le plan de la personne P4
Citons une fois de plus Gagnepain pour nous mettre en condition : « Notre biologie nous rassemble quand notre sociologie, au sens strict du terme, nous désolidarise, ou mieux nous dissocie. » En passant du Sujet à la Personne, nous passons des lisières naturelles (entre mâles et femelles, entre ascendants et descendants ou entre voisins) aux frontières sociologiques qui ne reposent ni sur la particularité organique ni sur le lien naturel mais les contestent dialectiquement tous les deux.
Comme dans le plan 1, la théorie de la médiation postule le moment d’abstraction du modèle de la Personne par une double nécessité : celle de l’analogie (voir La Quatrième proportionnelle en M8) et celle de l’explication des conflits sociologiques.
Je dis bien sociologiques et non sociaux parce qu’il ne s’agit pas simplement de lutte des classes ou de dissensions permanentes avec autrui mais d’un conflit qui se joue à l’intérieur même de l’homme et pas uniquement de manière intersubjective (à ne pas confondre avec interpersonnelle).
A l’adolescence, le corps se métamorphose et la rationalité diffractée opère son ultime transformation : après le Signe, l’Outil et la Norme, l’humain accède à la Personne. L’adolescent va traverser des turbulences intérieures avec des fluctuations d’appartenance et des rébellions contre l’autorité. Quand on dit qu’il se cherche, il est en réalité en quête de sa place et de son rôle dans la société.
Et si cette question ne se pose qu’à ce moment de l’existence, c’est parce que l’adolescent murit dans son corps de #Sujetla part naturelle de l'agent social, l'animal qui est en nous capable d'autonomie et de reproduction, le contenu de l'analyse sociologique. More le contenu nécessaire au traitement ethnico-politique de son existence biologique. L’enfant n’est pas encore entré dans l’Histoire. Il baigne dans celle des adultes qui s’occupent de lui, dans son milieu. Il parle comme ses éducateurs, s’habille avec ce qu’on lui donne à se mettre, ne crée pas son groupe de rock et adopte les valeurs de sa famille. Il ne lui est pas encore possible de se singulariser. Et s’il fait un caprice, ce n’est pas pour affirmer sa petite personne mais pour tester l’interdit et la toute-puissance de son désir.
En revanche, l’ado s’isole volontiers, autrement dit s’abstrait du milieu ambiant et se définit un espace privé où il peut s’absenter : je fais ce que je veux, j’ai le droit d’avoir mes propres opinions, c’est ma chambre, ça ne vous regarde pas, et je vous emmerde ! L’ado découvre sans le savoir que la Loi et les usages sociaux sont #arbitrairesQui n'est pas motivé par la nature mais seulement par un choix d'ordre culturel. L'arbitraire est donc corrélativement contingent. More et que de ce fait, il peut contester les habitudes et se fixer les siennes (qui sont donc #contingentesQui pourrait être autrement More).
L’ado se désolidarise par conséquent du bloc familial ou du clan, va créer ses propres alliances, parfois contre celui-ci d’ailleurs, et définir les termes de sa participation au groupe: il va classer et assumer. Gagnepain parle à ce sujet d’Instituant et d’Institué pour désigner respectivement les facultés personnelles à engendrer de la classe (au sens de groupe social) et de la responsabilité (au sens de réponse à une demande de service).
Si ces frontières ne sont pas définies une bonne fois pour toutes mais déplaçables, c’est parce que, comme le Signe le fait avec l’observation, la Personne met en forme la relation aux autres et cela généralement à l’insu de notre conscience. La Personne à laquelle je préfère mettre une majuscule pour la distinguer, ne doit donc pas être confondue avec ce qu’on appelle communément un individu de l’espèce humaine. La Personne est une capacité mentale de stucturation des relations sociales. L’instance pose des limites et définit des rapports mais c’est la performance que nous observons. Il y a même une contradiction entre l’abstraction ethnique et son réinvestissement politique.
Attention ! le terme politique sera à prendre pour l’instant dans le sens étymologique de polis, cité en grec, ou plus exactement communauté de citoyens libres et autonomes. Chez les anciens grecs, la cité préexiste à l’humain qui était donc spontanément politique et social.
Le plus difficile dans cette histoire, c’est de sortir du mythe de la personne, du roman de l’individu, de la métaphysique du sujet. En d’autres termes, la division sociale, telle que la théorie de la médiation la conçoit, ne prend pas le corps humain en compte. Elle ne se soucie pas du sujet naturel. Ou plutôt elle le conteste, elle le nie.
D’ailleurs, la personne morale n’a juridiquement pas d’existence physique et un corps d’armée peut regrouper des unités blindées. Bon, d’accord, je pousse un peu mais c’est pour vous dire que l’analyse ethnique telle que nous l’entendons ne prend pas en compte la biologie.
Le modèle de la Personne est en chacun de nous mais il régit bien au-delà de ce qu’on appelle traditionnellement l’être humain : c’est en fait un modèle de la société et des principes qui la fondent.
Comme le Signe instaurait de l’impropriété entre le langage et l’expérience, la Personne installe de l’arbitraire dans la division sociale. Alors que le sexe est une répartition naturelle des sujets (mâles/femelles), les classes sont des regroupements qui s’opèrent sur des critères sans fondement naturel et donc variables : qu’est-ce que le peuple ? Quand fait-on partie de l’élite ? Qui appartient à la catégorie des artistes ? Suis-je journaliste ? A partir de quand est-on un militant et plus simplement un sympathisant ? Qu’est-ce qu’un vieux ? Quand sont apparus les premiers Français ?
A l’arbitraire, s’ajoute le contingent : ce qui pourrait n’être pas là ou autrement. Nous sommes ainsi au coeur de l’institution (ou plus exactement sur son ventricule Instituant), pas en tant que résultat, mais comme processus de partition sociale. La théorie de la médiation pose comme fondamentale cette faculté de tracer de la frontière là où la nature est uniforme et cela sur un plan géographique, temporel ou au niveau des couches de la société. Et par conséquent, toute institution (comprise ici comme état) est vouée à disparaitre et à être remplacée par une autre.
Pour graver cette idée dans vos mémoires, laissez-moi finir par une allégorie. Lors de la Coupe du monde de foot, vous avez peut-être commencé par supporter l’Uruguay contre l’Égypte (où vous avez pourtant passé des vacances inoubliables) et la France contre l’Australie (dont vous chérissez néanmoins les kangourous), puis peut-être l’Uruguay contre le Portugal (malgré votre fascination pour le fado) et la France contre l’Argentine (de toute façon, Maradona était un tricheur drogué!), mais il vous a fallu choisir entre l’Uruguay et la France en quarts de finale et sans doute encourager la Croatie (qui s’est pourtant égarée pendant la Seconde Guerre mondiale) contre l’Angleterre (qui nous a filé un joli coup de main de 1940 à 1945 avant de nous piquer Cantona). Bref vous avez pris parti au gré des parties, quitte à changer de camp après la défaite.
Toute le reste est littérature. A la revoyure !