C4 – La répartition des tâches chez Mamie

La loi n’est pas seulement une contrainte mais un principe qui nous permet de vivre en société et de savoir ce qu’on a à y faire. Elle est ancrée en l’humain au même titre que le langage, le travail ou la morale.

Résolument communistes – C4

En C3, nous avons vu que la #Personne nous permet de nous situer socialement et de choisir avec qui on fait la paire (ou société). Sur l’autre face de la Personne (car comme pour le langage, il y a deux faces), ce que la théorie de la médiation appelle l’Institué est la faculté à définir les compétences et à gérer l’obligation sociale, ce qu’on à faire et jusqu’où. La théorie de la médiation postule en effet que l’acculturation de la génitalité naturelle génère le principe du devoir. 

Petit arrêt sur image avec la notion de devoir : c’est ce à quoi je suis socialement obligé, pas de force mais par un mouvement spontané que Marcel Mauss appelait le don et le contre-don.

Si je n’ai fait que mon devoir, j’ai fait ce que j’avais à faire. Je ne suis pas un héros mais un être social avec par conséquent des obligations à remplir. Ces obligations déterminent mes prérogatives : je suis obligé de rouler à droite de la chaussée et cela m’accorde la sécurité parce que nous sommes tous soumis à la même loi, une décision arbitraire (les Anglais roulent à gauche) mais arbitrée par le code (ici le code de la route). Vous remarquerez que je fais de la gymnastique avec les mots pour ne pas utiliser le mot « droit » que la théorie de la médiation réserve pour l’autorisation morale. 

Le devoir institutionnel est gravé dans la loi écrite ou entérinée par la tradition orale. La loi comprend aussi bien les us et les coutumes que l’arsenal juridique, les uns s’opposant parfois à l’autre car la loi peut évoluer et s’adapter comme la répartition des rôles. Dès que je ne serai plus tout seul dans Résococo, il y aura une redistribution des cartes. 

Nous créons de la loi dès que nous sommes en communauté, c’est à dire continuellement. Aucune loi ne m’interdit de pisser sous la tente. Pourtant personne ne va penser qu’il est permis de pisser sous la tente parce que ce n’est pas défendu dans le code civil. Sauf les mômes qu’on va convaincre d’une manière ou d’une autre d’arrêter leurs conneries.

Les deux faces (Instituant/institué) se déterminent mutuellement: ce que je suis et ce que je dois se définissent par réciprocité.

L’être d’un côté, le devoir de l’autre. 

Illustrations: 

Cas n°1: je suis invité à déjeuner chez Mamie et elle me demande de mettre le couvert. Je vais le faire parce qu’elle est occupée à la cuisine à réchauffer la purée et que Papy est décédé depuis 10 ans. En plus, je suis invité et même si j’ai apporté le dessert, je trouve normal de mettre la table d’autant que Mamie a sorti la nappe. Je rends service ou plus exactement Mamie et moi, on s’échange de bons procédés. Et je m’applique à mettre la fourchette à gauche de l’assiette et non pas à droite du couteau ou même directement dans l’assiette parce que chez Mamie, on fait comme ça. Pas besoin que ce soit écrit dans les bouquins de Nadine de Rothschild pour que je le fasse. Je fais spontanément un effort, non pas par intérêt, mais parce que je sais que Mamie a cuisiné et qu’il est normal que j’apporte ma part d’effort. Et je n’ai pas oublié de passer à la pâtisserie pour acheter des gâteaux parce qu’on a l’habitude de faire comme ça, Mamie et moi. Mon statut d’invité fait que je n’ai pas à cuisiner mais comme je suis un habitué, je mets le couvert. J’aiderai aussi Mamie pour le service mais elle insistera pour que je lui laisse faire la vaisselle. Je dirai d’accord mais j’essuierai les verres. « Pas les assiettes, elles vont sécher toutes seules. » On prendra le café en jouant au Scrabble et je laisserai Mamie faire une petite faute d’orthographe quand elle collera son ECHEVAU au bout de mon SERIEUX parce qu’il y a des jours où on peut s’arranger avec la loi et les règles du jeu.

Cas n°2: je suis un prolétaire (je ne possède que ma force de travail pour survivre), je dois donc me rendre utile à un possédant pour gagner de quoi vivre. A l’inverse, je dois veiller au bien-être matériel et à l’éducation des miens, je suis par conséquent chargé de famille (de nos jours on est souvent deux pour assurer cette charge) et en tant que tel, je dois répondre légalement des actes des mineurs (non souverains) de cette communauté. En retour, je peux exercer un certain pouvoir sur elle et décider si on part en vacances ou si on change la télé.

Pour ne pas en rester à la question du travail que Marx jugeait infrastructurelle et par conséquent fondamentale, faisons une autre proposition: je suis un intellectuel. Je dois donc remplir un certain nombre d’obligations pour pouvoir prétendre à ce titre. Je réfléchis mais ma réflexion ne se perd pas dans les limbes d’une philosophie idéaliste et inutile. Je cherche à comprendre le fonctionnement de l’humain et de la société pour l’expliquer à mes semblables et pour qu’ensemble, on arrive un jour ou l’autre à s’affranchir du mode de pensée libéral, ce qui me confère un état d’intellectuel organique pour reprendre une formule de Gramsci. Mon être social et mon devoir en société sont les deux faces d’une même pièce. Pour autant, je ne vis pas matériellement de cette activité. Ma reconnaissance n’est pas pécuniaire: le capital ne peut tout de même pas rémunérer un type qui le dézingue à longueur de journée. Encore que… mais, chut!

Marx n’a pas pu envisager la question sous cet angle étant donnée l’avancée des sciences humaines au XIXème: n’oublions pas que la sociologie et l’ethnologie ne naissent officiellement qu’à la fin de ce siècle, postérieurement à la critique marxienne. Et même au XXème siècle, il a fallu Gagnepain pour que tout cela s’organise un peu plus clairement, même si le matérialisme historique et dialectique lui a fourni quelques lueurs.

La déontologie est traditionnellement définie comme l’ensemble des obligations inhérentes à une profession. La théorie de la médiation en fait l’ensemble des facultés qui permettent à la #Personne de gérer ses compétences et sa responsabilité: ce qu’on a à assumer et jusqu’où, à partir de quand autrui prend la relève. Nous sommes ici à la racine de la répartition des tâches sociales, ce que nous appelons l’office et le métier qui se réalisent dans la charge et le #ministère. Le modèle ne les envisage ici que sur un plan sociologique, mais par le recoupement des plans 2 et 3 (l’analyse de l’Outil par la Personne) cette faculté de répartition des responsabilités, c’est à dire la coordination, peut s’appliquer à l’activité de production. On reconnait alors ce que les économistes appelle la division du travail, préalable indispensable à la coopération… et au conflit.

On fait une pause syndicale. A la revoyure, camarade !

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