P76 – La pédérastie ou l’art du siège

L’une des propositions les plus surprenantes d’Hubert Guyard, et peut-être la plus risquée, reste pour nous celle qu’il a faite à propos de la pédérastie. J’ai bien dit pédérastie et non pédophilie. Et nous sommes toujours dans le cadre des troubles du partenariat. Allons donc nous faire voir chez les Grecs.

Les troubles de la Personne : le donjuanisme P76

Commençons d’abord par écarter tout ce dont ce chapitre ne traitera pas. Georges Khal, dans Le pur et l’impur ou Le labyrinthe de la pédérastie, définit le pédéraste comme « un adulte mâle, dont l’âge peut varier de dix-huit à soixante ans (quelquefois au-delà) qui aime un garçon, dont l’âge peut varier de onze à seize ans ». Pour lui toujours, « aimer un garçon entre l’âge de six à dix ans, c’est de la pédophilie. Aimer un garçon au-delà de l’âge de seize-dix-sept ans appartient déjà plus au domaine de l’homosexualité. » On peut s’interroger sur le terme « aimer » mais il semble bien qu’on soit là dans l’attirance à des fins de satisfaction sexuelle, une problématique qui relève du plan de la Norme.

Dans L’Enfant et le pédéraste, Jean-Luc Pinard-Legry et Benoit Lapouge font une distinction un peu différente: « Dans un sens très étroit, (…) il s’agit de tous ceux qui avouent (vivent) leur amour des garçons (de onze à seize ans) et qui se distinguent ainsi des pédophiles, qui semblent ne retenir que les enfants pré-pubères, ou des koréphiles, que leur ardeur pousse vers les petites filles ». Une fois encore, le terme « amour » n’est pas très explicite. Gilles de Rais lui aussi aimait les enfants et nous avons eu le loisir d’étudier ce que ce sadique pédophile faisait subir à ses victimes.

Chez les Grecs anciens

Le barbu, c’est l’éraste. L’imberbe, c’est donc l’éromène.

En outre, la segmentation en tranches d’âges ne nous parait pas pertinente, pas plus d’ailleurs que les notions de majorité sexuelle et d’âge légal du consentement. Elles relèvent de la définition du crime et en termes de viol, l’âge ne constitue qu’une circonstance aggravante mais n’intéresse pas vraiment la pathologie. La majorité légale peut varier, le crime reste de même nature: c’est un acte sadique dont nous avons déjà traité. En revanche le fait que le mineur ne soit pas considéré comme le souverain de ses décisions pourrait bien nous intéresser. 

Mais l’attirance sexuelle ou amoureuse envers les jeunes garçons qu’ils soient ou non pubères relève d’une licence libidinale débridée dont l’objet de désir est l’enfant. Il s’agit alors d’une psychopathie sexuelle, une pulsion irrépressible qui se passe donc du consentement de la victime ou fait tout pour l’abuser. L’enfant est un objet érotique pour le pédophile qu’il faut entendre ici comme un psychopathe incapable de réprimer son désir sexuel. Pour satisfaire celui-ci, le pédophile peut avoir recours à des infractions de la loi (rapt, drogue, ruse, fausse identité, abus de confiance) mais ce ne sont que des passages nécessaires pour assouvir son désir irrépressible. L’infraction n’est pas en elle-même le but recherché. Elle constitue un épiphénomène. Il en va tout autrement dans la proposition d’Hubert Guyard qui avait repéré cette possibilité dans le livre de Jean-Luc Pinard-Legry et Benoit Lapouge.

L’éromène faisait l’objet d’une cour très attentionnée.

Jean-Luc Pinard-Legry intitule sa préface « A l’ombre de Platon » et nous renvoie d’office aux calanques grecques où clapote la ritournelle du « va te faire voir chez… » Loin de se restreindre à une simple pratique sexuelle, la pédérastie est chez les Grecs anciens une initiation à vocation sociale dont seuls les aristocrates pouvaient bénéficier. En effet, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la société grecque antique n’était pas particulièrement permissive sur la question de l’homosexualité masculine, encore moins sur le saphisme. Dans les classes populaires, l’hétérosexualité était la norme. De même, dans l’enceinte de sa maison, l’aristocrate vivait en couple mixte mais à l’extérieur, la pédérastie devenait la règle et était régie de manière stricte : les rôles étaient nettement définis. Les jeunes aristocrates mâles âgés de 12 à 17 ans, les éromènes étaient courtisés par des hommes ayant accompli leur éphébie, les érastes, âgés de 20 ans et plus, mais pas trop âgés non plus. En fait, les Grecs portant la barbe, l’apprentissage de l’éromène durait jusqu’à ce que l’apparition de la pilosité faciale de ce dernier mette fin à la relation. Au-delà, c’était s’exposer à la réprobation et à la moquerie. Outre l’acte sexuel, dans lequel l’éraste devait forcément être actif et l’érogène passif, cette union avait pour objectif principal de faciliter l’éducation philosophique et militaire des plus jeunes car penser et se battre pour la cité était l’apanage de ses nobles. Le caractère sexuel de la relation a malencontreusement été mise en avant par la chrétienté alors qu’il n’y occupe qu’une part mineure, au moins pour l’éromène qui n’était pas censé en tirer trop de jouissance. On est donc loin du mignon du Satiricon de Fellini. La pédérastie reposait par conséquent essentiellement sur la transmission intellectuelle et guerrière afin d’insuffler aux jeunes les vertus propres aux citoyens grecs. Une fois devenus des adultes aux yeux de la société, les éromènes endossaient à leur tour le statut d’érastes et perpétuaient la tradition. Selon les époques et les cités, les moeurs variaient sensiblement mais le principe restait le même.

On pourrait débattre sur le caractère homophile de cette relation initiatique car si éraste et éromène sont du même sexe et appartiennent à la même caste sociale, ils sont de tranches d’âges différentes et ne font pas partie de la même famille. Dès que le jeune rejoint la sphère des adultes initiés, le lien doit s’interrompre pour ne pas justement devenir une relation homosexuelle incongrue aux yeux des Grecs.

Sans abus de langage, on peut donc parler ici de détournement de mineur puisque l’éromène est enlevé (parfois au sens propre, parfois courtisé) au cercle familial où l’enfance le confinait. Pinard-Legry et Lapouge ont intitulé un de leurs chapitres « le donjuanisme pédagogique » comme on pourrait parler du « pédéraste précepteur ». Certains auteurs insistent sur la résistance que l’éromène pouvait opposer à son prétendant, celui-ci devant alors redoubler d’attentions et de présents pour le conquérir. Parfois, la solution du rapt est préférée. Un adulte étranger à la famille et donc au rapport de filiation vient par conséquent imposer un lien étroit de maitre à apprenti au jeune noble. Pédérastie et pédagogie ont donc à voir: elles ont toutes les deux un statut institutionnel qui permet à un adulte de se substituer au parent dans l’éducation du jeune. Le parrain du baptême chrétien n’en est-il pas le reliquat? 

Si l’intrusion du pédagogue dans la relation filiale se fait au nom de l’initiation sociale et de l’instruction publique, qu’en serait-il d’une perversion de ce détournement vertueux? Pas obligatoirement à des fins de satisfaction sexuelle mais mû par une nécessité incoercible de suborner celui qui ne peut encore décider par lui-même.

« Il nous paraît possible d’envisager une pédérastie ancrée sur l’effraction de la famille, et donc, de ce seul point de vue, assimilable au donjuanisme, écrit Guyard, le mineur n’a finalement d’intérêt, dans cette perversion, que d’être détourné. » 

Don Juan ou libertin?

Parfois le pédéraste perd patience, et c’est le rapt.

Et Guyard de citer Pinard-Legry et Lapouge: « Le désir de rapt qui traverse constamment le discours des pédérastes tient davantage de la stratégie, il est une sorte de poliorcétique amoureuse, puisqu’il vise à faire tomber, après un long siège, le corps désiré. Tomber amoureux de l’enfant c’est, tout d’abord, faire céder ses défenses. (…) Parlant de l’enfant, on reconduira donc le langage de la capture, de la conquête, où les métaphores empruntées à la chasse dominent (…) ». On aurait pourtant tort de penser trop rapidement au prédateur sexuel qui nous ramènerait au pédophile. Le pervers-là est animé par le besoin de soustraire l’enfant à son milieu familial. Il assiège le partenariat naturel parce que comme Don Juan, il ne peut s’empêcher de se frotter à la loi qui lui échappe et ce dans un processus sans fin parce qu’il lui est impossible de la trouver au détour de son errance.

Ainsi, « le pervers n’en a jamais fini de détourner les mineurs. L’accumulation de pseudo-partenaires ne vient-elle pas compenser ce qu’il n’a pas, à savoir le principe légal du partenariat ? Il est le premier client des services spécialisés sur Minitel, technologie dont l’avantage est de multiplier les proies et de faciliter les contacts. Il préfère les grandes villes car les adolescents isolés y sont en plus grand nombre. Il va volontiers vers les pays de grande prostitution infantile exploitant un « marché » dont le caractère quasi inépuisable semble constituer cela même qui précisément l’attire. L’enfant, une fois tombé, est tout aussitôt rejeté, au bénéfice du suivant, indéfiniment. Si donc le pédéraste tient l’enfant, c’est à sens unique, sans que lui-même ne soit en rien tenu par cet enfant. » Guyard évoque le Minitel mais le pédéraste serait actuellement sur les réseaux sociaux et dans les forums, prêt à tous les mensonges et à tous les pseudonymes. L’Internet représente pour lui un terrain de chasse privilégié où il lui est plus facile encore que sur le terrain de tomber sur la proie vulnérable grâce justement à l’anonymat qu’il peut endosser à travers la multiplication des identités.

En vente chez tous les bons disquaires

On s’est donc considérablement éloigné de la pédérastie des Grecs anciens et on se retrouve à nouveau confronté à la proximité du libertinage avec lequel il est difficile de faire la part des choses. Pourtant la loi française semble y voir très clair: « On confond souvent le détournement de mineur avec le délit d’atteinte sexuelle sur mineurs. Ce sont deux notions juridiques différentes qui peuvent ou pas être liées. Tout d’abord, il faut savoir qu’avoir des relations sexuelles avec un ou une mineure de moins de 15 ans est interdit par loi. C’est pour cela qu’on dit que la majorité sexuelle intervient à l’âge de 15 ans. Pas avant. Que le ou la mineure soit consentant n’y change rien. Et si a lieu une relation sexuelle avec un mineur de moins de 15 ans, on parle d’atteinte sexuelle sur mineurs, puni de 5 ans de prison par le code pénal. Le détournement de mineur, lui, concerne le fait de soustraire un mineur aux adultes qui ont une autorité sur lui, sans forcément que des relations sexuelles aient lieu entre le mineur et le majeur qui le soustrait. Il s’agit d’une infraction punie aussi de 5 ans de prison. Il y a confusion car le détournement de mineur ne concerne pas que les relations sexuelles entre majeur et mineur. Lorsqu’il y a relations sexuelles entre un mineur et un majeur, elles doivent être associées à un « enlèvement » ou à la « soustraction à l’autorité parentale » pour que la qualification de détournement de mineur soit donnée. Par exemple, un adulte qui hébergerait un mineur en fugue pourrait être accusé de détournement de mineur s’il ne prévient pas ses parents. Un adulte serait aussi mis en cause s’il contraignait un mineur à faire quelque chose pour laquelle ses parents ne seraient pas en accord, sans les en avertir. Comme par exemple lui demander de transporter ou de vendre de la drogue. Ces faits sont punis de 7 ans de prison.  Donc avant de poursuivre une personne pour détournement de mineur, la justice devra déterminer s’il y a bien eu soustraction du mineur des mains de ceux qui en ont l’autorité parentale et si l’auteur du détournement de mineur avait l’intention de soustraire l’enfant à sa famille.  » La notion de soustraction à l’autorité parentale est intéressante puisqu’elle cadre avec la subornation donjuanesque. C’est bien le détournement qui intéresse le pervers, plus encore que la jouissance qu’il peut tirer de sa victime. Et la loi fait bien le distinguo entre les deux infractions sans nier le fait qu’elles peuvent être liées: inciter un mineur à consommer de la drogue peut s’accompagner d’une intention d’abuser de lui. Mais le code pénal fait la part des choses et ne sanctionne pas de la même façon les deux délits.

« Toujours, je dois aller par les rues, et toujours je sens qu’il y a quelqu’un derrière moi. Et c’est moi-même ! […] Quelquefois c’est pour moi comme si je courais moi-même derrière moi ! Je veux me fuir moi-même mais je n’y arrive pas ! Je ne peux pas m’échapper ! […] Quand je fais ça, je ne sais plus rien… Ensuite je me retrouve devant une affiche et je lis ce que j’ai fait, alors je me questionne : J’ai fait cela ? » Hans Beckert, alias M. le Maudit, n’a pas le profil d’un pervers mais bien d’un psychotique, plus proche de Gilles de Rais que de Gabriel Matzneff.

Pour le pédophile libertin, la transgression d’un interdit, le tabou de l’innocence de l’enfant, sa virginité, est une fin en soi et elle le pousse à finalement adopter le même comportement qu’un pédéraste. Cependant ce dernier n’opèrerait pas pour satisfaire un désir sexuel: la jouissance ne serait qu’incidente mais pas motrice. Il n’est donc pas sûr que la pédopornographie ou la prostitution infantile où l’enfant est offert et pas vraiment à assiéger l’intéresseraient comme semble le supposer Guyard. Car s’il a perdu le sens du partenariat et qu’il le cherche en le volant chez les autres, le pédéraste a toujours le sens de l’interdit. Il peut freiner son désir et ne passera par conséquent pas forcément à l’acte ou du moins jusqu’au bout de son projet puisque ce qui le motive avant tout c’est l’effraction d’un cercle d’appartenance. Là où Don Juan cherche à « pécho » l’un des parents, le pédéraste détourne le lien filial à son profit.

Si « Don Juan » s’achève avec la mort de son héros, le dénouement de « Lolita » est une véritable hécatombe. Ce n’est pas pour autant que le morale puritaine est sauve car Nabokov est un manipulateur satirique.

J’ai alors pensé à Humbert Humbert, le koréphile de Lolita de Vladimir Nabokov. L’amateur de nymphettes (jeunes vierges entre 9 et 14 ans) épouse la mère pour être en position de séduire la fille. Autrement dit, il jette son dévolu sur la famille Haze, y entre comme beau-père, se débarrasse d’une certaine manière de la mère pour prendre sa place dans une relation exclusive et finalement érotique avec sa belle-fille. Ce serait tentant mais ça ne fonctionne pas. Déjà parce que Nabokov est un farceur qui tient la psychanalyse en horreur et se moque allègrement des dérives de la psychiatrie américaine: son personnage est un fake assez peu vraisemblable et le roman tient du canular. Ensuite, H.H. ne cherche pas à arracher à leur famille les nymphettes qu’ils croisent: il est trop conscient des ennuis pénaux (et non péniens) qu’il encourt et ne fait que fantasmer sur les fillettes. Et pour fantasmer, il fantasme mais ses amours platonico-nymphiques ne dépassent guère le frôlement qu’il ne provoque d’ailleurs même pas. On note de plus une très forte connotation sexuelle dans sa pulsion et si le mot pédophile n’est pas prononcé, le cas ne fait aucun doute, d’autant que H.H. se complait par la suite du roman à narrer ses tribulations incestueuses: le roman est présenté comme une confession écrite. Enfin le prédateur tombe follement amoureux de celle qui a fait sa conquête (techniquement, c’est Lolita qui affranchit le très rubicond Humbert), plus qu’elle n’est tombée dans ses filets, même s’il faut bien reconnaitre qu’il en a fait un siège très discret mais poliorcétiquement habile (poliorcétique signifie relatif à l’art du siège militaire). Mais cela ne prouve rien car les stratégies du pédophile et du Don Juan peuvent être similaires.

Dans les années 70, David Hamilton vendait des millions de posters sans qu’on y trouve à redire. Il a fait depuis l’objet d’accusation de viol et s’est suicidé à 84 ans.

Puisque nous en sommes au rayon littérature et qu’Hubert Guyard a souvent été y chercher les discours apologétiques des pervers, laissons-lui la parole que nous agrémenterons de commentaires: « Les œuvres écrites de certains pédérastes peuvent se lire comme une apologie de leur perversion. Premier argument, les pédérastes sont les meilleurs alliés de l’enfance ; ne font-ils pas obstacles à tous les préjugés de la société ? « Faire découvrir le plaisir et parfois l’amour à un(e) adolescent(e) est aussi important, et fécond, que de lui faire découvrir un livre ou une musique, ou un paysage ». Gabriel Matzneff écrivait ces lignes dans Les Passions schismatiques et en 1977, il trouvait sans mal un éditeur et des soutiens dans les milieux germanopratins. Déjà en 1974, dans Les Moins de seize ans, Matzneff magnifiait la pédophilie: « Lorsque vous avez tenu dans vos bras, baisé, caressé, possédé un garçon de 13 ans, une fille de 15 ans, tout le reste vous paraît fade, lourd, insipide. »  Face à Bernard Pivot en 1990, Matzneff ne change pas de discours: « Je préfère avoir dans ma vie des gens qui ne sont pas encore durcis. Une fille très jeune est plutôt plus gentille, même si elle devient très très vite hystérique et aussi folle que quand elle sera plus âgée. » Au sortir de mai 68, certains « libéraux libertaires » selon l’expression de Michel Clouscart appliquent au pied de la lettre le slogan « jouir sans entrave » que les révoltés peignaient sur les murs de Paris. Les pédophiles se justifient par le plaisir qu’éprouveraient les enfants dans les jeux sexuels. Mais Matzneff va plus loin et se rattache à la pédérastie par le caractère initiatique et pédagogique d’une telle sexualité. L’adulte est alors un révélateur pour le jeune: il participe à son épanouissement tout en y trouvant son propre plaisir. Le pédéraste se place alors dans la posture du défenseur des libertés de l’enfant, au-delà de la morale restrictive d’une société qui ne comprend pas comment fonctionnent la sexualité.

Dans son livre « La pédérastie mise à nu », Jean Simoneau revendique ce qu’il définit comme une orientation sexuelle mais il n’accepte pas la pédophilie, c’est-à-dire selon lui, l’amour des enfants ayant moins de 10 ans. Il opère un total renversement des valeurs et accuse la morale actuelle d’atrophier la sexualité des jeunes.

Voici une série de citations du canadien Jean Simoneau, reconnu comme « pédophile homosexuel » qui vont dans ce sens: «La pédérastie peut être une expérience tout aussi positive pour le jeune que pour le vieux, si on cesse d’en faire une montagne.» «Même si le jeune n’éjacule pas encore, toucher provoque un tel chatouillement que ce sont des délices.» «Même si un jeune tente l’expérience, il reviendra, s’il l’est, à sa ‘’petite nature’’ d’hétérosexuel.» «Il existe souvent une complicité extraordinaire entre le jeune et le vieux, car les deux prennent un plaisir divin à goûter à ce fruit défendu tant que la situation n’est pas découverte.» «Qu’on le veuille ou non, l’amour charnel des aînés pour les adolescents existe depuis le début de l’humanité.» «Une relation sexuelle inappropriée durant la jeunesse selon nos standards blesse davantage l’égo des adultes que le corps de la prétendue victime.» Simoneau se complait ici dans l’apologie et laisse entendre que l’éromène tire un bénéfice précieux de la relation pédérastique, quitte à en minimiser les aspects négatifs.

Un point de vue que Pinard-Legry et Lapouge présentent d’une toute autre manière : « On les écouterait volontiers si, par ailleurs, ils nous laissaient entendre des adolescents libres de toute tutelle, de toute béquille ou dont la complaisance n’aurait pas été achetée. (…) On imagine l’adulte redécouvrant avec l’enfant une érotique purement ludique où le plus jeune aurait l’initiative et ferait sortir son partenaire de l’obsession de la normalité. »  C’est d’ailleurs ce qui arrive à ce brave Humbert totalement dépassé par le dévergondage de Lolita.

« Second argument, les pédérastes ne peuvent rendre pervers des enfants qui, par nature, le seraient déjà. « La polymorphie devient en quelque sorte le paradis perdu de la sexualité que tout adulte, fatigué d’une génitalité trop contraignante, aimerait investir. Lisons, par exemple, le dithyrambe d’un pédéraste canadien : « La polymorphie pulsionnelle et fantasmatique, l’indétermination ludique et l’importante précocité sexuelle de l’enfant le prédestinent à la fonction d’inventeur de l’érotique, et c’est ce qui subsiste de l’inventivité enfantine dans l’adulte qui distingue l’humain de la brute. » Paul Chamberland ré-interprète ici le fameux « enfant pervers polymorphe » de Freud et l’exprime également dans une poésie totalement décomplexée et auto-justificatrice: « […] un enfant de six ans est mon séducteur. Beau, je veux dire un corps harmonieux, rayonnant de sensualité / entre nous la décharge magnétique et l’appétit d’un contact sans restriction / l’osmose nous jette l’un dans l’autre à travers les flots de toutes les caresses que nous désirons ensemble mais hors de nous le monde maintient son “tu ne dois pas” »

L’enfant sans loi, c’est à dire sans parents, comme ici Oliver Twist, pourrait-il être l’idéal du pédéraste?

Parce qu’ils abondent dans son sens, Guyard laisse alors le soin à Pinard-Legry et Lapouge de conclure: « Le discours sur la sexualité rejoint ici l’habituelle glorification de la liberté de l’enfance, indifférente, paraît-il, aux codes sociaux, merveilleusement souveraine, dégagée des lois. Enfance probablement sans géniteurs, née spontanément dans les choux, dans un monde où, à la différence du nôtre, la famille n’existerait plus, même au titre d’un idéal provoquant la nostalgie des orphelins. » Débarrassé du cocon familial et du cadre légal castrateur, l’enfant rêvé du pédéraste pourrait ainsi s’épanouir librement mais que resterait-il alors à Don Juan pour se mesurer? Sans citadelle à assiéger, le pédéraste serait perdu en rase campagne, dans un paysage sans intérêt, puisque c’est la conquête qui lui importe. Sans coeur à ravir à une famille que deviendrait le triomphe du chasseur? 

Rappelons que le long texte d’Hubert Guyard n’est pas un essai totalement abouti mais un projet d’article « programmatique ». Pour stimulante que soit sa proposition et malgré l’excellent choix de ses citations, il nous laisse dans une sorte de flou entre pédérastie et pédophilie, entre altération du partenariat et défaillance du Noloir. De plus, il s’agit dans l’un et l’autre cas de troubles fusionnels, aussi nous est-il très difficile de savoir de quel côté faire pencher le diagnostic. Défi pédérastique vis à vis de la loi, ici, la protection des mineurs qui relèvent donc de la responsabilité familiale (la tutelle parentale) ou jouissance dans la provocation à l’encontre de la morale des peine-à-jouir? Pour faire court: Don Juan ou libertin? Il y a encore beaucoup d’aspect de la question à éclaircir mais les bases sont posées.

Et il y a de la littérature à compulser. Mais nous nous arrêterons là pour l’exploration des pathologies de la Personne. Celles de la Norme nous attendent. A la revoyure!

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