N24 – Joseph Grand, un obsessionnel au coeur de La Peste

Les névrosés obsessionnels ne manquent pas dans la littérature (Des Esseintes, Joseph K, Hamlet, Clark Kent, Garp, Cyrano, Humbert Humbert…) ni parmi les écrivains d’ailleurs (Flaubert, Modiano, Zola, Poe, Lovecraft, Mishima, Proust…) comme si sclérose du Garant et rédaction laborieuse allaient de paire. La recherche du mot juste, du rythme parfait, de la tournure idoine ou de la rime riche réclame une scrupulosité hors du commun: il n’y a pas de grands rhétoriqueurs sans entrave esthétique et point n’est besoin d’une intervention extérieure pour la poser: un Gage inflexible s’impose de lui même, fait peser un rapport ascétique avec le discours pour produire les oeuvres les plus finement léchées.

Les troubles de la Norme – N24

En la personne de Joseph Grand, Albert Camus nous offre un cas tout à fait édifiant sans pour autant en faire une caricature.

Quand, adolescent, j’ai dévoré La Peste de Camus, la figure de Joseph Grand, beaucoup plus que celle du Docteur Rieux, a retenu mon intérêt. De manière assez singulière, Camus attire lui-même très tôt dans le roman, l’attention du lecteur sur ce personnage pourtant falot : « Et s’il faut absolument un héros dans cette histoire, le narrateur propose justement ce héros insignifiant et effacé qui n’avait pour lui qu’un peu de bonté de cœur et un idéal apparemment ridicule. » C’est cet idéal ridicule qui va justement nous arrêter. Désolé pour les amateurs de philosophie qui auraient aimé suivre Camus sur les traces de ce Sisyphe des temps de peste, je vais psychologiser le phénomène car voilà un cas qui mérite notre égard. 

Joseph Grand est un employé au service des statistiques et à l’état-civil à la mairie d’Oran. Il va être amené à se porter volontaire pour faire les additions des décès. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, à la moustache jaune, long et voûté, les épaules étroites et les membres maigres. Le narrateur mentionne qu’il tripotait sa moustache depuis un moment, peut-être est-ce un tic récurrent? Long et maigre, il flottait au milieu de vêtements qu’il choisissait toujours trop grands, dans l’illusion qu’ils lui feraient plus d’usage. (…) On peut ajouter à ce portrait une démarche de séminariste, l’art de raser les murs et de se glisser dans les portes, un parfum de cave et de fumée, toutes les mines de l’insignifiance… D’un abord peu engageant, Grand se révèlera pourtant un compagnon d’épidémie loyal et fiable.

Gustave Flaubert se montrait également tatillon sur le choix des termes.

Alors que les rats sortent pour mourir un peu partout en ville et qu’une épidémie est sur le point de se déclarer, Grand reconnait pourtant qu’il a d’autres soucis. N’est pas l’homme aux rats qui veut! Tout au long du roman, Camus joue d’ailleurs habilement du contrepoint avec ce suspense secondaire qui se révèlera carrément dérisoire au regard du fléau sanitaire qui frappe Oran. Mais en bon obsessionnel, Grand hiérarchise mal (ou en tous cas à sa manière propre) les priorités. Son travail personnel (son obsession) passe avant tout et repousse finalement le malheur et l’horreur au second plan. On est porté à croire au début du récit que Grand ré-apprend le latin parce qu’on lui a dit que c’était utile pour mieux connaître le sens des mots français. D’ailleurs, il se montre tatillon sur le choix des termes avec le commissaire pour rédiger le PV du suicide manqué de son voisin. On retrouve la scrupulosité dont nous avons déjà parlé à maintes reprises chez l’obsessionnel. Elle n’est pas ici foncièrement déplacée mais elle n’est pas non plus ad hoc. Ou devrais-je dire appropriée. A moins qu’idoine… Non pas idoine… adéquate, c’est sans doute mieux, plus à propos, je dirais…

De plus, Grand est un auxiliaire municipal, un gratte-papier consciencieux mais incapable de réclamer son dû, parce qu’il achoppe sur des détails qui lui font perdre l’objectif de vue, ce qui le maintient dans un état d’indigence qui aura été fatal à son couple et à son estime de soi. « Lorsque vingt-deux ans auparavant, à la sortie d’une licence que, faute d’argent, il ne pouvait dépasser, il avait accepté cet emploi, on lui avait fait espérer, disait-il, une « titularisation » rapide. Il s’agissait seulement de donner pendant quelque temps les preuves de sa compétence dans les questions délicates que posait l’administration de notre cité. Par la suite, il ne pouvait manquer, on l’en avait assuré, d’arriver à un poste de rédacteur qui lui permettrait de vivre largement. Certes, ce n’était pas l’ambition qui faisait agir Joseph Grand, il s’en portait garant avec un sourire mélancolique. Mais la perspective d’une vie matérielle assurée par des moyens honnêtes, et, partant, la possibilité de se livrer sans remords à ses occupations favorites lui souriait beaucoup. S’il avait accepté l’offre qui lui était faite, ce fut pour des raisons honorables et, si l’on peut dire, par fidélité à un idéal. Il y avait de longues années que cet état de choses provisoire durait, la vie avait augmenté dans des proportions démesurées, et le salaire de Grand, malgré quelques augmentations générales, était encore dérisoire. Il s’en était plaint à Rieux, mais personne ne paraissait s’en aviser. C’est ici que se place l’originalité de Grand, ou du moins l’un de ses signes. Il eût pu, en effet, faire valoir, sinon des droits dont il n’était pas sûr, du moins les assurances qu’on lui avait données.

Il est évident que l’informatique aurait changé la vie de Marcel Proust… et de son éditeur.

Mais, d’abord, le chef de bureau qui l’avait engagé était mort depuis longtemps et l’employé, au demeurant, ne se souvenait pas des termes exacts de la promesse qui lui avait été faite. Enfin, et surtout, Joseph Grand ne trouvait pas ses mots. C’est cette particularité qui peignait le mieux notre concitoyen, comme Rieux put le remarquer. C’est elle en effet qui l’empêchait toujours d’écrire la lettre de réclamation qu’il méditait, ou de faire la démarche que les circonstances exigeaient. À l’en croire, il se sentait particulièrement empêché d’employer le mot « droit » sur lequel il n’était pas ferme, ni celui de « promesses » qui aurait impliqué qu’il réclamait son dû et aurait par conséquent revêtu un caractère de hardiesse, peu compatible avec la modestie des fonctions qu’il occupait. D’un autre côté, il se refusait à utiliser les termes de «bienveillance», « solliciter », « gratitude », dont il estimait qu’ils ne se conciliaient pas avec sa dignité personnelle. C’est ainsi que, faute de trouver le mot juste, notre concitoyen continua d’exercer ses obscures fonctions jusqu’à un âge assez avancé. Au reste, et toujours selon ce qu’il disait au docteur Rieux, il s’aperçut à l’usage que sa vie matérielle était assurée, de toute façon, puisqu’il lui suffisait, après tout, d’adapter ses besoins à ses ressources. Il reconnut ainsi la justesse d’un des mots favoris du maire, gros industriel de notre ville, lequel affirmait avec force que finalement (et il insistait sur ce mot qui portait tout le poids du raisonnement), finalement donc, on n’avait jamais vu personne mourir de faim. Dans tous les cas, la vie quasi ascétique que menait Joseph Grand l’avait finalement, en effet, délivré de tout souci de cet ordre. Il continuait de chercher ses mots. 

Il y a du Grand chez Modiano… et pas mal d’autres névrosés dans ses romans. Dans Villa Triste, même le chien d’Yvonne souffre de « mélancolie portugaise ».

Dans un certain sens, on peut bien dire que sa vie était exemplaire. Il était de ces hommes, rares dans notre ville comme ailleurs, qui ont toujours le courage de leurs bons sentiments. Le peu qu’il confiait de lui témoignait en effet de bontés et d’attachements qu’on n’ose pas avouer de nos jours. Il ne rougissait pas de convenir qu’il aimait ses neveux et sa sœur, seule parente qu’il eût gardée et qu’il allait, tous les deux ans, visiter en France. Il reconnaissait que le souvenir de ses parents, morts alors qu’il était encore jeune, lui donnait du chagrin. Il ne refusait pas d’admettre qu’il aimait par-dessus tout une certaine cloche de son quartier qui résonnait doucement vers cinq heures du soir. Mais, pour évoquer des émotions si simples cependant, le moindre mot lui coûtait mille peines. Finalement, cette difficulté avait fait son plus grand souci. « Ah ! docteur, disait-il, je voudrais bien apprendre à m’exprimer. » Il en parlait à Rieux chaque fois qu’il le rencontrait. » 


Dans son enquête médico-psychologique sur les rapports de la supériorité intellectuelle avec la névropathie publiée en 1896, le Docteur Édouard Toulouse note chez Émile Zola une hypersensibilité et hyperesthésie sensorielle: l’écrivain est sujet au vertige et n’aime pas se balancer. Zola est hanté par l’idée du doute. Il est  « dans la perpétuelle crainte de ne pouvoir faire sa tâche journalière, d’être incapable de terminer un livre, de ne pas achever un discours s’il prend la parole en public, etc. Il ne relit jamais ses romans, car il craint d’y faire de mauvaises découvertes. »  Zola est angoissé par la mort, une obsession morbide renforcée par la mort de sa mère en 1880: crises de larmes,  peur du noir. Les époux en viendront même à dormir avec une veilleuse, tellement la peur des ténèbres les rend anxieux. En outre, Zola souffre d’une manie de de rangement et d’arithmomanie. Superstitieux, il affectionne certains chiffres comme les multiples de 3 et de 7 qui le rassurent: « Ainsi, dans la nuit, il lui est arrivé souvent de rouvrir sept fois les yeux pour se prouver qu’il n’allait pas mourir. » Surprenant de la part d’un écrivain naturaliste et rationaliste.

Bon, si on fait le point: Grand est incapable de réclamer une promotion parce que son énergie se focalise sur une question d’exactitude du vocabulaire. Ses hésitations et sa retenue l’empêchent d’obtenir ce que pourtant il mériterait: une revalorisation de son salaire. Grand se sent coupable de ne pas savoir s’exprimer de manière suffisamment correcte et incisive pour obtenir le bien auquel son travail lui donne pourtant droit. Sa frustration nait plus du prix qu’il s’imagine devoir payer que du fait de ne pas obtenir un avancement qui lui est dû: le prix à payer l’emporte sur le mérite, le Gage sur le Titre en termes médiationnistes. Grand se met lui-même des bâtons dans les roues et entrave ses démarches de son propre chef.

En marge de sa vie professionnelle, les soirées de Grand sont sacrées. Et ironiquement, Camus lui fait déclarer: Comme on dit dans mon pays : « Il ne faut jamais remettre au lendemain… » Et en effet, Grand ne procrastine pas sur ce point-là. Il est toujours fidèle à son rendez-vous vespéral. Et ça avance ? « Depuis des années que j’y travaille, forcément. Quoique dans un autre sens, il n’y ait pas beaucoup de progrès. » Mais qu’est-ce que c’est? « Quelque chose sur l’essor d’une personnalité. » 

Camus qualifie de manies ce mystérieux travail. Et Rieux en déduit qu’il doit s’agir de la rédaction d’un roman ou de quelque chose de littéraire. On le devine assez vite. Un soir, Grand invite Rieux chez lui pour lui montrer ce sur quoi il travaille.  

« Dans la salle à manger, Grand l’invita à s’asseoir devant une table pleine de papiers couverts de ratures sur une écriture microscopique. 

– Oui, c’est ça, dit Grand au docteur qui l’interrogeait du regard. Mais voulez-vous boire quelque chose ? J’ai un peu de vin. 

Rieux refusa. Il regardait les feuilles de papier. 

– Ne regardez pas, dit Grand. C’est ma première phrase. Elle me donne du mal, beaucoup de mal. 

Lui aussi contemplait toutes ces feuilles et sa main parut invinciblement attirée par l’une d’elles qu’il éleva en transparence devant l’ampoule électrique sans abat-jour. La feuille tremblait dans sa main. Rieux remarqua que le front de l’employé était moite. 

– Asseyez-vous, dit-il, et lisez-la-moi.
L’autre le regarda et sourit avec une sorte de gratitude. – Oui, dit-il je crois que j’en ai envie. 

Malgré une forte envie de partager le fruit de son travail, Grand doit attendre l’injonction de Rieux pour s’autoriser à lui lire cette fameuse phrase qui lui donne tant de mal.

Par une belle matinée du mois de mai, une élégante amazone au chapeau bleu parcourait, sur une superbe jument alezane, les allées fleuries du Bois de Boulogne.

Il attendit un peu, regardant toujours la feuille, puis s’assit. Rieux écoutait en même temps une sorte de bourdonnement confus qui, dans la ville, semblait répondre aux sifflements du fléau. Il avait, à ce moment précis, une perception extraordinairement aiguë de cette ville qui s’étendait à ses pieds, du monde clos qu’elle formait et des terribles hurlements qu’elle étouffait dans la nuit. La voix de Grand s’éleva sourdement : « Par une belle matinée du mois de mai, une élégante amazone parcourait, sur une superbe jument alezane, les allées fleuries du Bois de Boulogne. »

Rieux répondit que ce début le rendait curieux de connaître la suite. Mais l’autre dit avec animation que ce point de vue n’était pas le bon. Il frappa ses papiers du plat de la main. 

– Ce n’est là qu’une approximation. Quand je serai arrivé à rendre parfaitement le tableau que j’ai dans l’imagination, quand ma phrase aura l’allure même de cette promenade au trot, une-deux-trois, une-deux-trois, alors le reste sera plus facile et surtout l’illusion sera telle, dès le début, qu’il sera possible de dire : « Chapeau bas ! » 

Mais, pour cela, il avait encore du pain sur la planche. Il ne consentirait jamais à livrer cette phrase telle quelle à un imprimeur. Car, malgré le contentement qu’elle lui donnait parfois, il se rendait compte qu’elle ne collait pas tout à fait encore à la réalité et que, dans une certaine mesure, elle gardait une facilité de ton qui l’apparentait de loin, mais qui l’apparentait tout de même, à un cliché. C’était, du moins, le sens de ce qu’il disait quand on entendit des hommes courir sous les fenêtres. Rieux se leva. 

Par une belle matinée du mois de mai, une élégante amazone aux nattes soyeuses parcourait, sur une superbe jument blanche, les allées fleuries du Bois de Boulogne.

– Vous verrez ce que j’en ferai, disait Grand, et, tourné vers la fenêtre, il ajouta : « Quand tout cela sera fini. »

Au fil de la narration, le lecteur suit l’évolution de cette première phrase, toujours inachevée car continuellement modifiée mais toujours imparfaite.

« Et il revenait à sa phrase. Quelquefois, le soir, quand le travail des fiches était terminé, Rieux parlait avec Grand. Ils avaient fini par mêler Tarrou à leur conversation et Grand se confiait avec un plaisir de plus en plus évident à ses deux compagnons. Ces derniers suivaient avec intérêt le travail patient que Grand continuait au milieu de la peste. Eux aussi, finalement, y trouvaient une sorte de détente. 

« Comment va l’amazone ? » demandait souvent Tarrou. Et Grand répondait invariablement : « Elle trotte, elle trotte », avec un sourire difficile. Un soir, Grand dit qu’il avait définitivement abandonné l’adjectif « élégante » pour son amazone et qu’il la qualifiait désormais de « svelte ». « C’est plus concret », avait-il ajouté. Une autre fois, il lut à ses deux auditeurs la première phrase ainsi modifiée : « Par une belle matinée de mai, une svelte amazone, montée sur une superbe jument alezane, parcourait les allées fleuries du Bois de Boulogne. » 

– N’est-ce pas, dit Grand, on la voit mieux et j’ai préféré : « Par une matinée de mai », parce que « mois de mai » allongeait un peu le trot. 

Il se montra ensuite fort préoccupé par l’adjectif « superbe ». Cela ne parlait pas, selon lui, et il cherchait le terme qui photographierait d’un seul coup la fastueuse jument qu’il imaginait. « Grasse » n’allait pas, c’était concret, mais un peu péjoratif. « Reluisante » l’avait tenté un moment, mais le rythme ne s’y prêtait pas. Un soir, il annonça triomphalement qu’il avait trouvé : « Une noire jument alezane. » Le noir indiquait discrètement l’élégance, toujours selon lui. 

Par une belle matinée du mois de mai, une élégante amazone tout de saumon vêtue parcourait, sur une jument à la crinière nattée, les allées fleuries du Bois de Boulogne.

– Ce n’est pas possible, dit Rieux. 

– Et pourquoi ? 

– Alezane n’indique pas la race, mais la couleur. 

– Quelle couleur ? 

– Eh bien, une couleur qui n’est pas le noir, en tout cas ! 

Grand parut très affecté. 

– Merci, disait-il, vous êtes là, heureusement. Mais vous voyez comme c’est difficile. 

– Que penseriez-vous de « somptueuse » ? dit Tarrou. Grand le regarda. Il réfléchissait :
– Oui, dit-il, oui !
Et un sourire lui venait peu à peu. 

À quelque temps de là, il avoua que le mot « fleuries » l’embarrassait. Comme il n’avait jamais connu qu’Oran et Montélimar, il demandait quelquefois à ses amis des indications sur la façon dont les allées du Bois étaient fleuries. À proprement parler, elles n’avaient jamais donné l’impression de l’être à Rieux ou à Tarrou, mais la conviction de l’employé les ébranlait. Il s’étonnait de leur incertitude. « Il n’y a que les artistes qui sachent regarder. » Mais le docteur le trouva une fois dans une grande excitation. Il avait remplacé « fleuries » par « pleines de fleurs ». Il se frottait les mains. « Enfin on les voit, on les sent. Chapeau bas, messieurs ! » Il lut triomphalement la phrase : « Par une belle matinée de mai, une svelte amazone montée sur une somptueuse jument alezane parcourait les allées pleines de fleurs du Bois de Boulogne. » Mais, lus à haute voix, les trois génitifs qui terminaient la phrase résonnèrent fâcheusement et Grand bégaya un peu. Il s’assit, l’air accablé. Puis il demanda au docteur la permission de partir. Il avait besoin de réfléchir un peu. » 

Par une splendide matinée du mois de mai, une élégante amazone parcourait, sur une jument à moitié peinte, les allées du Bois de Boulogne.

Grand est obnubilé par son idée fixe de la phrase parfaite, un idéal littéraire aussi ridicule que louable. Il en vient à négliger sa tâche administrative, ce qui lui vaut des remontrances qu’il accepte. Grand ne montre de ce côté-là aucun signe de psychose ou de sentiment de persécution. D’ailleurs sa relation à autrui n’est nullement altérée et il entretient avec Rieux et Tarrou une certaine complicité qui se traduit par des clins d’oeil. Seul son rendez-vous quotidien avec son travail fait obstacle à une vie sociale plus active mais ce n’est qu’un épiphénomène. Grand n’est pas touché au niveau de la communication: s’il n’arrive pas à écrire à son épouse comme on le verra, c’est sur un autre plan que porte son trouble. 

« C’est à cette époque, on l’apprit par la suite, qu’il donna au bureau des signes de distraction qui furent jugés regrettables à un moment où la mairie devait faire face, avec un personnel diminué, à des obligations écrasantes. Son service en souffrit et le chef de bureau le lui reprocha sévèrement en lui rappelant qu’il était payé pour accomplir un travail que, précisément, il n’accomplissait pas. « Il paraît, avait dit le chef de bureau, que vous faites du service volontaire dans les formations sanitaires, en dehors de votre travail. Ça ne me regarde pas. Mais ce qui me regarde, c’est votre travail. Et la première façon de vous rendre utile dans ces terribles circonstances, c’est de bien faire votre travail. Ou sinon, le reste ne sert à rien. » 

– Il a raison, dit Grand à Rieux. 

Par une matinée du mois de mai, une amazone dépressive parcourait, sur une jument fraichement cirée, les allées du Bois de Boulogne.

– Oui, il a raison, approuva le docteur. 

– Mais je suis distrait et je ne sais pas comment sortir de la fin de ma phrase. 

Il avait pensé à supprimer « de Boulogne », estimant que tout le monde comprendrait. Mais alors la phrase avait l’air de rattacher à « fleurs » ce qui, en fait, se reliait à « allées ». Il avait envisagé aussi la possibilité d’écrire : « Les allées du Bois pleines de fleurs. » Mais la situation de « Bois » entre un substantif et un qualificatif qu’il séparait arbitrairement lui était une épine dans la chair. Certains soirs, il est bien vrai qu’il avait l’air encore plus fatigué que Rieux. 

Oui, il était fatigué par cette recherche qui l’absorbait tout entier, mais il n’en continuait pas moins à faire les additions et les statistiques dont avaient besoin les formations sanitaires. Patiemment, tous les soirs, il mettait des fiches au clair, il les accompagnait de courbes et il s’évertuait lentement à présenter des états aussi précis que possible. Assez souvent, il allait rejoindre Rieux dans l’un des hôpitaux et lui demandait une table dans quelque bureau ou infirmerie. Il s’y installait avec ses papiers, exactement comme il s’installait à sa table de la mairie, et dans l’air épaissi par les désinfectants et par la maladie elle- même, il agitait ses feuilles pour en faire sécher l’encre. Il essayait honnêtement alors de ne plus penser à son amazone et de faire seulement ce qu’il fallait. » 

Camus nous décrit là un ressassement en détail. Enfin finit par advenir la révélation du secret qui taraude l’employé municipal.

Par une belle matinée d’avril, une amazone à la taille de guêpe parcourait, sur une jument au torticolis persistant, les allées fleuries du Bois de Boulogne.

« Et pour la première fois depuis que Rieux le connaissait, il se mit à parler d’abondance. Bien qu’il cherchât encore ses mots, il réussissait presque toujours à les trouver comme si, depuis longtemps, il avait pensé à ce qu’il était en train de dire. 

Il s’était marié fort jeune avec une jeune fille pauvre de son voisinage. C’était même pour se marier qu’il avait interrompu ses études et pris un emploi. Ni Jeanne ni lui ne sortaient jamais de leur quartier. Il allait la voir chez elle, et les parents de Jeanne riaient un peu de ce prétendant silencieux et maladroit. Le père était cheminot. Quand il était de repos, on le voyait toujours assis dans un coin, près de la fenêtre, pensif, regardant le mouvement de la rue, ses mains énormes à plat sur les cuisses. La mère était toujours au ménage, Jeanne l’aidait. Elle était si menue que Grand ne pouvait la voir traverser une rue sans être angoissé. Les véhicules lui paraissaient alors démesurés. Un jour, devant une boutique de Noël, Jeanne, qui regardait la vitrine avec émerveillement, s’était renversée vers lui en disant : « Que c’est beau ! » Il lui avait serré le poignet. C’est ainsi que le mariage avait été décidé. 

Par une soirée de juin, une amazone à la fesse bien calée parcourait, sur une jument flambant neuve, les allées du Bois de Boulogne.

Le reste de l’histoire, selon Grand, était très simple. Il en est ainsi pour tout le monde : on se marie, on aime encore un peu, on travaille. On travaille tant qu’on en oublie d’aimer. Jeanne aussi travaillait, puisque les promesses du chef de bureau n’avaient pas été tenues. Ici, il fallait un peu d’imagination pour comprendre ce que voulait dire Grand. La fatigue aidant, il s’était laissé aller, il s’était tu de plus en plus et il n’avait pas soutenu sa jeune femme dans l’idée qu’elle était aimée. Un homme qui travaille, la pauvreté, l’avenir lentement fermé, le silence des soirs autour de la table, il n’y a pas de place pour la passion dans un tel univers. Probablement, Jeanne avait souffert. Elle était restée cependant : il arrive qu’on souffre longtemps sans le savoir. Les années avaient passé. Plus tard, elle était partie. Bien entendu, elle n’était pas partie seule. « Je t’ai bien aimé, mais maintenant je suis fatiguée… Je ne suis pas heureuse de partir, mais on n’a pas besoin d’être heureux pour recommencer. » C’est, en gros, ce qu’elle lui avait écrit. 

Joseph Grand à son tour avait souffert. Il aurait pu recommencer, comme le lui fit remarquer Rieux. Mais voilà, il n’avait pas la foi. 

Simplement, il pensait toujours à elle. Ce qu’il aurait voulu, c’est lui écrire une lettre pour se justifier. « Mais c’est difficile, disait-il. Il y a longtemps que j’y pense. Tant que nous nous sommes aimés, nous nous sommes compris sans paroles. Mais on ne s’aime pas toujours. À un moment donné, j’aurais dû trouver les mots qui l’auraient retenue, mais je n’ai pas pu. » Grand se mouchait dans une sorte de serviette à carreaux. Puis il s’essuyait les moustaches. Rieux le regardait. 

–Excusez-moi, docteur, dit le vieux, mais, comment dire ?… J’ai confiance en vous. Avec vous, je peux parler. Alors, ça me donne de l’émotion. 

Par une belle matinée d’avril finalement…

Visiblement, Grand était à mille lieues de la peste. » 

Une fois encore, ce sont les mots qui lui ont manqué, et si les mots ne sont pas venus, c’est parce que la censure a eu raison de sa passion qui a été refoulée. Cette confession à son ami médecin ne sera pas suffisante et Grand va littéralement craquer sous l’assaut de la peste et du retour violent d’un souvenir qu’il tente en vain, sinon d’oublier, du moins de contrôler. 

Nous faisons l’hypothèse que le départ de Jeanne a plongé Grand dans une angoisse profonde et douloureuse à laquelle il tente d’échapper par la routine professionnelle et son activité rédactionnelle ritualisée. En termes plus triviaux, je dirais qu’il s’est blindé de l’intérieur contre ses propres sentiments: il lui est impossible de s’avouer que son départ a été traumatique. Il aimait sa femme, l’aime sans doute encore, mais a refoulé cette envie de la retenir et de la garder. Il a reporté sur le compte du prétexte des mots difficiles à trouver son incapacité à l’empêcher de partir ou à aller la chercher, à lui faire une démonstration amoureuse et prendre une initiative de reconquête car s’il peut lui écrire, il sait où la trouver. L’impossibilité à trouver les mots justes pour parler à sa femme est un paravent derrière lequel s’abrite Grand qui est dans l’incapacité d’exprimer son désir et ses émotions. Les mots sont une excuse qui fait écran: c’est le Gage qui se sclérose et ne permet pas à la pulsion de trouver une issue sinon sous la forme d’une phrase constamment remodelée, l’équivalent d’un symptôme obsessionnel. Venons-en au contenu même de cette dernière. 

Humbert Humbert, le coureur de nymphettes, à la fois pédophile et névrosé, naquit sous la plume de Nabokov qui conchiait allègrement la psychanalyse. Pourtant le narrateur de Lolita offre un cas tout à fait intéressant de culpabilité et d’obsession.

« À midi, heure glacée, Rieux, sorti de la voiture, regardait de loin Grand, presque collé contre une vitrine, pleine de jouets grossièrement sculptés dans le bois. Sur le visage du vieux fonctionnaire, des larmes coulaient sans interruption. Et ces larmes bouleversèrent Rieux parce qu’il les comprenait et qu’il les sentait aussi au creux de sa gorge. Il se souvenait lui aussi des fiançailles du malheureux, devant une boutique de Noël, et de Jeanne renversée vers lui pour dire qu’elle était contente. Du fond d’années lointaines, au cœur même de cette folie, la voix fraîche de Jeanne revenait vers Grand, cela était sûr. Rieux savait ce que pensait à cette minute le vieil homme qui pleurait, et il le pensait comme lui, que ce monde sans amour était comme un monde mort et qu’il vient toujours une heure où on se lasse des prisons, du travail et du courage pour réclamer le visage d’un être et le cœur émerveillé de la tendresse. 

Mais l’autre l’aperçut dans la glace. Sans cesser de pleurer, il se retourna et s’adossa à la vitrine pour le regarder venir. 

– Ah ! docteur, ah ! docteur, faisait-il. 

Rieux hochait la tête pour l’approuver, incapable de parler. Cette détresse était la sienne et ce qui lui tordait le cœur à ce moment était l’immense colère qui vient à l’homme devant la douleur que tous les hommes partagent. 

Contrairement à Joseph Grand, Humbert Humbert a su trouver les mots justes pour séduire la mère de l’inavouable objet de son désir.

– Oui, Grand, dit-il. 

– Je voudrais avoir le temps de lui écrire une lettre. Pour qu’elle sache… et pour qu’elle puisse être heureuse sans remords… 

Avec une sorte de violence, Rieux fit avancer Grand. L’autre continuait, se laissant presque traîner, balbutiant des bouts de phrase. 

– Il y a trop longtemps que ça dure. On a envie de se laisser aller, c’est forcé. Ah ! docteur ! J’ai l’air tranquille, comme ça. Mais il m’a toujours fallu un énorme effort pour être seulement normal. Alors maintenant, c’est encore trop. 

Grand est donc en pleine crise de décompensation et celle-ci va se combiner avec un accès de fièvre dû à la peste.

Il s’arrêta, tremblant de tous ses membres et les yeux fous. Rieux lui prit la main. Elle brûlait. 

– Il faut rentrer. 

Dans la nouvelle adaptation de La Peste à l’écran, Frédéric Pierrot, le Dr Dayan d’En Thérapie sera le Dr Rieux auquel Joseph Grand se confie. Mais pas sûr que ce dernier gardera toute sa place dans cette version d’anticipation.

Mais Grand lui échappa et courut quelques pas, puis il s’arrêta, écarta les bras et se mit à osciller d’avant en arrière. Il tourna sur lui-même et tomba sur le trottoir glacé, le visage sali par des larmes qui continuaient de couler. Les passants regardaient de loin, arrêtés brusquement, n’osant plus avancer. Il fallut que Rieux prît le vieil homme dans ses bras. 

Dans son lit maintenant, Grand étouffait : les poumons étaient pris. Rieux réfléchissait. L’employé n’avait pas de famille. À quoi bon le transporter ? Il serait seul, avec Tarrou, à le soigner… 

Grand était enfoncé au creux de son oreiller, la peau verdie et l’œil éteint. Il regardait fixement un maigre feu que Tarrou allumait dans la cheminée avec les débris d’une caisse. « Ça va mal », disait-il. Et du fond de ses poumons en flammes sortait un bizarre crépitement qui accompagnait tout ce qu’il disait. Rieux lui recommanda de se taire et dit qu’il allait revenir. Un bizarre sourire vint au malade et, avec lui, une sorte de tendresse lui monta au visage. Il cligna de l’œil avec effort. « Si j’en sors, chapeau bas, docteur ! » Mais tout de suite après, il tomba dans la prostration. 

Quelques heures après, Rieux et Tarrou retrouvèrent le malade, à demi dressé dans son lit, et Rieux fut effrayé de lire sur son visage les progrès du mal qui le brûlait. Mais il semblait plus lucide et, tout de suite, d’une voix étrangement creuse, il les pria de lui apporter le manuscrit qu’il avait mis dans un tiroir. Tarrou lui donna les feuilles qu’il serra contre lui, sans les regarder, pour les tendre ensuite au docteur, l’invitant du geste à les lire. 

C’était un court manuscrit d’une cinquantaine de pages. Le docteur le feuilleta et comprit que toutes ces feuilles ne portaient que la même phrase indéfiniment recopiée, remaniée, enrichie ou appauvrie. Sans arrêt, le mois de mai, l’amazone et les allées du Bois se confrontaient et se disposaient de façons diverses. L’ouvrage comportait aussi des explications, parfois démesurément longues, et des variantes. Mais à la fin de la dernière page, une main appliquée avait seulement écrit, d’une encre fraîche : « Ma bien chère Jeanne, c’est aujourd’hui Noël… » Au-dessus, soigneusement calligraphiée, figurait la dernière version de la phrase. « Lisez », disait Grand. Et Rieux lut. 

Dans son délire, Joseph Grand décida de fleurir la jument alezane pour ne pas s’emmerder avec le printemps.

« Par une belle matinée de mai, une svelte amazone, montée sur une somptueuse jument alezane, parcourait, au milieu des fleurs, les allées du Bois… » 

Tout ça pour ça, serait-on tenté de dire. La disproportion entre le temps consacré par Grand à la rédaction et la minceur du résultat peut être mise en perspective avec l’absurdité des vérifications interminables et des rangements jamais achevés chez les névrosés plus typiques. L’effort produit n’obtient nullement le mérite qu’il serait en droit d’attendre. Mais Grand s’est fixé un idéal et l’essence de l’idéal, c’est l’inaccessibilité. Néanmoins, si on s’en tient aux propositions de Jacques Schotte, le dénigrement et cette soudaine volonté de brûler son manuscrit, relèverait de l’hystérie, comme pourrait également être interprété l’effondrement nerveux de Grand. Nous ne trancherons pas ici. D’ailleurs n’oublions pas que Grand est un être de papier, vraisemblable mais né de l’imagination de Camus qui ne prête aucune prétention clinique au docteur Rieux.  

– Est-ce cela ? dit le vieux d’une voix de fièvre. Rieux ne leva pas les yeux sur lui. 

– Ah ! dit l’autre en s’agitant, je sais bien. Belle, belle ce n’est pas le mot juste. 

Rieux lui prit la main sur la couverture.
– Laissez, docteur. Je n’aurai pas le temps…
Sa poitrine se soulevait avec peine et il cria tout d’un coup : – Brûlez-le ! 

Le docteur hésita, mais Grand répéta son ordre avec un accent si terrible et une telle souffrance dans la voix, que Rieux jeta les feuilles dans le feu presque éteint. La pièce s’illumina rapidement et une chaleur brève la réchauffa. Quand le docteur revint vers le malade, celui-ci avait le dos tourné et sa face touchait presque au mur. Tarrou regardait par la fenêtre, comme étranger à la scène. Après avoir injecté le sérum, Rieux dit à son ami que Grand ne passerait pas la nuit, et Tarrou se proposa pour rester. Le docteur accepta. 

Toute la nuit, l’idée que Grand allait mourir le poursuivit. Mais le lendemain matin, Rieux trouva Grand assis sur son lit, parlant avec Tarrou. La fièvre avait disparu. Il ne restait que les signes d’un épuisement général. » 

Grand s’en sort donc. On se prend même à espérer qu’avec l’incinération de son manuscrit, il est passé à autre chose par une sorte de purge émotionnelle. Mais non!

« Grand et le docteur partirent dans le crépuscule finissant. Comme si l’événement avait secoué la torpeur où s’endormait le quartier, des rues écartées s’emplissaient à nouveau du bourdonnement d’une foule en liesse. Au pied de la maison, Grand dit au revoir au docteur. Il allait travailler. Mais au moment de monter, il lui dit qu’il avait écrit à Jeanne et que, maintenant, il était content. Et puis, il avait recommencé sa phrase : « J’ai supprimé, dit-il, tous les adjectifs. » 

Et avec un sourire malin, il enleva son chapeau dans un salut cérémonieux. 

Grand a donc résolu une petite partie de son problème: la lettre à sa femme semble l’avoir apaisé. Quelque chose parait s’être débloqué à ce niveau mais la phrase idéale reste sur le métier et l’obsessionnel est même revenu en arrière, en bas de la pente un peu comme Sisyphe et son rocher: Par une matinée de mai, une amazone sur une jument parcourait les allées du Bois de Boulogne. Littérairement et même avec les adjectif, ça ne casse pas trois pattes à un canard. Par une belle matinée de mai, une svelte amazone, montée sur une somptueuse jument alezane, parcourait, au milieu des fleurs, les allées du Bois de Boulogne. Son projet de phrase parfaite n’aboutira jamais mais Grand ne semble pas s’en inquiéter. Cette proposition qui est en parfait contraste avec son auteur traduit d’une manière symbolique une aspiration profonde. 

Avec l’aimable autorisation des ayants droit de Théodore Géricault

Sans faire d’interprétation à la petite semaine disons qu’en dehors de la cavalière, l’amazone, c’est la femme qui se passe de l’homme comme la femme de Grand qui l’a quitté. Le cheval symbolise souvent une envie puissante. La jument (somptueuse dans la pénultième version) est-elle cette pulsion puissante au féminin? Ou plus simplement dressée, réfrénée? Le mois de mai correspond à l’explosion floral de la nature, une montée en puissance. Quand au Bois de Boulogne, c’est la nature en ville, la forêt à deux pas de Paris. Tout porte donc à voir dans cette image ambigüe qui obsède Grand un mélange de désir et de pureté, de nature et de civilisation, d’animal et d’humain. Tout semble y être sous contrôle à l’image de Grand lui-même qui a tout de même avoué dans son délire combien, sous son air tranquille, il lui avait fallu un énorme effort pour être seulement normal. 

Si Grand peaufine cette même phrase sans s’en lasser, c’est sans doute parce que ses pulsions envers sa femme trouve dans cette rédaction sempiternellement reconduite un exutoire satisfaisant. En nourrissant le symptôme, il entretient son mal et en tire peut-être un plaisir d’un ordre éthique (un mérite?) qui rend malgré tout son existence supportable. 

Il faut imaginer Sisyphe heureux. C’est pas facile mais faut se forcer un peu pour faire plaisir à Albert.

Il faudrait également s’interroger sur la reconduction du manque dans le mythe de Sisyphe et la signification axiologique de cet effort jamais récompensé. Selon Camus, il faut imaginer Sisyphe heureux: Grand apparait comme « pas mécontent » au final de cet inaboutissement. Certes, il ne parvient même pas à boucler la première phrase de son histoire mais son sourire malin pourrait bien être l’expression d’un certain contentement: en quittant Rieux, il a repris le contrôle de son existence, sa névrose a repris son cours, ce que Camus exprime assez subtilement par il enleva son chapeau dans un salut cérémonieux, comme si le ritualisme de l’obsessionnel était de retour. Il faut donc envisager Joseph Grand stabilisé.

Mais cela reste de la littérature. A la revoyure!