quasiment inéluctable.

Tout le reste est littérature ! A la revoyure.

3 thoughts on “P64 – Outrage à la pudeur et stratégie du choc”

  1. Deux choses me paraissent particulièrement intéressantes dans cet article, du point de vue clinique et théorique :
    – le fait que les exhibitionnistes, du moins ceux qui se retrouvent devant la justice, sont très majoritairement des hommes adultes et leurs victimes très majoritairement des femmes
    – le fait que le nombre de ces exhibitionnistes serait en chute libre depuis une trentaine d’années.
    Au risque d’anticiper sur le sujet d’un prochain article, voici à mon avis les questions que ça pose:
    – si la TDM a raison de voir dans l’exhibitionnisme un trouble de la personne, et plus précisément un trouble fusionnel « taxinomique » de l’instituant, qui fait pendant au trouble autolytique qu’est le fétichisme, il devrait y avoir la même proportion d’exhibitionnistes chez les femmes que chez les hommes ;
    – si cela ne s’observe pas dans les statistiques de la délinquance, c’est sans doute que l’exhibitionnisme féminin se manifeste autrement et ne conduit pas à des actes délictueux ; ou en tout cas que le « législateur » n’a pas jugé nécessaire de faire des ces actes des délits ; deux raisons possibles et par hypothèse complémentaires : le fait que la sexualité féminine ne soit naturellement pas la même que la sexualité masculine se joint à son traitement culturel différencié pour produire d’autres symptômes exhibitionnistes qui échappent au traitement judiciaire ;
    – la chute libre du nombre de cas d’exhibitionnistes délinquants, si elle est avérée, nous met sur une piste : il y a de nombreux lieux « légaux » d’exhibition désormais (réseaux sociaux, pornographie pro ou amateure) et là les femmes ne semblent pas moins nombreuses que les hommes (en revanche ça interroge l’affirmation selon laquelle ce que recherche l’exhibitionniste, c’est la réaction d’une victime : est-ce nécessairement le cas ?)
    – plus généralement, cela pose la question de la diversité d’expression des troubles de la personne selon les époques et les civilisations ; dans des sociétés comme celle des Bororo d’Amazonie où, comme disait Lévi-Strauss, les hommes et les femmes vont quasiment nus (mais pas complètement) l’exhibitionnisme, théoriquement, est aussi possible, mais comment se manifeste-t-il ? et comment est-il jugé ? sans doute très différemment de la façon dont il l’a été chez nous depuis le 19e siècle à tel point que les ethnologues, à ma connaissance, ne se sont jamais posé ce genre de questions.

  2. Le fétichisme semble lui aussi beaucoup plus rare chez les femmes que chez les hommes : les troubles taxinomiques de l’Instituant toucheraient-ils ces derniers en priorité pour des raisons culturelles ou biologiques? Ou prend-il d’autres formes chez les premières?
    Je cherche confirmation des chiffres de déclin de l’exhibitionnisme car c’est une info que je n’ai pas encore pu vérifier.
    Je compte me pencher dès le chapitre prochain sur les relations entre la pornographie et l’exhibitionnisme, et notamment essayer de comprendre si la crudité des clichés féminins (très nombreux sur l’Internet) peut s’apparenter à de l’exhibition telle que la théorie de la médiation la définit, si ce « déballage organique » trouve ses motivations chez les femmes elles mêmes ou si ses raisons sont à découvrir dans l’exploitation qu’en font les capitalistes pornographes ? Le sujet s’annonce brûlant et délicat. Le voyeurisme que j’aborderai ensuite permettra de se détendre un peu.

  3. J’ai tendance à penser que les définitions psychiatriques en matière de fétichisme et d’exhibitionnisme sont encore trop dépendantes de Krafft-Ebing dont la Psychopathia Sexualis était une « Étude médico-légale à l’usage des médecins et des juriste ». Cette perspective médico-légale l’amenait à se focaliser sur ce qui était manifeste et délictueux. La perspective de la TDM est très différente. La capacité mentale d’abstraction qu’est la personne n’a pas de sexe, a priori. Par cohérence théorique, je ne vois donc pas pourquoi elle dysfonctionnerait plus souvent chez les hommes que chez les femmes, encore moins sur une de ses faces seulement. En revanche, oui, on peut imaginer qu’elle se manifeste différemment chez les uns et les autres puisqu’une personne, même « boiteuse », se réinvestit dialectiquement dans des corps qui eux sont diversement sexués et socialisés. Il faudrait donc à la fois donner une définition plus abstraite des perversions et rechercher la diversité de ses manifestations concrètes, en imaginant des tests « pièges ». Vaste travail. Mais il y a quelques pistes en psychanalyse (Rosemary Balsam par exemple) et aussi en neurologie avec des descriptions, chez des hommes aussi bien que chez des femmes, d’exhibitionnisme consécutif à une lésion cérébrale (qui posent par ailleurs des questions analogues à celles des similitudes et différences entre une paranoïa « psychiatrique » par exemple, sans cause neurologique connue, et un trouble neurologique qui y ressemble par bien des aspects sans être absolument identique, la « déficience de la mémoire sémantique » de Warrington).
    J’attends la suite avec impatience en tout cas.

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