Résolument communistes – C7
La valorisation du capital est au coeur de l’idéologie capitaliste. Si Bernard A. (cas n°3) est facilement identifié comme capitaliste, voire même comme un parasite par les plus radicaux d’entre nous, on pense moins à classer André B. (cas n°1) ainsi que Giovanna et Arthur D. (cas n°4) parmi ceux-ci, alors que les rentiers, même occasionnels, le sont. Sous-louer son appartement est à ce titre une pratique capitaliste, illégale certes, mais en usage. En tant que propriétaire, les D. peuvent disposer de leur bien comme ils le souhaitent en toute légalité à condition de déclarer cette location au fisc, ce qu’ils se gardent bien de faire.
Hélène G. (cas n°7) est ni plus ni moins une spéculatrice. Elle tire un intérêt pécuniaire, sans une véritable activité productive, de son capital. Sa rapidité dans l’acquisition n’apporte aucune réelle valeur aux billets qu’elle revend plus cher malgré tout. D’ailleurs cette pratique est illégale si elle est régulière. Ça peut paraitre malin de sa part mais c’est en fait un acte parasitaire puisque les acheteurs auraient pu se procurer les billets au prix de base s’ils avaient été plus rapides. Hélène G. est un trader à la petite semaine, mais ses collègues de la Bourse pratiquent la spéculation de haut vol en toute impunité.
Le cas n°5 de Claudine H. est plus complexe: à la base, elle vend en effet des bibelots qui ne lui ont rien coûté et réinvestit le bénéfice dans des achats. A la valeur A, s’ajoute la marge qu’elle s’octroie pour couvrir ses frais et pour se dédommager du temps de loisir dont elle se prive: si le vide-grenier lui procure un certain plaisir social, elle considère que le négoce y est une activité qui justifie l’intérêt financier qu’elle capte.
Sylvain V. (cas n°9) exerce une activité de transformation mais ne touche finalement rien de ce travail. Ses lingots n’ont aucune valeur officielle puisque personne n’est au courant. Ils ont néanmoins une valeur différée qui ne demande qu’à augmenter. Spécule-t-il ou est-il simplement prévoyant? Son capital sans même avoir besoin d’être investi dans un placement prend de la valeur tout seul. Mais il ne lèse personne dans l’opération.
Emma S. (cas n°8) a, quant à elle, fait un placement avec ses chattes Ragdoll. Elle les transforme également en mères porteuses, une pratique interdite en France où la gestation pour autrui est illégale chez les humains mais courante chez les animaux, enfin chez les éleveurs d’animaux. Là, Emma S. ne fait que profiter de l’impuissance de ses chattes. Cela dit, leur entretien et les soins vétérinaires ne se paient pas tous seuls non plus. C’est ainsi qu’elle s’arrange avec son Jiminy Cricket personnel.
Pour Delphine C (cas n°2) et Thierry F. (cas n°6), l’affaire se présente sous un tout autre angle puisque de leur travail, est née la plus-value: leur bien a pris de la valeur parce qu’ils y ont investi de l’argent et surtout une activité de transformation. C’est leur labeur qu’ils récompensent financièrement et qui leur assure de quoi subvenir à leurs besoins. Leurs moyens de production est leur propriété: ils en sont également les gestionnaires.
La variété de ces cas de figures nous montre combien la question de la propriété lucrative, autrement dit le capital, est profondément ancrée dans notre existence et que s’affranchir du mode de vie et de pensée libéral sera beaucoup moins aisé qu’il n’y parait. Il ne suffira donc pas d’un Grand Soir, ou du moins pas dans l’immédiat, pour ne pas se retrouver un peu seul au petit matin.
V2 = V1 + intérêt
Je le rappelle, l’intérêt est naturel chez l’anthropien, c’est à dire au sein de la part animale de l’humain. L’effort n’est fourni qu’en vue d’un mieux dans la jouissance différée. Comme tous les grands félins, si je décolle mes fesses du canapé, c’est pour aller me prendre une mousse au chocolat dans le frigidaire. La différence entre la valeur de la situation 1 et celle de la situation 2 constitue l’intérêt de l’effort que j’ai fourni.
Dans une économie de marché où les échanges se règlent par contrats interpersonnels, la valeur de l’effort est fixée par la loi de l’offre et de la demande qui comporte toujours un risque, notamment celui de voir l’intérêt virer au négatif. Même si Claudine H. n’a pas payé les bibelots de sa mère, elle peut avoir une mauvaise surprise en acquérant d’autres babioles dont personne ne voudra parce qu’elle se sera trompée dans l’estimation de leur véritable valeur. Elle en sera alors de sa poche. A moins de tomber sur le gogo de service.
Dans le système de la valeur lucrative, il existe toujours un risque. André B. peut être la victime d’une révolte de tous ses locataires et ne pas toucher de loyer jusqu’au printemps. Les Ragdoll ont actuellement la cote mais elle pourrait diminuer à la suite de rumeurs sur leur vulnérabilité aux coronavirus. Hélène G. pourrait également se retrouver avec ses billets sur les bras, suite aux déclarations transphobes du groupe LâcheTaZone et au boycott consécutif de leurs concerts. Quant à Bernard A., il peut voir ses titres sombrer lors d’un crash boursier et perdre une fortune en quelques heures. Ou au contraire, flairer le vent avant qu’il ne tourne et vendre ses actions par anticipation, plus cher qu’il ne les a acquises.
A chaque fois, c’est soi-disant le risque qui se rémunère. Il y a des placements plus ou moins sûrs, et plus ils le sont, moins l’intérêt est grand. Sécurité et rentabilité sont inversement proportionnelles dans les affaires: c’est pourquoi les trafics sont plus rémunérateurs que le livret A. La prime de risque échoient aux plus aventureux.
A l’exception de Claudine H., Delphine C. et éventuellement Thierry F., la motivation profonde de ces efforts est toujours à chercher dans le plaisir de gagner de l’argent. L’appât du gain masque la futilité et l’inutilité de l’activité de l’actionnaire, voire sa nuisance. Toute l’efficacité de l’idéologie capitaliste consiste à proposer un récit valorisant aux moins cyniques des actionnaires pour (se) donner l’illusion qu’ils sont indispensables à la création des richesses. Je me demande par exemple comment l’actionnaire lambda de Sanofi justifie auprès de sa conscience la hausse de 4% de ses dividendes, fruit du « travail » de son argent, alors même que le groupe a lourdement failli à ses engagements vis à vis de la communauté française tout en se rattrapant sur un traitement pour l’eczéma accepté sur le marché américain. Détenir des actions de Sanofi peut sans doute être présenté comme un geste socialement bénéfique, ce qui justifierait moralement des gains considérable. Mais je doute que beaucoup de ces actionnaires aient ce genre d’arguments éthiques dans leurs conversations financières.
Je ne peux que renvoyer le lecteur à La pathologie du gulo gulo en H7 pour ce qui concerne l’hypertrophie de la plus-value. On y saisira notamment la nature animale de celle-ci, ce qui nous amène à conclure que le capitalisme trouve une partie de ses motivations au niveau de la base éthologique. Autrement dit, c’est on ne peut plus basique. Rien de typiquement humain là-dedans, sinon l’argent.
D’ailleurs la Fable des Abeilles de Mandeville mentionne bien l‘égoïsme, les bas-instincts et les intérêts privés comme moteurs de l’activité de la ruche. Il en préconise également la régulation. Pour reprendre le terme qu’il utilise, il y aurait donc de nombreux fripons parmi nos cas mais le monde serait ainsi fait par nécessité pour que chacun trouve sa source de revenus. Si chaque bien majoré d’une plus-value quelle qu’en soit l’essence trouve preneur, pourquoi s’en priver? Et tant pis pour celui qui ne trouve pas à écouler sa came: sa satisfaction en sera frustrée mais telle est la règle du jeu d’une société inégalitaire et amorale où pour qu’il y ait des gagnants, il y a forcément des perdants.
Reste à faire croire à ces derniers que leur chance viendra (le loto, l’illusion libérale) ou qu’ils n’ont pas fait ce qu’il fallait (l’argument du mérite). Il leur reste à monnayer leur force de travail pour financer les petits plaisirs que peut leur offrir une vie médiocre dans une société de consommation (l’i-phone, les jeux vidéos, l’alcool, la drogue, le sexe, la bouffe, la voiture…). Mais revenons-en, pour conclure, à la propriété lucrative. Marx nous a enseigné par le travail et lui seul était générateur de richesses. Le capitaliste extorque une partie de cette survaleur à son profit. Autrement dit, le salarié ne peut être payé à la réelle valeur de son travail sans que le capitaliste n’y perde son intérêt. Et alors pourquoi placerait-il ainsi son capital sans pouvoir le faire fructifier? Ça s’appellerait un don et ce n’est pas dans la nature du capitalisme qui est une économie intéressée où l’intérêt privé l’emporte sur la vertu qui se préoccupe du Bien public avant tout.
La moralisation de la propriété lucrative est possible, parfois au prix d’une certaine hypocrisie : on l’a vu avec l’exemple de Sanofi. Mais la plupart du temps, l’accroissement du profit ne s’embarrasse pas de principes éthiques. Il faut que ça se vende et pour le libéralisme qui considère que le consommateur est un être raisonnable pourvu qu’il soit informé équitablement, ne se vend que le mieux-faisant (un bienfaisant supérieur) et que le meilleur gagne! L’acheteur gère son avantage, le vendeur gère le sien, et de leur négociation équitable nait la satisfaction commune. Cela parait juste sauf si l’utilité du produit entre en ligne de compte. Du « pourvu que ça se vende », on passerait alors au « pourvu que ça serve à quelque chose ». Encore faudrait-il définir la limite entre l’utile et le futile, entre l’essentiel et le superflu, un débat qui promet d’être épineux dans un monde de libertés individuelles exacerbées.
La propriété lucrative est donc la mise à disposition d’un bien pour autrui moyennant un profit financier pour le propriétaire. Le juste prix permettrait à chacun d’y trouver son compte. L’actionnaire fournit les fonds à l’entrepreneur qui fournit de l’emploi au propriétaire de la force de travail (le prolétaire salarié) qui fournit en retour de la richesse à l’entrepreneur qui reverse des dividendes à l’actionnaire. En gros, tout le monde est content. Sauf si le travailleur s’aperçoit qu’il s’épuise au travail pour augmenter la production, les gains de l’entreprise et en fin de compte les recettes de celui qui n’a fait que placer son argent. Celui-ci n’a en fait pas travailler tout seul, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Le capital s’enrichit grâce au travail de ceux qui en profitent le moins.
Remplacez le salarié par le locataire et vous obtenez la même chose avec le loyer.
Il y a donc un principe fondamentalement injuste dans la propriété lucrative qui rapporte sans que son détenteur n’ait à fournir un travail notable. Son seul effort consiste à accepter de différer la jouissance du bien. L’argent est immobilisé dans des titres ou de l’immobilier et son propriétaire ne peut le dépenser à son profit, ce qui justifie à ses yeux l’intérêt financier qu’il va en dégager. Le retour sur investissement n’est pourtant légitime que si une réelle activité a été produite par le propriétaire et s’il a apporté de la valeur ajoutée au bien et pour ce faire, il faut qu’un réel travail ait été effectué.
L’idée, c’est donc de se passer du bailleur de fonds privé, du propriétaire immobilier et bien évidemment du spéculateur. Mais, comme dirait Frédéric Lordon, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils rendent les clefs parce qu’on leur demandera gentiment. Non, les bourgeois s’accrocheront au pouvoir que représente le capital et ils ont encore bon nombre de supporters parmi les #prolétairesCeux qui ne sont pas souverains de leur destin économique, de leur mode d'existence. Les prolétaires sont des mineurs sociaux qui dépendent des choix de la classe dominantes, c'est à... More qui estiment à tort que sans les décideurs capitalistes, l’économie ne pourrait pas tourner. A la suite de Réseau Salariat, RésoCoco entend bien leur montrer qu’un autre financement est possible et que la libre entreprise ne disparaitra pas avec le capitalisme mais prendra une forme inédite.
A la revoyure, camarades!