C15 – L’État est une personne

Après le bébé bien trop précoce de Françoise Dolto, voilà que l’État accède au statut de #Personne et même de personne morale en droit. Ce n’est pas pour rendre plus sympathique le « monstre froid » dont parlait Nietzsche et le « Léviathan » de Hobbes mais parce qu’il nous semble bien en être la forme la plus aboutie et la plus complexe.

Résolument communistes – C15

La notion d’État n’a pas bonne presse. Cela tient en grande partie au fait qu’on y réduit le concept à l’une de ses réalisations historiques: l’État néolibéral, c’est-à-dire une administration mise au service d’un marché faillible pour faire marcher droit une multitude pas très raisonnable. Nous reprenons ici la définition de Barbara Stiegler qui est celle de tous les économistes qui ont compris que le marché auto-régulé était une utopie dévastatrice. L’État néolibéral est par conséquent un mode d’organisation #anallactique qui vise à consolider une situation sociale déjà fortement inégalitaire, en l’occurence l’hégémonie d’une oligarchie capitaliste au coeur d’une société où l’échange des marchandises domine les relations sociales, sans pourtant réussir à trouver lui-même son équilibre. Dans ce contexte, l’État assure la sécurité des citoyens, et plus particulièrement des bourgeois, et le respect de la propriété privée, et plus particulièrement celle des bourgeois, quand il ne sert pas carrément les intérêts des actionnaires, ce qui, dans un système de rapports de production comme celui en vigueur, revient à entretenir les inégalités sociales, voire à les aggraver.

On ne peut toutefois pas reprocher cette dérive à l’État lui-même. Ce dernier n’en est pas à l’origine puisqu’il n’est que l’appareil du système politique en place et par conséquent jamais enclin au chamboule-tout révolutionnaire: l’État ne vient jamais de lui-même bouleverser un équilibre (même branlant) que le pouvoir tend à figer pour assurer sa pérennité. C’est une instance conservatrice, un stabilisateur social quel que soit l’état de la société. Si le système capitaliste était juste, l’État ne serait pas en but à toutes les critiques des citoyens lésés. Protéger l’intégrité des personnes est en effet une mission louable. Le faire prioritairement pour une minorité dominante et possédante est inique et déplorable.

Même s’il remplit honnêtement sa mission, le garde du corps d’un mafieux reste un malfrat. Et l’État en France souffre ainsi de la main mise sur le pays d’une oligarchie crapuleuse qui cherche à se faire passer pour une aristocratie du mérite républicain.

Les critiques de l’État n’émanent pas que des lésés. Elles viennent également de manière beaucoup plus insidieuse de ceux qui en profitent le plus. Je passe sur Ciotti, Vauquiez et toute la ribambelle de faux-derches LR qui, les mains dans le pot de miel, font haro sur la ruche. Je pense à tous les libertariens, milliardaires ou pas, qui se croient au-dessus des lois et mieux que tout le monde. Ils détestent l’État qui entrave leur propre liberté avec un aveuglement systématique et ce sont les fonctionnaires qui en font les frais, traités de tous les noms et particulièrement d’inutiles, alors même que ces ultra-libéraux jouissent des avantages de l’État. Ainsi l’IFrap d’Agnès Verdier-Molinié dont le financement bénéficie d’une niche fiscale.

Une légende bien ancrée dans l’imaginaire collectif

« Grâce à la reconnaissance d’utilité publique accordée par un décret de François Fillon en 2009, ces mystérieux financeurs peuvent même soutenir ce lobby… tout en bénéficiant d’une remise de 66% de leurs dons sur leurs impôts sur le revenu ou de 75% de leur IFI (le nouvel ISF). A la différence d’un parti politique, ces dons ne sont d’ailleurs aucunement limités à 7.500 euros par an. Le bon plan ! » (extrait d’un article de Marianne)

Et que dire de cet entrepreneur en BTP dolois qui applaudirait chaque mot d’AVM tout en vivant des commandes des collectivités territoriales, bras local de l’État. On tire donc à boulets rouges sur l’institution avec une absence de loyauté choquante, une obsession maladive et sans doute une ignorance assez crasse de son principe. 

Mais reprenons les choses dans l’ordre. 

Les sciences humaines ont pour objet les facultés spécifiques à l’humain et illustrent leur propos par des exemples tirés de l’Histoire puisque rien de ce qui est humain n’advient hors du mouvement historique. L’étude de l’État n’échappe pas à cette règle et il convient de ne pas se laisser enfumer par la situation historique contemporaine qui ne lui est pas favorable. Par conséquent, il faut dégager l’État de la réalisation que nous en offre le néolibéralisme en vigueur (un État au service d’un capitalisme défaillant et incapable de se réguler) et essayer d’en avoir une vision, non pas détachée de l’Histoire, mais suffisamment abstraite pour ne pas que l’observateur confonde le principe et son détournement.

Pouvoir à géométrie variable

En C4, nous avons vu que la #Personne telle qu’elle est définie par la théorie de la médiation est le principe aussi bien de la division ontologique qui génère de l’identité que de la partition déontologique où s’origine la responsabilité. 

Définir de la compétence, c’est instaurer du pouvoir sur un axe qualitatif aussi bien que quantitatif. Faire autorité en la matière, c’est être compétent sur un point identifié et reconnu comme tel par la collectivité. Mais c’est aussi renoncer à étendre sa compétence sur une question différente et la laisser à d’autres. La gestion collective est à responsabilité limitée. Chacun assume sa partie et personne ne répond de tout. Reste à bien définir les domaines de compétences de chacun pour que l’ensemble des fonctions de l’entité soient couvertes. 

Bon, là, je reconnais que j’ai un peu forcé le trait…

Or ça ne se passe jamais sans conflit. Ce dernier est même constitutif de la répartition des responsabilités, même si chacun y met la meilleure volonté du monde. Dans notre société, le citoyen remet à l’État le soin de régler les conflits et les différends, via les différents types de tribunaux et toutes les instances d’arbitrage. L’État n’a recours à la coercition physique qu’en dernier ressort. Parce qu’il est généralement reconnu comme autorité par la population, il exerce une force de persuasion et de dissuasion qui ne réclame pas souvent de passage au manu militari (sans jeu de mots anti-Macron encore une fois). 

Dans Vivre sans, Frédéric Lordon prend l’exemple de la ZAD (p.147), sorte de degré 0 d’une société nouvelle, où l’impérium (la puissance qui émane spontanément du collectif) conduit le groupe à faire lui-même la police par le truchement d’un groupe médiateur, sorte d’embryon d’État. En dernier ressort, le contrevenant est banni et donc remis à l’État qui entoure la ZAD, c’est à dire l’État français contemporain. La question du pouvoir ne peut donc pas éternellement être mise sous le tapis, même dans une communauté anarcho-libertaire.

Ce qu’il y a de bien avec Vasarely, c’est que ça passe partout.

L’État est donc une institution organisée et gérante, sur un territoire déterminé et reconnue par la population, qui définit au sein de la société des ministères, des services et des postes pour en assurer le fonctionnement. C’est pourquoi les professionnels qui assurent ces tâches sont des fonctionnaires, la fonction publique étant un ensemble de postes indépendants des personnes qui ne les occupent que momentanément. 

L’État au mieux de sa forme ne laisse pas de vide et couvre l’ensemble des communs. C’est parce que la Loi tend à s’étendre sur l’intégralité du corps social, géographiquement d’une part, mais également dans les moindres recoins de la vie publique. Un État solide et expérimenté comme le nôtre ne laisse guère d’espaces de non-droit: les faiblesses de l’État sont beaucoup plus souvent dû à des manquements dans l’application de la Loi qu’à des vides législatifs ou administratifs.

C’est pas très glamour mais c’est l’idée.

Parce qu’il est vaste et complexe, l’État n’est pas facile à définir, encore moins à se figurer. On pourrait peut-être le formuler de cette manière: l’État est l’exosquelette de la volonté nationale. Il a la rigidité du squelette et l’efficacité de l’appareillage mais il est au service d’une puissance collective avec un projet commun, c’est à dire la nation. C’est elle qui inspire le mouvement, c’est l’État qui l’exécute avec abnégation et minutie. La captation de la volonté populaire est l’affaire de l’organisation politique du pays. Le régime parlementaire bourgeois s’est chargé de la capturer jusqu’à la dégoûter d’exercer son pouvoir par les urnes.

– En tricycle, Jean Moulin…

La répartition des missions entre ministères donne parfois lieu à un bricolage bureaucratique cocasse. La création du Ministère de la Culture pour André Malraux en est un cas de figure rocambolesque. A l’époque, le général de Gaulle conseille au Premier ministre Michel Debré de proposer un ministère à l’écrivain: «Taillez pour lui un ministère, par exemple, un regroupement de services que vous pourrez appeler « Affaires culturelles ». Malraux donnera du relief à votre gouvernement. » Le nouveau ministère inclut des services qui dépendaient jusqu’alors de divers ministères : l’Éducation nationale (direction générale des Arts et Lettres, direction de l’Architecture, direction des Archives de France), l’Industrie et le Commerce (Centre national de la cinématographie), et les activités culturelles du Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux Sports.

Plus récemment, après la démission de Caroline Cayeux, ministre déléguée aux collectivités territoriales, c’est sa collègue secrétaire d’État Dominique Faure qui a récupéré son portefeuille sans perdre le sien. Son pouvoir s’étend donc quantitativement sans changer qualitativement de statut. Le jeu structural de la Personne permet cet ajustement circonstancié.

Député et préfet

Le délégataire est celui à qui le mandant confie son pouvoir. Le mandataire est d’autant plus puissant que le nombre et le statut de ceux qui le délèguent est élevé et important. Loin d’être permanent, le pouvoir n’est jamais qu’une délégation temporaire (le temps d’un mandat) et l’autorité résulte de la reconnaissance de la compétence de son dépositaire par un nombre suffisant de personnes suffisamment qualifiées. 

Contrairement à Joe la Taxi, l’État va partout. 

L’autorité tient donc au poste et non à l’humain qui l’occupe. Mais ce dernier doit l’incarner correctement pour que l’autorité soit respectée. D’où l’importance du recrutement et le besoin de formation des fonctionnaires à quelque niveau qu’ils opèrent. Le protocole administratif fait partie de l’institution et cela s’apprend. Reste à l’arracher des mains de la technocratie administrative qui jouit d’un pouvoir démocratique à contrôler.

La délégation du pouvoir est de deux ordres. Quantitative et ascendante, c’est l’élection. Qualitative et descendante, c’est la nomination. Le député d’un côté, le préfet de l’autre. L’un capte et concentre la puissance du peuple. L’autre est investi du pouvoir de l’État, ce dernier n’étant en définitive qu’un outil administratif pour servir les intérêts de la nation, c’est à dire du peuple uni dans un projet commun. L’État jouit néanmoins d’une grande autonomie vis à vis de ses administrés alors que l’Assemblée nationale est, sur le papier du moins, plus susceptible de rendre régulièrement des comptes au peuple. 

C’est là que se pose la question de l’existence réelle ou pas d’un État profond qui échapperait totalement au vote populaire et donc à son contrôle. Les grands commis d’État ne sont-ils pas les véritables détenteurs du pouvoir, les élections n’étant finalement là que pour entretenir une illusion démocratique, un vernis de suffrage? Courteline se moquait des ronds-de-cuir du bas de l’échelle mais il faut monter dans les étages de l’administration pour y croiser les silures des cabinets.

Le vrai De Villepin, pas la marionnette du Guignol’s Band

A partir de 2012, Macron trainait dans les arcanes du pouvoir élyséen, avait déjà sévi près de la tête de l’État et proposé des perles comme le CICE et le pacte de responsabilité et de solidarité à François Hollande avant même de se présenter devant les électeurs. Et que dire d’Attali ou d’Attal? De Dominique de Villepin ou d’Alexis Kohler? Leur pouvoir ne vient pas du peuple, ça, c’est sûr.

Au suffrage universel, tout citoyen en pleine possession de ses droits civiques est qualifié pour voter et donc élire. A l’inverse, l’expertise est une qualification accordée par un cercle restreint de pairs à une personne qui va répondre de ses prises de position et de son action. Le diplôme et le concours font souvent office de certificat d’aptitude à la responsabilité. Le chercheur doit publier dans des revues spécialisées et reconnues. Mais il n’y a ni formation ni diplôme pour devenir chef d’État et c’est le peuple souverain qui décide lors d’un concours électoral où un seul nom est retenu. Le chef d’État d’un pays n’a alors de leçon à recevoir de personne d’autre que de son peuple si toutefois il respecte le droit international: l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures est illégale. C’est une question de souveraineté nationale. Seule la communauté reconnue comme telle par l’ensemble des autres communautés a le pouvoir de changer de chef ou de gouvernement : la nation est seule en capacité de choisir son destin, une décision qui se fait toujours à la majorité des notables-citoyens. On a ainsi le chef d’État que l’on mérite, quoi qu’on en pense. 

Duvallier, père et fils

Chaque société cherche à amener au pouvoir ceux qui ont montré d’une manière ou d’une autre leur capacité à l’exercer. On peut contester les moyens comme la bourgeoisie l’a fait avec la noblesse mais le principe, c’est de hisser au pouvoir les plus compétents à l’exercer : si Papa Doc a mis Bébé Doc au pouvoir, c’est parce qu’il pensait que son rejeton était le plus à même de diriger l’entreprise familiale Haïti à sa place. C’est un raisonnement un peu court mais c’est le même qui sous-tend le concours d’entrer à l’INSP (l’ENA a été supprimée). Seuls varient les critères qui définissent les méritants: les gènes ou les études.

Officier et parlementaire

Au sein d’une communauté démocratique, chaque membre notable (on exclut les mineurs qui ne comptent pas et les déchus qui n’ont plus voix au chapitre) est le récipient d’un potentiel de compétences. Dans un régime parfaitement égalitaire, chacun a donc le pouvoir de décider mais dans le cadre d’un effort collectif urgent, la décision doit être rapide. Palabres et vote, ça va bien aux assises mais il y a des fois où la vitesse est stratégique. Le commando a donc son gradé avec un pouvoir de décision indiscutable. Il tient son autorité du cadre militaire, construit sur une hiérarchie incontestable. Obéissance ou insubordination, y a pas de place pour parlementer. 

Quand j’ai dit commando, je ne pensais pas à « délinquance en bande organisée ».

L’État est en quelque sorte un commando à l’échelle nationale. Il tient ses ordres de mission du gouvernement et n’a pas à avoir d’états d’âme. Il faut pour cela que les missions soient clairement définies, qu’on puisse les atteindre et qu’elles répondent à des nécessités et non à des caprices idéologiques.

En revanche, le député ne fait que ça, parlementer, discutailler, ergoter, palabrer, voter, s’abstenir, s’absenter. Au pire, c’est un signataire d’amendements incompréhensibles que rédigent les attachés parlementaires. Au mieux, le député génère des idées politiques, fait remonter des témoignages et des expériences en région, interpelle l’État sur des questions que se posent ses ouailles. Le parlementaire est investi du pouvoir de légiférer parce qu’il a la charge de représenter sa majorité d’électeurs et de convaincre en assemblée : il en sortira forcément une minorité plus ou moins mécontente mais comme elle sera moins nombreuse, elle n’aura pas légalement raison. Si le député vote contre l’intérêt de la majorité de ses électeurs, il court le risque de ne pas être réélu.

Un vote est comme un portion de pouvoir différé. 

Qualitativement, on est toujours persuadé d’avoir raison (du moins, il faut l’espérer quand on fait un choix) mais c’est la majorité, même si on pense qu’elle a tort, qui octroie le pouvoir à un délégué qu’on l’appelle chef ou président. 

Sur ce point quantitatif, Macron est aussi contesté que sur sa compétence parce que les Français ne croit plus au mode électoral actuel. Mal élu et par conséquent mal élevé, le chef de l’État n’est pas reconnu comme le détenteur légitime du pouvoir par une majorité confortable. Cela tient également à la perte de souveraineté de la France au sein de l’Union européenne. Rappelons que la souveraineté nationale est le pouvoir d’un peuple à décider de son destin par lui-même. On peut également utiliser les termes d’autonomie, d’autodétermination ou même d’autogestion qui paraitront peut-être moins ronflants à certains. Les Français ont l’impression que les décisions se prennent ailleurs (à Bruxelles, à Berlin ou à Washington) et que le président n’est qu’un homme de paille.

Costume noir et idées sombres…

Quand Louis XIV disait « l’État, c’est moi », il affirmait que tous les pouvoirs se concentraient en lui et que la décision lui revenait en tout sujet. Bon, techniquement, il n’avait pas le temps nécessaire et il était pas mal occupé à se divertir et à danser. Il a donc délégué. Mais sur le principe, il exerçait le pouvoir absolu tout simplement parce qu’il était souverain, de père en fils, sans partage et par la volonté divine d’un dieu unique. Ce ne serait pas inutile, s’il n’était bouché comme un paraphrène et chargé d’une mission dogmatique, de redire à notre président que ce n’est pas son cas.

Philippe Seguin, pas recommandable sur tous les plans mais clairvoyant sur le mensonge européiste.

La souveraineté est au coeur de la crise européenne actuelle: les Français voient l’essentiel de leur destin, jadis commun, leur échapper malgré leur vote. La Commission européenne tranche sur la taille du diamètre des camemberts, la BCE contrôlent la monnaie unique, les agences de notation financière donnent des bons points aux États, les multinationales décident de ce qu’on mange, de ce qu’on boit, de ce qu’on voit au cinéma, de ce qu’on peut dire sur les réseaux sociaux, de ce que qu’on peut savoir sur ce qui se passe, de qui on doit admirer ou haïr. Les élus comptent les 49,3 du gouvernement, nommé par un chef d’État qui ne leur ressemble pas et qui ne partage aucune de leurs aspirations. Bref les Français se sentent dépossédés, désunis et impuissants face à des forces extérieures à qui ils n’ont pourtant pas l’impression d’avoir accordé le pouvoir. 

Toutefois leurs dirigeants l’ont fait pour eux mais à leur insu. C’est la grande histoire de la mondialisation par laquelle le pouvoir a échappé à l’autorité locale de la communauté à taille humaine. Dans ces circonstances, l’État est perçu comme une force de coercition (contrainte) parce qu’il fait appliquer des règles édictées par l’OMC, la Commission européenne ou je ne sais quelle instance supranationale, elles-mêmes télécommandées par les intérêts de l’impérialisme américain qui ne respecte aucune des contraintes qu’il aimerait imposer au monde. Vous croyez entendre une vieille rengaine complotiste. C’est pourtant le scénario le plus en phase avec les faits. Le roman atlantiste est autrement plus glamour mais au service de l’hégémonie états-unienne. Qui peut encore croire que la Maison blanche se soucie du bien-être des Européens? Quand aux louanges de la mondialisation, il n’y a plus que les européistes babas pour y croire.

Élu de service et fonctionnaire

Robespierre aurait très probablement voté contre le Traité de Maastricht

En ce début de XXIème siècle, on accède plus souvent au pouvoir qu’on ne le prend. Il y a en effet moins de coups d’État (putsch) que d’élections ces derniers temps. Quant à la question de la réelle démocratie du vote, j’éviterai de trop faire le malin aujourd’hui. C’est pourtant un fait, nous sommes régulièrement appelés aux urnes et nous déléguons nos décisions à un président, des députés et des conseillers, régionaux et départementaux, et toute une flopée de représentants fondus de pouvoir. En principe, il n’y a rien de mal à cela si on s’en tient à notre définition initiale : le pouvoir est octroyé par une communauté à l’élu qui en retour est à son service. L’élection n’est pas une érection sur un piédestal mais une mise à disposition. Servir et non se servir: sur le papier, tout le monde est d’accord. L’élu entre dans le service public par les urnes sans devenir fonctionnaire pour autant. Il a la charge de faire remonter tous les pouvoirs qui lui ont été confiés jusqu’à l’assemblée législative où une décision est prise par le vote majoritaire et couchée dans le marbre du Code. C’est ainsi que nait la Loi en démocratie.

– Qui est pour le rapport d’activités? Qui s’abstient?

Dans une communauté plus restreinte, un conseil villageois par exemple, la Loi est souvent coutumière et de tradition orale. Son application dans tel ou tel cas peut se décider en assemblée pleinière par un vote à main levée. C’est rude mais cela évite les mesquineries de l’isoloir. 

L’autre mode de décision, c’est le décret, l’arrêté autocratique, pris en comité restreint, voire par le fait du prince. On se retrouve dans le cas de figure du commando. C’est nettement plus expéditif et ça peut passer dans certains cas. Mais d’une manière générale, il faut s’en méfier car l’abus de pouvoir est à la clef. On s’en est aperçu durant l’épidémie. 

– Quelqu’un aurait-il une objection? C’est maintenant ou jamais?

L’urgence engendre la panique et la stupeur qui ne sont pas bonnes conseillères et sous l’effet de la sidération, l’autoritarisme gagne rapidement du terrain et un être humain qui prend le pouvoir lâche difficilement l’affaire. C’est un pli qu’on prend vite et dont on se défait avec beaucoup moins de facilité.

Une fois la décision adoptée ou tout simplement prise, il faut l’appliquer. Et c’est l’État qui va s’en charger, autrement dit le versant exécutif, tout l’appareil des fonctionnaires, du premier ministre à l’agent de terrain qui mettent les décisions en pratique. Le chef de l’État est donc à la tête d’un immense dispositif aux ramifications innombrables qui ont la charge d’appliquer la Loi, c’est-à-dire la décision applicable à tous les citoyens et même aux mineurs pour le coup. Une loi ne plait jamais à l’unanimité: il y a ceux qu’elle sert et arrange et ceux qu’elle contraint et dérange. Son application protège du côté droit et oblige du côté devoir. Mais je peux juguler mon désir (rouler vite par exemple) pour me plier à l’intérêt  général (survivre au déplacement sur la route) sans me faire une violence insupportable à partir du moment où un sentiment de justesse accompagne la Loi. Efficace, une loi est juste. Elle est injuste lorsqu’elle renforce une iniquité et ne rétablit pas l’équilibre. 

L’autorité doit être utilisée à bon escient pour ne pas être contestable. Si elle doit être contestée, il faudra un arbitrage.

L’hégétique désigne l’art du gouvernement en tant qu’exercice du pouvoir dans et sur la communauté.

« Ne me regarde pas avec cet air méprisant, Friedrich, je ne comprends pas grand chose à ce que tu racontes, c’est tout! »

L’État est une personne morale qui a toutes les caractéristiques de la #Personne et peut même être condamnée par la justice. N’en déplaise à certains de mes camarades anarchistes, l’État est même la forme la plus aboutie de la Personne. Hegel ne devait pas être loin de penser la même chose mais peut-être pas pour les mêmes raisons. Mais avec Hegel, je suis prudent car je ne comprends pas grand chose à ce qu’il raconte. 

Si l’État est stabilisateur, il n’en reste pas moins un processus en perpétuel mouvement qui aspire l’identité et le pouvoir autant qu’il les distribue.

Ce qu’il y a au fondement de l’État, c’est l’Institution, ce processus dialectique ethnico-politique qui fait de l’individu un citoyen avec une identité et une nationalité, un état-civil et des papiers pour le prouver à tout moment. Il définit ainsi qui est majeur et qui ne l’est pas, qui est responsable ou qui dépend d’un foyer. L’État enregistre également la création des personnes morales (entreprises, association, parti). Il répertorie le territoire et se porte garant de la propriété foncière (service du cadastre) et immobilière (via les notaires). Il enregistre la vente d’un véhicule ou un mariage. Il accorde la nationalité et contrôle un nombre impressionnant de nos données. On ne lui cache rien qu’il n’ait à savoir alors que lui peut garder secret ce qui relève de la sûreté publique.

La levée et la collecte de l’impôt sont un monopole d’État. Vous n’êtes donc pas obligés de donner de l’argent aux Restos du Coeur et à la Croix Rouge.

Enfin l’État définit le fiscalement notable, le foyer sur lequel il lève l’impôt, cet argent qui permet d’assurer son fonctionnement aussi bien le traitement des fonctionnaires que les budgets d’investissement et les frais de fonctionnement des services. Il en définit le montant et le collecte. Il en a même le monopole.

Nous étions pour l’instant grosso modo sur la face Instituant de la Personne. Sur l’Institué, l’État administre, via l’INSEE, la répartition en classes socio-professionnelles suivant les rôles tenus mais segmente également le pouvoir régalien en ministères (intérieur, armée, éducation, santé, justice…), il en assure le fonctionnement, il invite les partenaires sociaux lors des négociations, il garantit la sûreté des personnes via la police, l’armée et les services de renseignement, il recrute ses agents, il organise les élections des représentants du peuple, il fait redescendre les fonds collectés ou empruntés, il collecte les impôts et les taxes et verse des allocations et des subventions, il indemnise, il finance, il renseigne, il surveille, il répertorie… bref l’État fait ce que chacun d’entre nous fait mais en plus grand, exception faite de tout ce qui a trait à l’impôt et à l’arbitrage, à moins que vous ne pratiquiez le racket et le règlement de compte. 

L’État protège donc autant qu’il oblige, il donne des droits et impose des devoirs comme toute vie en société en réclame. Penser qu’on peut s’en extraire en vivant en autarcie me parait illusoire, même si certains libertariens tentent l’expérience en coupant les ponts. Je rejoins sur ce point Frédéric Lordon dans « Vivre sans ». 

Survivre à la disparition de l’institution

Malevil, le roman de Robert Merle, raconte une expérience similaire mais involontaire à celle de la ZAD. Après un cataclysme nucléaire, des survivants doivent s’organiser et on s’aperçoit qu’ils vont avoir à instituer les règles et les normes, c’est-à-dire à fixer des conduites et engendrer de la Loi. On ne vit pas sans lois, aussi réduit soit leur nombre. En revanche, on peut vivre sans textes de loi. Le modus vivendi repose alors sur la coutume, celle-ci n’étant pas obligatoire la solution la plus raisonnable, la meilleure ou la plus efficace face à une situation. La coutume est arbitraire et contingente tout comme la Loi dont elle est la version la plus ancienne. C’est une décision du pouvoir et comme telle, elle peut être changée. Mais arbitraire ne veut pas dire qu’elle n’est pas bonne : arbitraire signifie qu’il a fallu arbitrer, trancher entre des intérêts divergents.

Il ne faudra pas compter sur les notaires et les huissiers pour faire la révolution.

L’État garantit le respect de la décision mais il garantit également le respect d’un contrat entre particuliers et offre un recours si une des parties s’estime lésée. L’État délègue souvent ce pouvoir au notaire qui est une sorte de fonctionnaire libéral, tout comme l’huissier, deux anomalies déontologiques amener à disparaitre lors de la remise à plat communiste de l’administration.

S’il arbitre, l’État n’est toutefois pas neutre: il va toujours dans le sens de l’existant, entérine le déjà-là. Celui qui contrevient au code civil se retrouve face à la Loi: cela ne se fait pas, un point, c’est tout. En cas de flou juridique, ce qui tôt ou tard finit par arriver, le tribunal tranche et son jugement peut faire jurisprudence et servir de référence.

Bien que non-élu mais nommé à l’issue de l’obtention du concours de la magistrature, le juge est néanmoins investi du pouvoir de décision de la société. Aux assises, c’est un jury tiré au sort qui est délégué pour trancher. Mais le #métier reste le même même si l’un est un professionnel, l’autre pas. L’élu n’est pas non plus un fonctionnaire (ou alors dans le cadre d’une mise en disponibilité): il ne bénéficie pas du même statut et touche une rémunération, et non un traitement.

L’ordre règne dans le comté de Hazzard (Shérif, fais-moi peur!)

Aux États-Unis, certains juges sont élus, tout comme la plupart des shérifs. Mais on peut imaginer l’inconfort que représente une telle position pour un délégué, chargé de faire régner l’ordre et la justice parmi ceux qui l’ont élu et le rééliront peut-être. L’impartialité n’est pas garantie. Cela dit, les juges français, bien que nommés et supposément souverains au nom de l’indépendance des pouvoirs, ont appliqué une justice de classe avec les Gilets jaunes. 

L’État garantit pourtant une constance dans la vie en société, peut-être pas juste mais prévisible. On sait à quoi s’attendre même si ce n’est pas à notre avantage et on peut aviser. L’État n’exerce donc jamais une tyrannie subjective: dura lex sed lex. La Loi est dure mais c’est la Loi. Elle est également la même pour tous, elle ne souffre pas l’iniquité, c’est à dire une application aléatoire. L’administration judiciaire y veille et la police aussi. En fait, le corps étatique entier veille à l’application du code qui régit la vie en société. Seul des dysfonctionnements entrainent le non-respect de l’équité et par conséquent le sentiment d’injustice. On ne doit donc pas confondre la condition actuelle de l’État, et son principe, gage de constance de l’application de la Loi, qui peut parfois paraitre inhumaine parce qu’elle ne prend pas souvent en compte la spécificité humaine de l’administré mais n’en reste pas moins au fondement de l’égalité avec une application uniforme.

La force d’inertie de l’État

Parce que l’État constitue un vaste corps social, il représente également une résistance au changement. L’institution persévère dans son être comme dirait Spinoza. Et même elle se consolide et l’État peut parfois tendre à la sclérose bureaucratique par renforcement du pouvoir qui lui est conféré. Le fonctionnaire est le garant d’une organisation légale du service public et par conséquent il entre dans ses devoirs d’en défendre les obligations. Il est donc tenu au secret professionnel, à l’obéissance hiérarchique, à l’obligation de réserve, au principe d’exclusivité et à pas mal d’astreintes que la sécurité de l’emploi vient contrebalancer.

Le statut du fonctionnaire ne fait donc pas de lui un entrepreneur et un aventurier. Au contraire, le fonctionnaire a toutes les raisons d’être procédurier (sans être péjoratif) et de s’en tenir au protocole. Sa hiérarchie le protège s’il fait son devoir et il n’a de compte à rendre qu’à elle. En revanche, l’agent a le devoir de désobéir si l’ordre donné est « manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ». Il est alors renvoyé à sa responsabilité individuelle alors qu’en exécutant les ordres, il est couvert par son autorité de tutelle. 

– Il est absolument hors de question que j’enlève un seul D à Buttle? – Tuttle, vous m’entendez, Tuttle!

L’être humain n’est généralement pas porté à désobéir: malgré ses imperfections, l’expérience de Milgram l’a montré et d’autres expériences vont dans le sens d’une aptitude au conformisme. L’esprit critique et moral a tendance à se mettre en veille face à l’Institution. On ne sait pas pourquoi on le fait mais on le fait parce qu’on ne voit pas pourquoi on le ferait autrement. Très souvent, la question ne se pose même pas au fonctionnaire car il n’a pas signé pour remettre son poste en cause et l’expérience montre que le fonctionnaire en place justifiera son action parfois jusqu’à l’absurde pour rester cohérent avec le système.

Cette force d’inertie est la garante des institutions et du protocole qui les entoure. Il est difficile de se défaire des habitudes même si elles peuvent se révéler contreproductives ou contraire à la morale de l’agent lui-même. C’est ainsi que dans les préfectures, on signe des OQTF (obligations de quitter le territoire français) à l’encontre de migrants alors même que la légitimité de ce qui n’est qu’une expulsion est difficilement soutenable. Dura lex sed lex.

Derrière le flic, il y a un citoyen et parfois un être humain.

Dans le même ordre d’idées, l’État s’octroie le monopole de la force, et non de la violence qui n’est pas contrôlée. La force publique est au contraire un usage mesuré et proportionné de la capacité de coercition de l’État. La police est ainsi un rouage indispensable à l’application des obligations, tout comme l’administration pénitentiaire ou les services du Fisc. Celui qui cherche à se soustraire à l’impôt a affaire à ce dernier, éventuellement à la police, à la justice et en dernier ressort à la prison. Il n’y a aucune violence particulière là-dedans dans la mesure où la possibilité de se remettre en règle est proposée au contrevenant, l’incarcération, c’est à dire la confiscation de la souveraineté d’une personne, n’étant que le dernier maillon d’une chaine légale.

A noter que le bannissement n’existe plus en France et que l’expulsion n’est pratiquée que sur les ressortissants étrangers.

Reste l’armée qui est elle aussi au service de l’État, en assure l’intégrité territoriale et parfois aussi le respect des intérêts du pays à l’étranger. Elle agit dans un cadre bien défini, ce qui est tout de même rassurant étant donné que l’homicide « motivé » fait partie de ses prérogatives. On peut ne guère aimer l’armée: elle reste tout de même plus digne de confiance qu’une milice à la solde d’on ne sait qui. 

L’armée ne peut se substituer à la police et le plan Vigipirate avec des patrouilles de militaires armés de fusils mitrailleurs dans des lieux fréquentés par la foule est une aberration technique: il est en fait le symptôme de gouvernement à cours d’idées pour rassurer une population terrifiée par des attentats et en aucun cas une solution efficace pour stopper des terroristes qui passeraient à l’action. Il y a mélange des genres et des ministères et si la Grande Muette a fermé sa gueule, le silence ne s’est pas toujours fait dans les rangs sur cette question.

– Là! – Quoi là? – Eh bien, là quoi!

En toute logique, on peut s’interroger sur la subsistance de la gendarmerie aux côtés de la police nationale et se demander si la fusion des services ne répondrait pas à une harmonisation souhaitable malgré un état d’esprit différent: un garde-mobile n’est pas un CRS mais il obéit tout de même aux ordres. Une telle coexistence dans d’autres domaines poserait problème. On la tolère pourtant dans l’éducation (avec les écoles sous contrat ou hors-contrat) et dans la santé (avec les cliniques), les unes et les autres profitant tout de même de l’argent public (subventions ou remboursement par la sécu). Je l’ai déjà pointé du doigt dans le cas des huissiers qui se sucrent sur le dos des mauvais payeurs aux dettes majorées et des notaires qui ponctionnent leur subsistance sur les grosses transactions privées qu’elles enregistrent. 

Le corps étatique comme toute Personne offre une résistance importante au changement et se réforme en trainant des pieds car tout changement d’habitude même bénéfique demande un effort. En fait, la transformation est souvent vue comme un bienfait une fois seulement qu’elle s’est opérée. Comme le profit financier personnel n’est pas l’objectif des fonctionnaires, ils sont plus que d’autres réticents au changement surtout si la finalité de la transformation leur échappe, et plus encore la prise de décision. 

– Je passe une cravate et je suis à vous…

Les gouvernements néolibéraux qui se succèdent au pouvoir depuis 1983 (un peu de provoc’) n’ont pourtant de cesse de réorganiser le service public en le démantelant pièce par pièce au profit du privé et en ne gardant dans le giron de l’Étant que ce qui n’est pas monnayable ou guère : le maintien de l’ordre, la défense du territoire dont les dépenses en équipement enrichissent Dassault et consort, la justice qui manque cruellement de moyens, l’éducation des moins riches, l’État-civil, la recherche fondamentale, la construction des infrastructures sans péage… Dans les services, personne n’est dupe. L’État néolibéral répond aux directives européennes qui ont foi dans le bien-fondé de la concurrence et veut la peau du service public à la Française. Des ministres, des chefs de cabinets et des hauts-fonctionnaires sabotent le fonctionnement de leurs propres services afin de rendre souhaitables des réformes qui n’en sont pas vraiment puisque l’enjeu est de délester l’État de tout ce qui peut entrer dans le secteur marchand. Et de prendre le prétexte que le secteur privé est plus efficace et donc moins cher pour le consommateur, une affirmation que votre facture d’électricité saura démentir sans autre commentaire de notre part.

Nous reviendrons plus en détails dans le chapitre suivant sur tous les domaines où selon nous l’État a son rôle à jouer.

Tout le reste est divertissement socio-cul. A la revoyure!

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