N28 – Obsessionnel à bien des égards

A la lueur du grand ménage de printemps lexical de Pleitinx (N27), nous allons dans ce chapitre rapidement reformuler la névrose obsessionnelle avec un vocabulaire plus éclairant.

Les troubles de la Norme – N28

En tant que trouble taxinomique du #Réglementant, la névrose obsessionnelle se définit par la perte (totale ou partielle) de la capacité à identifier les Égards. Ces identités timologiques naissent d’une différenciation de ce qui vaut d’être pris en compte et se définissent uniquement les unes par rapport aux autres. Comme les traits distinctifs ou les sèmes en glossologie, ce ne sont pas des entités positives avec un contenu stable et défini mais des valeurs interdépendantes issues de la négation du prix à payer, ce que l’animal (et la partie bestiale qui demeure en nous) consent à céder pour obtenir plus ou mieux. Les critères timologiques ne sont donc pas déterminés une fois pour toutes mais résultent d’une abstraction vis à vis du projet sacrifié au profit d’un bien supérieur.

Autrement dit, alors que le sacrifice d’un bien b mineur pour obtenir un bien B majeur se fait en bloc (c’est de l’ordre du tout ou rien), l’analyse normative s’abstrait du premier (on verra pus tard pour le second) pour se diversifier en critères et le choix s’opère sur la promotion ou la prohibition de tel ou tel. Si l’abandon de b pour obtenir B est vite vu, la sélection de ce qui vaut d’être pris en compte pour une automobile est une tout autre affaire. La longueur, la hauteur, la largeur, la puissance, la consommation, le confort, la sécurité, la robustesse, la finition, l’esthétique, le prix, l’empreinte carbone, la marque, le lieu de fabrication… la liste est longue et le magazine Que choisir? est là pour épargner aux Français hésitants les affres de la décision à l’aveugle.

Le sas normatif

Qu’est-ce que vous entendez pas sar normatif? Pardon… par sas normatif?

Ce crible éthique (je le conçois, ça peut paraître étrange pour parler de bagnole mais ça s’applique à tous les domaines de la vie quotidienne, privée ou publique) morcelle la décision en parcellisant les points sur lesquels on se prononcera favorablement ou non. La rationalité voudrait que le choix final s’effectue du côté de la balance favorable. Or il peut arriver qu’un seul critère soit retenu et que ce soit lui qui emporte la décision. Le prix par exemple peut être un facteur déterminant. Les écolos seront plus regardants sur l’empreinte carbone. Les patriotes achèteront français. Les droits-de-l’hommistes s’assureront qu’aucun enfant n’aura eu à travailler pour la confection d’une quelconque partie du véhicule.

Choisir…

Lorsqu’un choix important se présente à certains d’entre nous, ils décident de dresser une liste afin de peser le pour et le contre en opposant les avantages aux inconvénients. En fait, il s’agit d’une actualisation sélection de paramètres virtuels, que nous appelons ici les Égards, pour lesquels on se montre favorable ou pas. Retenu en situation, le paramètre est un avantage. Prohibé, c’est un inconvénient. Dans le cas d’une pensée inopportune et dérangeante, elle est refoulée alors que l’idée agréable sera promue.

Choisir…

Si ce chapitre fait à nouveau largement référence à Pleitinx, mon inspiration doit également beaucoup à « Ça casse mais pas n’importe comment » de Jean-Claude Schotte qui présente les troubles autolytiques de la Norme avec de l’élégance dans l’expression et une pointe d’humour. « La catastrophe fantasmée qui l’engage (l’obsessionnel) dans une correction qui n’aboutit pas, a un nom : c’est l’obsession. » Schotte attribue donc à un éternel retour du refoulé les images obsédantes et dérangeantes qui hantent le malade comme la conséquence catastrophique d’Attentions insuffisantes au moindre de ses actes. Sauf que pour parer à cette effroyable calamité qui menace à la manière d’un orage qui se ferait attendre, l’obsessionnel fait un peu n’importe quoi et n’agit guère efficacement pour prévenir l’hypothétique désastre.

– Vous êtes bien sûr que je n’ai écrasé personne en garant la voiture?

Le névrosé obsessionnel a perdu la capacité de faire « la part des choses », de peser de manière équilibrée, par défaut d’analyse en Égards. A la manière de l’aphasique de Wernicke souffrant d’un déficit de l’identification et de la sélection, l’obsessionnel hésite entre des valeurs qu’il ne distingue plus clairement (ambitendance), se résout à choisir malgré tout, au risque de se rétracter et finit parfois par refuser le choix lui-même. Par défaut d’Égards, l’obsessionnel se perd dans le Principe, la catégorie des identités timologiques qui ne se distinguent plus nettement et peuvent se substituer les unes aux autres sans que le patient n’arrive de lui-même à se fixer sur l’une d’elles et sans qu’une frontière dans le Réglementé ne soit franchie pour probation. Si vous hésitez toujours devant la multitude des parfums chez le glacier, ce n’est pas parce que vous ne pouvez pas gustativement faire la différence entre chocolat, praline ou stracciatella mais parce que vous n’arrivez pas à vous décider pour l’une ou l’autre et c’est justement pour vous qu’on a inventé le cornet trois boules où tout se mélange jusqu’à l’écœurement.

Monk ou l’art de boutonner sa chemise jusqu’en haut… un sujet de prise de tête qui peut se résoudre par une prise d’anxiolytique pour un effet assez rapide. En revanche pour un traitement de fond, il faudra plutôt envisager des antidépresseurs et opter pour des tee-shirts jetables.

Le simple fait de quitter son domicile représente pour le névrosé obsessionnel une décision si importante qu’il va se perdre en vérifications compulsives à répétition pour obtenir l’apaisement du quitus. Au lieu d’être résolue une bonne fois pour toutes, la question de savoir si oui ou non, il ou elle a fermé le gaz et éteint la lumière dans toutes les pièces, revient de manière insistante. Il est insignifiant que ses chaussures soient parfaitement alignées ou tous ses cadres bien droits lorsqu’il ou elle s’absente. Pourtant l’obsession va rendre compulsifs et incontournables ces détails à vérifier, au même titre que le coup de clef dans la serrure. Sa tranquillité d’esprit s’achète à grand renfort de vérifications plus ou moins motivées : mais c’est le propre de la perte du Principe en tant que classification des Égards de rendre impossible la hiérarchie des priorités dans le Régime, ce qui permettrait de procéder dans l’Ordre.

Si vous êtes l’auteur de ces photos, contactez-nous…

Nous postulons qu’alors que, comme le paradigme, le Principe ne hiérarchise pas les Égards, le Régime opère un classement du majeur vers le mineur aux niveaux des Exigences comme c’est le cas dans le champ lexical avec les vocables. Un déficit de classement dans le Régime se traduirait dans la névrose obsessionnelle par une incapacité à distinguer le futile du primordial, le détail de l’essentiel, voire l’accident du phénomène (pourquoi ranger ses affaires symétriquement pour éviter qu’il n’arrive malheur à un proche aimé?). D’où la fixette sur un aspect négligeable, le jamais-assez, la traque de la petite bête, la quête incessante de la perfection, la précision extrême et non-pertinente, la scrupulosité maladive et la méticulosité obstinée. Bref l’obsessionnel s’égare en considérations sans importance et répétées, à tel point qu’il ne vient jamais à bout de ce qu’il entreprend et ne cède qu’avec regret à la nécessité des circonstances pour ne lâcher prise (au sens fort du terme) que lorsque il ne peut plus faire autrement.

La maman d’Amélie Poulain range son sac comme son mari ordonne sa caisse à outils. Un rituel systématique auquel nous sommes quelques-uns à nous livrer en cachette. Contact en MP.

De même, le modèle nous pousse à postuler que le névrosé se montrera incapable de maintenir un même Égard sur une pluralité de Mesures, c’est à dire de générer du Protocole et donc de l’Ordre au sens d’un ensemble de Directives sur lesquelles pèseraient la même Exigence, une lacune qui l’empêcherait d’avoir une vue d’ensemble des commandements et le condamnerait à une performance timétique en grande partie incohérente, autrement dit à une juxtaposition de TOCs et de tics dépourvus d’exigence morale commune. Au lieu de privilégier les Directives les plus urgentes pour se donner un plan d’action, le névrosé jettera son dévolu sur des points de détail sur lesquels il se montrera intraitable alors que la situation exigerait qu’on pare au plus pressé : tel Guillaume de Baskerville essayant de sauver quelques manuscrits de l’incendie de la bibliothèque alors que sa propre vie est menacée ou Adolf Hitler obsédé par la prise de Stalingrad à tout prix alors que s’imposait stratégiquement et plus au sud la conquête des puits de pétrole de l’Azerbaïdjan. Le principe d’Ordre permet d’identifier les priorités auxquelles sont subordonnées les mesures secondaires alors que le Régime classe les Exigences de la plus impérieux à la plus facultative, de l’impératif à l’option.

Tics et tocs tactiques

Dans The Road Within, Alex n’est pas allergique au latex. C’est déjà ça…

Parce qu’ils sont rituels, les tics et les tocs (que nous avons définis comme des rituels impérieux plus spectaculaires que les tics) du névrosé sont des tactiques pour désamorcer l’angoisse que provoque un choix toujours délicat. L’arithmomanie consiste par exemple à opérer un comptage ou des calculs mentaux en subvocal (entre le murmure et la voix intérieure) face à une alternative qui provoque une angoisse. Dans certains cas, il peut s’agir de listes de mots ou de séries d’images, d’une litanie conjuratoire. L’absurdité du rituel ne saute pas toujours aux yeux de l’observateur car l’obsessionnel cherche souvent à masquer son trouble qui ne se révèle que ponctuellement. C’est l’exemple bien connu et caricatural de la démarche à la con de celui ou celle qui refuse de marcher sur les lignes du trottoir (ou au contraire qui s’oblige à le faire), non par jeu, mais pour « éviter » qu’il n’arrive une calamité.

Isaac Davis constitue l’un des plus beau spécimen de névrose obsessionnelle du XXème siècle et un client exceptionnel pour son analyste.

En se servant de tout ce qui légal et réglementé dans la situation, l’obsessionnel peut déplacer sur autrui le poids de la décision et se décharger d’une responsabilité anxiogène pour lui. L’obsessionnel qui hésite à sortir s’en remet à la décision de ces amis : s’ils sortent, il fera de même. S’il a une décision « inconfortable » à prendre, il fait de l’avis de son référent une approbation.

– Me tirer une balle dans le pied… certes… mais lequel? Et pourquoi le mien?

C’est également le contributeur qui attend toujours la dernière minute pour envoyer sa copie à la rédaction et qui, alors que son texte est prêt, lu et relu dix fois, apprenant que le bouclage est finalement reporté, annonce qu’il envoie son article et par un acte manqué totalement improbable, « oublie » de finaliser son envoi jusqu’à ce qu’on lui rappelle un peu plus tard qu’il n’a pas fait parvenir son mail qui est resté dans les brouillons alors qu’il est lui-même parti faire tout autre chose avec la conscience tranquille du devoir accompli.

La timidité n’a-t-elle point sa source dans la névrose?

La rédaction de listes de tâches à accomplir est un bon anxiolytique sauf que les plus atteints des névrosés risquent bien d’y ajouter des choses à faire. C’est pourquoi le rythme soutenu de l’arithmomanie mentale ne laisse pas d’interstice à l’ajout. Ce recours à la liste vient, nous semble-t-il, de la compensation par la Mesure de la perte de l’Égard : celle-ci est rappelons-le, la capacité d’intégrer plusieurs identités timologiques dans une unité. La liste en est la matérialisation performantielle mais elle est inutile si elle n’est pas ordonnée et surtout si elle est continuellement reconduite et recopiée comme c’est souvent le cas chez les névrosés qui éprouvent un apaisement momentanée à la retranscrire au propre sans pour autant en avoir supprimé les items toujours en suspens.

On peut sans doute rapprocher cette persistance à lister du syndrome de Diogène, en tout cas sous son aspect syllogomaniaque de collection. En effet, la saleté que peut entraîner le stockage de ce dont on devrait se séparer ne cadre pas avec la propension hygiéniste de certains obsessionnels. Mais la tendance à vouloir tout garder (journaux, objets…) pour le cas où une information ou un artefact pourrait être nécessaire afin d’éviter une catastrophe paraît analogiquement assimilable à l’accumulation obsessionnelle des garanties sanitaires ou opératoires.

Dans le film « L’odrdre des choses », Marlen, prothésiste dentaire, est devenue une collectionneuse boulimique : du sol au plafond, son appartement est envahi par un impressionnant bric-à-brac tant chaque livre, bout de tissu ou objet lui paraît trop précieux pour être jeté. Son capharnaüm est tel qu’elle interdit à quiconque l’accès à son antre. 
– Non, désolé, je ne me séparerai pas du portrait de ma psy…

A défaut d’Égards, le Diogène est un collecteur sans Exigences précises qui agit dans le désordre alors que le collectionneur, sans doute lui aussi névrosé mais moins touché, est un maniaque de l’ordre et du classement. Amasser n’est pas collectionner : dans le premier cas, il n’y a pas vraiment de priorité, tout se vaut, alors que le Régime du collectionneur relève d’une échelle très hiérarchisée des valeurs et qu’un principe d’Ordre permet de les coordonner ou de les subordonner. Le collectionneur retrouve rapidement ce que le Diogène met des plombes à dénicher. Le premier s’enferme méticuleusement dans sa spécialité quand le second conserve le tout venant dans le plus grand désordre. Il nous semble néanmoins que les deux participent d’une névrose obsessionnelle mais que l’un se retranche dans une collecte rigoureuse excluant d’emblée ce qui ne répond pas aux critères quand l’autre ne se sépare de rien sinon dans la souffrance. Là où le Diogène ne peut choisir ce dont il doit se séparer et garde tout, le collectionneur a arrêté les critères de sa sélection et n’en démord pas : n’a d’intérêt que ce qu’il s’est fixé comme Exigences. Cela dit, il existe des multi-collectionneurs. Mais la tendance chez eux est à la spécialisation et à substituer une collection à l’autre.

L’emmerdeur patenté et l’éternel recalé

L’emmerdeur pas tentant…

S’il a des tendances autoritaires, la rigidité psychologique de l’obsessionnel peut tourner à l’entêtement systématique et être socialement insupportable pour son entourage. Mais ce n’est là qu’un épiphénomène social d’un trouble de la Norme. Nous faisons d’ailleurs l’hypothèse qu’en cas d’opposition, l’obsessionnel peut tout aussi bien tout laisser tomber et se délester subitement et intégralement de sa mission (la décompensation est une démission) sur ceux qui offrent une résistance à sa manière de faire. Il faudra toutefois distinguer cette façon de rendre la tâche ardue de la propension à faire foirer l’entreprise de l’hystérique comme nous le verrons plus loin.

Tess d’Uberville et Angel Clare : quand la névrose de l’un signe le malheur de l’autre…

Le névrosé ne se met pas volontairement des bâtons dans les roues comme on pourrait le penser : il ne s’empêche pas à proprement parler de mener à bien sa tâche mais se montre incapable de faire autrement que de s’éparpiller dans les Égards, de mal évaluer les priorités, de bégayer en cherchant le mot juste, de trébucher sur un obstacle invisible et perdre le fil de l’indispensable. L’échec n’est pas le but de l’obsessionnel mais un résultat par défaut : il n’en tire aucune satisfaction.

Le Prisonnier de Patrick Mc Goohan mériterait à lui seul un chapitre : n’est-il pas en effet captif de son incapacité à estimer sa propre valeur? Où le feuilleton ne raconte-t-il pas les tribulations d’une société en but à ses propres troubles de la Norme?

Cela peut paraître incompatible avec la psychorigidité du comportement obsessionnel et c’est là que la théorie de la médiation apporte du nouveau avec la biaxialité et le phénomène de compensation invasive. Autrement dit, l’obsessionnel s’appuie abusivement sur la capacité timologique qui lui reste, à savoir la Mesure, jusqu’à développer un Protocole, c’est-à-dire une séries de Mesures qui, d’ordinaire, s’articulent autour d’un Égard identique, mais qui, chez le névrosé, ne revêtent qu’un caractère de suite sclérosée sans justification normative. En d’autres termes, l’obsessionnel pointilleux accumule les précautions sans pour autant hausser, par des mesures réellement coordonnées, le niveau d’exigence final dans la phase performative. Il lui manque une vision d’ensemble de la décision pour doser les Commandements et passer l’épreuve probatoire. L’obsessionnel est un éternel recalé à l’examen dont il est pourtant l’initiateur et le jury.

Tout le reste est rature, pardon littérature. A la revoyure !