C3 – Révolutionnaire, c’est la classe !

Pour qu’il y ait lutte des classes, il faut déjà qu’il y ait des classes. L’être humain a justement cette faculté de se regrouper. Il le fait souvent à son insu mais pour constituer une classe révolutionnaire, il faut prendre conscience de comment ça marche.

Résolument communistes – C3

Dans l’article précédent, nous avons vu que la théorie de la médiation, tout comme le projet communiste de Bernard Friot, prend appui sur de l’existant tout en proposant une révolution anthropologique majeure. A notre manière, nous suivons donc la méthode marxienne qui s’appuie sur l’observation des faits historiques. Nous sommes allés un peu plus loin puisque le modèle médiationniste se fonde dans le comportement animal. L’homme n’est en effet pas pur esprit: il s’enracine profondément dans le sujet biologique et ses fonctions supérieures. Il reste également tributaire de besoins à satisfaire pour survivre en sa qualité d’animal mais il est bien plus que cela et ne peut donc pas être traité comme une bête de trait dont on utilise la force de travail et dont l’entretien consiste justement à la renouveler.

Le jeune Marx, le jeune Engels et la jeune Jenny

C’est ce qu’explique Marx dans le chapitre 6 du livre 1 du Capital. Je fais le malin mais je ne l’ai pas lu en entier. Très peu de gens l’ont fait, rassurez-vous. Il existe sur Wikirouge une synthèse très claire de l’ouvrage. On peut aussi consulter la traduction d’un abrégé de l’oeuvre par Carlo Cafiero: il s’adresse à un large public et constitue comme le désirait Marx un outil puissant (mais à actualiser) pour transformer le monde.

Dans cette optique et à l’encontre de la vision capitaliste, Friot propose de ne plus concevoir l’humain comme un être de besoins à entretenir mais de lui octroyer un statut de producteur, à vie et sans conditions d’éligibilité, auquel correspond un salaire à la qualification personnelle ou si l’on préfère à la qualité de producteur à partir de 18 ans. Cette qualité est attachée à notre statut de personne et le salaire est un attribut de cet être social extirpé du rapport de production capitaliste. Comme nous avons baigné toute notre vie dans ce dernier car tout le monde n’a pas la chance d’avoir des parents communistes, Friot peut passer pour un doux rêveur alors que sa pensée est tout sauf une utopie et c’est ce que RésoCoco entend aider à comprendre. 

– On va manquer de moutarde…

Pour s’en tenir essentiellement au plan de la Personne dans cette série d’articles résolument communistes et parce que nous n’avons pas la vie devant nous mais bien une révolution sur le feu, nous dirons que l’être que nous considérons ici est déjà pensant, fabricant et vertueux : il peut donc parler, agir et élaborer du jugement de valeur. C’est une facilité méthodologique mais les curieux qui ont un peu de temps à consacrer à l’étude trouveront de quoi apaiser leur fringale sur ce même site.

Ainsi donc l’humain n’exerce jamais ses facultés hors d’une conjoncture sociale, politique, économique, idéologique, c’est à dire historique par laquelle il est déterminé tout autant qu’il en est l’agent et nous sommes en cela en plein accord avec le matérialisme historique dialectique. 

Nous allons détailler cette acculturation sociologique pour montrer la richesse et l’intérêt du modèle de la Personne que propose la théorie de la médiation tant sur un plan théorique que pour une application politique révolutionnaire.

Revenons donc au socle éthologique d’un animal en âge de se reproduire. C’est un être à la fois naturellement sexué et capable d’engendrer. Il déambule à poil sans se savoir nu et vit dans la promiscuité sans que ça ne le dérange le moins du monde. L’animal ne connaît ni l’obscénité ni le secret. Pas plus l’entassement subi par le bétail dans son enclos que l’érémitisme c’est à dire l’éloignement choisi de l’ermite. Il ne s’isole pas pour avoir des rapports sexuels ou uriner et n’éprouve aucune gène à ce qu’on le regarde durant le coït ou la défécation, ce qui n’est sans doute pas votre cas.

Il tape sur des bambous et c’est numéro un……….

D’un autre côté, l’animal fait des petits et les élève, c’est à dire qu’en tant que géniteur, il les amène par imitation et coercition à l’autonomie sur le plan notamment nutritionnel. Le mouton apprend à brouter, l’ours à chasser et le chat à réclamer des croquettes. Si l’instinct grégaire ne suffit pas, le parent animal peut user de sa force physique pour « expliquer la vie » à sa progéniture, histoire qu’il ne lui arrive rien de fâcheux. Il en va de la pérennité de l’espèce. Le jeune animal ne va s’émanciper qu’à la maturité et n’exercera une quelconque autorité que lorsque sa force musculaire le placera en situation de dominant.

Entrée gratuite pour les femelles et les couples. Lundi et mercredi, mâles non accompagnés: 60€ avec une consommation.

On imagine à quoi pourrait ressembler la vie en société si l’homme en était resté à ce stade: ça tiendrait au mieux de la colonie de gorilles, au pire, de la partouze d’asticots.

Par #acculturation sociale, l’adolescent va apprendre à gérer sa condition en transformant une partie de son animalité en un état proprement humain.

Entre l’obscénité et le secret, l’adulte gère sa pudeur et ses confidences, se montre ou se cache au gré de la conjoncture, aussi bien sur un plan physique qu’au niveau des sentiments. Il découvre plus ou moins son corps ou son intérieur, révèle son intimité ou au contraire en dissimule une partie suivant les circonstances.

Wallace, un marxiste au pays de l’animation

Dans le même temps, entre la promiscuité et l’érémitisme, l’humain contrôle son partenariat. A l’intérieur de la multitude, il va séparer et créer du groupe, du groupuscule, de la cellule, de l’ego, mais également de l’alliance entre unités constituées. Le quidam ne s’accouple pas avec la première ou le premier qui passe : on commence par prendre un verre, on palabre, on flirte, on se fiance avant d’envisager de se retrouver dans l’intimité de l’alcôve à l’auberge de jeunesse. On serre son ou sa chéri(e), ses gosses et ses parents dans ses bras mais on n’embrasse pas le tout-venant dans la rue, surtout en cette période d’épidémies à répétition. On se lie avec des collègues d’atelier et des compagnons de cellule mais on ne fréquente pas forcément sa fratrie ou ses camarades de classe tout au long de la vie. Bref on gère les frontières entre l’intérieur et l’extérieur, et cela à l’échelle individuelle comme à l’échelon international. 

L’humain pose donc de la démarcation et de la division, quitte à ensuite lever la barrière et pratiquer l’union en toute liberté (enfin pas vraiment, c’était pour le jeu de mot). Voilà pour la face que la théorie de la médiation appelle l’Instituant. On aura compris que derrière ce processus de division et d’analyse qui précède un dépassement et une unification, se dessine un mécanisme politique qui est en nous autant qu’il nous détermine de l’extérieur. Individuellement ou collectivement, nous nous distinguons pour éventuellement nous unir en dépassant nos différences. C’est ainsi qu’au sein de l’humanité, il se crée des communautés qui peuvent s’affronter ou s’agréger au gré des circonstances. 

– Et vous collaborez depuis longtemps avec RésoCoco?

Cela ne donne raison ni à Éric Zemmour ni à Francis Fukuyama : ni identitaire ni cosmopolite, l’humain tient plus exactement de l’associatif et de l’international. Il faut qu’il y ait scission avant même d’envisager de s’unir. Une faille avant de penser au pont. Voilà pour ce qui est de l’appartenance : l’humain se crée ses propres critères d’identité, contrôle ses proximités et élit ses proches. 

Nous n’avons pas encore évoqué la notion de classe parce qu’on garde un peu de biscuit pour plus tard. Contrairement à la philosophie libérale, nous ne parlons pas non plus d’individus mais de citoyens ou de personnes (avec ou sans majuscules). Avec majuscule, la #Personne est l’ensemble des facultés sociologiques qui génèrent de l’institution. Sans, la personne est l’entité sociale à géométrie variable qui va du célibataire à la personne juridique, en passant par la famille, le peuple ou l’État. Nous ne faisons pas une sociologie intuitive qui classerait les hommes comme des billes de couleurs et de tailles variées. La sociologie médiationniste construit un objet qu’on n’observe pas en ouvrant sa fenêtre, pas plus qu’on ne constate le déterminisme en observant un papillon qui fait une syncope. C’est une construction théorique que les sociologues confrontent à la réalité qui leur renvoie des réponses, attendues ou pas, qui valident plus ou moins ce qui a été avancé. 

L’ascenseur social est en panne depuis la mort de Jay Gatsby.

Si comme Marx, nous observons le corps social en mouvement, pas plus que lui, nous ne nous contentons d’en constater l’évidence. La réalité du fait social ne se saisit dans son intégralité qu’à travers la contradiction qui l’anime. Chez Marx, c’est à la fois le plus difficile à comprendre et le plus passionnant de sa philosophie: la négation de la négation, ce qu’on appelle la dialectique, et que Gagnepain reprend à son compte pour la transformer en un mouvement non plus seulement historique mais perpétuel, spontané et instantané. On y reviendra.

Je ne vais pas vous certifier que la Personne existe (la théorie de la médiation n’est pas un dogme) mais je peux vous affirmer que notre capacité à nous dissocier au sein d’un rassemblement d’humains nous permet de créer des alliances selon des affinités qui n’ont rien à voir avec l’origine ethnique ou l’âge mais peuvent reposer sur un intérêt commun pour l’abolition de la propriété lucrative par exemple. Ça ne veut pas dire non plus qu’on finira amis à l’apéro mais on peut espérer que, dans la lutte politique, on oubliera les clivages secondaires et les rivalités intestines, vos goûts en matière de papiers peints par exemple et les miens en ce qui concerne les longues phrases et les blagues douteuses. 

– 3000 boules par mois? A ce tarif-là, je me prolétarise sans problème.

Alors que dans le troupeau, on s’arrange entre voisins selon qu’on soit mâle ou femelle, humainement, on se regroupe pour d’autres raisons que pour se tenir chaud ou procréer : le partenariat repose sur tout ce qu’on veut, de la collection de muselets de bouchons de champagne à l’envie d’entarter BHL. Nous appartenons tous à une classe sociale souvent sans nous en rendre compte. Quand on adhère au club des collectionneurs, qu’on paye sa cotisation et qu’on échange des objets, on se rend compte qu’on est adhérent et qui sont les autres membres. C’est un peu plus compliqué sur le plan des classes sociales parce qu’on prend rarement la peine de relever la tête et de se poser la question de savoir ce qu’on fait là et pourquoi on le fait. 

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, on ne nait pas prolétaire: on le devient. On le devient le jour où on se rend compte qu’on n’est pas souverain de son destin, de ses moyens d’existence et de pas mal d’autres trucs qui se décident au-dessus de nos têtes. Et quand on a compris qu’on est un prolo, même à 3000 boules par mois, eh bien, il reste à comprendre qui décide quoi et à décider si ça doit continuer comme ça ou pas. C’est ainsi qu’on passe de la conscience de classe à la classe révolutionnaire. Et je peux vous le dire, révolutionnaire, c’est la classe!

On fait une pause. A la revoyure, camarades ! 

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