P3 – Une si longue attente

Pas de culture sans nature, pas de forme sans matière, pas de personne sans sujet. Il ne suffit pas d’être pubère pour être membre de la cité, c’est-à-dire majeur, il faut que le citoyen ait dépassé la puberté. Les exemples des cérémonies qui entourent partout l’accès à la majorité sociale sont légions mais dans nos sociétés, l’adolescence tend à se prolonger.

le plan de la Personne P3

Biologiquement, l’enfant n’est pas un homme, au sens adulte du terme. Il ne commence à le devenir qu’après 10 ans chez les filles et 12 ans chez les garçons avec des durées variables, et cela se marque socialement par des rites de passage. Les sociétés traditionnelles ont mis au point des pratiques et des cérémonies bien codifiées parmi lesquelles la circoncision n’est pas des moindres mais pas forcément la plus dangereuse.

Chez les Amish, le rite de transition s’appelle  Rumspringa par lequel le jeune Amish quitte sa communauté pendant quelques mois et va vivre de façon moderne. À l’issue de cette période, le jeune doit choisir entre rester dans le monde moderne ou revenir vivre dans sa communauté. C’est plutôt cool comparé à ce qui vous attend chez les Baruyas de Nouvelle-Guinée où le rapport entre sexe, pouvoir et hiérarchie est très fort. Les jeunes garçons sont brutalement séparés du monde féminin où ils étaient élevés jusqu’alors pour être initiés aux secrets des hommes et nourris régulièrement du sperme de leurs aînés. Dans la Crète antique, l’éraste adulte enlevait l’éromène pour lui conter fleurette.

A Sparte, durant la cryptie, le candidat aurait eu à survivre seul dans la campagne. L’existence de ce rite est contesté mais il se rapproche de ce qui se pratique dans les îles Salomon en Océanie : le Maraufu consiste à apprendre l’art traditionnel de la pêche à la bonite, poisson réputé sacré. À bord d’une pirogue, l’adolescent doit pagayer pour atteindre la haute mer. Muni d’une simple canne et d’un leurre, il lui faut attraper un des poissons les plus rapides du monde : s’il revient avec le poisson sacré, il sera accueilli dans sa communauté comme un homme. On ne sait pas très bien ce qui arrive à l’ado maladroit et bredouille.

Sous nos climats actuels, certains auteurs assimilent l’épreuve du  baccalauréat à ce rite de passage. Mais d’une manière générale, l’occident a tendance à prolonger la minorité. Aux États-Unis, on est un teenager jusqu’à 19 ans, même si le permis se passe à 16 et qu’on n’a le droit d’acheter de l’alcool qu’à 21 ans. En France, on peut gagner sa vie à partir de 16 ans mais voter seulement à 18. L’allongement des études y prolonge la minorité et la dépendance financière. 

Sous l’ancien régime, la majorité était fixée à 12 ans pour les filles et 14 pour les garçons : Louis XIV justement est monté sur le trône à cet âge. Mais il semble qu’une protection particulière restait en vigueur jusqu’à 25 ans.

Nous constatons donc deux décalages temporel : le premier entre l’accès à la pensée et la puberté. L’autre entre l’accès à la reproduction et la majorité.

Grosso modo, le petit d’homme parle à 18 mois mais n’entame sa puberté qu’après 10 ans. Il devient génitalement opérationnel entre 14 et 16 ans alors que la majorité n’intervient de nos jours qu’à 18 ans dans la plupart des pays avec des exceptions à 15 et 16 ans ou à 21 ans. L’accès à ce que nous appellerons la Personne est donc tardif dans une existence en raison de la nécessaire maturité du corps et de sa condition à acculturer. Pas de forme sans matière à former, disions-nous. La reconnaissance par le corps social de l’accès à la Personne est, elle aussi, différée dans notre société alors que les rites de passage interviennent plus précocement dans les sociétés traditionnelles.

Tout le reste est littérature. A la revoyure !

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