C16 – Au service de sa « Majorité »

Si le communisme que nous dessinons ré-encastre l’économie dans la société, qu’est-ce qui incombe encore à l’État? Ne vaut-il pas mieux d’ailleurs parler le plus souvent possible de services publics pour bien entériner le fait que l’État est l’organisation des services publics qui participent à la satisfaction de l’intérêt général? Tâchons d’en esquisser la forme générale.

Résolument communistes – C16

Le communisme stakhanoviste, ça casse pas des briques au niveau du désir.

Entre le néolibéralisme qui entend drainer vers le secteur privé tout ce qu’il est possible de transformer en marchandise et l’étatisme bureaucratique qui confie les clefs du pays à une caste de technocrates, il va falloir trouver une voie résolument communiste qui évitera les écueils sur lesquels se sont fracassés le soviétisme du XXème siècle mais également le libéralisme qui, même s’il renait de ses cendres depuis de nombreuses décennies, subit des crises à répétition, des crises cycliques voués à se reproduire et à empirer. 

Les penseurs capitalistes ont compris depuis bien longtemps qu’il y avait une faille dans leur système économique et qu’il ne pouvait complètement se passer de l’État pour recoller les morceaux. Les néo-libéraux mettent sans vergogne celui-ci au service du marché.

Rappelons que, pas plus que le marché, l’État ne doit rester dans les têtes une totale abstraction. Si c’est un ensemble de rapports sociaux extrêmement complexes, ce sont également des humains en action avec des intérêts divergents, voire antagonistes. Mais si ces relations sont immatérielles, elles n’en sont pas moins extrêmement puissantes et solides, douées d’une existence bien réelle et terriblement prégnante. Notre relation à l’État est par conséquent loin d’être anodine d’autant qu’en France, la notion de services publics, même s’ils sont actuellement malmenés, reste un point central de notre régime politique: en république, l’État nous doit assistance autant que nous lui devons obéissance. Cette obligation mutuelle est au fondement d’un lien fort d’interdépendance.  

Sous l’ancien régime, c’est vrai qu’on pouvait difficilement parler d’équilibre et pourtant ça a tenu pendant plusieurs siècles.

Depuis l’inscription de la propriété privée en tant que droit fondamental dans la constitution, l’État avait pour mission de protéger les intérêts économiques et politiques de la bourgeoisie, les bourgeois étant les grands propriétaires dont la propriété devient lucrative par accumulation. Quand le nécessaire est assuré, et ça n’exclut ni le luxe ni le futile, le surplus a tendance à proliférer et donc à s’accroitre. S’il n’est pas redistribué à la communauté ou dilapidé en potlatch, le capital finit par constituer un moyen d’exercer le pouvoir sur le plan économique d’une part et d’autre part, sur le plan politique, une fois l’aristocratie guerrière débordée. On comprend alors qu’il y a entre l’État et le capitalisme une collusion d’intérêts: de l’inspecteur général des finances au CRS, en passant par le collecteur des impôts et l’institutrice, les serviteurs de l’État visent à maintenir l’ordre en place. Quant aux agents de ce dernier, les bourgeois et tous leurs satellites, ils profitent de la sécurité et de la stabilité qu’apportent un État bien établi (en anglais, on dirait establishment) à la société. Stabilité ne signifie pas nécessairement équilibre: le régime féodal était foncièrement disproportionné mais il a tenu bon jusqu’à ce que la bourgeoisie fasse définitivement pencher la balance hégétique (répartition des pouvoirs) en sa faveur. Ensuite, l’État et la bourgeoisie ont marché main dans la main, tout en se faisant des crocs-en-jambes mais sans jamais chercher à se faire définitivement trébucher. On peut donc parler d’un État bourgeois en place en France depuis la Révolution.

L’autoroute devrait à l’heure actuelle être gratuite sur tout le réseau si nos « élites » n’avaient pas failli à leur mission.

Mais depuis son retour en force dans les années 1980 (Reagan-Thatcher-Rocard), le capitalisme a poussé un peu plus loin encore le bouchon en faisant financer par la collectivité des infrastructures dont les grosses fortunes s’emparent à moindre frais. L’État français a ainsi par exemple cédé son réseau autoroutier au moment même où il allait devenir bénéficiaire. Si ce n’est pas malveillant, c’est tout de même ballot de la part de grosses têtes comme Lionel Jospin ou Dominique de Villepin. Bref on cède les bijoux nationaux à Vinci ou Eiffage quand ce n’est pas aux fonds de pension américain Blackrock comme cela se profile pour tout notre système social ou éducatif.

Mais l’arnaque ne s’arrête pas là. En effet, le sauvetage par les finances publiques de certaines affaires qui ne marchent pas, comme cela a été le cas du ferroviaire en Angleterre, est aussi possible. Mais il ne s’agit pas de reprendre la main pour pas grand chose: bien au contraire, l’indemnisation risque bien de faire encore du Trésor public le dindon de la farce. Et quand les traders font les cons avec l’argent des épargnants et que ça « cracke », c’est encore les finances publiques qui colmatent les brèches pour éviter le tsunami. Après la crise de 2008, c’est l’État qui a soutenu les banques imprudentes, une dette qu’on continue encore à payer à coups de restrictions budgétaires dans les services que l’État est justement censé nous rendre.

J’ai tapé « délestage » sur Gogol et je suis tombé sur ça!

Mais pour en revenir à la phase de braderie, le leitmotiv de toute ce « délestage » est que l’État n’a pas vocation à s’occuper tel ou tel domaine. La dérive bureaucratique telle qu’on a pu la vivre dans les régimes totalitaires a servi de leçon et personne ne veut retenter l’expérience soviétique. Cela fournit des arguments de choc aux libéraux de pure souche qui entendent bien ne pas être confondus avec les néolibéraux qui mettent l’État au service du marché par toute une série de malversations et de sabotages du service public pour permettre à des hommes et des femmes d’affaires peu scrupuleux de s’emparer de « marchés » qui auraient dû leur échapper, tous les domaines que nous allons explorer par la suite.

Les libéraux qui se revendiquent encore comme tels parce qu’ils ont une éthique (Charles Sanat, Nicolas Vidal, le Cercle Aristote…) que nous ne partageons pas mais qu’il faut reconnaitre, ces libéraux-là du canal historique vilipendent les néolibéraux actuels qui, eux, ne se proclament rien du tout et détournent les prérogatives de l’État en faveur des intérêts de quelques grandes familles de milliardaires. C’est d’ailleurs bien une affaire de familles puisqu’on retrouve des membres de celles-ci aussi bien parmi les hauts-fonctionnaires que parmi les financiers quand ils ne passent pas de l’inspection des finances à la banque et réciproquement. Macron est un parfait exemple de cette porosité entre finances publiques et banques privées. Pompidou, avant lui, a passé quatre ans chez Rothschild (1954-1958) avant de devenir premier ministre, puis président. 

Ce qu’il y avait de bien chez les Pompidou, c’était la simplicité de Madame Claude…

Non au tout à l’État

Résococo a déjà présenté les propositions de Réseau Salariat en matière de financement de l’entreprise non lucrative en C10. Le schéma ci-dessous montre bien que l’économie peut être ré-encastrée dans la société sans être pour autant placée sous la coupe de l’État: il faudra pour cela l’engagement des citoyens car c’est de la professionnalisation de l’appareil décisionnel en politique que nait la bureaucratie qui finit tôt ou tard par confisquer le pouvoir si un contre-pouvoir citoyen ne la contrôle pas. 

La circulation de la richesse dans un monde débarrassé du capitalisme, c’est finalement beaucoup plus simple qu’il n’y parait. Reste à le faire comprendre à des gens justement habitués à n’y rien comprendre.

Le rétablissement du système social tel qu’il a été conçu par Ambroise Croizat, le PC et la CGT en 1946 s’impose tout comme est devenu indispensable un retour à la souveraineté populaire dans les décisions. La République parlementaire de la Vème république a montré ses limites, a été dévoyée par la social-démocratie décadente et n’est plus représentative de la population. Je vous passe le rappel des taux de participation minables aux élections présidentielles, législatives et professionnelles. Dépossédés et sûrs de l’être à nouveau, les citoyens tournent le dos aux urnes et les fariboles civiques ne prennent plus. Résultat: une minorité nuisible aux intérêts du pays gouverne à coups de décrets en faveur d’une ultra-minorité qui décident de l’orientation de la production et qui cherche à mettre le maximum de pognon à gauche (c’est une manière de parler).

S’il y avait un nom à sauver de l’oubli dans toute l’histoire de la politique française… Ambroise Croizat… Parce qu’il le mérite bien!

Choix économiques et industriels, financiarisation de l’économie, évasion fiscale et tout le toutim, vous connaissez l’engrenage. Ce n’est pas pour autant que le peuple réclame plus d’État: l’Institution est mal perçue. Il n’y a qu’à voir comment la racaille caillasse non seulement les flics mais aussi les pompiers et d’une manière générale, tout ce qui porte l’uniforme et représente l’autorité publique. Mais quand je vois Lallemand et Nunès, j’ai pas envie d’aimer les préfets et par ruissellement, j’ai quelques réticences à voir dans l’administration préfectorale une instance qui me veut du bien. Elle me contrôle sur un plan associatif, m’oblige à déclarer les manifs et se fait une joie de me faire remplir des formulaires redondants, cocher des cases vides de sens et respecter des protocoles humiliants. Rien qui me pousse à respecter le képi du fonctionnaire.

J’aurais bien évidemment pu mettre ici un portrait de mon épouse pour illustrer le dévouement de certains personnels du service public. Oui, évidemment, j’aurais pu…

Par ailleurs, les médias de l’oligarchie se plaisent à souligner la soi-disant gabegie pécuniaire des financements publics et à présenter les fonctionnaires comme des privilégiés. Je ne prétends pas réconcilier ici la France avec sa fonction publique mais étant moi-même l’époux d’une charmante fonctionnaire, psychologue en CHS pour ne rien vous cacher, je me dois de tenter un petit quelque chose, une esquisse de ce pourrait être le service public dans une société résolument communiste.

Alors, qu’il soit bien entendu que l’État communiste, et stratège, ne se mêle pas du petit magasin de réparation électroménager du coin. Le financement, le contrôle de la gestion, la collecte des contributions et la planification de la concurrence loyale, toutes ces missions dépendent des caisses collectives, gérées par des salariés.

Tous fonctionnaires

L’éminemment sympathique Karl Polanyi

A noter tout de même, que le salaire à vie fait potentiellement de nous tous des fonctionnaires d’un autre genre. C’est d’ailleurs une piste pour éviter la bureaucratie et le régime des petits chefs de service et ré-encastrer l’État dans la société comme Karl Polanyi proposait déjà de le faire pour l’économie et que Réseau Salariat envisage de le mettre en oeuvre. Reconnu politiquement comme producteur de richesse, le citoyen salarié à vie doit prendre sa part de responsabilité et d’obligation dans la société s’il veut que ce régime qui lui assure la garantie du salaire et par conséquent la sécurité financière puisse perdurer. On ne pourra pas payer les gens à ne rien foutre indéfiniment. Il s’en trouvera bien qui ne rechigneront pas à assurer le travail administratif: les associations trouvent des bénévoles qui se coltinent le taf sans toucher un kopeck. On arriverait sûrement à simplifier les procédures de cette manière. C’est à étudier. D’ailleurs en parlant d’études, des expériences ont montré que des personnes touchant un revenu minimum inconditionnel n’avaient pas cessé de travailler et que si elles avaient parfois levé le pied, c’était pour se consacrer à des activités parentales ou pour s’impliquer davantage dans la vie civique. C’est d’ailleurs l’une des attentes de Bernard Friot vis à vis du salaire à la qualification : il est persuadé que le temps dégagé par une diminution du nombre d’heures travaillées serait utilisé non seulement pour une activité politique ou citoyenne mais également pour une participation à la prise de décisions économiques au sein de l’entreprise. Comme le laisse à penser le modèle de la Personne qu’a construit Jean Gagnepain, l’humain tend spontanément à agir sur le monde pour produire des choses bénéfiques à ses semblables: cette dette dont il se sent institutionnellement redevable envers autrui le pousse à remplir de son mieux la fonction que la société lui accorde. Comme préalable au travail, le salaire à vie ne fait que renforcer ce dû social.

Il y a bien sûr chez Tati une dimension christique insoupçonnée mais ce n’est ni le lieu ni le moment…

Les cyniques utilitaristes objecteront que Gagnepain et Friot pèchent par excès d’irénisme et d’angélisme par leur confession catholique. Or la vision chrétienne de l’homme n’est pas rose et par bien des aspects, le soviétisme est plus optimisme sur la nature humaine que la version peccamineuse (relative au péché) de la Bible. Du coup, le sacrifice n’est pas l’apanage des martyrs du catéchisme. 

Bon, c’est le moment de passer en revue les services publics tels qu’ils existent actuellement en France (et parfois dans le monde) et de voir ce qu’on pourrait en faire dans un système vraiment conçu pour servir la collectivité sans souci de rentabilité (la mauvaise dette, Résococo s’assoit dessus) tout en se préoccupant de ne pas céder à la gabegie générale qui permet aux plus cupides de capitaliser.

Au sens strict du terme en France, seuls la défense nationale, la diplomatie, la justice, la police, l’ordre public et les finances sont des fonctions régaliennes. Ce sont les fonctions où l’État est souverain. Elles sont entièrement financées par l’impôt et assurées par des administrations publiques. 

Il est évident qu’Irene n’a rien à foutre ici et d’ailleurs, on ne lui demande pas de faire quoi que ce soit.

Le texte auquel nous faisons référence parle également de la monnaie. Or s’il y a un domaine dans lequel l’Union européenne a dépossédé le pays de son autonomie, c’est bien celui de la monnaie. Quant au déficit public plafonné à 3%, c’est encore une invention européiste, de Jacques Attali pour être précis. Mais elle n’est guère respectée ces derniers temps, même si le refrain continue à avoir cours sur les lèvres de l’équipe de Macron: « il faudra bien rembourser la dette abyssale qui se creuse sous nos pieds et pour que les marchés financiers continuent à nous prêter des fonds pendant qu’on nous réduisons les dépenses publiques inutiles, il faudra travailler jusqu’à 64 ans ». C’est ça, cause toujours! Il faudra bien faire une croix sur une bonne partie de la dette publique si on veut s’en sortir et les économistes les moins bornés le répètent: sans retour à une souveraineté monétaire nationale, c’est l’idéologie ordolibérale allemande et son art de ne pas respecter les règles qu’elle impose au reste de l’Europe qui continueront à faire couler le vieux continent. Mais revenons à nos agents de l’État avant que je ne m’égare dans une diatribe contre l’impérialisme américain.

Et avant de passer en revue de détail les ministères, une pause s’impose.

Tout le reste est littérature. A la revoyure!