le plan du signe S23
Parce qu’elle transforme l’énoncé pour mieux l’adapter à l’observation, la science est l’opposée du mythe qui adapte l’expérience à ce qui s’en dit. Mythiquement, la déconfiture devient ainsi l’inverse de la confiture comme la défaite est le contraire de la fête. La science est toujours en reformulation quand le mythe est figé, une bonne fois pour toutes.
Si elles peuvent coexister dans le phénomène, ces deux visées sont néanmoins inconciliables : une bonne déconstruction permettra toujours de les y distinguer même si ce n’est pas toujours facile.
En revanche, les rapports avec la prosodie sont différents. Disons que plus la récurrence est prégnante (qui s’impose fortement) et étendue, plus l’énoncé tendra vers le mythe. Dit autrement, plus la contrainte prosodique s’impose, moins il est facile de reformuler scientifiquement l’énoncé. Les blocages de la variation qu’instaure la répétition sont un obstacle à un aménagement efficace des mots. Ce que j’essaye d’exprimer ici n’est déjà pas facile en prose : en vers et en rime, avec des anaphores et des parallélismes, ça prend une tournure encore plus compliquée. Si la prosodie marque les esprits, elle n’est pas pour autant l’alliée de la clarté et de la précision.
Le vers holorime réclame un tripatouillage conceptuel assez spectaculaire pour arriver à faire coller de la réalité sous ces énoncés.
« Par les bois du Djinn, où s’entasse de l’effroi,
Parle et bois du gin !… ou cent tasses de lait froid. »
Alphonse Allais
L’histoire drôle avec calembour est souvent tarabiscotée pour arriver à ses fins : faire coller la réalité à un jeu de mots.
Que dit un rappeur quand il rentre dans une fromagerie ?
Faites du brie !
La blague n’est drôle que si la chute se fait l’écho de Faites du bruit ! La variation est minime et la situation rocambolesque ne correspond qu’à une fiction inventée sur mesure, autrement dit une mise en scène métaphysique pour faire advenir la rime.
Terminons par quelques remarques sur l’analogie qui, sans surprise, a un préfixe identique à anaphore rencontrée plus tôt. En grec, ἀναλογία (analogia, composé de ἀνα, ana : « selon » ; et de λογία, logia : « ratio ») signifie proportion. Le terme désigne ainsi à l’origine une similitude ou une égalité de rapports entre des choses distinctes, selon les définitions d’Aristote et d’Euclide. Merci Wikipédia ! On comprend qu’il n’y est pas question d’expérience mais d’équilibre intra-langagier. Il s’agit en gros de combler les trous qu’occasionne cette fameuse quatrième proportionnelle dont nous avons parlée.
C’est #heuristiquementqui sert à la découverte More très intéressant, ça crée des espaces de réflexion et d’observation, ça trace des pistes à explorer. L’analogie convoque donc tour à tour les trois visées. Dans un premier temps, la prosodie engendre un vide conceptuel. Il est alors mythiquement comblé par un concept qu’il va rester à mettre en pratique scientifiquement, quitte à revenir sur sa formulation. Gagnepain a utilisé cette méthode à maintes reprises. Je m’en suis également servi pour générer des concepts en sémantique prosodique. On fait le trou, on y met du concept et on voit si ça tient : c’est du 3 en 1 !
Que conclure de tout cela ? Tout d’abord, que même en écartant tout ce qui relève de la sociologie (communication et savoir) et de l’axiologie (valeur et désir), le langage est un espace de tension dialectique entre l’expérience et le Signe, entre la Grammaire et son réaménagement, entre les trois nécessités rhétoriques. Ensuite, qu’il faut faire son deuil d’un monde prêt à être étiqueté. Enfin, que c’est un espace de liberté qui s’ouvre puisque quelque chose reste toujours à dire autrement : c’est dans le jeu que tout se joue et, parce que l’ajustement sera toujours relatif, qu’il existera toujours des failles où penser.
Tout le reste est dictature ! A la revoyure !