le plan de l’outil O2
En utilisant le principe #heuristiquequi sert à la découverte More d’analogie, Gagnepain a transposé tout le plan du Signe à celui de l’Outil. Le modèle glossologique s’applique par hypothèse et en théorie à l’#ergologieensemble des capacités techniques et par extension, étude de ces capacités. L'ergologie se distingue donc de l'ergonomie, terme plus familier, qui désigne l'adaptation d'un environnement de travail (outils, matériel, organisation…)... More. La signification est ici fabrication comme nous appellerons l’abstraction technique. L’analyse du moyen est le fabriquant et le fabriqué est celle de la fin. Vous vous rappelez peut-être que le langage crée du non-sens. Eh bien, la technique permet de produire de la non-activité. Réjouis-toi, ami fainéant! C’est du loisir qu’on fabrique ici. Le train t’épargne la marche et te permet de rester assis tout en te déplaçant à plus de 100km/heure, la ceinture t’évite de tenir ton pantalon et te laisse les mains libres, et le pêne (drôle de hasard!) garde ta porte fermée sans oublier que le livre crée du silence, que le vêtement est une maison que tu enfiles et que la photo arrête le temps.
L’#analogieTranslation conceptuelle d'un champ à un autre. L’analogie est à la base du raisonnement par induction. Tout le monde ou presque est capable de comprendre que A est à a,... More est vraiment un truc formidable. Comme on avait la phonologie et la sémiologie, le modèle de l’Outil pose la mécanologie (du grec mekhos: moyen) et la téléologie (du grec telos: fin, cause finale, ce qui provoque, le pour-quoi). De la même manière, dans la phase industrielle, on aura la mécanique et la téléotique comme on avait la phonétique et la sémantique. Ce ne sont que des étiquettes mais elles collent bien, admettez-le!
Si on pousse l’analogie, il faut retrouver la biaxialité: taxinomie et générativité. Matériau et Engin pour le fabriquant, tâche et Machine pour le fabriqué. Je ne vais pas vous cacher que ce vocabulaire, voulu par Gagnepain lui-même, ne me va qu’à moitié. A part tâche, tous ces mots ont une connotation matérielle très forte. Je n’arrive que difficilement à les arracher à leur usage trivial et à les envisager comme des entités formelles et des capacités. J’ai donc comme pour le Signe ou le Mot opté pour une majuscule initiale afin de les identifier comme concepts médiationnistes. Et je rappellerai fréquemment leur caractère structural non-substantiels.
C’est un peu lourd et lassant mais je pense qu’il est essentiel que vous ne perdiez pas de vue que l’instance, cette capacité qui nous permet de (ou nous contraint à) nous extirper de la saisie naturelle de la réalité, est sur ce plan-là aussi à l’oeuvre. C’est la condition sine qua non de redonner ses lettres de noblesse à l’activité et de montrer la complexité de l’Outil qui n’a rien à envier aux autres plans.
Avant même d’aborder le Matériau, remontons à la nature du Trajet. L’instrument qui n’est donc pas simplement un outil de circonstance associe un moyen à une fin. On aurait tendance à restreindre le moyen au matériel utilisé (le tronc dont se sert le chimpanzé pour atteindre le régime de bananes) et la fin à la chose atteinte. Or c’est le rapport entre le corps de l’animal et le matériel utilisé qui est à considérer. Et on comprend alors que Gagnepain parle de Trajet 1 et que le sous-titre de moyen ne viennent qu’ensuite. Il s’agit de dé-réifier le concept. Ce sera d’ailleurs notre principal souci au niveau du plan 2: ne pas limiter l’Outil à la chose.
De la même manière, la fin n’est pas uniquement l’objet atteint mais plus exactement l’objectif à atteindre. Dans le cas du régime de bananes, le Trajet 1 correspond à l’ascension le long du tronc et le Trajet 2 à la prise d’une banane. Le concept de Trajet recouvre donc l’action et l’objet.
De même, lorsque mon chat grimpe sur le meuble (T1) pour appuyer sur la poignée de ma chambre (T2), la fin devient le moyen de l’étape suivante: pousser la porte (T3). Il s’agit ensuite d’entrer dans la chambre, de me réveiller en grattant le store pour que je lui ouvre la fenêtre et qu’il puisse sortir sur le toit. Il enfile donc les Trajets et se montre très imaginatif. Mais on ne peut bien évidemment pas parler d’abstraction même si j’ai la certitude que cet animal a tendance à radiner quand on parle de lui même sans utiliser son nom.
L’instrument n’a qu’une réalité éphémère et son efficacité est immédiate et inéluctable. Sans efficacité, point d’instrument.
Cette précision à propos du moyen peut paraitre d’une subtilité maniaque mais elle va nous aider à aborder le Matériau plus facilement. Comme on débute en glossologie par le trait pertinent qui n’est pas du son mais du classement qualitatif de son, le Matériau n’est donc pas la seule matière première ni la chose dont s’empare l’animal: le Matériau est une identité d’utilité matérielle, la portion relative d’un pour-faire par classement du Trajet. L’analyse mécanologique fait émerger les qualités techniques exploitables de la matière, ses caractères utiles.
Notons au passage que la lumière, l’énergie et le corps humain lui-même font partie de ce réel appréhendé que nous analysons. Ce sont même des éléments très souvent mis à contribution car le Matériau est un traitement culturel de l’interaction de propriétés physiques. L’eau n’est rafraîchissante que pour un corps à température plus élevée: elle brûle lorsqu’elle bout. Elle sert alors à cuire mais étouffe le feu; le baigneur peut s’y noyer quand le poisson y respire. Encore une fois, tout est rapport entre matières et il faudra continuellement faire un effort pour ne pas réduire le Matériau à un seul côté de la relation: la fluidité de l’eau n’a de sens technique qu’en s’opposant à la main qui cherche à la contenir pour boire ou au corps qui s’y déplace en nageant. En ergologie, sa propriété physique disparait au profit de son caractère utile: le liquide incolore, inodore et sans saveur devient un pour-boire, pour-nettoyer, pour-flotter, pour-diluer ou pour-glouglouter dans le cadre de la fontaine.
La transparence, la translucidité et l’opacité n’ont pas la même utilité: elles délimitent toutes les trois du dedans/dehors mais gèrent différemment la lumière, la visibilité et l’intimité. Le verre poli servira donc pour l’aquarium, la théière et la baie vitrée; le verre dépoli sera préféré pour les portes de bureau, les lucarnes de toilettes et les globes lumineux. L’opaque préserve la vie privée qu’il soit mur ou vêtement. On comprend qu’une nuisette translucide peut être comprise comme une invitation et qu’il n’y pas plus sexy qu’un corps en ombre chinoise derrière un paravent (notre document érotico-photographique).
La ductilité de l’or (sa capacité à résister à la déformation et à l’étirement sans se casser) est une propriété physique. C’est un métal assez mou et de ce fait, pas très utile dans la boite à outils du menuisier. Il présente plus d’intérêt pour le joaillier ou l’électronicien. La réalité physique de l’or est largement négligée par l’analyse mécanologique (en Matériaux): c’est son rapport avec la chaleur et la manipulation qui est en réalité est analysée. Du coup, au niveau du Matériau ductile, plomb, pâte à modeler, beurre ou argile sont des matières qui relèvent de la même identité. Cette identité ne se conçoit qu’en opposition à la dureté. Est ductile ce qui n’est pas dur: la pâte de verre et le muscle sont donc ductiles et cela en relation avec une pression ou une manipulation. Le Matériau identifie par conséquent des matières disparates.
Le terme de matière ne doit pas faire oublier la lumière dont les propriétés sont nombreuses, avec pour commencer la visibilité qui est sans doute l’un des Matériaux les plus présents hors du royaume des aveugles: je n’utilise pas le mot essentiel parce qu’au sein de la structure, toutes les identités se valent. C’est au niveau de leurs applications que les qualités utiles de la lumière peuvent être évaluées (qu’on pense au laser!), même si la valeur relève du plan 4 et est traitée ailleurs.
Très bien. Fermons la parenthèse. Du coup, comment fixer la frontière entre mou et dur pour parler trivialement? C’est le critère d’utilité qui entre en jeu. La frontière entre deux Matériaux se justifie par une différence entre deux tâches: le quoi-faire définit le pour-faire. Est mou ce qui ne permet pas de déformer ce qui est dur. Et réciproquement, est dur ce qui laisse son empreinte dans le mou. La lame du couteau est dure parce qu’elle s’enfonce dans le beurre même lorsqu’il est « dur ».
Tout en étant relativement mou, l’ongle est dur vis à vis de la cire. Sur une échelle physique de ductibilité qui va du visqueux au solide, l’analyse technique permet de poser de la frontière selon un critère de déformation et de résistance à la pression. C’est donc le rapport de force qu’il faut considérer, pas l’élément intrinsèque. Le dur change la forme du mou: c’est la différence de tâches (former/prendre la forme) qui justifie la frontière entre le mou et le dur. Le fabriquant se justifie par le fabriqué.
Les qualités dans le fabriquant s’excluent mutuellement et par conséquent se définissent par opposition. On sait ce qu’est le gélatineux par rapport au fluide ou au compact, la saumure par rapport à l’eau salée et au sel gemme. Vous ne confondez pas le visqueux et l’élastique sans pour autant savoir où fixer la frontière. Le seul critère valable sera le caractère lubrifiant de l’un et amortissant de l’autre. Et réciproquement comme on le verra dans un prochain épisode.
Tout le reste est littérature ! A la revoyure!