C6 – Pour en finir avec les rentiers

L’accès à la propriété est le rêve de milliards d’humains et ça n’en fait pas des capitalistes pour autant. C’est seulement lorsque le capital travaille soi-disant tout seul que les choses prennent une mauvaise tournure.

Résolument communistes – C6

L’Anthropologie pour les Quiches s’est déjà longuement arrêté sur le thème de la propriété sous ses aspects les plus variés (H1 à H11)

Nous ne reviendrons ici que sur quelques notions essentielles, indispensables à l’exposé.

Tout d’abord, disons-le, la propriété est inhérente à la Personne. Elle n’est pas obligatoirement individuelle et peut prendre un caractère collectif. Le gang s’approprie un quartier à plusieurs alors que chacun des sept nains a son nom sur son lit et sur son bol breton. Il n’est donc absolument pas question d’abolir la propriété dans sa totalité. On a souvent fait un mauvais procès au marxisme sur cette question: le bourgeois se voyait déjà obligé de partager sa femme, ses filles et sa vaisselle avec une horde de vandales libidineux et le propriétaire du pavillon de banlieue se tenait prêt à défendre son bien à la chevrotine. Or ce n’est pas à cette propriété qu’on va s’intéresser. Chacun garde son corps mais pas pour en faire n’importe quoi non plus: le don de sang et d’organes doit rester gratuit. Pour la prostitution et la pornographie, il faut bien évidemment les dégager du profit capitaliste sans toutefois prétendre dès à présent à l’éradication du phénomène. Il y a là un sujet de réflexion et de débat. Tout comme on peut réfléchir sur le service national ou le bénévolat.

L’Instituant nous permet de définir de l’appartenance, de tracer de la frontière entre le privé et le public et surtout de gérer cette partition en situation. Autrement dit, en fonction de la conjoncture, la #Personne pose de la frontière entre ce qui est à elle et ce qui ne lui appartient pas. Chaque société fixe cette limite et elle varie donc selon la loi en vigueur. C’est une affaire d’Histoire.

Appliquée à nos comportements, la Personne tranche entre vie privée et république. Au sujet de la pratique religieuse, la loi sur la laïcité est très bien faite en France: il suffit de l’appliquer. Restent évidemment quelques questions comme l’assistance à la personne en danger (empêcher quelqu’un de se suicider par exemple) ou la liberté d’expression (là, encore la loi française est bien faite, elle autorise le blasphème mais interdit l’incitation à la haine raciale et à la violence). L’éducation des enfants est également un autre thème sur lequel il faudra réfléchir : qu’est-ce qui échoie à la famille et qu’est-ce qui relève de l’éducation nationale? On y reviendra.

Appliqué au matériel, le distinguo sépare la propriété privée et le bien public, la propriété d’usage personnelle et les communs. C’est la question sur laquelle nous allons nous arrêter un peu plus longuement. 

Il est tout à fait légitime de vouloir posséder un minimum de biens : un logement, du mobilier, des vêtements et un certain nombre d’affaires personnelles qu’on est en droit de ne pas vouloir partager. En Occident, nous sommes tellement habitués à vivre dans l’abondance que cela tombe sous le sens que le véhicule individuel (voiture, camping-car, moto, scooter, vélo, trottinette) soit de l’ordre du privé. Pourtant la voiture personnelle passe 95% de son temps en stationnement. Le taux d’occupation des chaussures de Roland Dumas ou d’Imelda Marcos était sans doute encore moindre vu le nombre de paires que chacun possédait. La question se pose d’une manière générale pour tout ce qui est résidence secondaire, pied à terre de milliardaire, jet et yacht privé, bref, toutes ses possessions légales mais d’une légitimité tout à fait discutable.

Ne te gausse pas, ami bricoleur, et penche-toi sur le cas de ta perceuse et toi, ami bibliophile fétichiste, va jouer avec tes bouquins à peine feuilletés et bien rangés. Alors bien sûr, il n’est pas question de tout partager: ce serait sans doute une source supplémentaire de conflits mais le faible taux d’utilisation de certains outils, machines ou engins à usage privé sera dans l’avenir matière à réflexion. Il fut un temps où on se refilait le journal entre voisins, d’ailleurs certains le consultent encore au café ou à la bibliothèque publique. Le journal ne m’appartient que tant que je le lis: j’exerce donc sur lui ma propriété d’usage avec un pouvoir temporaire car j’ai l’obligation de le rendre lorsque j’ai fini de le lire. C’est pourquoi l’emprunt à la bibliothèque est limitée dans le temps.

On m’a parlé récemment d’un groupe Whatsapp où on se prête des jeux de société, une pierrade et différents ustensiles dont on n’a pas un usage régulier mais plutôt exceptionnel. Il y a donc des possibles à explorer, sur le principe de la coopérative et de la propriété d’usage partagée. Je rêve d’un atelier de quartier qui nous dispenserait d’acheter et de stocker du matériel rarement utile et encombrant, une sorte de Kiloutou de proximité. On sait cependant qu’on prend moins soin de ce qui n’est pas à soi et les « vélib » en ont pâti. Les chambres d’amis collectives de la Cité radieuse de Le Corbusier sont assez rapidement devenues un hôtel privé. La révolution résolument communiste se fera aussi sur un plan moral, avec des engagements éthiques forts vis à vis des biens partagés.

La propriété lucrative

On en arrive aux biens de production qui sont au coeur du combat de Marx, mais c’est vers Bernard Friot que nous nous tournerons et la théorie de l’abolition de la propriété lucrative qu’il a développée. 

Cas n°1: Monsieur André B. est propriétaire de 13 appartements dont il perçoit les loyers chaque mois. Il est donc rentier. Il a réinvesti tout l’argent qu’il a accumulé dans l’acquisition de nouveaux appartements dont il assure l’entretien et il s’est ainsi constitué un parc immobilier important qu’un agent immobilier gère pour lui. André B. est un propriétaire qui fait travailler son capital immobilier via ceux qui l’habitent, le louent et le font fructifier. Cet état de faits est rarement remis en cause, encore moins condamné. La propriété lucrative est pourtant à la manoeuvre. Pas pour longtemps car André B. n’a pas d’héritier et son bien reviendra à l’État un de ces jours, à moins qu’il n’en fasse le leg à la ville où il a vécu. En attendant, il engrange les loyers et on mesure l’absurdité de la situation d’un point de vue partageux. 

Cas n°2: Madame Delphine C. est coiffeuse. Elle a fait ses études en apprentissage et de ce fait travaille depuis ses 16 ans. Longtemps employée, elle a fini par économiser suffisamment d’argent pour acquérir son propre salon de coiffure à l’âge de 45 ans. Elle continue d’y travailler et emploie deux salariés et une apprenti en alternance. Elle n’a pu acheter le fond de commerce qu’en empruntant à la banque sur 20 ans, un prêt qu’elle finira de rembourser alors qu’il sera temps pour elle de partir en retraite. La modernisation régulière du salon l’a amenée à emprunter par deux fois des sommes importantes à la banque qu’elle finira de rembourser lorsqu’elle vendra son salon pour se retirer des affaires. La somme qui lui restera devrait lui assurer une retraite suffisante.

Cas n°3: Bernard A. possède des milliers de titres boursiers dont il ne connait pas le nombre exact mais son seul nom fait battre la chamade au coeur de n’importe quel conseiller financier et il inspire la confiance au monde de la finance. Il décide de se porter acquéreur de la marque LV pour un prix modique quoiqu’assez conséquent pour n’importe lequel d’entre nous. Bernard A. entretient d’excellents rapports avec les banquiers qui n’hésitent donc pas pour cette acquisition à lui allonger la somme nécessaire. En fait d’acquisition, c’est de parts de capital de LV qu’il s’agit, l’idée étant de devenir majoritaire pour imposer la marche à suivre à la direction. L’achat ne comprend donc qu’indirectement et de loin les murs de plusieurs unités de production, les machines, un stock de matière première puisqu’il s’agit de maroquinerie de luxe et du savoir faire-faire de plusieurs centaines d’employés dont le nombre et les salaires ont été revus à la baisse car ils doivent tout naturellement participer à cette restructuration (ou prendre la porte). Ce qui a fait la renommée de LV, c’est le talent du créateur des modèles, l’ingéniosité des concepteurs des outils et le savoir-faire des petites mains. En devenant propriétaire, ou plus exactement actionnaire principal de LV, Bernard A. s’empare de tout cela sans jamais avoir participé à la production et sans même posséder personnellement les fonds nécessaires au rachat. Légalement, il a à ce jour le pouvoir d’infléchir la ligne directrice de l’entreprise, de stopper ou de délocaliser la production, fermer les usines pour en ouvrir d’autres ailleurs. Légitimement, on peut mettre en doute une telle pratique étant donné que le rôle de Bernard A. se limite à assurer les banquiers qu’ils seront remboursés: il n’est même pas entrepreneur puisqu’il ne fait qu’acquérir des titres pour grossir son gigantesque bas de laine. Il prend un risque certes mais il ne sert pas à grand chose, à peine plus que les capitalistes qui ont déposé leur magot à la banque pour que celle-ci le fasse fructifier. On reviendra plus tard sur le taux d’intérêt et sa légitimité. Toujours est-il que le savoir-faire et le travail des petites mains est à la merci d’un aventurier qui mise sur leur talent pour réaliser de jolies plus-values.

Cas n°4: Giovanna et Arthur D. ont acheté une belle villa à Fréjus. Ils ont pour ce faire emprunter 80% du prix de la maison à la banque. Durant les deux mois de l’été, ils louent leur villa à la semaine à des touristes étrangers pour une somme assez rondelette étant donné la situation de leur villa avec jardin et piscine. Pendant ce temps, ils se font héberger chez les parents d’Arthur qui possèdent une belle propriété dans l’arrière-pays niçois. Le contact s’établit via une plateforme étrangère et ni les assurances ni le fisc n’ont vent de l’affaire qui s’effectue en cash.

Cas n°5 : Claudine H. a décidé de participer à un vide-grenier il y a trois ans à la suite du départ de sa mère en foyer-logement. Elle a récupéré chez cette dernière un certain nombre de bibelots vintage et de livres de collection qu’elle a revendus pour une somme assez coquette et cela lui a donné l’idée de réitérer l’opération. Comme un particulier ne peut participer qu’à deux vide-greniers par an… enfin bref, ce n’est pas le propos… Claudine H. a donc vendu une partie du patrimoine de sa mère et l’a transformé en liquide. Au lieu de le dépenser pour son usage personnel, elle achète avec ce petit capital des bibelots qu’elle revend avec une petite marge qui couvre les frais d’inscription au vide-grenier, de déplacement et de bouche pour ces journées de négoce. Elle n’en tire pas de quoi vivre mais un plaisir certain.

Cas N°6: Thierry F. a hérité d’une somme qui lui a permis d’acheter sans crédit un petit appartement et d’y faire lui-même un certain nombre d’aménagements qui lui ont permis de revendre son bien avec une plus-value conséquente. Il s’est alors porté acquéreur d’un autre appartement dans lequel il a réitéré l’opération. Au fil des ans, cette activité est devenue son unique source de revenus et lui assure un style de vie qui lui convient.

Cas n°7: Hélène G. a mis au point un système d’achat en ligne de tickets de concerts. L’idée est d’en acheter une certaine quantité dès leur mise sur le marché et de les revendre ensuite au détail à des amateurs moins rapides qu’elle et qui sont prêts à payer parfois le double du prix originel pour aller assister au concert de leur groupe favori. On appelle cela de la spéculation, c’est interdit mais il s’agit simplement de ne pas se faire prendre.

Cas n°8: Emma S. est propriétaire de trois chats de race ragdoll, trois femelles inscrites au Livre officiel des Origines félines. Elle les fait régulièrement saillir par un mâle, lui aussi inscrit au LOOF et revend les chatons une fois sevrés en moyenne 1500 euros par animal.

Cas n°9: Sylvain V. achète dès qu’il en a l’occasion de l’argent, c’est à dire du métal, qu’il fait fondre et stocke sous forme de petits lingots dans un coffre-fort serti dans la dalle de béton de son garage. Il prétend qu’en cas de crise et d’effondrement de la monnaie fiduciaire l’argent-métal prendra de la valeur et que son pécule ne fondra pas. Il a pris exemple sur les Chinois et les Russes qui ont ces dernières années accumulé des réserves d’or considérables en vue de… pas de géo-politique! On en reste à la notion de propriété lucrative.

Chaque citoyen majeur peut se porter acquéreur d’un bien et le revendre au prix qu’il souhaite. La logique veut que le prix de vente soit supérieur au prix d’achat: le propriétaire réalise alors une sur-valeur ou une plus-value lors de cette vente avec intérêt. Cependant la vente à perte et la vente à prix coûtant existe mais ne représente pas le cas le plus fréquent. Elles correspondent à des situations d’urgence ou à des appels du pied commerciaux. 

Dans son modèle de la norme, la théorie de la médiation appelle intérêt la différence entre la satisfaction et le prix à payer. Autrement dit, on ne fait un effort que si le jeu en vaut la chandelle. Tout animal sait cela… sauf Scrat dans « L’Age de Glace » qui dépense une énergie disproportionnée pour une satisfaction toujours différée. On pourrait d’ailleurs deviser sur le véritable but de Scrat: veut-il consommer la noisette ou finalement seulement en être le propriétaire? 

Toujours est-il que dans tous les cas, les propriétaires fournissent un effort et acceptent de ne pas jouir de leur bien sur le champ, voire de s’en séparer, pour récolter un bien d’une valeur qu’ils jugent supérieure à celle qu’ils ont cédée. Ce qui donne l’équation suivante: valeur 2 = valeur 1 + intérêt. Et par conséquent la valeur 2 ne présente de l’intérêt que si elle est supérieure à la valeur 1. Cependant, si l’équation reste la même, la notion d’intérêt, et donc de plus-value, va considérablement varier suivant les cas. Et c’est ce qu’on verra dans un prochain chapitre. 

A la revoyure, camarade!

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