C13- La conscience de classe comme moteur de la lutte

La théorie de la médiation présente un modèle tétramorphe de l’humain. A l’instar de la philosophie de la praxis de Marx et pour des raisons d’efficience vis à vis d’un adversaire qui se définit par l’exploitation du travail d’autrui, RésoCoco choisit de donner la priorité au simple volet économique de la théorie plus générale de l’échange. Les puristes de la théorie de la médiation y verront une trahison. Nous considérons ce choix comme le mode de planification de l’action le plus à même de saper le capitalisme. C’est donc la forme historique de l’oppression qui détermine ici notre choix de lutte qu’on pourra par conséquent qualifier de marxiste. RésoCoco est donc médiationniste dans sa conception de l’humain et marxiste dans son action politique.

Résolument communistes – C13

Pas question de se débarrasser des bourgeois pour se faire mettre par des bureaucrates et des gratte-papier.

Maintenant que nous avons posé à grands traits une bonne partie du cadre théorique dans lequel nous allons évoluer, explorons plus en détails certains notions directement empruntées à la critique marxiste. Je ne vais pas tergiverser longtemps sur la nécessité de distinguer la philosophie radicalement marxienne et son héritage marxiste. Mais RésoCoco fait bien le distinguo entre la pensée de Marx (et Engels) et ses diverses réalisations institutionnelles et historiques, parfois abusives comme le stalinisme ou le maoïsme, qu’on choisit d’appeler ici socialismes (revoyez les mots derrière URSS), ceux-ci étant le stade 2 de la révolution après la dictature du prolétariat. Stade ultime de la révolution, le communisme n’est quant à lui jamais advenu et pour cause, la société sans classe comme aboutissement du processus révolutionnaire nous apparait comme une utopie, un idéal et donc un leurre in-humain. Le communisme comme mouvement réel de sortie du capitalisme (c’est la définition de Bernard Friot et plus ou moins celle de révolution permanente de Léon Trotsky) est un processus qui vise à l’abolition du rapport de domination entre bourgeoisie et prolétariat, ce qui ne présume en rien de la suite: d’autres formes de domination se feront jour qu’il faudra combattre à nouveau. Exit donc la douce utopie d’un monde sans classe et par conséquent sans conflit.

Pas de société sans conflit

La rivière Kwaï est l’occasion pour le colonel Nicholson de jeter un pont vers le colonel Saïto et de combler pour un temps le fossé qui les sépare. L’ennui, c’est que tout le camp de prisonniers est obligé de trimer comme des malades pour que ces deux-là deviennent copains.

La conflictualité est en effet inhérente à la conception médiationniste de la société mais l’échange, son processus contradictoire, fait lui aussi partie du modèle sociologique de la théorie. Et l’échange repose sur la confiance, même s’il suppose une opposition entre deux parties qu’on inscrit d’ailleurs sur le contrat que l’on signe. La confiance nait par le dépassement de la défiance (sinon il n’y aurait pas de contrat), une réserve non pas naturelle mais spontanée envers ce qui ne nous est pas familier. Ce que résume l’adage: il n’y a pas de pont sans fossé. Mais c’est l’humain lui-même qui creuse le fossé et a fortiori qui construit le pont.

La géométrie variable, parlons-en!

Le #sujet #anthropien vient physiquement au monde dans un environnement humain donné, une conjoncture historique particulière. Naitre dans la France féodale du XIème siècle, ce n’est pas voir le jour dans la Chine contemporaine. La « structure familiale » dont parle Emmanuel Todd est elle-même englobée dans une classe sociale, à son tour incluse dans une société où s’affrontent plus ou moins ouvertement de vastes groupements humains jusqu’à l’échelle internationale. Face à des divisions multiples et variées, nous engendrons du partenariat à géométrie variable, des alliances éphémères ou des coalitions durables, nous commerçons et communiquons, certains choisissent de s’unir par la prière, d’autres forment des chaines humaines.

Boris Vian dans le costume d’Emmanuel Macron, un rôle de composition qui lui a valu le Pinocchio d’Or au Festival du Bobard de Brégançon.

Le conflit est une opposition plus ou moins ouverte et perçue par des parties adverses bien identifiées. Il résulte d’une opposition structurale entre personnes. La lutte des classes en est l’expression la plus socialement structurante mais c’est loin d’être la seule: la vendetta inter-clanique, la guerre internationale, la luttes des races, la guerre des sexes, les conflits entre générations, l’inimitié interpersonnelle, la scène de ménage, l’engueulade entre voisins sont également des manifestations de cette opposition statutaire de la condition sociale de l’homme. Nous ne sommes pas ethniquement faits pour tous nous entendre en toute occasion: la dissension est même chose normale dans une relation saine. C’est le consensus permanent qui serait suspect: il résulte toujours de l’abolition de la structure et l’écrasement de la dialectique. Le conflit est toutefois momentanément dépassable, on peut arriver à un équilibre par convention et « on vit comme ça jusqu’à la prochaine fois » comme disait Boris Vian dans La Complainte du Progrès, une chanson qui illustre au vitriol en deux temps trois mouvements le triptyque séduction, conflit domestique et réconciliation.

Chaque société, à un moment donné de l’Histoire, opte pour un type de conflit qu’elle va privilégier et, par le fait même, choisit de minimiser les autres, voire de les étouffer. La Grande Guerre entre la France et l’Allemagne a exacerbé le nationalisme et mis les revendications ouvrières sous le boisseau après la liquidation de Jaurès. De là à penser que la classe dirigeante a intérêt au conflit armé contre une autre nation pour écraser les mouvements revendicatifs prolétariens et fédérer le peuple derrière l’oligarchie, il n’y a qu’un pas… que je franchis. Et je ne suis pas le seul.

Le poing renvoie aux Black Panthers mais on est loin du fondement marxiste du mouvement initial.

Le mouvement Black Lives Matter a été attisé aux États-Unis par une partie de la classe dominante américaine (la bien-pensante qui se prétend démocrate) afin que la tension raciale reste prédominante vis à vis de la question sociale (celle de la répartition du pouvoir d’achat, du pouvoir économique et politique) et même sur les revendications salariales car la crise sociale couve aux États-Unis. Le choix du conflit permet de détourner le regard ou les foudres de l’opinion vers un substitut de circonstances mais prêt à l’emploi.

Le pouvoir en place a dans son sac un arsenal de contre-feux pour faire diversion lorsqu’il sent qu’une situation peut tourner à son désavantage.  L’idée, c’est de déplacer le conflit infrastructurel vers un autre sujet moins central afin de générer du clivage à l’intérieur même du bloc adverse lorsque celui-ci s’agrège dangereusement. On a récemment vu comment l’exploitation de la crise sanitaire a réussi à diviser de manière inédite une large frange populaire de la France. Une grande partie de l’opposition à la macronie est rentrée dans le rang, s’est confinée sans broncher et acceptera sans doute la quatrième dose, pardon, la deuxième dose de rappel, dans un élan de solidarité déplacée. Tout dernièrement, le gouvernement Borne agitait le spectre de l’antisémitisme à propos du conflit israélo-palestinien pour diviser la Nupes qui jusqu’à présent fait bloc et constitue donc une menace. 

Le retour de la lutte des classes

Jean-Cyrille Hégault de la Panardière n’a eu aucun problème à intégrer le concept de « classe pour soi ».

Pour que le conflit se déclare, chaque partie doit avoir conscience de sa condition de fraction en opposition: c’est que Marx appelle la « classe pour soi » et le groupe social qui a bien conscience de la lutte qu’il doit mener pour garder le pouvoir grâce à une certaine cohésion, c’est la bourgeoisie. Elle connait son statut dominant d’exploiteur du travail d’autrui mais également sa situation numéralement minoritaire et tout l’enjeu pour elle est d’invisibiliser le plus possible le conflit avec ceux dont elle profite du travail et qui ont pour eux le pouvoir du nombre. Mais la supériorité numérique n’est rien sans la cohésion. Nous étudierons une autre fois ces techniques de dissimulation auxquelles s’ajoutent les tactiques de diversion quand les premières ne fonctionnent plus.

Pour les salariés, toute la question est de s’identifier comme exploité et ce n’est jamais bien agréable. S’affirmer comme prolétaire, c’est reconnaitre que les choix de production sont faits par les capitalistes et que la souveraineté économique échappent totalement aux travailleurs qui produisent pourtant la valeur puisque, rappelons-le, selon Marx, la valeur de la marchandise est déterminée par une quantité de travail social. Je vais un peu vite mais ce sont des notions que nous avons déjà développées auparavant. Si on considère que les propriétaires industriels et fonciers dirigent les entreprises sans avoir été élus, il est facile d’en conclure que la société commerciale n’est pas démocratique (voir C12). La majorité est sommée de suivre la direction qui lui est imposée par les dirigeants nommés par les propriétaires détenteurs du capital. Il y a entre salariés et direction un conflit d’intérêts irréductible même s’il est parfois dépassé ou plus exactement même si l’idéologie dominante, c’est-à-dire la voix de la direction, tente continuellement de faire croire à la convergence « naturelle » des intérêts des différentes parties: ce qui est bon pour l’entreprise est bon pour les salariés puisque sans elle, il n’y a plus de salaires. La communication interne se gardera vient de révéler au personnel que, sans travailleurs qualifiés employés, il n’y a pas non plus d’entreprise. Et quand elle le rappelle, c’est le plus souvent dans une visée démagogique et roublarde.

« Choisir ses chaines de production, c’est quelque part s’émanciper du carcan productiviste. » Anonyme du XXIème siècle

Telle que nous la concevons, l’unité de production communiste se passera de l’investissement privé et l’entrepreneur deviendra l’initiateur d’un projet industriel ou commercial subventionné et porté par un collectif au sein duquel il ne sera plus question de conflits d’intérêts économiques puisque le salaire y sera détaché de l’emploi. L’intérêt général que constitue la production utile ou le service indispensable supplantera la course au profit individuel, exacerbé par la concurrence du marché libéral. Ce qui ne signifie pas que la concurrence disparaitra pour autant mais elle sera bien plus proche de l’émulation que de la compétition: il ne s’agira pas de vendre plus pour augmenter les recettes mais d’améliorer la qualité à un coût raisonnable et d’en faire profiter le concurrent s’il s’avère que la demande est plus forte que l’offre. Quand aux rivalités interpersonnelles, leur arbitrage devra être collégial et effectué dans l’intérêt du collectif.

En système communiste, la notion même de brevet, c’est-à-dire de propriété du concept, est appelée à disparaitre car elle nuit au progrès technique: voir les projets en open source qui constituent une alternative tout à fait intéressante à la monopolisation qu’imposent les multinationales. On pourra donc envisager la lutte sous un autre angle que celle de l’hégémonie en vue d’un profit optimum. Pour le communisme, la compétition vise à stimuler la quête de la qualité et de l’intérêt collectif sur un plan économique mais aussi dans les échanges intellectuels.

Par un effet d’atomisation des luttes, le wokisme récent a eu pour effet de mettre en concurrence des causes assez spécifiques et transversales. Si le système libéral favorise ce mouvement de parcellisation des revendications identitaires, c’est parce que ses tenants et bénéficiaires ont bien compris qu’il y a là un moyen très efficace de désamorcer la question sociale (qui choisit de produire quoi et comment) qui est la seule à vraiment toucher l’ensemble de la société. Le wokisme a notamment mis le sbeul au sein des minorités qui, au lieu de faire converger leurs intérêts avec ceux du prolétariat contre le capitalisme, sectarise leur opposition et divise les forces qui devraient se concentrer sur la quête de la souveraineté collective des producteurs sur la production. La remise en cause de la propriété privée des moyens de production et le remplacement des dividendes par un salaire inconditionnel à la qualification ne tiennent pas compte des antagonisme de sexes, de genres, d’ethnies ou même de cultures. Ça n’empêchera pas le racisme, le sexisme, l’homophobie ou toute autre discrimination mais ça en atténuera considérablement les effets. Et il sera toujours temps de prendre chaque problème à son tour. 

Thomas Sankara, un homme intègre face à la corruption endémique de l’Afrique en principe post-coloniale.

Cela dit, au Burkina Faso, la révolution sankariste s’est retrouvée confrontée à l’urgence de lutter sur tous les fronts, contre la domination coloniale, le pouvoir des Mossi, le patriarcat ancestral, la gérontocratie coutumière, la pauvreté endémique, la corruption instituée. Malgré le soutien plutôt massif d’une large partie de la population (jeunes, femmes, prolétaires), la multiplication des oppositions a eu raison du leader des « hommes intègres ». Mais avait-il d’autres choix que de tout bousculer en même temps? Sans doute pas. Si les réformes ne doivent pas se faire dans le sang, elles ne peuvent pas non plus satisfaire tout le monde: il faut seulement que les mécontents soient minoritaires et que leur mécontentement ne soit pas perçu comme une atteinte « insurmontable » à leur dignité: il y a une certaine grandeur à se plier à la décision générale même si elle ne sert pas les intérêts de celui qui en pâtit. Le fait d’être lésé au nom de l’intérêt général n’implique pas l’humiliation: c’est la base de la démocratie et l’assurance d’une paix durable. L’arrogance du challenger fait partie du défi électoral, celle de l’élu le conduit à la défaite.

L’intérêt général, sinon rien

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Ce qui compte ici, c’est la notion de hiérarchie des luttes. Chaque groupe se constitue autour d’un certain nombre de #statuts ou de #fonctions. C’est la question de la reconnaissance du genre qui anime le combat LGBTI+, l’assujettissement de la femme pour le féminisme, la discrimination des racisés pour les militants antiracistes ou encore l’éradication de l’extrême-droite pour les antifas alors que c’est le problème de la répartition des responsabilités et donc du pouvoir qui préoccupe la révolution communiste. Ces luttes sont loin d’être incompatibles mais il y a, nous semble-t-il à RésoCoco, des priorités: on ne peut pas mener toutes les luttes de front, de la même manière qu’on ne peut pas régler tous les problèmes d’un seul coup. Il vaut mieux couper l’eau avant de s’attaquer à la plomberie.

Les Black Panthers ont privilégié la lutte des classes, ce qui ne les a pas empêché de lutter contre la discrimination raciale et dans le même temps, de combattre le machisme au sein même du mouvement. Plus de 60% des activistes étaient d’ailleurs des femmes.

Pour le marxisme, la question sociale sous-tend toutes les autres. La source du problème est infrastructurel et c’est au niveau du contrôle des moyens de production que ça se passe. RésoCoco s’inscrit dans cette perspective, même si nous y apportons des aménagements institutionnels dans une option un peu plus gramscienne. Marx et Engels étaient d’ailleurs plus souples qu’on ne le croit souvent sur cette question: si, contre une société capitaliste fondée sur des rapports de pouvoir fondamentalement économiques, le mouvement révolutionnaire axe sa lutte sur une transformation à ce niveau, les instances superstructurelles ne sont pas à négliger dans le combat à mener, au niveau des lois, des institutions et des représentations notamment. C’est tout le travail de Bernard Friot sur le récit historique des conquis sociaux: il démonte la manière dont le régime en place à présenter les conquis sociaux que sont la Sécurité sociale, le système de retraite par répartition, les allocations familiales, le statut des fonctionnaires et les contributions sociales. Le camp capitaliste a réduit les conquêtes en accords (acquis sociaux) par un jeu de réécriture de l’Histoire. La victoire économique (toutefois partielle et pas définitive) de 1946 pour les salariés sur le patronat s’est petit à petit transformée en « geste patronal » en faveur des prolétaires. Il fallait démasquer cette supercherie superstructurelle pour bien faire comprendre ce qui s’était passé au niveau infrastructurel dans les rapports de production qui ont été inscrits dans le Code du travail. 

J’ai pas vu le film mais le roman de Marcel Aymé est excellent.

En d’autres termes, il s’agit pour Friot d’écrire d’un point de vue communiste le changement radical qui s’est opéré en 1946 au sein des rapports de production dans l’entreprise, au niveau du salaire socialisé (contributions). On le voit les transformations dans les rapports économiques, prévues par les communistes du CNR, ont précédé les combats féministes, l’émancipation coloniale, les luttes antiracistes, les revendications LGBT qui ont fait leur véritable apparition dans la foulée, durant les 30 glorieuses. On notera tout de même que durant le combat antifasciste (la Seconde Guerre mondiale), la lutte des classes s’est poursuivie, parfois de manière sanglante, jusqu’à ce que le PCF impose les lois sociales à la Libération. Cependant la guerre contre l’ennemi commun a grosso modo uni la Résistance française malgré les couacs: d’une manière générale, le combat politique s’est tout de même subordonné à la cause commune pour se libérer de l’occupation allemande. Durant l’épuration, cela a été une toute autre affaire: la lutte des classes a immédiatement repris le dessus et le patronat a sauvé ses têtes grâce aux Gaullistes et leurs alliés, désireux de faire repartir la machine économique au plus vite et d’éviter la propagation du bolchévisme.

Passage au marbre et rééquilibrage

Aux séminaires de Jean Gagnepain, aucun de ces cinq-là n’est jamais venu. C’est regrettable mais avec des regrets et avec des tables, on mettrait Paris en bouchon.

Dans « Mes Parlements », une somme de textes de séminaires, Jean Gagnepain rend un bel hommage à la clairvoyance de Marx. Ce dernier n’échappe pourtant pas totalement à la détermination historique de classe qu’il a pourtant largement contribué à mettre en lumière: nous agissons et pensons toujours selon des schémas socialement définis dont nous n’avons pas conscience, quitte à nous retourner contre notre propre intérêt tout en pensant agir en notre faveur. De par son combat politique, Marx est obnubilé, et on le comprend, par la critique économique du système. Avec Engels, ils vont modéliser un humain à l’aune du monde dans lequel ils vivent et le travail y prend une ampleur nouvelle à la suite d’Adam Smith et de David Ricardo, alors que la philosophie, faite jusqu’alors par des hommes assez éloignés du monde économique, ne s’était jusqu’à lui guère intéressé à l’homo faber. Marx ne réduit bien sûr pas l’homme à l’ouvrier et au paysan, ni même au travailleur, mais il va lui donner un rôle prépondérant (l’infrastructure sous-tend toujours la superstructure) dans sa philosophie. La théorie de la médiation s’ingénie à sortir de l’impasse productiviste où les staliniens se sont enferrés et d’où la pensée marxisante a souvent refusé de voir l’apport de la psychanalyse ou du structuralisme. En tant qu’outil, la faucille et le marteau sont une réalité fondamentale mais ni plus ni moins que d’autres aspects de l’humain. Mais il fallait une dissociation rigoureuse des plans de médiation et leur mise à plat pour comprendre qu’il y a quatre portes d’entrée dans l’humanité, quatre objets d’étude scientifiquement distincts mais empiriquement mêlés.

L’hoplite finançait son équipement guerrier et vu le prix de ce dernier, il n’était pas donné à tout le monde de défendre la cité. Ensuite il y eut la guerre du Viet-Nam.

Gagnepain montre bien que la création de valeur, c’est-à-dire la plus-value, n’est pas qu’une question de division du travail et d’extorsion de la richesse mais la mise à échéance naturelle de l’effort et éventuellement un processus vertueux. Autrement dit, la théorie de la médiation rééquilibre la vision marxiste et se met ainsi en conformité avec ce que l’anthropologie du XXème siècle à découvert dans des sociétés non-capitalistes. Différents types de société actualisent diversement l’acculturation de la plus-value: le capitalisme met l’accent sur l’accroissement du capital, le socialisme soviétique valorise l’héroïsme productiviste, la Grèce homérique met en avant l’aristeia, la vaillance des valeureux guerriers où les aristocrates sont des hommes de valeur qui sortent du rang par leur bravoure, un élément qu’on retrouve dans toutes les sociétés qui ont un caractère belliciste. La sainteté en tant que promotion de la pauvreté, de humilité, de la dévotion et des vertus cardinales (prudence, tempérance, force d’âme, justice) en général a marqué toute la chrétienté médiévale et la pensée antique avant elle. Cependant la société occidentale est façonnée depuis plusieurs siècles par le libéralisme, aussi bien philosophique qu’économique: il a ainsi progressivement supplanté les valeurs de la noblesse d’épée et instauré un système où l’homme de valeur est fortuné, c’est-à-dire qu’il fait fructifier le rapport social en sa faveur, sécurisant la propriété privée, et notamment celle des moyens de production, instaurant l’hérédité du capital et promouvant l’entreprise (au sens d’audace et de prise de risque) commerciale, puis financière. Le « Bien » bourgeois se mesure à l’aune de sa bourse, son pouvoir financier, et de son patrimoine matériel, son pouvoir économique. Gagner beaucoup d’argent est devenu une vertu, quelqu’en soit le moyen. Ce n’est pourtant pas le seul régime possible, mais c’est le seul visible, et c’est pourquoi contrairement au libéralisme, la théorie de la médiation ne privilégie pas le riche sur le penseur, le saint, le soldat, l’artiste ou l’aristo. Elle renvoie chacun à son plan de prédilection sans jugement de valeur. Le libéralisme actuel, lui, envahit toutes les sphères de la sociétés et fête le capitaine d’industrie, le banquier et le courtier de la Bourse. On a les premiers de cordée qu’on se donne.

Le travail reste au coeur de la révolution en tant que production de valeur, celle-ci devant être établie par les travailleurs eux-mêmes. Plus question de produire de la merde pour engraisser le capital.

A RésoCoco, nous pencherons néanmoins du côté de Marx, non pas sur un plan théorique, mais au niveau de l’activisme politique, en privilégiant de manière pragmatique la prise de conscience de la domination économique de la classe capitaliste par la classe qui la subit. Il n’y a donc pas d’entorse au modèle tétralogique (quatre plans d’égale importance) mais nous mettrons une priorité sur l’aspect économique de la question et des perspectives proposées. En d’autres termes, le travail de sape #synallactique se fait dans l’action économique (critique du système en place et propositions de sortie de l’impasse). La communication et la vertu suivront. Il faut donc avant tout développer le déjà-là communiste et répandre un modèle économique alternatif au schéma libéral en vigueur. Il ne s’agit bien évidemment pas de nous priver d’une réflexion sur les libertés par exemple mais surtout de focaliser l’activité de RésoCoco sur l’aspect économique à l’instar de Réseau Salariat dans un souci d’efficacité révolutionnaire et de refus de l’argutie stérile. Notre réflexion sur le pouvoir en entreprise vise par exemple à sortir du mode économique dominant actuel et à lui substituer une « unité de production » équitable à tendance égalitaire sans oublier de restaurer un service public digne de ce nom, délivré de l’actuelle technocratie.

Réparateur de vélo avec un statut de fonctionnaire, c’est possible avec RésoCoco.

Telle que nous la concevons dans un souci d’action politique, la révolution se fait par conséquent prioritairement au niveau des rapports de production: si cette dernière a lieu au nom du profit financier, la valeur d’usage du produit est secondaire. C’est une logique capitaliste: peu importe ce qu’on produit, pourvu que ça se vende. On est très proche de l’escroquerie pour laquelle peu importe l’existence même du produit, pourvu que ça s’échange contre du pouvoir d’achat. Nous insisterons à maints reprises sur cet aspect fondamental du capitalisme qui est profondément ancré dans les têtes. Il conviendra de trouver des arguments et des stratégies pour extirper des cerveaux cette idéologie délétère pour l’humanité, dangereuse pour la planète nourricière et qui repose en partie sur la fétichisation de la monnaie. 

A RésoCoco, nous pensons au contraire que peu importe si ça se vend pourvu que ça soit utile. Nous y mettrons même une dimension éthique. A l’instar de l’Institut Gagnepain qui met les ouvrages du penseur en téléchargement libre et de la revue Tétralogiques disponible gratuitement, L’Anthropologie pour les Quiches est née dans cette perspective prosélyte et généreuse car la théorie de la médiation ne m’a jamais rapporté un kopeck mais je me suis donné pour objectif de la faire vivre sur Internet. RésoCoco a décidé de la mettre au service de l’action politique sans la dénaturer. Comme Réseau Salariat en somme sauf que pour l’instant, je suis tout seul mais l’oligarchie libérale n’est pas censée le savoir. Fin de digression. 

Dans cette manière de concevoir le partage désintéressé des connaissances, on comprend que le fonctionnariat sera réhabilité dans les domaines régaliens comme la santé, la sûreté publique, la sécurité sociale, l’éducation, l’accès à l’énergie et à l’eau, tout ce qui est utile à la vie quotidienne sans même l’idée de faire de l’argent avec ces domaines collectifs.

Remettre les pendules au milieu du village

Si vous ne pouvez pas mettre en sourdine vos rivalités de supporters de foot lors d’une grève, vous pouvez oublier vos espoirs d’augmentation de salaire. La bourgeoisie connait très bien tous ces modes de diversion et les médias de masse sont là pour raviver les problèmes sociétaux, les conflits raciaux ou les affaires de religion quand ça devient trop chaud sous le couvercle de la marmite. Les questions sociétales jouent alors contre le conflit qui porte sur le pouvoir économique, lieu pourtant crucial sur lequel doit d’abord porter la lutte.

Psychiatriser le cas Macron n’empêche nullement d’analyser sa doxa libérale et de la combattre mais il faudra tout de même songer à faire tester le patient quand on aura mis la main dessus.

Un mouvement revendicatif ne peut prendre forme qu’autour d’un problème clairement posé. Mais les priorités ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Les Gilets jaunes ont pris les ronds-points pour protester contre les taxes sur le carburant: cela a rapidement évolué vers le coût de la vie et les difficultés financières. L’anti-élitisme s’est cristallisé autour du RIC mais les Gilets jaunes n’ont jamais véritablement été anticapitalistes (malgré les infiltrations des Black Blocks), et encore moins communistes (malgré mes pancartes). Le mal-être confus de ces déclassés (dont je fais partie) n’a pas eu le temps de s’articuler avec clarté autour d’autre chose que la destitution d’un gouvernement et d’un système mal identifié. Faute de temps et de se découvrir un objectif commun, les Gilets jaunes n’ont pas pu accéder à une conscience de classe homogène. La figure honnie de Macron et de son régime a fédéré un nombre considérable de manifestants mais cette solidarité n’a pas pu se concrétiser par un programme de fond bien articulé. Je rencontre un problème similaire dans les manifestations antipass qui restent protestataires. Le mouvement s’oppose aux décisions gouvernementales mais l’Élysée et Matignon ont toujours la main. La véritable riposte s’organise de manière beaucoup plus souterraine et constructive, moins visible mais pas moins efficace, en marge de la manifestation, voyante par nature. L’une n’empêche pas l’autre mais on ne pourra pas être partout. 

Il ne faut pas confondre LBD et CBD.

Le capitalisme n’était pas l’ennemi objectif de la grande majorité de tous les gens avec qui j’ai manifesté ces dernières années. Leur détestation du politique les a sur ce point aveuglés. Les Gilets jaunes n’ont pas été à ce titre un mouvement révolutionnaire: il en est resté au raz-de-marée contestataire sans lendemain même s’il a laissé des traces profondes et permis de tisser de nouveaux liens « politiques ». Les antipass ont aujourd’hui évolué vers une lutte pour la réintégration des personnels suspendus et la défense de l’hôpital public (1). Ce sont des causes louables mais c’est insuffisant.

On le voit, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour passer de la grogne ambiante à la contestation organisée, puis à la revendication collective planifiée et surtout à la subversion par l’action massive. Contrer le capitalisme, c’est aussi bien débusquer son fonctionnement, dénoncer les profiteurs, ridiculiser ses contradictions qu’installer et répandre des institutions communistes (ou qui tendent dans cette direction comme les associations à but non lucratif ou les SCOP). 

– Dis, Fidelito, tu ne trouves pas que Dupond-Moretti ressemble à Harvey Weinstein? – Ernestino, déconne pas avec ces histoires d’antisémitisme, ça porte la poisse en ce moment.

Soyons des exemplaires de communisme et si nous en avons la vertu, nous serons des communistes exemplaires. Je ne crois pas à la décence commune de George Orwell et Jean-Claude Michéa mais je pense que les prolétaires seront sensibles au modèle militant et au militant modèle à condition qu’ils puissent s’identifier à lui pour comprendre leur intérêt commun et se projeter ensemble dans un avenir collectif. Reste à le rendre attirant. Mais c’est une autre histoire. On a déjà été assez long pour cette fois. Pause! Et à la revoyaute! 

(1) La suspension des soignants s’est accompagnée d’un arrêt de versement du traitement de ces fonctionnaires, une décision qui représente une attaque très grave au statut de la fonction publique. Bernard Friot le souligne régulièrement et rappelle qu’il s’agit là d’une atteinte sans précédent au droit des agents de l’État et d’un abus du pouvoir macronien.